05 | 2018
La reconversion des palais traditionnels en musées aux XIXe-XXe siècles à Tunis

Faiza Matri (*)

Résumé | Entrée-d’index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur

Résumé

La reconversion affecte un édifice à un autre usage que celui pour lequel il a été conçu. En effet, tout édifice est construit pour une fonction précise – logement, commerce, etc- cependant l’évolution des usages est souvent plus rapide que l’usure des murs, engendrant parfois la désaffectation de certains édifice auxquels il faut trouver une nouvelle fonction.
Le présent article analyse l’expérience tunisienne dans le domaine de la reconversion de l’architecture traditionnelle en musées, en examinant en premier lieux, les expériences des premières années du protectorat, notamment le projet de reconversion du Bardo. La seconde partie est consacrée à l’analyse d’une expérience plus tardive, celle de la reconversion du palais Khéreddine à partir des années 1980.

Entrée d’index

Mots-clés : Reconversion, Protectorat, conservation, architecture traditionnelle, muséologie.

Plan

Introduction
1-Projet d’aménagement de Bardo et les premières expériences de la muséologie de l’art arabe (1882- 1920)
2-Reconversion du palais Khéreddine en Musée de la ville de Tunis à partir de 1980 : Musée Ethnographique ou musée d’art moderne ?

Conclusion

Texte intégral

Introduction

En Tunisie, la réutilisation de l’héritage local par les nouveaux maîtres d’œuvres était accompagnée de leur adaptation à la nouvelle culture constructive,ce qui a contribué à la métamorphose de l’espace traditionnel. De ce fait, la configuration des maisons traditionnelles extravertie et obéissant à un assemblage particulier dit en grappe à travers lequel les maisons nobles occupent le centre de l’îlot et desservies par des longues impasses et dribas, alors que les dépendances ou les maisons modestes occupent la périphérie, a été remplacée par une typologie occidentale. Le Bardo illustre cette approche : à la configuration traditionnelle de l’ancienne citadelle isolée et fermée s’est substitué un quartier administratif contenant divers équipements publics en y intégrant le Musée, contenant des façades expressives et ouvertes sur l’espace public.

I.Projet d’aménagement de Bardo et les premières expériences de la muséologie de l’art arabe (1882- 1920)

Le Musée Alaoui est l’ancien harem situé à côté du palais beylical du Bardo. Il est constitué d’une série de palais où étaient logées autrefois épouses et concubines du Bey. Le harem du Bardo a été commencé par Muhammad Bey (1855-1859) et achevé par son successeur, Muhammad al-Sadok Bey (1859-1882). Les plans ont été tracés par des architectes tunisiens et la décoration intérieure a été confiée à des ouvriers tunisiens, sous la direction de Muhammad Bey.(1)
La création du musée de Bardo remonte à 1882. Son inauguration officielle avait eu lieu le 7 mai 1888. Il s’appelait alors Musée Alaoui du nom du souverain Ali Bey (1882-1902) qui l’a fondé. Les collections archéologiques du musée renferment des objets provenant des diverses régions du pays. Si une grande partie de cette collection provient des produits des fouilles exécutés par les agents du service des antiquités et arts, le premier fond contient des antiquités rassemblées antérieurement par Bernard Roy et la société archéologique qu’il a fondée. Il contient aussi des œuvres rassemblés à la Manouba par le ministre Khéreddine(2).
Cet établissement public a été doté de la personnalité civile par décret du 17 avril 1907 et était aussitôt géré par le Service des antiquités et arts(3). Après l’indépendance, il a changé d’appellation pour devenir le « musée national de Bardo ».

1.Travaux d’aménagement et création du Musée

Les documents susceptibles de retracer l’opération d’aménagement de l’ancien harem en Musée et sa réparation sont rares. Le recours aux rapports établis par le Service des antiquités et arts au cours des premières années du Protectorat, ainsi que la comparaison des plans permettent de révéler quelques aspects de cette intervention.
Le Bardo a subi une opération de transformation d’une grande envergure qui n’a épargné que quelques parties. En effet avant le Protectorat, le Bardo se présentait sous la forme d’une citadelle fortifiée qui couvrait plusieurs hectares,constituée par une multitude de palais avec leurs dépendances.
Une description de 1841 mentionne que le Bardo se présente sous l’aspect d’une citadelle fortifiée et entourée d’un fossé. L’enceinte fortifiée se présente sous la forme d’un« rectangle de cinq cents mètres sur trois cents mètres environ de côté avec des petits bastions aux angles et des demi-tours circulaires.» La hauteur du mur de l’enceinte atteint « huit mètres environ de hauteur y compris un mur crénelé à la partie supérieure des courtines ». Il était entouré « d’un fossé de quatre mètre de largeur sur cinq mètres environ de profondeur, dont les talus sont revêtus de maçonnerie»(4).

Fig.1. Le bardo au XIXe siècle, vue depuis l’entrée principale. Source : Collection Mohamed Hamdane.

