08 | 2019
Tébourba, Djedeïda et El-Battan
L’établissement des Andalous dans la basse vallée de la Medjerda.
Mise en valeur des terres, urbanisme et architecture
Ahmed Saadaoui (*)
Résumé | Entrée-d’index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur
Résumé ↑ |
Au début du XVIIe siècle, la basse vallée de la Medjerda a reçu un contingent important d’immigrés morisques qui avaient joué un rôle majeur dans la revivification de cette région riche et proche de la capitale. En s’appuyant sur une nouvelle documentions d’archives et sur des recherches de terrain, nous souhaitons apporter, dans cet article, quelques éclairages sur le rôle du pouvoir ottoman et de la communauté andalouse dans l’urbanisation et la mise en valeur des terres de cette région. Nous limiterons notre étude à trois sites importants : en premier lieu, nous présentons le pont barrage de Djedeida, la résidence de plaisance et le village qui le jouxtent ; en deuxième lieu, notre recherche porte sur le pont-barrage d’El-Battan, le hameau du même nom, les moulins et la résidence de plaisance du mouradite Muhammad Bey à al-Hathramîn ; en dernier lieu nous étudierons Tébourba, la principale ville andalouse de la basse vallée de la Medjerda. Nous examinerons les caractéristiques de la mise en valeur de son terroir, son urbanisme et la vie urbaine de la cité ainsi que son architecture et ses monuments historiques.
Abstract
At the beginning of the 17th century, the lower Medjerda valley welcomed a large contingent of Moriscos immigrants who played a major role in the rebirth of this rich region close to the capital. On the basis of a new archival document and field research, we wish to shed light in this article on the role of the Ottoman power and the Andalusian community in the urbanization and development of the lands of this region. We will limit our study to three important sites: first, we will present the Jedeida Dam bridge, the leisure residence and the adjoining village; second, our research will focus on the El-Battan Dam bridge, the Samename hamlet, the fuller mills and the residence of the Muradite bursar Muhammad Bey at al-Hathramîn; finally, we will study Tebourba, the main Andalusian city of the lower Medjerda valley. We will examine the characteristics of the development of its land, its urban planning and the urban life of the city as well as its architecture and historical monuments.
الملخص
استقبلت جهة حوض وادي مجردة السفلي في بداية القرن السابع عشر مجموعات كبيرة من المهاجرين الأندلسيين الذين لعبو دورا نشيطا في إحياء هذه المنطقة الغنية والقريبة من العاصمة. نسعى في هذا المقال إلى تسليط الضوء على دور السلطة العثمانية والمهاجرين الأندلسيين في تحضر وإحياء أراضي هذه المنطقة، وذلك بالاعتماد على الوثائق الأرشيفية الجديدة والبحوث الميدانية. نقتصر في هذه الدراسة على ثلاثة مواقع هامة. نتعرض أولا إلى قنطرة الجديدة وجسرها وطواحينها والإقامة الأميرية والقرية الملاصقتين لها. في مرحلة ثانية نسلط الأضواء على قنطرة وجسر وطواحين البطان والقصر الذي شيده محمد باي المرادي بالحثرمين بالقرب من القنطرة. وندرس في الأخير طبربة، أهم مدينة أندلسية بحوض مجردة السفلي، ندرس الأنشطة الزراعية حول المدينة والحياة الحضرية داخلها، ثم نركز على التعمير والمعمار والمعالم التاريخية بها.
Entrée d’index ↑ |
Mots-clés : Tébourba, Djedeida, El-Battan, Andalous, Morisques, Tunisie XVIIe siècle, ponts, moulins à foulons.
Keywords:Tébourba, Djedeida, El-Battan, Andalusia, Moriscos, Tunisia in the seventeenth century, bridge, fuller mill.
الكلمات المفاتيح: طبربة، الجديدة، البطان، الأندلسيون، الموريسكيون، تونس في القرن السابع عشر، مصانع تلبيد الشاشية.
Plan ↑ |
Introduction
1- Djedeïda : le pont, la résidence de plaisance et le hameau
2- El-Battan : le pont-barrage, les moulins et la résidence de plaisance d’al-Hathramîn
3- La ville andalouse de Tébourba : activités agricoles, urbaines et architecturales
Conclusion
Texte intégral ↑ |
La basse vallée de la Medjerda, qui était pendant l’Antiquité densément peuplée et parsemé de villes et de villages, a connu, vers la fin de l’Antiquité et surtout après la conquête arabe, un net recul de la vie sédentaire et la ruine et la disparition de nombreuses cités. Cette tendance se confirmera au XIe siècle avec l’invasion hilalienne : la vie urbaine s’est rétrécie encore davantage devant la progression du nomadisme. Au début du XVIIe siècle, la basse vallée de Medjerda profite de l’établissement de l’immigration morisque. Les réfugiés créent un réseau de villes et villages sur des sites antiques en ruine et contribuent à la mise en valeur des terres dans toute la région.
Fig. 1 : Tébourba, Djedeïda et El-Battan : trois localités de la basse vallée de la Medjerda situées dans les environs de Tunis.
Carte topographique publiée dans l’Atlas archéologique de Tunisie, 1892-1932.
Il semble que cUthmân Dey et après lui Youssef Dey aient encouragé, tout particulièrement, les immigrants à s’établir sur les rives de la Medjerda dans des villages proches de la capitale (moyennes et basses vallées de la rivière). Les deux deys cherchaient à profiter des connaissances des Andalous dans le domaine de l’agriculture pour une mise en valeur d’une région qui, malgré les crues de la Medjerda et la richesse de ses terres, offrait à la Régence une production médiocre. En effet, toute vie villageoise avait cessé d’exister dans cette contrée, pourtant réputée depuis l’antiquité par sa prospérité et son abondance. Au début du XVIIe siècle, les tribus arabes qui s’étaient emparées depuis des siècles de ces territoires, tout en s’adonnant à l’élevage, pratiquaient une céréaliculture contingente liée à un mode de vie nomade, de subsistance. Les Andalous étaient appelés à une revivification de ces terres en introduisant dans cette région proche de Tunis des noyaux de vie sédentaire et villageoise, fondés sur une agriculture intensive : jardinage, arboriculture, oliveraie, vignoble. Les immigrants, qui savaient profiter du voisinage de la rivière, installèrent des ponts-barrages afin d’arroser les terres riveraines. Au niveau des basses terrasses de la Medjerda, les nappes phréatiques douces et souvent peu profondes, furent intensément exploitées au moyen d’un réseau dense de puits équipés de machines élévatoires, noria-s. En outre, deux ponts barrages à Djeideïda et à El Battan furent construits pour contribuer à l’irrigation des vergers proches.
Le pouvoir ottomans a joué un rôle important dans la fondation des localités andalouses et dans l’exploitation des terres environnantes. Les fondations religieuses des premiers deys et beys de Tunis sont à mettre en rapport avec la revivification de certaines terres agricoles. En effet, la mosquée de Youssef Dey et celles des mouradites Hammûda Pacha et Muhammad Bey ainsi que plusieurs des fondations religieuses possèdent, d’après les documents d’archives, des Anciens Habous des terres agricoles auprès des localités habitées, depuis le début du XVIIe siècle, par les Andalous, et notamment dans la basse vallée de la Medjerda. Les dignitaires du pouvoir ottoman se sont certainement emparées de terres mortes et les ont affermées aux immigrants pour qu’ils s’occupent de leur vivification. La rente, ainsi, alimentait le budget des fondations religieuses des deys et des beys à Tunis.
Aidés par le savoir-faire des Andalous, les représentants du pouvoir turc aménagèrent des routes pour faciliter les échanges, les transports et le commerce des produits maraîchers ou artisanaux des nouvelles fondations. Ils construisirent également, au XVIIe siècle, quatre ponts sur la Medjerda. Le premier de cette série d’ouvrages est celui qui se trouve sur la route qui reliait Tunis à Bizerte et qui porte le nom de Pont de Bizerte. Il fut élevé vers la fin du règne de cUthman Dey, probablement en 1609(1). En dos d’âne, il est construit en pierre de taille et compte sept arches égales. Citons également le pont de Medjez-el-Bab qui enjambe la rivière en amont de cette ville andalouse. Œuvre de Mourad II, cet ouvrage en belles pierres de taille, a été achevé en 1677. C’est un pont en dos d’âne percé par huit arches égales portant un tablier protégé par un parapet. Jeté sur la Medjerda, ce pont relie la ville à ses jardins et aux cités andalouses proches.
Les deux derniers ponts édifiés sur la Medjerda près des localités andalouses se trouvent dans les environs de Tébourba : à Djedeïda et à El Battan. Depuis leur fondation, ces deux ponts furent complétés par une admirable résidence secondaire du fondateur, des moulins à foulon, dits Battan, des moulins hydrauliques et des barrages qui fournissaient en même temps l’eau pour les foulons de la chéchia et permettaient d’irrigation les terres riveraines grâce à l’élévation de l’eau de la rivière au niveau nécessaire. Les deux ponts furent à l’origine de hameaux habités par les paysans qui travaillaient dans les jardins et les henchirs, les domaines qui se trouvaient dans les alentours.
Fig. 2 : Le pont de Djedeïda qui fut terminé en 1025/1016 a été édifié sur ordre de Youssef Dey. Photo Louis Poinssot.
Dans cet article, nous souhaiterions apporter quelques éclairages sur le rôle du pouvoir ottoman et de la communauté andalouse dans la mise en valeur des terres de la basse vallée de la Medjerda. Nous limiterons ici notre étude à trois sites importants : en premier lieu, nous présenterons le pont de Djedeïda, la résidence de plaisance et le village qui le jouxtent ; en deuxième lieu, notre recherche portera sur le pont-barrage d’El-Battan, le hameau du même nom, les moulins et la résidence de plaisance mouradite de al-Hathramîn puis nous terminerons avec Tébourba, la principale ville andalouse de la basse vallée de la Medjerda. Nous examinerons les caractéristiques de la mise en valeur de son terroir, l’urbanisme et la vie urbaine de la cité ainsi que l’architecture et les monuments historiques.
1. Djedeïda : le pont, la résidence de plaisance et le hameau
1.1- Le pont de Djedeïda
Le pont de Djedeïda, à l’origine d’une des belles plus résidences princières de plaisance du XVIIe siècle, fut aussi l’une des raisons de la naissance d’un hameau qui portait au début le nom d’al-Qantara et sera appelé à partir du début du XVIIIe siècle : Djedeïda. Cet ouvrage d’art, achevé en 1025/1016, a été édifié sur ordre de Youssef Dey, est daté avec exactitude par une inscription fixée au parapet du pont (côté aval) et qui a disparu après le bombardement et la destruction partielle du pont en 1943. Louis Poinssot a publié une traduction approximative du texte de cette inscription. Elle indique que l’ouvrage d’art est exécuté aux frais du dey Youssef, fils de Mustafâ et petit-fils de Muhammad al-Turkî ; il fut inauguré à la fin du mois de rajab 1025 (13 août 1616)(2).
Fig. 3 : Le pont de Djedeïda. Photo de l’auteur, 4-3-2012.
De son côté, Jean Thevenot invité par le fils du dey Ahmad Shalabî à al-Qantara en mars 1659, donne une description du pont. Il indique que la Medjerda « passe près de la maison de Scheleby ; et son père fit bâtir pour la traverser un pont de pierre, qui a sept arches entre les arcades lesquelles on a bâti avec de grosses pierres de taille depuis le fond jusqu’à fleur d’eau, de sorte que l’eau passant par ces arcades, et trouvant de l’autre côté, l’eau plus basse, elle fait à chaque arcade, une cascade de 2 pieds de haut fort agréable à voir, et qui fait grand bruit »(3).
Long de 116 m et large de 6 m, le pont qui nous est parvenu compte sept arches égales établies sur un radier assez haut, construit sur toute la longueur de la rivière de sorte que l’eau en la traversant se déverse en cascade. Bombardées pendant la deuxième guerre mondiale, quatre arches ont été détruites et remplacées par la suite par des structures métalliques.
Nous sommes en présence ici d’un pont-barrage dont le but n’est pas de stocker l’eau, en effet, le seuil placé dans le lit de la rivière, au niveau des fondations du pont, a pour but de créer une chute nécessaire pour actionner des moulins à foulons, des moulins à blé, des norias ou même des soufflets de forge et des martinets. Pour ces dernières, Thévenot (1659) parle de « plusieurs moulins de Marêchaux »(4).
Fig. 4 : Le pont de Djedeïda. Photo de l’auteur, 4-3-2012.
Fig. 5 : Le pont de Djedeïda. La huitième arche bouchée depuis le XVIIe ou le XVIIIe siècle. Photo de l’auteur, 4-3-2012.
1.2- La résidence de plaisance
A proximité de ce pont, Youssef Dey fit bâtir une résidence de plaisance dont le charme et la beauté sont largement vantés par la littérature de l’époque. Le chroniqueur tunisien du XVIIe siècle, Ibn Abî Dînâr, donne plus de détails sur l’histoire du pont et de la résidence de plaisance qui le jouxtait. Il indique que le pont se trouvant du côté de Tébourba est l’oeuvre de Youssef Dey ; il est considéré à son époque, vers 1680, un des plus célèbres lieux de plaisance du pays. De son vivant, le dey le dota d’une résidence secondaire, borj, qui fut embellie, après lui, par un de ses collaborateurs, Nasr Agha. Le fils du dey, feu Ahmad Shalabî, prit le palais en affection et l’agrandit encore. Plus tard, le neveu d’Ahmad Shalabî, le mouradite cAli Bey, s’empara des lieux et y apporta à son tour plusieurs améliorations et extensions ; celle-ci devient l’une des résidences de plaisance les plus renommées du pays(5). Al-Wazîr al-Sarrâj confirme les informations rapportées par Ibn Abî Dînâr(6).
Les documents du waqf du XVIIe siècle donnent plusieurs éclairages sur le sujet. Un acte de waqf, daté du milieu du mois de Shacbân 1066 / 6 juin 1656, nous révèle qu’Abû al-cAbbâs Ahmad Shalabî, fils de Youssef Dey, a constitué en habous un verger planté d’arbres, qui se trouve au nord du Bardo, au profil du pont de la Medjerda, sis à henchir al-Lakhmiyîn(7).
D’après un autre acte, quelques années plus tard, au début du mois de safar 1077/2 août 1666, le même Ahmad Shalabî vendit al-batân, le moulin à foulon, et un furn, un moulin à grain, à son neveu Mourad II (1666-1675) qui venait d’accéder au pouvoir après la mort de son père Hammûda Pacha.
Pendant ces années-là, Ahmad Shalabî maria ses deux filles cAïsha et Khadija aux deux fils de Mourad II, les futurs beys : Muhammad (1675-1696) et cAlî (1675-1685). Puis les deux pères décidèrent de constituer en waqf des biens fonciers et immobiliers importants au profit des deux jeunes couples(8). Deux actes datés des débuts de rajab 1081/15 novembre 1670, attribué chacun à un des fondateurs, révèlent que parmi les biens constitués en waqf en leur faveur par Mourad II, Henchir Shawwât qui se trouve au nord de la Medjerda, pas loin du pont de Youssef Dey, ainsi que :
« La totalité du moulin à foulon orienté vers le nord, doté de deux dûlâb (machines hydrauliques) et qui sert pour le foulage des chéchias et des draps andalous, nouvellement construit sur la rive droite de la Medjerda et la totalité du moulin à grain orienté vers l’est ; il est contiguë au précédent et est doté d’une seule machine hydraulique. Les limites des deux bâtiments sont : au sud, le canal qui reçoit l’eau du lavoir des moulins ; à l’est, une rue sur laquelle donne la porte d’entrée du Moulin à grain ; au nord, le pont qui porte le nom de Youssef Dey et à l’ouest, l’oued »(9).
De son côté, Ahmad Shalabî constitua en waqf au profit des deux ménages plusieurs domaines dont celui dit « henchir al-Qantara » ou al-Lakhmî. « Ses limites sont : au sud, la Medjerda ; à l’est, henchir al-Asbahîn al-Kubrâ ; au nord, henchir Shawwât et Qashba et à l’ouest, Menzal Hammâd et Qasr al-Hadîd. L’acte précise que le palais vaste et monumental, les entrepôts, l’huilerie, les fondouks et les autres annexes, sis près du pont, font partie du domaine et sont inclus dans le waqf. »(10).
Fig. 6 : Le pont et les deux villages de Djeideda et Saïda et les Henchirs Chaouat, el-Kantra, Lakhmi et Saïda, etc.