Les voyageurs qui ont visité le Bardo plus tard, confirment l’aspect défensif et sévère de la citadelle. Il s’agit d’une petite ville fortifiée dans laquelle a été logé le bey, les ministres et les serviteurs. « Autour du bey sont venus se grouper les ministres et toutes les personnes qui sont sous leurs ordres […]de même que les serviteurs et les fournisseurs de tous ces personnages. Avec ces divers éléments, il s’est formé une ville de quinze cents à deux cents mille habitants(5), entourées de remparts avec créneaux, mâchicoulis, porte à pont-levis s’ouvrant avec le jour et se fermant avec la nuit »(6)
L’ancien Bardo à l’apparence d’une « grande caserne […] sur une terrasse qui précède le château, se trouve tout un parc d’artillerie gardé par des sentinelles juchées sur des singuliers petits balcons »(7)
La porte principale d’entrée est dominée par une tour octogonale tronquée. Au XIXe siècle et outre le palais beylical, le Bardo comporte une mosquée, le palais du ministre Khaznadar, un hôtel de monnaie, une école militaire, une prison, une poudrière, un souk bordé d’échoppes(8), ainsi que les habitations des princes, princesses et ministres et les logements des serviteurs.
En effet, ce qui caractérise ce palais et outre son aspect défensif c’est d’une part son aspect introverti, d’ailleurs l’accès aux divers composantes du palais se fait par le biais d’un tunnel :
Au-delà de la porte d’entrée, dominée par une tour octogonale tronquée, se présente une cour triste, puis une porte basse donnant sur une rue bordée de boutiques » Il s’agissait d’un souk à l’usage de la population du palais tenu par des marchands juifs et chrétiens(9). Au bout de la rue, à gauche se trouve l’appartement du premier ministre Khaznadar (10).
L’accès aux appartements beylicaux et au harem, reconverti en musée se faisait par le biais d’un large chemin voûte. En effet, depuis la porte principale s’ouvrant sur le rempart, jusqu’à « l’escalier des lions », serpentait un passage voûtée qui donnaient sur des cours permettant l’accès aux appartements beylicaux. Deux cours successifs, l’une vaste et carré (cour du harem) autour de laquelle s’ouvraient les voûtes abritant chevaux et voitures(11)et l’autre, plus petite (cour des lions). « Une voûte, sorte de tunnel sombre conduit dans une cour entourée de bâtiments élevés, non moins délabré : une cour de prison. C’est là que se trouve la porte d’entrée du beau musée d’archéologie beylical ; le Musée Aloui (12) Il s’agit ici de la première cour.
Toutes les maisons appartiennent au Bey. Bien que plusieurs édifices se présentaient dans un mauvais état de conservation, mais cela ne justifie pas leur démolition systématique. En effet, ce qui caractérise aussi ce palais, c’est le fait de coexister les bâtiments luxueux des beys et ses ministres à côté des maisons modestes réservés aux serviteurs ou aux commerçants. D’ailleurs ce spectacle, a étonné le voyageur occidental qui explique qu’en « Orient, l’extrême misère coudoie l’extrême opulence. L’une s’étale et vit auprès de l’autre »(13). D’ailleurs dans l’intervention de restructuration, le parti pris était de conserver ce qui parait beau et de détruire tout ce qui parait laid.
A la fin du XIXe siècle, les travaux de réparation et de démolition du Bardo ont été confiés à la Direction générale des travaux publics, alors que le Service des antiquités et arts avait engagé un surveillant qui contrôle les travaux. L’installation du Musée avait commencé en 1887 comme d’ailleurs le signale un rapport établi à cette date : « le Service des travaux publics terminant la réparation du vieux harem du Bardo, l’installation du Musée a commencé» (14).
Les travaux de démolition ont duré plus qu’une dizaine d’année jusqu’à 1904(15). C’est qu’en 1896 un rapport mentionne que : « l’aménagement du Bardo se continue conformément au plan approuvé, des démolitions prendront fin à bref délai.»(16)Et en 1897, un autre rapport mentionne que la Direction des travaux publics avait continué au cours de cette année-là de « surveiller la démolition du palais du Bardo »(17). Par la suite, les rapports ne mentionnent plus les travaux de démolition.
Plusieurs parties ont été démolies : « Comme un grand nombre de parties de ces constructions menaçaient ruine […], on fit un choix des parties les plus intéressantes ; un budget fixe fut alloué pour leur restauration et leur consolidation le reste fut détruit »(18)Outres quelques dépendance, deux parties essentielles ont été conservées, l’une était consacrée aux appartements beylicaux et l’autre au Musée. Cette intervention a abouti à une transformation radicale de la citadelle princière qui s’est vue métamorphosée en s’approchant du type des palais occidentaux, conçus sous l’aspect d’un bloc compact avec des façades extraverties porteuses de sens et de symboles.
Le passage de l’aspect introverti à l’aspect extraverti du palais a été accompagné d’une réflexion sur l’organisation des façades. Après suppression des fortifications, il a fallu réaménager les façades y compris la façade postérieure, ainsi que la colonnade qui donnent sur le « jardin du harem ». Ceux-ci ont fait l’objet d’une intervention embéllissante. Cette partie de l’édifice qui est « visible de la route menant à Bizerte se présente d’une façon tout à fait désagréable et laide ». Il a été donc proposé « de la nettoyer, de l’enduire et de la décorer pour la mettre en rapport avec le reste du bâtiment (19)».

Fig.2. Le fort du Bardo, extrait de Croquis des principaux Forts Redoutes qui défendent la ville de Tunis tels qu’ils ont été reconnus par M. Le Lieutenant de Vass de Baron et communiqué en 1838 à M. Fable.
Fig. 3. Plan du Bardo à la fin du XIXe siècle, selon J. Revault

Cette intervention fait ressortir la volonté de restructurer l’ancien harem en le dotant d’une façade principale et en articulant le reste autour de jardins : « on traça autour de ces bâtiments un jardin qui commence déjà à prendre tournure »(20).
La création des musés ne pouvait faire l’objet d’un seul projet de reconversion,. Leur création étant souvent accompagnée de projet de remaniement de l’espace urbain. En France la construction des musées de Province est généralement l’occasion de redessiner le centre urbain. Ils sont souvent articulés autour de places spacieuses qui regroupent plusieurs équipements publics et institutions de recherches. D’ailleurs à Grenoble la place Vendôme illustre la réunion des pouvoirs et des savoirs, des arts et des armes(21).

2. L’opération de reconversion

La logique d’organisation de l’ancien harem se présente ainsi : Le rez-de chaussée contient les communs et dépendances, couverts en voûtes et surmontés par les deux palais dont le premier est le petit palais, dit le palais du Hussein Bey et situé à l’arrière-plan et le second est le palais attribué à Mohamed et Sadek, situé en façade et reconverti en musée Antique. Les deux palais construit selon deux styles différents : le premier palais est construit selon un style traditionnel, alors que le second est fait selon un style italianisant.
La première opération de reconversion s’est faite dans le respect de la logique d’organisation de l’ensemble. Le parti pris était de reconvertir le palais attribué à Mohamed et Sadok en musée antique. Bien que la qualité spatiale et l’éclairage de certaines pièces n’ont pas été apprécié, mais la hiérarchie spatiale a aussi a été conservée. L’accès au musée se faisait par une grande porte d’entrée donnant sur la driba au fond de laquelle se trouve l’escalier d’honneur : grand escalier de marbre, qui s’élève dans l’axe de la porte qui même vers les pièces somptueuses de l’étage abritant le musée antique. Paul Gauckler fait valoir que la façade du harem « s’ouvre sur la cour de la Fontaine, une porte cochère revêtue d’un placage de cuivre et ornée de clous et de heurtoirs en bronze.» Cette porte donne sur « un vestibule assez mal éclairée, dont les voûtes sont soutenus par deux rangs de marbre blanc. Au fond un escalier à angle droit conduit au premier étage »(22). Sur le deuxième palier de l’escalier s’ouvre à gauche le Musée antique. Celle-ci est articulée autour d’un grand patio dallé de marbre blanc, orné au centre par une fontaine à triple vasque et, au pourtour, d’un portique qui supporte une large galerie.

Fig.4. Musée Antique du Bardo, plan du premier étage.

Lors de la création du musée, l’objectif était d’adapter l’espace à sa nouvelle fonction sans avoir recours à de grands travaux d’aménagement, tout en conservant sa logique spatiale. Au cours de cette période, le musée a fait l’objet de plusieurs modifications, dont le plus important date des années 1894-96 et 1912.
En effet, à son ouverture le musée a fonctionné uniquement par quatre salles d’exposition. Il s’agit du vestibule, du patio, de la grande salle des fêtes et la salle en croix de l’appartement des femmes. Le choix a porté sur l’aménagement des espaces les plus vastes, puisque le patio et la salle des fêtes étaient les plus grandes espaces qui ont reçu des collections.
Le vestibule a abrité des antiquités, qui en raison de leur poids, ne peuvent être déposés dans les locaux du 1er étage. Cet espace, devenue plus tard salle du baptistère car elle a abrité la cuve baptismale cruciforme, en marbre blanc : d’El Kantara (Djerba).
Le patio, était spécialement réservé aux collections épigraphiques et architecturales. Les inscriptions, les bas-reliefs, les sculptures diverses ont été déposés contre les murs sous l’estrade du fond et sous la colonnade du portique. On y trouve des objets datant des époques différentes, trouvés dans diverses régions de la Régence.
La grande salle des fêtes, la plus importante du palais, située au nord du patio a abrité la grande mosaïque de Sousse découverte en 1886 et qui constitue la pièce le plus importante du musée. On doit à René de La Blachère « d’avoir rapporté en bon état l’immense mosaïque de Sousse, la plus grande connue, assurément découverte par les officiers français et de l’avoir placé, sans dommage sous la voûte dorée de la grande salle du sérail »(23). D’ailleurs cette salle a pris par la suite le nom de la salle de Sousse. Cette salle renferme aussi, à part les mosaïques, statues, inscriptions, fragments de sarcophages, etc.
Au sud du patio, se situe l’ancien appartement des femmes qui se compose d’une salle en croix grecque, dont le centre octogonal est couvert d’une coupole à huit pans. Quatre chambres carrées, également sous coupole octogonale, remplissent les coins de la salle.
La salle en croix de l’appartement des femmes était réservée à la sculpture en ronde bosse. Au milieu, sous la grande coupole, s’étale la mosaïque de Bir Chana, retrouvée aux environs de Zaghouan. Elle se compose de deux étoiles à six branches concentriques, inscrites chacune dans un hexagone régulier. Cette mosaïque a conservé son emplacement jusqu’à nos jours.
Plus tard, le musée a accueilli de nouvelles collections du Service beylical des antiquités, pour lesquels deux chambres et une grande salle ont été aménagées dans le musée antique. Ces pavillons ont été ouverts pour la première fois au public en 1896(24). Et en 1899 a été inauguré le musée arabe et installé dans un petit palais contigu au harem.
Les produits de fouilles exécutés ou dirigés,durant 1892-1896, par le service beylical des Antiquités ont été déposés en 1894 dans l’ancienne salle à manger.
En outre le service beylical des Antiquités a aussi exposé ses collections dans les deux chambres qui s’ouvrent au fond de l’appartement des femmes aménagées en 1894 à cet effet. Il s’agit de « collections photographiques de monuments antiques de la Tunisie, méthodiquement classés et pourvues d’étiquettes explicatives. Les cadres de photographies sont séparés par des moulages d’inscriptions arabes en relief ».(25)

Fig.5. Musée antique du Bardo, vue sur le grand patio, Etat actuel.

Le musée arabe

Inauguré en 1899, le Musée arabe a été installé dans un petit palais contigu au harem que le bey Mohammed avait fait construire pour une de ses femmes dont il avait dû se séparer. Il s’agit du noyau du palais constitué par le groupement des chambres autour d’une cour à portiques. L’autre composante occupe les cuisines, offices et dépendances articulés autour d’une cour de service. Au début, seule la première composante du palais a été utilisée, tout en laissant les cuisines et les communes du palais dans leur état initial.
Ces opérations de reconversion n’ont pas engendré de grandes modifications. Il s’agit de trouver des fonctions qui s’adaptent avec la destination des salles.  Certains espaces, mal éclairés ont servi de bureaux ou d’atelier, c’est le cas de la salle de concert située sur le côté opposé à l’entrée du Musée antique qui a été aménagée en atelier.
On constate que l’unique fonction du musée à cette période s’arrête à la conservation, où les œuvres sont disposés en abondance l’une à côté de l’autre sans penser à un programme spécifique. Cette attitude n’est pas spécifique à la Tunisie, elle caractérise la muséographie du XIXe siècle. « Les musées n’avaient pas d’autres but que de pourvoir à la conservation-certains ont même dit à « l’ensevelissement » des œuvres d’art. Le personnel supérieur des musées aurait été sérieusement alarmé si les visiteurs étaient venus en trop grand nombre. On se préoccupait peu de l’intérêt du public quad il s’agissait d’organiser un musée ».(26)
En outre, on peut noter aussi, que le principe de dualité qui a caractérisé le système du Protectorat Tunisien est opérable aussi au niveau de l’organisation spatiale du musée. En effet, sur le plan institutionnel, le système du Protectorat a généré une dualité de pouvoir en maintenant les hiérarchies traditionnelles et en les dédoublant de structures administratives occidentales.
Au début, les deux communautés politico-ethniques ont pu coexister et travailler l’une à côté de l’autre, en partageant parfois les mêmes locaux. Au cours des premières années, le pouvoir colonial a installé ses administrations à côté des administrations de la Régence. Dâr al-Bey a abrité les organismes autochtones et les services de l’administration coloniale. Pareil aussi pour le premier noyau du musée qui s’est constitué à Bardo et qui a abrité sein du musée antique, les collections du service des antiquités et arts et ceux du service beylical des antiquités.