Carte topographique publiée dans l’Atlas archéologique de Tunisie, 1892-1932.
Les documents donnent une idée sur l’importance de cette résidence princière doublée d’une série de bâtiments qui en font une petite ville. Ceci est confirmé par des voyageurs européens qui ont visité les lieux. Invité en mars 1659 par « Scheleby », Jean Thevenot note que « Depuis Tunis jusqu’à la Cantre on chemine presque toujours dans des grandes campagnes plantées d’oliviers éloignés de quelques pas l’un de l’autre ». Il donne une description du pont jeté sur la Medjerda et ajoute : « Il y a sur cette rivière plusieurs moulins de mareschaux comme aussi pour moudre, et pour presser les bonnets appelés bonnets de Fez, lesquels se font à Zagouaro (Zaghouan) par des Tagarins »(11).
Le voyageur évoque trois types de moulins : les moulins à Foulon, les moulins à grain et ce qu’il appelle moulin de mareschaux(12) ; à notre avis, il désigne ici les moulins de maraîchers, c’est-à-dire les norias permettant d’élever l’eau de la rivière afin d’alimenter les canaux qui vont irriguer les cultures maraîchères des jardins potagers proches de la résidence et de ses dépendances. En effet, Ibn Abî Dinâr signale une noria comparable à celles de Hama(13) et al-Wazîr al-Sarrâj indique que Ahmad Shalabî établit près du pont une roue qui tourne toute seule et sans la traction animale(14). Ce type de noria dont la grande roue est mue par la rivière et qui rappelle ceux de Hama ou de Malaga est signalé pour la première dans le pays. Les Andalous ont introduit et développé l’utilisation des moulins à vent (à Soliman), des moulins hydraulique (à Zaghouan) et les machines hydrauliques sur les puits (à Testour). Les norias ou machines hydrauliques mues par l’eau de rivière signalées ici, s’inscrivent dans cette démarche ; c’est une contribution importante de la communauté andalouse.
Thévenot ajoute que la main d’oeuvre est formée essentiellement par des captifs chrétiens : « ce sont tous esclaves du Scheleby qui travaillent à ces moulins. » A sa mort, Youssef Dey, le fils Scheleby hérite de quelques 1800 captifs. Une partie de ces captifs travaillent dans les domaines et les résidences secondaires du prince comme ouvriers, artisans, maraîchers ou paysans. Les dizaines sinon les centaines de captifs chrétiens habitant al-Qantara et travaillant pour Ahmad Shalabî vivaient dans un bagne se trouvant sur les lieux ; ils avaient leur propre chapelle signalée dans des actes consignés dans les registres du Consulat de France (14 et 15 mai 1673) dite la chapelle « La Nunciata » et « Santo Andrea della Chantera », fondée dans la masserie dudit Cielebi. L’un des deux majordomes qui dirigent la chapelle se nomme Giacomo Miano de Messine ; il est sicilien et esclave d’Ahmad Shalabi(15). Comme les autres bagnes, celui d’al-Qantara avait certainement une taverne qui était fréquentée surtout par les Turcs et les captifs chrétiens.
Thévenot décrit ensuite la résidence de plaisance qui jouxte le pont : « au bout du pont est la maison du Scheleby bâtie en forme de château, il y a une fort grande cour, et puis d’autres plus petites, les chambres sont comme les autres avec or, azur et travaux de stuc. Et des fontaines partout, et tout pavé de marbre, elles sont plus superbes que celles que j’avais vues auparavant. Il y a dans ces chambres de beaux tableaux, car ce Scheleby était autrefois fort riche ; son père lui laissa de grands biens, et entre autres dix-huit-cent esclaves, mais il a beaucoup dépensé en débauche. Cet homme a le coeur français, et s’il était venu une fois en chrétienté, il n’en sortirait jamais »(16).
Au cours du XVIIe siècle avec le retour de la paix et une certaine prospérité, les résidences de plaisance se sont multipliées. Les habitants de Tunis, Turcs ou Tunisiens de vieilles souches reprennent le chemin de la campagne environnante. Dans des sites aérés et reposants, ils vont construire des maisons de plaisance entourées de jardins. Certaines de ces maisons sont de véritables palais. Leurs bâtisseurs aimaient aussi retrouver à la campagne le cadre architectural et les aises que l’on jugeait indispensables à Tunis : cours des maîtres à péristyle, courette pour les domestiques, entourées de leurs chambres et leurs communs. Parfois, la demeure prend un aspect fortifié avec des murs très hauts et des tours élevées à la fois pour la surveillance et pour l’agrément et la vue étendue sur les campagnes environnantes.
La résidence royale d’al-Qantara est l’oeuvre de Youssef Dey qui était un des deux deys les plus puissants et les plus riches du XVIIe siècle ; il est le plus grand bâtisseur de son époque. Elle avait ainsi l’aspect d’une résidence princière de la campagne. Il est question d’un ensemble de bâtiments qui s’organise autour de plusieurs cours et qui est complété par plusieurs annexes et dépendances. Les salles d’accueil et les appartements du maître des lieux entourent des cours pavées de marbre et agrémentées de fontaines sculptées dans le même matériau ; ces patios sont encadrés par des portiques portés par des colonnes de marbre d’origine italienne. Couvertes de charpentes polychromes et dorées, les différentes salles sont également parées de marbre, de stuc ciselé et de carreaux de faïence. Thevenot signale que les intérieurs sont ornés à l’italienne de beaux tableaux. Le recours aux artisans italiens et européens très nombreux sur les lieux, explique cet engouement pour les tableaux de peinture, les marbres de Carrare et les faïences de Naples ou de Valence.
Dans le poème qui vante la majesté et la beauté de cette résidence, Ibn Abî Dînâr donne lui aussi une description assez précise du bâtiment et s’arrête sur l’un des éléments phares de cette demeure princière qui la caractérise et prouve sa singularité : al-manara construite par Ahmad Shalabî. C’est une tour, plus haute que les borj-s habituels dans ce type d’habitation ; elle est ici très élevée et rappelle les minarets des mosquées. Elle surplombe l’ensemble des bâtiments et au-delà, toute la région. Ibn Abî Dînâr signale en outre que la tour, qu’il appelle al-manara ou al-burj al-dhakhm ou al-Burj al-rafîc, est surmontée d’une salle d’honneur (iwân) sous forme d’un belvédère (kushk) couvert d’une coupole (qubba). Par iwân, l’auteur entend une salle de réception largement ouverte sur l’extérieur. Ici, les murs sont tapissés de mosaïque de faïence au-dessous d’une frise de stuc finement ciselé ; le plafond de bois doré et peint porte une coupole pyramidale. Comme Thévenot, Ibn Abî Dînâr fait allusion à des tableaux de peinture ornant ses murs. Cette manâra surélevée faisait fonction de tour de surveillance, de salle de réception et de belvédère doté d’une vue étendue sur la campagne verdoyante et les méandres de la rivière qui serpentent entre les vergers, les jardins et les champs(17).
La résidence princière fut complétée par plusieurs bâtiments déjà signalés par nos textes : les moulins à foulon, les moulins à grain, les norias pour l’arrosage des jardins, des fondouks, une huilerie, un bagne, une chapelle, une taverne et deux hameaux habités par une population andalouse et autochtone qui travaille dans les domaines tenus par les propriétaires du borj : al-Sacîda et Djedeïda.
Fig. 7 : Le pont de Djedeïda. Les arches égales sont établies sur un radier assez haut, construit sur toute la longueur de la rivière de sorte que l’eau en la traversant se déverse en cascade.
Source : https://www.facebook.com/Djedeidanews.
Fig. 8 : Le pont de Djedeïda. A côté de ce pont, Ahmad Shalabî fils de Yûsuf Dey fit bâtir une résidence de plaisance dont le charme et la beauté sont largement vantés par la littérature de l’époque. On aperçoit aussi la minoterie du XIXe siècle. Carte postale vers 1900. Collection Chawki Dachraoui.