3. Extension du Musée et Aménagement du Musée arabe à partir de 1913.

Au début l’intérêt a porté sur la conservation de l’héritage antique, par la suite, on a commencé à montrer un intérêt pour l’art arabe. Cette attitude n’est pas spécifique à la Tunisie, elle caractérise la muséographie européenne du XIXe siècle, où l’intérêt pour les autres nations est advenu tardivement au cours de premières décennies du XXe siècle : « Les premiers décennies du siècle, ont vu s’engager, à la faveur du mouvement romantique, une quête des origines différentes que celle qu’avait connue les Lumières, attachée à la mise à jour d’expériences primitives et à la recherche de l’Un universel.»(27)

Fig.6. Musée arabe du Bardo. A gauche, plan du premier étage en 1901. Et à droite plan du premier étage.en 1915.

De 1905 à 1920, le nouveau responsable de la Direction des antiquités, Alfred Merlin réorganise le musée en salles portant les noms des grands sites archéologiques tunisiens. Ainsi, tour à tour, ont été créées ou réorganisées les salles d’ d’Althiburos, de Carthage, de Dougga, de Sousse, de Thuburbo- Majus et de Thysdrus (El Jem).
L’extension consiste à aménager de nouvelles pièces dans les anciennes dépendances du palais au niveau du rez-de chaussée et à l’aménagement du musée arabe.
Ce nouvel aménagement a modifié la hiérarchie spatiale du palais. L’accès ne se faisait plus par l’entrée d’honneur menant par la suite à l’escalier d’honneur. Cette entrée a été murée et l’ancienne driba reconvertie en salle chrétienne. L’entrée se faisait par une porte, située à droite de la précédente et donnant sur un passage voûtée, sorte de couloirs qui en serpentant, aboutissant aux diverses salles du musée. L’escalier d’honneur a été conservé, mais pour accéder à l’étage, le visiteur devrait suivre le couloir qui fait le tour de l’ancienne driba, et détourner les autres pièces : « Le visiteur revient ensuite sur ses pas en traversant la salle de Bulla Regia et la salle chrétienne. Au fond de celle-ci, un escalier conduit au premier étage(28)». Ici l’escalier n’est plus une pièce maîtrise, il a fallu cependant conserver l’axialité de l’escalier d’honneur.

Fig.7. Vue sur l’ancienne driba. Etat actuel après restauration

Au cours de 1913, le Musée arabe a été considérablement agrandi, et ceci en aménageant les dépendances, articulés autour de la cour de service qui ont constitué une nouvelle composante du Musée.
Le Musée arabe est accessible par le même escalier qui dessert le musée antique. En effet, en franchissant l’escalier on se trouve face à un grand espace, similaire à un hall, qui a été affecté à la salle des faïences. Cet espace dessert à droite deux salles, la première a été affectée en salle de bois sculpté et la deuxième est devenue la salle de princesse. A gauche, se situe la salle des cuivres. Ce grand hall mène à un patio qui dessert à droite et à gauche deux salles barlongues. La salle de gauche a été affectée en bureau de directeur et celle de droite a servi de salle d’exposition des œuvres de plâtre découpé au fer noukch hadida.
Au fond du patio, dans le grand salon du palais, en forme de T (rep.6), ont été exposés l’aménagement et le mobilier des pièces d’un salon et chambre à coucher traditionnels.Une aile de la salle en T servait pour l’exposition des tapis, l’autre aile servait pour l’exposition des bijoux.

4.Exposition et reconstitution : inauguration de la muséologie analogique

Dans le musée arabe, la présentation de l’art arabe a suivi plusieurs modes allant de l’exposition et la présentation, à la reconstitution jusqu’à la reconstruction spatiale et le recyclage.
Dans certains cas on s’est basé sur la reconstitution des espaces traditionnels. Dans la salle située au fond du patio en forme de T (rep. 6) « on a reconstitué la disposition et le mobilier des pièces d’apparat : divans, fauteuils, tabourets, chaises, tables en bois dorés aux fleurs peintes de tons voyants »(29)et encore fabriqués au souk el Blat à Tunis.
Ce type d’expositions’apparente à ce qu’on appelle plus tard les « periodrooms » ou la « muséologie analogique ». Bien que  la première réalisation de ce type de mise en exposition remonte au XIXe siècle(30), il a fallu  attendre le premier tiers du XXe siècle pour voir apparaître de telles reconstitutions, à grande échelle et dans les salles d’expositions permanentes.
Dans ce type de mise en exposition, on opte pour la reconstitution de chambres, de cabinets, de salon qui accueille des peintures, des sculptures, des meubles et autres objets d’art, d’une même période, souvent d’une même origine géographique. Ces salles évoquent le style de chaque période avec une architecture typique.
L’intention didactique qui présidait à la création de la « muséologie analogique » doit être rapprochée des tentatives de démocratisation et d’ouverture des musées à un plus large public qui marquèrent les années 1920. L’American Association of Museums lança dès 1925 des programmes pionniers, qui exploraient de nouveaux modes de relation avec le public(31). En Europe, ce sont surtout les musées ethnographiques qui développent ce concept, dans l’est et le nord de l’Europe principalement.

Fig .8. Vue sur la galerie longitudinale, A. Merlin, 1915, p. 67.