1.3- Le hameau de Djedeïda
Djedeïda est un simple hameau groupé autour du pont et de la résidence de plaisance de Youssef Dey. En 1724, sur sa route pour Tébourba, Jean-André Peyssonnel note ceci : « il y a deux mauvais villages, l’un dépeuplé appelé Seida et l’autre récemment bâti nommé Gidida »(18). Henchir Sacîda où se trouvait le village du même nom, déjà dépeuplé au début du XVIIIe siècle, se trouve sur la rive droite de la rivière, à quelques centaines de mètres au sud-est du pont. Sur les cartes anciennes, nous trouvons un site qui porte le nom de Borj Sacîda, qui pourrait correspondre à l’emplacement du hameau du XVIIe siècle(19).
Le village de Djedeïda se trouve sur la rive gauche, tout près du pont. Sis à Henchir al-Lakhmiyîn, le lieu portait le nom d’al-Qantra au XVIIe siècle. Il est probable que le toponyme Djedeïda (la petite nouvelle) apparaît vers la fin du siècle ou au tout début du XVIIIe siècle. A notre connaissance, Jean-André Peyssonnel, cité plus haut, est la première source à avoir cité le nom de Djedeïda.
Abandonnée par Muhammad Bey au profit de sa résidence auprès du nouveau pont qu’il avait construit entre 1686 et 1690, la maison de plaisance de Djedeïda et le hameau vont se détériorer ; leur dégradation se poursuivra au XVIIIe siècle, au moment de la guerre dynastique entre les Husaynites, surtout lors de passage des troupes algériennes pour soutenir un camp ou l’autre. En 1705, 1735 et 1756, l’ordre fut donné aux habitants des localités qui se trouvaient sur la route des troupes des Turcs d’Alger, de quitter leurs maisons et d’aller s’installer provisoirement ailleurs.
Durant la deuxième moitié du XVIIIe, Djedeïda retrouvera une certaine prospérité, mais le village ne sera pas épargné des crises du XIXe siècle. Dans le cadre de la modernisation du pays, Ahmad Bey (1837-1855) y construisit une minoterie qui était prévue pour remplacer les moulins à grain hydrauliques traditionnels(20). C’est une grande bâtisse qui accueillait un établissement chargé de produire les farines de blé destinées à un commerce qui dépassait le cadre local et couvrait une partie de la régence. Le bâtiment fut détruit partiellement pendant les bombardements de la seconde guerre mondiale, en 1943.
Dans sa Description de la Régence de Tunis rédigée vers 1844, Pellissier indique qu’auprès « du village de Dejeida existe un pont fort beau et tout en pierre » et que la prospérité de l’ancien borj revient au financier du bey de Tunis Ben Ayed : « il y possède une jolie maison de plaisance dont les jardins, situés auprès du pont, rendent les abords de celui-ci fort agréables »(21). Dans La Tunisie, Histoire et Description (1896), il est précisé qu’après la fuite de Mahmûd Ben Ayed en 1852 en France, « Le bey Ahmed concéda à Mustapha Khaznadar des bâtiments abandonnés sur la rive gauche avec le doit d’établir deux norias à moteurs hydrauliques pour l’irrigation de sa propriété située sur les deux rives de la Medjerda. Après la disgrâce de Khaznadar, la propriété de Djedeïda est cédée au waqf du collège Sadiki qui la concéda en enzel au général Hammûda Ben Ayed ; ce dernier y fit établir une grande minoterie dans le but d’utiliser à peu près complètent la force motrice disponible. Les propriétaires actuels, MM. Cesana, ont cessé, du moins momentanément, l’exploitation de la minoterie, le gouvernement a désaffecté les foulons et la chute n’est plus utilisée que pour élever l’eau employée pour l’irrigation d’une partie minime de la propriété »(22). Charles Lallemand qui visita la région en 1890, attribue le pont-barrage aux Romains et note que « la station de Djedeïda confine au village situé sur la rive droite de la Medjerda, auquel on parvient en passant sur un pont monumental. En aval de ce pont se trouve le colossal barrage romain qui donne encore aujourd’hui la chute d’eau à une grande minoterie appartenant à M. Cesana, banquier. Le pays environnant est très fertile »(23).
Les documents des archives de la Conservation foncière confirment et précisent ces informations ; en effet, un acte daté de 10 Dhû al-qicda 135/19 juillet 1888 indique que al-cArbî Zarrûk, céda en enzel(24) au général Hmîda (et non Hammûda) Ben Ayed le henchir d’al-Qantara et celui d’al-Djedeïda et leurs dépendances. Parmi les dépendances des henchirs, l’acte mentionne quelques bâtiments sis sur la rive gauche de la Medjerda : une résidence de plaisance (borj) ouvrant vers le nord et son étage (culu), deux entrepôts (makhzin) orientés vers le nord, un fondouk orienté vers le sud, une maison de campagne (hawsh) orientée vers le sud, un moulin (tâhûna), un café, une huilerie, deux norias dont l’une est abandonnée, une cave (dâmûs) orientée vers l’ouest et une fontaine (sabbâla)(25). Les mêmes documents mentionnent incidemment le hameau de Djedeïda (dashra), ses habitations, certaines en ruine, d’autres à caractère rural et sa mosquée qui avait des biens waqfs importants. La fontaine publique du village avait également des waqfs.
Djedeïda a subi maintes transformations et mutilations ; il ne reste que quelques vestiges des bâtiments des XVIIe et XVIIIe siècles. La vieille mosquée, dite la mosquée des Andalous remonte à cette époque. Le monument a subi des transformations profondes. La salle de prière de plan carré compte quatre nefs sur quatre travées. Les voûtes d’arête, la coupole du mihrab et les colonnes qui les portent ont été complètement refaites à une époque toute récente. Le minaret qui se dresse près de la porte d’entrée est mieux conservé. De plan carré, il atteint une hauteur totale de près de 15 mètres. Un escalier en colimaçon, caractéristique des escaliers des minarets des mosquées andalouses, mène à un balcon que surmonte un lanternon carré.
Fig. 9 : La mosquée de Djedeïda. Le minaret garde quelques éléments anciens. Photo Kais Ben Achour.
Fig. 10 : La mosquée de Djedeïda. L’escalier en colimaçon de type andalou remonte à l’époque de la fondation de la mosquée. Photo Kais Ben Achour.
Fig. 11 : La mosquée de Djedeïda. La salle de prière a été complètement reconstruite. Photo Kais Ben Achour.
1.4- L’aménagement du terroir de Djedeïda
Les caractéristiques de l’aménagement du terroir du hameau, du pont, de la maison de plaisance et de ses dépendances apparaissent également à travers cette documentation et confirment une certaine continuité dans le paysage depuis la fondation du pont et du Borj en 1616, et jusqu’à la fin du XIXe siècle voire au-delà.
Une première zone formée de jardins potagers, dite al-dokhâniyya(26), occupe un secteur proche du pont ; elle est constituée de petites parcelles avec des cultures irriguées ; l’arrosage s’effectue partiellement par des norias placées sur la rivière que Thévenot appelle moulins des maraîchers. Certaines parcelles sont pourvues d’un puits qui fournit l’eau nécessaire pour l’irrigation. Nous y trouvons des jardins d’agrément auprès de la résidence princière et des jardins de culture maraîchère et d’arbres fruitiers. Au XVIIe siècle, le chevalier d’Arvieux, séjournant à Tunis en 1665 et 1666, vante la beauté d’al-Qantara : « elle a des eaux en abondance, des grands jardins et de très bonne terre aux environs »(27). Ibn Abî Dînâr qui rendit visite, le vendredi 2 rajab 1092 / 18 juillet 1681, à al-Qantara en compagnie du maître des lieux à l’époque, cAli Bey, note : « les roues qui tournent au pont sont mues par la Medjerda et l’emportent en beauté sur celles de Hama…Les exquis jardins sont remplis d’une grande variété d’arbres fruitiers : c’est un paradis. J’ai admiré cette eau courante qui passe à travers des chenaux dans les jardins et les arrosent »(28). En 1844, Pellissier souligne : « les jardins, situés auprès du pont, rendent les abords de celui-ci fort agréables »(29).
Dans une deuxième zone, autour d’al-Qantara se trouvent des vergers plantés d’arbres qui ne nécessitent pas d’irrigation (amandiers et autres) et une forêt d’olivier. De Djedeïda jusqu’à Tébourba sur plus d’une dizaine de kilomètres, la Medjerda forme un grand nombre de méandres et découpe des vastes vergers d’oliviers plantés sur les deux rives de la rivière ; cette oliveraie rejoint celle de Tébourba et forme une des plus importantes forêts d’oliviers de la région.