Cette tendance est à mettre en parallèle avec le développement en France des musées pour l’industrie. En effet, la seconde partie du XXe siècle est marquée par un effort particulier en faveur des arts décoratifs, industriels ou appliqués.
Outre ces expériences avant-gardistes de la muséologie analogique, les concepteurs sont allé plus loin, à travers la reconstitution du décor à des pièces du musée en ayant recours à des panneaux de céramique, du plâtre sculpté et des plafonds en bois, récupérés d’anciennes constructions démolies.
Dans la partie du musée arabe, occupée auparavant par les dépendances et aménagée à partir de 1913, certains espaces ont été reconstruits et décorée par des matériaux retirée des ruines d’autres palais. La galerie longitudinale (rep. 9) est «décorée de faïences marocaines, d’un plafond en bois, de panneaux, d’arcades et d’une coupole en plâtre découpé, tous motifs qui viennent d’anciennes constructions arabes de Tunis aujourd’hui démolies»(32). Pareil aussi pour la salle des faïences dont les panneaux qui figurent sur les murs proviennent aussi des ruines du palais du Bardo ou d’autres palais tunisois.
Ce type d’opération de recyclage a été souvent utilisé. Au cours des travaux de démolitions du Bardo, les techniciens de la Direction des travaux publics avaient pris le soin d’assurer la conservation des objets d’art arabe retirés des ruines du palais et constitués « de carreaux et panneaux de faïences, colonnes de marbre, bois sculpté»(33)ainsi que « les plafonds et voûtes en plâtre découpés présentant quelque intérêt ».Ces objets d’art précieux qui ont été « préservés d’une destruction certaine, ont été transportés dans les magasins du musée en attendant qu’on puisse les replacer dans de nouvelles salles.» ajoute la même source citée plus haut.
Le recyclage ne s’est pas limité aux plafonds et objets d’art démontés du palais du Bardo, le musée a été décoré avec des plafonds tirés des ruines provenant d’autres palais. D’ailleurs en 1908 Henri Saladin mentionne qu’« un plafond arabe de toute beauté qui provient de Dâr al-Bey de Tunis y a été remonté et produit un excellent effet »(34).
L’opération de transfert de ces objets d’art a duré jusqu’en 1919 car un rapport mentionne que « dans le Musée arabe, on a mis en place une voûte en noukchhadida, jusqu’à la conservé en magasin(35).» Bien que le recyclage des éléments décoratifs témoigne d’une certaine appréciation et d’un souci de préservation de l’héritage local, il a été entrepris d’une manière inadaptée et parfois abusive,les architectes ayant procédé davantage des éléments recueillis indistinctement du palais aussi bien que d’autres édifices, ce qui peut produire un amalgame au niveau du vocabulaire esthétique.

II.Reconversion du palais Khéreddine en Musée de la ville de Tunis à partir de 1980 : Musée Ethnographique ou musée d’art moderne ?

En Europe, à partir des années 1920, l’accroissement important des collections des musés conséquence d’une prise de conscience pour la sauvegarde du patrimoine et d’un élargissement du concept d’art à exposer,est à l’origine de plusieurs réformes pragmatiques engendrant la transformation des institutions muséales.
L’évolution majeure intervenue à cette époque est la muséographie.En s’opposant à « muséographie analogique », une autre tendance s’est développée au cours de la période de l’entre-deux-guerres procédèrent à une réorganisation des collections, à une épuration de l’accrochage et du décor, recentrant enfin l’attention du visiteur sur des œuvres correctement mises en valeur(36). La conférence de Madrid de 1934, sous le thème de l’architecture et de l’aménagement des musés d’art est sans doute un moment fort de l’époque(37). Quel est l’impact de ces innovations dans la reconversion de maisons traditionnelles tunisiennes ?
Pour le musée logé dans le palais de Khéreddine, il semble que la forme et les caractéristiques spatiales ont été déterminantes. Le palais a subi diverses modifications qui ont lui fait perdre tout son décor. De ce fait cette absence de décor, jointe à son organisation en grandes salles rectangulaires communicantes, lui permet d’être facilement affecté en musée car « les objets présentés ne seront pas gênés par un décor trop marqué(38)».

Fig.9. Délimitation foncière du musée. Extrait de : ASM, 1997.

Cependant le programme de l’exposition ainsi que la vocation du musée n’ont jamais été précisé.  D’ailleurs cette question n’a pas cessé de poser des problèmes et d’engendrer des choix divergents. Dans un rapport datant des années 1990, on a opté à le réaffecter en « musée de la ville traditionnelle […] il s’agit de pouvoir montrer au public et aux chercheurs les documents retraçant l’histoire urbaine de Tunis et d’y installer une banque de données sur les centres historiques du Maghreb »(39).
Jusqu’à nos jours l’opération de reconversion n’a pas été achevée, le musée n’a fonctionné que par les galeries d’exposition temporaire aménagée lors des travaux de la première tranche et occupant une petite partie du palais. La deuxième tranche des travaux qui consiste à l’affectation des autres composantes du palais en salles d’exposition permanentes n’a pas encore vu le jour.

1.L’opération de consolidation

Ce palais construit entre 1860 et 1870 par le ministre Khéreddine pacha, combinait une organisation traditionnelle embellie de touches européennes. Il est caractérisé par une façade majestueuse donnant sur la place du tribunal et par ses salles immenses, dont la surface varie de 25 à 50 m2,agrémenté d’un décor intérieur italianisant avec moulures rehaussés à la feuille d’or.

Fig.10. Plan de l’étage et du rez-de-chaussée du musée, Extrait de : ASM, 1997.

Au lendemain du Protectorat, le palais a été acquis par l’Administration centrale. Une partie du rez-de-chaussée a été aménagée pour servir de siège aux principales instances de la justice française, tribunal mixte(40), avant la construction de l’actuel Palais de Justice sur le boulevard Bâb Bénat, d’où le nom de l’artère qui mène à ce palais et de la place. Il a été ensuite vendu en deux parts en 1905, dont l’une a été démolie en 1910. A sa place la communauté israélite a fait bâtir une école religieuse. Une école musulmane a été ouverte dans l’autre partie jusqu’à l’acquisition du complexe par l’Etat en 1961.
Les travaux de reconversion du palais en musée ont été divisés en deux tranches, dont la première consiste à la réparation et l’aménagement de l’administration, la boutique et la partie affectée aux expositions temporaires. L’autre partie, la plus importante, qui devait accueillir les expositions permanents n’a pas été étudiée jusqu’à nos jours.
Le projet de réparation du musée a été confié à l’ASM qui a achevé en 1982 la réparation de l’étanchéité. Les autres opérations de restauration et réhabilitation ont été entamée en 1994(41). L’intervention sur le palais s’est faite selon plusieurs opérations allant de la rénovation à la restauration.
Le parti pris consistait à consolider les structures avec l’introduction discrète de tous les équipements nécessaires. Les planchers construits en structure IPN en mauvais état ont été rénovés, alors que les voûtes ont été conservés et restaurés en raison de leur qualité spatiale et de leur riche ornementation.
Au rez-de-chaussée, un nouveau plancher indépendant a été créé pour décharger les voûtes et y mettre les gaines. La grande hauteur de l’étage a permis de cacher des gaines de soufflage derrière de faux-plafonds en plâtre. Une dalle flottante a été prévue supporter les pompes à chaleur ainsi que les centrales de traitement de l’air, amenés par hélicoptère sur les terrasses du palais à cause de l’étroitesse des rues de la Médina.
La restauration a concerné les espaces qui ont gardé leur état original tels que la driba et le salon à moulures situé à l’étage. Les parties effondrés au 1er étage ont été rénovées et reconstruits en cafétéria et vestiaire(42).