Dans une deuxième zone, autour d’al-Qantara se trouvent des vergers plantés d’arbres qui ne nécessitent pas d’irrigation (amandiers et autres) et une forêt d’olivier. De Djedeïda jusqu’à Tébourba sur plus d’une dizaine de kilomètres, la Medjerda forme un grand nombre de méandres et découpe des vastes vergers d’oliviers plantés sur les deux rives de la rivière ; cette oliveraie rejoint celle de Tébourba et forme une des plus importantes forêts d’oliviers de la région.
Dans la troisième zone du terroir de Djedeïda s’étendent les champs de céréales. Les différents henchirs sont le domaine privilégié de la culture de blé et d’orge notamment. Les principaux henchirs sont : al-Qantara, Shawwât, al-Keshba et Hammâd sur la rive gauche ; et al-Sacîda, al-Khirba et Ben Nafîsa, sur la rive droite.
Au-delà de ces trois zones, s’étalent les pâturages et une zone montagneuse. En effet, entre Djedeïda et Tébourba, la Medjerda serpente et coule dans un bassin étroit entre les collines de la rive droite et Djebel el-Hamada (118m) et Djebel Mayana (186m). Cette forêt fournit le bois et on y cherche occasionnellement les gibiers.
Pour conclure, notons que c’est une résidence princière fondée à l’époque de Youssef Dey auprès d’un nouveau pont élevé, en 1616, sur l’emplacement d’un pont antique qui est à l’origine de Djedeïda. La résidence s’est étendue vers le milieu du XVIIe siècle pour former une petite cité habitée par le fils du dey et son entourage, mais aussi par un groupe important de captifs logés dans les annexes de la résidence et dans un bagne qui était doté d’une chapelle et d’une taverne. Les rares informations que nous possédons laissent croire que les siciliens sont majoritaires parmi la population européenne : en effet, la chapelle est dite La Nunciata et Santo Andrea della Chantera. Les captifs travaillaient comme serviteur chez le propriétaire des lieux mais aussi comme ouvriers agricoles dans les domaines étendus ou comme ouvrier ou artisans dans les moulins. Un autre groupe d’habitants est formé d’Andalous qui travaillaient dans les deux ateliers à foulons du site. Ces ateliers avaient le monopole du foulage des chechias destinées pour des souks de Tunis jusqu’à la fondation des ateliers d’El-Battan en 1690. Une population autochtone fut attirée par le pont ; elle travaillait surtout dans l’élevage et les activités agricoles dans les domaines environnants. Cette population s’est installée à Sacîda, un hameau qui regroupait des habitations modestes d’ouvriers agricoles. Vers la fin du XVIIe siècle, le village connaitra un déclin puis il sera déserté de sa population qui s’installe dans une nouvelle bourgade tout près du pont, sur la rive droite de la Medjerda et qui portera depuis cette époque le nom de Djedeïda, la petite nouvelle.
La résidence du pont fut délaissée par Muhammad Bey qui, après l’assassinat de son frère, cAli Bey, fit construire non seulement le pont-barrage qui porte son nom, mais également une belle résidence de plaisance à quelques quatre kilomètres au sud-est du nouveau pont.
2. El-Battan : le pont-barrage, les moulins et la résidence de plaisance d’al-Hathramîn
2.1- Le pont-barrage
Jeté sur la Medjerda à 2 km en aval de Tébourba, le pont-Barrage qui porte le nom de la foulerie, El-Battan, est également à l’origine d’un village le jouxtant et d’une résidence de plaisance beylicale élevée dans ses environs que Jean-André Peyssonnel nomme « le château » ou « le Bardo ».
Fig. 12 :Le pont-barrage d’El-Battan. On aperçoit la foulerie et la fabrique de draps d’Ahmad Bey. Carte postale ancienne. Collection Chawki Dachraoui.
Plusieurs études anciennes attribuent ce pont-barrage à Youssef Dey et le confondent avec celui de Djedeïda. A l’origine de la confusion, la proximité des deux ponts de la ville andalouse de Tébourba ; ajoutons que ces deux ouvrages d’art sont les seules dans le pays à être complétés par un barrage et des moulins à foulon (battân). Louis Poinssot (1942, p. 328, note 25) a corrigé cette erreur(30), et pourtant des études légères et déficientes, plus au moins récentes, reviennent à cette attribution(31). Rappelons que toutes les sources contemporaines affirment que le pont qui porte aujourd’hui le nom d’El-Battan est une oeuvre de Muhammad Bey fils de Murâd II (1675-1696). Néanmoins, al-Wazîr al-Sarrâj est la seule source qui énonce avec précision l’année des débuts des travaux qui avaient duré près de quatre ans : 1098/1686-1687(32). Contemporain et crédible, cet historien donne plusieurs détails sur cette oeuvre grandiose. Il indique que durant l’année 1098/1686, Muhammad Bey acheva les travaux dans le palais du Bardo, qu’il finit la coupole de la turba de son grand-père Hammûda Pacha et qu’il « entama l’édification d’un pont imposants sur la Medjerda dans un lieu-dit al-Hathramîn. Il y utilisa des techniques inédites qui témoignent de sa supériorité, son ambition et sa créativité… Il le dota de vannes qui ferment les arches et permettent de contrôler l’élévation du niveau de l’eau… ». Puis il raconte comment le Bey a su domestiquer ce monstre indomptable qu’est la Medjerda, en étant armé par la science de la géométrie et l’art de bâtir : « il mit en place un barrage qui peut contenir l’eau de la rivière et tous ses affluents. Le barrage ainsi crée s’appuie sur des fondations stables comme des montagnes et la chaussée qui le surmonte repose sur des arcades portées par des piles énormes… Il fit appel à des constructeurs, à des artisans habiles dans leurs métiers et à de nombreux captifs… Après la réalisation de l’ouvrage, des canaux furent aménagés sur les bordures de la rivière pour arroser les riches jardins qui produisaient des fruits variés et abondants et pour alimenter en eau les villages nouvellement crées par le Bey, sur les deux rivages du cours d’eau… Les dépenses ont atteint la somme faramineuse d’un million (de piastres) ». Plus loin, notre chroniqueur précise que l’année 1102/1690 correspond à la fin des travaux de la construction du pont-barrage, la mise en place des canalisations et la création de cinq villages dotés de petites mosquées(33).
Fig. 13 : Le pont-barrage d’El-Battan a été construit par Mohamed bey vers 1690. On aperçoit la foulerie et la fabrique de draps d’Ahmad Bey. Photo de l’auteur, 4-5-2004.
Jean-André Peyssonnel, le naturaliste provençal qui se rendit dans la région une trentaine d’année après (la mi-juillet 1724) nous livre des données fort intéressantes sur ce projet audacieux. Il révèle que Muhammad Bey avait l’intention de détourner la Medjerda vers la capitale qui n’était pas traversée par un fleuve ou une rivière, comme c’est le cas de plusieurs grandes villes : « Il disait qu’il voulait détourner la rivière et la conduire à Tunis ». Puis il donne quelques détails sur le chantier et révèle que le site antique de Turbubo Minus servit de carrière ; la pierre et surtout les grosses pierres de de taille, le matériau essentiel pour cette construction en maçonnerie, se trouvant tout près, à quelque deux kilomètres, sur ce site. L’amphithéâtre qui avait servi de Kasbah, au XIe siècle, pour les Banû cAllâl servira de carrière pour la construction du pont et de la résidence beylicale à l’époque mouradite : « Nous la passâmes (la Medjerda) à un quart de lieue de Tuburbo qui conserve encore son ancien nom… Il y avait un Colysée très beau qui a été détruit par Mahamet Bey, il y a une vingtaine d’années (au fait près de 37 d’ans), pour construire un pont. »(34).
A la même époque, le prêtre anglican et agent diplomatique anglais, Thomas Shaw qui séjourna à Alger entre 1720 et 1732 et effectua des visites dans la Régence de Tunis, confirme les dires de Peyssonnel et souligne que le pont est l’oeuvre de « Mahmed, l’un des derniers beys de Tunis » et « qu’il avait été fait des ruines d’un ancien amphithéâtre qui était autrefois en cet endroit », précisant au passage que le monument romain « était trop beau pour subsister longtemps en Barbarie. »(35).
L’observation du monument actuel confirme ces dires : les pierres de taille romaines sont largement employées dans la construction, certaines sont des fragments reconnaissables du monument antique (jambages, linteaux ou seuils), d’autres portent des marques des tailleurs de pierre ou des inscriptions latines.
Fig. 14 : Le pont-barrage d’El-Battan. L’ouvrage était percé de 24 arches élevées sur un radier servant de fondation pour l’ouvrage. Des vannes fermaient les arches et élevaient le niveau de l’eau pour actionner les moulins à foulon et pour l’irrigation des terrains riverains. D’après un relevé publié par Fleury du Sert (1902).
Jean-André Peyssonnel nous livre ensuite une description assez précise de cet ouvrage : « ce pont a environ quatre cents pieds (122 m) de long sur quatre-vingt-dix de large (27,50 m) et vingt-deux arcades de douze pieds (3,65 m) chacune. La chaussée du milieu a trente pieds (9,15 m) de large et chaque trottoir autant »(36).
L’ouvrage actuel est en bon état de conservation et correspond plus au moins à cette description ; les vannes seules manquent. Il mesure 114 mètres de long pour 30 mètres de large. Sur un massif de fondation reposent des piles qui forment 24 arches large de 2,85 mètres chacune. Plusieurs arches sur les deux extrémités sont condamnées(37). Le tablier qui surmonte l’ouvrage est divisé encore aujourd’hui en une chaussée bordée de deux trottoirs protégés par deux balustrades maçonnées.
Fig. 15 : Le pont-barrage d’El-Battan. Photo de Slim Badri, 18-11-2018.
Fig. 16 : Le pont-barrage d’El-Battan. Photo de Slim Badri, 18-11-2018.
Peyssonnel révèle aussi que le projet initial de Muhammad Bey était très ambitieux. Le fondateur avait prévu de profiter du barrage pour établir un centre industriel doté de 44 moulins (moulins à foulon, moulins à grain, moulins de forge) pour soutenir des activités économiques installées sur place ou à Tunis.
« Il avait pratiqué une écluse ou prise d’eau que les fondements du pont formaient, de sorte que les eaux arrivant à ce pont ont une chute considérable, tombent sous les premiers parapets, font tourner un rang de vingt-deux meules de moulins, puis se reposant sous la chaussée, retombent de nouveau et font tourner un second rang encore de vingt-deux meules. Ainsi, lorsque la rivière aurait (100) pu fournir assez d’eau, il y aurait eu quarante-quatre meules tournantes, ce qui aurait donné à ce bey un revenu très considérable. »(38).
La mort du souverain, suivie des troubles qui avaient précédé la chute de la dynastie mouradite, ont mis fin à ce projet : « Il n’y avait que quatre de ces moulins d’achevés et même la rivière, dans cette saison (mi-juillet), ne peut fournir de l’eau que pour quatre moulins »(39).
Les installations industrielles furent reprises par les Husaynites. Le trinitaire espagnol Francisco Ximénez indique que Husayn ben cAlî (1705-1740) avait la possession des moulins à foulons et que le gérant de cette entreprise indispensable pour la fabrication des chéchias était un Andalous originaires de la ville de Soliman, Cherife Castelli, un homme très influent de l’entourage du bey. « J’ai rendu visite à Cherife Castelli (7 mars 1727) pour aller à Batan… il y a des moulins à foulon où on foule les bonnets colorés utilisé par les Maures. Ils sont au Bey et Cherife Castelli les gère pour son compte. C’est un Maure originaire de Castille. »(40) Ximénez parle ici du ministre et khznadar du bey, Mahmûd al-Sarâ’irî al-Andalusî(41).
Fig. 17 : El-Battan. Le village, le pont et la fabrique de draps construite par Ahmad Bey en 1844.
Source : https://www.facebook.com/Association-la-Manouba-pour-les-monuments-et-la-culture.
Plus tard, au XIXe siècle, Ahmad Bey construisit la première fabrique moderne de draps, juste en face de la foulerie. Dès 1839, le bey réformateur entreprit la construction de cette manufacture destinée à assurer la fabrication des draps nécessaires à la confection des uniformes de sa nouvelle armée créée dans le cadre de la modernisation du pays. Le bey s’est déplacé en personne pour son inauguration en 1844. D’après Ibn Abî Dhiaf, la fabrique suscita son admiration « avec ses ateliers imposants et ses constructions magnifiques ». Le cheikh el-Islam, Muhammad Beyram composa un long poème enthousiaste à l’occasion, rapporté par le chroniqueur(42). La fabrique comprenait à l’inauguration, soixante-dix métiers à tisser achetés en Angleterre qui étaient actionnés par une machine hydraulique de douze chevaux à vapeur. Le reste du travail n’était guère mécanisé : la laine étant nettoyée, cardée et tissé, selon les procédés traditionnels(43).
Face à la foulerie s’élevait une maison de campagne signalée par Ximénes ; elle appartenait probablement à Muhammad Bey. Le trinitaire espagnol y passa la nuit du 7 mars 1727 comme hôte des Husaynite et de leur représentant, le Cherife Castelli(44).
Fig. 18 : Le pont –barrage d’El Battan, le village, Borj Muhammad Bey et les henchirs Derguiche, el-Attermine, el Morra, etc. Carte topographique publiée dans l’Atlas archéologique de Tunisie, 1892-1932.
2.2- La résidence de Muhammad Bey
Outre cet ouvrage, Muhammad Bey édifia à la même époque (686-1690), une résidence secondaire importante dans les environs du pont-barrage. Peyssonnel l’appelle le Bardo ou le palais et signale qu’elle aussi a profité des pierres de l’amphithéâtre romain de Teburbo ; il eut l’occasion de visiter pour chercher des inscriptions latines : « A côté de ce pont, très beau et très solidement fait, le bey avait élevé une maison assez jolie : La porte est faite de trois grandes pièces de marbre blanc et au-dessus on lit gravé en caractères romains le mot VALENTI. Aux environs de ce Bardo ou palais royal nous trouvons une pièce de marbre d’environ douze pieds de long sur trois de large et autant d’épaisseur. Cette pierre, chargée d’ornement en bas-reliefs, faisait sans doute le dessus de la porte de l’ancien amphithéâtre. »(45).
Francisco Ximénes appelle cette résidence de Muhammad Bey : le château et précise son emplacement, à une lieue du pont, soit à une distance approximative égale à quatre kilomètres : « Nous sommes allés au château de Mahamed qui est à une lieue d’ici, aux abords du même fleuve Medjerda. » Les historiens tunisiens ne se sont pas arrêtés sur cette résidence qui était certainement prévue par son fondateur pour égaler et dépasser celle de Djedeïda. En effet, les guerres de la fin de son règne et sa mort quelques années seulement après l’achèvement de sa construction, n’ont pas laissé le temps à Muhammad de profiter de cette demeure princière. Il n’a pas eu le l’occasion aussi d’y recevoir des personnalités de son entourage et notamment les Ulémas, les historiens ou les poètes pour faire l’éloge de cette oeuvre, comme c’était le cas pour la résidence Djedeïda, tenue successivement par Youssef Dey, son fils Ahmad Sheleby et son petit-fils cAli Bey. Abandonnés, les bâtiments ont été certainement pillés à plusieurs reprises, d’autant qu’ils se trouvaient sur le chemin des armées en confrontation durant les nombreuses guerres de la fin du XVIIe siècle et de la première moitié du XVIIIe siècle.