2.L’opération de reconversion

L’accueil a été logé dans l’ancienne driba caractérisée par ses murs couverts de faïences et par ses voûtes décorés de plâtre sculptés. Unique témoin du premier noyau du palais.Elle permet de desservir les autres pièces du musée : la boutique et l’administration et les salles d’exposition temporaires. La boutique été logée dans la salle située à côté de l’ancienne driba.
L’administration a été logée dans la partie arrière du palais accolée à la boutique. Les sanitaires ont été logés sous les escaliers principaux du musée. Les ouvertures de l’administration donnent sur l’arrière du palais -contenant actuellement la cour de l’Ecole-, ce qui lui permettait un contrôle aisé du futur musée. Une rampe a été conçue à l’étage par des matériaux moderne permettant de faciliter la circulation et de joindre deux parties qui étaient distinctes.

3.Reconstruction de la buvette et embellissement de la façade.

Le réaménagement du palais était fait dans un esprit minimaliste, tout en se permettant des touches contemporaines. Le palais combinait une organisation traditionnelle embellie de touches européennes. A la porte principale arquée encadrée de Kaddel et grès coquillé donnant sur une driba qui rattache le palais à l’architecture tunisoise traditionnelle, s’oppose la façade à large fenêtres rythmés donnant sur une place spacieuse.

Fig.11.En haut, façade principale avant intervention et en bas façade du musée après intervention.

Trois accès sur la façade du palais ont été gardés, alors que les deux antres ont été supprimés. La première entrée située à gauche a été remplacée par une fenêtre et l’autre située à droite, c’est l’ancienne grande porte desservant la salle reconvertie en boutique, a été condamnée pour y installer une fontaine murale.
Le musée a maintenu la même hiérarchie des entrées, en gardant l’ancienne entrée principale donnant sur la driba qui a été maintenu comme accès principal destiné au public. Les deux autres entrées, situés à gauche de celle-ci ne seront utilisés que rarement en cas de besoin.
En outre, la façade principale a fait l’objet d’une intervention embellissante en vue de l’apparenter avec l’architecture arabisante. Le nouveau traitement décoratif adopté souligne la verticalité de la façade « pour signaler la présence d’un important lieu culturel ». En outre, il y eu le souci d’adapter l’édifice à la morphologie des palais urbains modernes constitués d’une base, un corps et un couronnement avec l’encadrement des fenêtres donnant sur l’espace public.
Pour la buvette, et bien qu’il s’agisse d’une nouvelle construction, elle a été dotée d’une décoration d’inspiration traditionnelle, basée sur l’usage de carreaux de céramique polychromes. Le choix a été justifié par la recherche de contraste, puisque cette décoration chargée, s’oppose à la simplicité et au dépouillement des salles d’exposition.
Or pour des parties nouvellement construites, il était souhaitable d’utiliser un vocabulaire décoratif moderne, en ayant recours à des matériaux de l’époque pour ne pas tomber dans la confusion, d’ailleurs ce principe est énoncé dans la charte de Venise(43)qui stipule que « les éléments destinés à remplacer les parties manquants doivent s’intégrer harmonieusement à l’ensemble, tout en se distinguant des parties originales, afin que la restauration ne falsifie pas le document d’art et d’histoire ».

Fig. 12. Vue sur la buvette, extrait de : Mc Guinness Justin, sans date. 

Conclusion

Si actuellement la réutilisation des édifices anciens est recommandée car elle contribue à leur sauvegarde(44),le nouveau programme doit s’adapter à la forme. Elle doit se faire aussi dans le respect de la charge symbolique de l’édifice.
Pour les édifices reconvertis en musées, les architectes sont souvent confrontés à la difficulté de trouver un compromis entre la forme et la fonction qui est dans ce cas le programme. Pour les musées nouvellement construit, c’est le programme qui dicte le plan du musée, comme l’explique Louis Haute cœur à ses élèves de l’Ecole du Louvre, puis à ses lecteurs du manuel Muséographie. « L’architecture du musée dépend du programme fixé ; le programme dépend de l’espèce particulière du musée que l’on veut instituer et de la conception générale qu’on se fait du musée »(45).
Au début de l’aménagement de Bardo, il n y a pas eu une réflexion sur un programme spécifique, la seule fonction du musée était la préservation des richesses retrouvées lors des fouilles. Les premiers pavillons ont été choisis en raison de leur volume et leur capacité à accueillir les collections et les grands fragments de mosaïques découverts dans les divers sites archéologiques tunisiens.
Les premières expériences, sont à mettre en parallèle avec l’évolution de ce secteur en Occident. Jusque dans la seconde moitié du XXe siècle, la principale fonction du musée consiste à préserver les richesses culturelles ou naturelles engrangées, éventuellement a les exposer sans que soit formulée explicitement une intention de communiquer, c’est-à-dire de faire circuler un message ou une information auprès d’un public récepteur.
Ce n’est que tardivement et au moment de l’aménagement du musée arabe en 1913, que les concepteurs se sont engagés dans la voie de la muséologie analogique à travers la reconstitution du décor traditionnel. En Europe, l’affirmation de l’objectif didactique du musée a eu pour conséquence l’émergence de réflexions concernant l’aménagement des espaces d’expositions et à la création de la « muséologie analogique » qui est rapprochée des tentatives de démocratisation et d’ouverture des musées à un plus large public qui marquèrent les années 1920. D’une façon générale, cette période est marquée par l’effort fourni en faveur des arts décoratifs, industriels ou appliqués. La pédagogie artistique et l’exposition représentent une alternative pour la conservation de cet héritage.
De manière plus générale, dans l’institution muséale, la communication s’est progressivement imposée, à la fin du XXe siècle, comme principe moteur du fonctionnement du musée.Actuellement, on distingue trois fonctions des musées : la préservation, la recherche et la communication qui doivent dicter tout programme de reconversion.
Pour les opérations de reconversion, la morphologie des maisons traditionnelles impose des contraintes parfois incontournables qui peuvent compromettre la nouvelle fonction. Les maisons traditionnelles sont constituées de cellules articulées autour d’un patio. L’organisation rayonnante autour du patio pouvait imposer un parcours spécifique de la visite, à travers lequel le passage et la visite du patio deviennent des éléments inévitables. Cette organisation centrée autour du patio réduit l’importance des autres pièces.  D’autres part, dans ce type de maisons, l’accès aux pièces du logis se fait à travers la succession des pièces étroites en chicanes : skifas et dribas qui avaient pour objectif de garder l’intimité du palais résidentiel. L’accès au harem du Bardo se faisait autrefois à travers la succession de chicanes. En effet, après avoir franchi le mur fortifié, le visiteur traverse une cour qui donne accès, par la suite à « une voûte, sorte de tunnel sombre » qui conduisait dans une seconde cour dans laquelle s’ouvre la porte du harem. Celle-ci donne, de son côté, sur une autre driba : une seconde chicane d’accès. Malgré la démolition des fortifications et du groupement d’habitation qui précédait autrefois le harem, ainsi que la destruction de la première voûte ou tunnel, pour faciliter l’accès, l’entrée reste étroite et sombre. Cette spatialité est peu compatible avec la nouvelle fonction qui devait plus accueillante et éclairée.
Enfin, ce type de palais est caractérisé par des pièces richement décorés, qui peuvent accueillir facilement des sculptures ou des mosaïques, mais non des œuvres d’art qui nécessitent des espaces dépouilles. D’ailleurs la reconversion de maisons traditionnelles en musées d’art moderne reste une affaire presque irréalisable.  L’exemple de la reconversion de Dâr Othman  illustre cette expérience. Il s’agit d’une résidence princière datant du XVIIe siècle qui a été restauré en 1922 par le service des antiquités et arts pour y installer un musée d’art moderne.
Une fois restauré, il s’est avéré que l’édifice ne pouvait plus remplir la fonction qui lui avait été attribuée. Malgré son intérêt historique, l’éclairage est insuffisant et l’espace est inadapté à l’exposition des œuvres d’art.  Il a été affecté en 1936 à l’installation d’un musée rattaché à l’Office des Arts tunisiens(46).
Pour le palais Khéreddine, plusieurs contraintes spatiales ont été dépassé à la suite de plusieurs modification : au début du protectorat, il a été reconvertis en tribunal, ce qui a permis de remanier l’espace et de l’ouvrir davantage sur la l’espace public. En outre certaines ailes du palais ont été démolies à l’exemple de la partie affectée à l’école israélite.

D’une façon générale, au niveau des opérations de reconversion, la grande difficulté réside dans la définition du programme du musée. Certaines expériences de reconversion étaient réussies, tel le cas du musée militaire. Celui-ci qui s’inspired’un modèle hérité des periodrooms a pour principe l’exposition des collections dans un décor historicisant, comme c’est le cas au Philadelphicamusum of art considéré comme l’une des plus belles illustrations de cette recherche de contextualisation des œuvres.Pour le palais Khéreddine, la définition du programme n’était pas une affaire résolue.
En outre pour la bonne lisibilité des œuvres d’art, il est souvent recommandé des espaces sobres et dépouillés. Lacontrainte incontournable est le parcours. A partir des années 1934, les experts ont proposé le double parcours ou seront exposés d’une part les chefs-d’œuvre représentatifs, de l’autre les séries indispensable à l’étude. Cette division bi-partite des musées, exige des surfaces sobres, dépouillées et des espaces amples(47), qu’on ne peut pas les trouver dans l’architecture traditionnelle.

Bibliographie

Les documents d’archives

Ministère des Affaires Etrangères (M.A.E). Microfilms disponibles à l’Institut Supérieur de l’Histoire de la Tunisie contemporaine.
Quai d’Orsay, Paris, Nouvelle Série, Tunisie 1882-1917

Marche du Service des antiquités et arts en 1889-1890, Bobine 445, Carton 563, dossier n° 2, pièces 356 bis-368.
Rapport à M. le Ministre Résident général sur les opérations du Service des antiquités et arts pendant l’année 1887, bobine 245, carton 307, pièce 151.
Direction des Travaux Publics, Bâtiments civils, Rapport à M. le Président de la République sur la situation de la Tunisie en 1896, Paris, Imprimerie Nationale, p. 13-14. Ce rapport existe aussi dans les archives du Ministère des Affaires étrangères. Bobine 417, carton 567, pièce 311-321.

Archives diplomatiques de Nantes, (Fonds de la Résidence à Nantes), Protectorat-Tunisie 1920-1944.

Rapport à M. le Président de la République sur la situation de la Tunisie en 1919, « Instruction publique », Bobine R. 34, Dossier 3, archives 1566 (1).

Archives Militaires du château de Vincennes (A.M.V)
Série Historique de l’Armée de terre : Fonds S.H.A.T

Mémoire sur la place de Tunis, avec un plan de Tunis et de la Goulette et une carte des environs par le Lieutenant-Colonel du génie Dautheville (14 février 1841), Série 2H1, Dossier 3, N° Bobine S. 247, Folio 56-65.

Archives Nationales de Tunisie (A.N.T)
Série « E » Antiquités et Arts

Lettre du directeur des Travaux Publics au Secrétaire général du Gouvernement tunisien, Tunis le 17 août 1934.  A NT, Série « E » : Antiquités et Arts, Carton 295 Dossier 1 /3.
Aménagement des locaux dans le tribunal mixte, Carton 153, Dossier 4.
Lettre du Secrétaire général du Gouvernement tunisien à M. Alapatite, Résident général de la République française à Tunis, Tunis le 9 février 1909, Carton 295, Dossier 1/2, pièce 57.

Ouvrages

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Association de sauvegarde de la médina, 1990, Projets et réalisations 1980-90. Pour la promotion de la médina, Tunis.
De Flaux Alexendre, 1865, La régence de Tunis au dix-neuvième siècle, Paris, Challamel ainé.