Vers le milieu du XIXe siècle, Pellissier donne quelques informations sur le monument : « On trouve à 4 kilomètres (du pont d’El-Bathan) sur la rive droite, une vaste maison de campagne ruinée, connue sous le nom de Bordj-Sidi-Mahmet-Bey ; c’était jadis une villa princière, où l’eau de la Medjerda arrivait par un canal dont on voit encore les trace. La prise existait au pont même, construit de manière à servir de barrage par un système d’écluses fort bien entendu. »(46). Ainsi, avons-nous des informations précises sur l’emplacement de cette résidence et sur son rapport avec le pont-barrage. Ici, Muhammad Bey a choisi la tranquillité en éloignant sa résidence du hameau d’El-Battan et des établissements industriels qui jouxtaient le pont. Il n’en reste pas moins que la demeure beylicale était alimentée en eau par un canal qui acheminait l’eau de la rivière. Les anciennes cartes topographiques, établies juste après l’établissement du Protectorat, précisent l’emplacement du palais qu’elle nomme « Bordj el Attermine » et signale les vestiges du canal de Muhammad Bey et révélant l’existence d’un petit barrage, tout près, construit pour stocker l’eau du canal et alimenter le palais, ses dépendances et ses jardins(47). Les mêmes cartes présentent des toponymes en rapport avec cette résidence mouradite : un domaine près de djebel Maherine s’appelle, en effet, Henchir El-Ksour ; plus à l’Est, un autre domaine faisant partie de Henchir al-Hathramîn porte le nom de « Henchir Krour el Bey ». Jouxtant ce Henchir du côté sud-ouest, nous trouvons sur la même carte « Hamada krour el Bey ». Une hamada est un plateau ou une colline rocailleuse dont la terre est pauvre et non adaptée à la culture. La toponymie confirme ainsi que la résidence beylicale a marqué le paysage environnant. Il est probable qu’un hameau habité par les serviteurs du palais et les ouvriers agricoles fut créé dans les environs. Les lieux qui semblent avoir reçu un regroupement d’habitations rurales sont nombreux : comme celui de Douar el Djerbi, bordj el Djerbi et Bir el Djerbi (au sud-ouest du palais) ; ou celui du Douar Ben Nefissa ou de celui Douar Sidi Zarzour à l’Est de la résidence beylicale. Le douar signifie ici un groupement d’habitations rurales réunissant des individus d’une même ascendance familiale. Ces douars peuvent être récents comme ils peuvent avoir remplacés des hameaux anciens.
2.3- Les installations hydrauliques et les aménagements agraires
La construction de ce pont-barrage fut également à l’origine d’un grand projet d’aménagement agraire dans cette région de la basse vallée de la Medjerda. La situation privilégiée de ce territoire tout proche de la capitale et son sol léger, si propre aux cultures maraichères et fruitières expliquent ce choix. Le chroniqueur contemporain, al-Wazîr al-Sarrâj donne des indications précieuses sur ce projet : « en l’année 1102/1690 furent terminés les travaux d’al-Hathramîn, l’eau du barrage fut acheminée par des canaux vers les cinq villages nouvellement créés par le Bey, il y édifia de belles petites mosquées ; l’eau servit pour irriguer des jardins et des vergers plantés de différentes cultures qui s’étendent sur une distance de 18 miles (28 kms) »(48).
En effet, en fermant les vannes, le lit de la rivière endigué sur les deux bordures formait, en amont du barrage, un vaste réservoir. Nous observons encore aujourd’hui des vestiges des digues sur plusieurs centaines de mètres sur la rive gauche, des digues hautes de plus deux mètres et soutenues par des contreforts. Deux techniques sont utilisées pour profiter de cette eau stockée dans cet étang : l’inondation des terres proches ou l’irrigation par un système de canaux branchés à la rivière.
Fig. 19 : Le pont-barrage d’El-Battan. En amont du barrage une digue du réservoir destinée à contenir l’eau. La digue est consolidée par des contreforts. Photo Slim Badri, 18-11-2018.
Sur la rive gauche de la rivière et en rapport avec les caractéristiques du relief, le choix se porta sur pour la première technique, celle de l’inondation et de la submersion. En effet, le barrage permettait de refluer l’eau jusqu’à la cote 28,50. Ainsi, depuis le pont et sur une distance de plus de sept kilomètres en s’enfonçant dans la forêt d’olivier qui s’étend entre Djebel Mayana et la ville de Tébourba ou en suivant le cours de la rivière, les jardins et parcelles plantées d’arbres fruitiers et d’oliviers, proches de Tébourba et dont la cote est inférieure à 27 mètres sont facilement inondables (voir carte topographique) ; dans ce secteur, figurent des cotes qui vont de 27 à 20. Pour remédier à certaines irrégularités de la pente et faciliter la submersion de toute la forêt, des canaux et des levées de retenue et des terrassements furent réalisés ; Fleury du Sert (1902) souligne que leurs traces se trouvaient dans toute zone. « Au moment des crues, l’eau atteignait rapidement la cote 29, se déversait par-dessus la crête des berges, la digue du réservoir et par les vannes qui y étaient ménagées à cet effet, et venait inonder toute la forêt en suivant la pente du terrain. Grâce aux canaux et levées cités plus haut, la répartition se faisait régulièrement sur toute la surface, jusqu’à submersion »(49). Sans attendre les crues exceptionnelles, les vannes du barrage de Muhammad Bey permettaient de faire monter l’eau de la rivière jusqu’à la cote de 28.5 et de réaliser l’inondation les jardins potagers des environs de Tébourba et les vastes vergers plantés d’oliviers. Quand l’inondation se fait au printemps pendant la période de floraison de l’olivier, la production peut doubler facilement.
Mais les contraintes du relief ne permettaient pas l’utilisation la technique de la submersion sur la rive droite de la Medjerda, car les zones de maraîchage et d’arboriculture sont sensiblement plus élevées. On avait prévu alors pour leur irrigation, un système de canaux qui, d’après al-Wazîr al-Sarrâj, se prolongaient sur une longueur de 18 miles (28 kilomètres). Plus précisément, il s’agissait de deux canaux partant d’une même prise qui se trouvait au niveau du barrage. Ils se prolongaient sur une distance de 30 kilomètres en suivant le pied des coteaux environnant et se rejoignaient presque aux environs de Djedeïda.
Les observations sur terrain, les cartes topographiques anciennes(50) et les descriptions des vestiges archéologiques apparents faites par Fleury du Sert, vers 1900, nous permettent de retrouver les parcours de ces deux canaux et les traces d’autres installations hydrauliques en rapport avec ce grand projet de mise en valeur des terres de la région d’El-Battan-Djedeïda(51).
Le canal nord, le plus proche de la rivière, longe la N°40 et traverse les parties septentrionales des henchirs Tlit, el Morra, Ben Attia, croise l’oued Chafrou et arrive jusqu’à henchir Saïda.
A partir du barrage, le canal sud se dirige vers le Palais, résidence secondaire de Muhammad Bey, dit Bordj el Attermine, située à 4 kilomètre. Il dépasse la demeure du Bey de près de deux kilomètre vers le sud, puis s’oriente vers le nord-est passe par Guerat el Gouassen, croise oued Chafrou, passe par henchir Fedda et débouche sur henchir Saïda.
Ces deux canaux principaux sont complétés par des canaux et des conduites secondaires qui acheminaient l’eau et permettaient d’atteindre le maximum de jardins plantés d’arbres fruitiers et d’oliviers, comme le signalaient al-Wazîr al-Sarrâj et Jean-André Peysssonnel. De son côté, le diplomate anglais Thomas Shaw précise que le Bey « avait planté dans ces environs un grand nombre d’arbres fruitiers, et les avait rangés de manière que chaque espèce formait un petit bois à part, et séparé des autres. On y voyait par exemple, un bosquet d’orangers, un autre de citronniers, un autre d’abricotiers, un autre de pêchers, ainsi du reste. » (52). Nous pensons que ces belles réalisations dans le domaine de la mise en valeur des terres sont l’oeuvre des paysans locaux, de captifs chrétiens qui étaient assez nombreux et du savoir-faire des immigrés andalous. Dans le domaine agricole, l’apport andalou dans cette région fut important surtout dans le renouvellement de l’olivier et l’introduction de nouvelles variétés. Ils cultivèrent la vigne, le grenadier, le coing, le figuier, les agrumes, ainsi que le mûrier qui leur donnait de la soie.
Le paysage de la région aux XVIIe et XVIIIe siècles, décrit par Thomas Shaw, Jean André Peyssonnel, Francisco Ximénes ou al-Wazîr al-Sarrâj, et qui se distingue par l’étendue des cultures maraîchères et une grande variété des arbres fruitiers a reculé, suite aux crises du XIXe siècle, au profit des plantations d’oliviers.
Pour conclure, soulignons que le pont-barrage de Battan est un ouvrage d’art unique qui a marqué son époque en apportant un progrès technologique certain. A notre connaissance, il est le seul pont-barrage doté d’un réservoir pour stocker l’eau et irriguer les territoires avoisinants connu dans le pays, au Moyen Age et à l’époque moderne. Cette oeuvre confirme que Muhammad Bey était l’un des plus grands bâtisseurs de la régence de Tunis de l’époque ottomane. Sa mosquée de Tunis, monument imposant, est dotée de la plus haute coupole réalisée par l’architecture tunisienne des époques médiévale et moderne. Elle dépasse intérieurement les 25 mètres, alors que les coupoles traditionnelles du pays, les plus monumentales et les plus élevées, ne dépassaient généralement pas ou de peu les 10 mètres ; à titre d’exemple, citons les coupoles des deux grandes mosquées les plus prestigieuse de l’Ifriqiya, celle Kairouan et celle de Tunis.