Desvallées André et Mairesse François (dir.), 2010, Concepts clés de muséologie, Paris,Armand Colin.
Gauckler Paul, 1896, « Guide du visiteur au musée de Bardo », in : R. T, n° 10, p. 309-326.
Georgel C. (dir.)1994, La jeunesse des musées. Les musées de France au XXe siècle, Paris, RMN.
Lallemand Charles, 1892, Tunis et ses environs, Paris, Ancienne maison Quantin.
Mc Guinness Justin, sans date, « Le palais Khereddine ou l’importance d’un musée pour un quartier culturel », Architecture méditerranéenne, numéro spécial : médina de Tunis ville du patrimoine mondial.
Merlin Alfred , 1915, Guide du musée Alaoui, Tunis, 2éme édition C.H. Emonts
Nauze Nicolas, 2008, « L’architecture des musées au XXe siècle », La période contemporaine et l’inflation muséale, http://artsplastiques.acrouen.fr/grp/architecture_musees/architecture_xxe.htm, Consulté le 20/10/2017
Poncelet François, « Regards actuels sur la muséographie d’entre-deux guerres», Ce RO Art [En ligne], 2 | 2008, mis en ligne le 06 octobre 2008, consulté le 07 février 2017. URL : http://ceroart.revues.org/565, consulté le 07/02/ 2017.
Poulot Dominique, 2001, Patrimoine et musées : l’institution de la culture, Paris, Hachette.
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Saldin  Henri, 1908, Tunis et Kairouan, villes d’art célèbres, Paris.

Notes

(1)P. Gauckler, 1896, p. 309.
(2)P. Gauckler, 1989, 311.
(3)Lettre du directeur des Travaux Publics au Secrétaire général du Gouvernement tunisien, Tunis le 17 août 1934.  A.N.T, Série « E », Carton 295 Dossier 1 /3.
(4)Mémoire sur la place de Tunis, avec un plan de Tunis et de la Goulette et une carte des environs par le Lieutenant Colonel du génie Dautheville ,  14 février 1841, (A.M.V) Fonds S.H.A.T, Série 2H1, Dossier 3, N° Bobine S. 247, Folio 56-65.
(5)On estime que c’est un peu excessif, mais ça permet d’avoir une idée sur l’importance de la citadelle.
(6)A. De Flaux, 1865, p. 190
(7)Ch. Lallemand, 1892, p. 224
(8)J. Revault, 1974, p. 312-341.
(9)Ch. Lallemand, 1892, p. 224
(10)Habité par des femmes des anciens beys et des veuves de princes
(11)J. Revault, 1974, p. 314.
(12)Ch. Lallemand, 1892, p. 225
(13)A. De Flaux, 1865, p. 191
(14) Rapport à M. le Ministre Résident général sur les opérations du Service des antiquités et arts pendant l’année 1887, Archives du Ministère des affaires étrangères, MAE, Quai d’Orsay, série Tunis 1882-1917, bobine 245, carton 307, pièce 151.
(15)H. Saladin, 1908, p.89-87.
(16)Rapport à M. le Président de la République sur la situation de la Tunisie en 1896, Paris, Imprimerie Nationale, p. 13-14. MAE, Quai d’Orsay, Série : Tunisie 1882-1917, Bobine 417, carton 567, pièce 311-321.
(17)Direction des Antiquités et Arts, Rapport sur la marche du Service des antiquités et arts en 1897, M. A. E Quai d’Orsay, Paris, Série : Tunisie 1882-1917, Bobine 416, Carton 566, pièce 93-96.
(18)H. Saladin, 1908, p. 91.
(19)Lettre du Secrétaire général du Gouvernement tunisien à M. Alapatite, Résident général de la République française à Tunis, Tunis le 9 février 1909, A. N. T, Série « E » : Carton 295, Dossier 1/2, pièce 57.
(20) H. Saladin, 1908, p. 91.
(21) D. Poulot, 2001, p. 101
(22) Paul Gauckler, 1896, p. 309.
(23) Ch. Lallemand, 1892, p. 225.
(24) A l’occasion du Congrès de l’Association Française pour l’avancement des sciences.  P. Gauckler, 1989, p. 309
(25) P. Gauckler, 1989, p. 322.
(26) « Mouseion » 1929, vol. 9, p. 290-291.
(27) D. Poulot, 2001, p. 78.
(28)  A. Merlin, 3eme édition,
(29)  A. Merlin, 1915, p. 67.
(30) Par exemple, l’Exposition de l’Union Centrale de 1882, qui se tient à Paris, recrée dans sa section rétrospective, un salon du XVIIIe siècle ; cf. C. Georgel C. (dir.), 1994, p. 90.
(31)N. Nauze, 2008.
(32) A. Merlin, 1915, p. 68.
(33)  Marche du Service des antiquités et arts en 1889-1890, M.A.E. Quai d’Orsay, Série : Tunisie 1882-1917, Bobine 445, Carton 563, dossier n° 2, pièces 356 bis-368.
(34) H. Saladin, 1908, p. 95.
(35) Rapport à M. le Président de la République sur la situation de la Tunisie en 1919, Fonds de la Résidence de Nantes, Bobine R. 34, Dossier 3, archives 1566 (1)
(36) F. Poncelet, 2008.
(37) Architecture et aménagement des musées d’art. Conférence internationale d’études, 2 vol., Madrid, Académie des Beaux-Arts, 28/10-04/11/1934, s.l.,s.d.
(38) ASM, 1990. p. 68.
(39) ASM, 1990. p. 68.
(40) Aménagement des locaux dans le tribunal mixte, Archives Nationales de Tunisie, Série E « Antiquités et Arts », Carton 153, Dossier 4.
(41) J. Mc Guinness, sans date, non paginé.
(42) ASM, 1997.
(43) L’article 12 de la Charte de Venise 1964.
(44) « La conservation des monuments est toujours favorisée par l’affectation de ceux-ci à une fonction utile à la société ; une telle affectation est donc souhaitable mais elle ne peut altérer l’ordonnance ou le décor des édifices. C’est dans ces limites qu’il faut concevoir et que l’on peut autoriser les aménagements exigés par l’évolution des usages et des coutumes. »
(45) Cité dans Jean-baptisteJamin, Conférence de Madrid, p. 80.
(46) J. Revault, 1951, p. 233.
(47) Jeans Baptiste Jamin , « La conférence de Madrid »

Pour citer cet article

Faiza Matri, “La reconversion des palais traditionnels en musées aux XIXe-XXe siècles à Tunis“, Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines [En ligne], n°5, Année 2018.
URL :
 http://www.al-sabil.tn/?p=4309

Auteur

*Architecte, Maitre- Assistante – ENAU – Université de Carthage.
Laboratoire d’Archéologie d’Archéologie et d’architectures Maghrébines – Université de la Manouba.

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