Pour réaliser un tel ouvrage d’art, les bâtisseurs du pont-barrage d’El Battan se sont appuyés sur les traditions locales, le savoir-faire des Morisques-Andalous et l’ingéniosité de certains captifs chrétiens. Toutes ces compétences ont été mobilisées, comme nous avons essayé de le démontrer, pour la construction du pont-barrage de Djedeïda (1616) et celui d’El Battan (1690) et l’édification de l’ensemble des bâtiments et des installations hydrauliques qui les complètent.
3. La ville andalouse de Tébourba : activités agricoles, urbaines et architecturales
Tébourba est une petite cité antique et médiévale qui a presque disparu vers la fin de la période hafside et qui fut repeuplée et reconstruite au début du XVIIe siècle par un groupe important d’immigrés morisques.
Fig. 20 : Tébourba et ses environs immédiats. Photographie aérienne (1962). Cliché de l’OTC.
3.1- Historique de la ville de Tébourba
A l’origine de la ville de Tébourba, la cité romaine dite Thuburbo Minus, qui est probablement une colonie julienne précoce fondée par Octave, en faveur de ses anciens soldats, dans les années qui suivirent sa mainmise sur l’Afrique en 36 av. J.-C. La cité était d’une certaine importance et siège épiscopal. Nous connaissons le nom de deux évêques de Thuburbo, l’un d’eux Victor est catholique et l’autre, Maximin, est donatiste ; les deux ont participé à la fameuse conférence de Carthage de 411 qui réunit les évêques des deux églises de l’Afrique romaine, avec une présence remarquée de Saint Augustin. Mais nous ne pouvons pas savoir s’ils appartenaient à Thuborbo Maius ou Thuborbo Minus(53). A Thuburbo Minus sainte Perpétue et ses compagnons furent arrêtés et conduits à Carthage, où ils furent martyrisés en 203. C’est dans cette ville également que furent martyrisées en 304 les saintes Maxima, Donarilla et Secunda dont le culte fut très répandu en Afrique(54). Les ruines de la ville antique qui s’étalent sur la partie sud-ouest de la ville andalouse et la séparent de la Medjerda révèlent une cité d’une certaine importance, dotée de murailles, de nécropoles, d’un amphithéâtre et de citernes raccordées à un aqueduc long de plus de 13 kms qui acheminait l’eau de sources se trouvant à djebel Lansarine.
Il semble que la cité antique a continué à être habitée après la conquête arabe et durant le Moyen Age. Suite à l’invasion hilalienne, la ville est devenue le siège d’une petite principauté (du milieu XIe– au milieu du XIIe siècle). Ibn Khaldoun indique que « pendant la période des troubles qui ont suivi l’arrivée des Arabes hilalliens, Mudâfic Ibn cAllâl, un cheikh Qaysite de la région, s’est réfugié à Tébourba, a renforcé sa forteresse et en a fait le siège de son pouvoir ; il était soutenu par ses enfants, sa famille et son groupe »(56). Il est fort probable que la forteresse signalée n’est autre que l’amphithéâtre romain. En effet, transformé en place fortifiée, il fut utilisé pour se défendre par Mudâfic Ibn cAllâl al-Qaysî dont le pouvoir fut contesté par les voisins et notamment Ibn Bayzûn al-Lakhmî. Nous avons très peu d’informations sur cette principauté et sur la fin des Banû cAllâl ; Ibn Khaldoun rapporte qu’ils se sont alliés avec d’autres chefs de guerre et notamment un certain Qahrûn Ibn Makhnûs ; les deux alliés et leurs descendances ont continué à dominer la région et à semer les troubles jusqu’à l’arrivée des almohades56. De son côté, le chroniqueur hafside al-Zarkashî laisse entendre que les Banû cAllâl n’étaient plus à Tébourba au moment de l’arrivée des Almohades ; il rapporte dans son Histoire que la ville fut prise par cAbd al-Mu’min au début de l’année 555/début de l’année 1160 et qu’elle était sous la tutelle d’un chef de guerre originaire de la tribu de Sanhaja, Manîc Ibn Badûkis(57).
A part les deux historiens cités plus haut, les autres sources historiques de l’époque hafside ne mentionnent pas la ville. Vers la fin du XVIe siècle, dans Les Fatwas, les avis consultatifs, du cheikh Ibn cAdhdhûm, il est question une seule fois de Tébourba. Le texte évoque une terre sise à Henchir Tébourba, exploitée par deux sociétaires ; ce qui ne porte aucune indication précise sur la localité de l’époque. Nous supposons que la cité antique et médiévale s’est réduite à peu de chose ; les jardins potagers et les vergers arboricoles qui l’entouraient ont été remplacés par des terres nues, exploitées occasionnellement surtout comme pâturage et pour les labours et la céréaliculture (orge et blé d’après le texte)(58).
A leur arrivée dans la région, entre 1609 et 1614, les immigrés andalous trouvèrent une cité presque désertée de ses habitants, des terres en friche livrées au nomadisme. La cité médiévale s’étendait, à notre avis, sur le site antique, au coeur de cette cité, l’amphithéâtre transformé, au XIe siècle, en Kasbah par les Banû cAllâl. La nouvelle fondation andalouse prendra place juste à côté.
Nous pouvons résumer ainsi les étapes de la construction de la ville andalouse : un premier groupe d’immigrés s’établit vers 1610 sur les lieux et construit le premier noyau de la ville tout près de la cité romaine et médiévale. Dans les années qui suivirent, un deuxième groupe de réfugiés vient se joindre au premier. Tébourba profite de cet apport de population pour s’étaler vers la Medjerda ; de nouveaux quartiers viennent se greffer au premier noyau. Les deux composantes de la petite agglomération fusionnent et forment une seule et même cité complètement intégrée. La ville, qui s’organise autour d’une grande place, se dote alors d’une grande mosquée, d’oratoires de quartier, d’écoles coraniques, d’un souk permanent complété par un souk hebdomadaire, de hammams, de fondouks, d’huileries, etc. De son côté, la bourgade médiévale a continué à exister sous la forme d’un hameau formé par quelques habitations modestes se trouvant non loin de la ville andalouse sur le site de la ville antique. Victor Guérin, qui visita les lieux en 1860, signale que le site antique jouxtant la ville andalouse est occupé par la zawiya de Sîdî Gharsallah et un petit village (dachera) qui porte le même nom. Il est probable qu’il est question des restes de la localité médiévale. « Beaucoup plus grande que la ville moderne, la ville antique s’étendait en dehors de la première, sur une colline que couronne une zaouïa vénérée sous le nom de Sidi-Rhars-Allah ; elle comprenait aussi la dachera Rhars-Allah, petit village ainsi appelé à cause du voisinage de la zaouïa précédente »(59).
La ville andalouse connait une certaine prospérité qui a continué pendant plus d’un siècle malgré quelques troubles provoqués par le passage périodique des troupes de Tunis, al-mahalla, pour collecter les impôts et parfois affronter les troupes venues de la Régence d’Alger. Francisco Ximénez signale que les localités andalouses voisines de Grich-el-Oued, Medjez-el-Bab et Slouguia ont été évacués de leurs habitants par Ibrahim al-Sharîf (1702-1705) et ont beaucoup souffert de cette évacuation ; les séquelles étaient visibles deux décennies après les événements. « Au temps du Bey Serife, Seluquia s’est dépeuplé, car, pour que les Algériens qui étaient en guerre contre lui, ne trouvent personne pour leur donner à manger, le bey ordonna qu’on quitte tous les villages et qu’on vienne s’installer à Tunis. Certains s’exécutèrent, d’autres ont refusé et ils ont bien fait. C’est à cause de cela que plusieurs maisons sont tombées en ruine » ; puis il remarque la même chose à el-Babo (Medjez-el-Bab) et à Gressi Luat (Grich-el-Oued)(60) ; deux villages proches de Tébourba. Celle-ci a peu souffert de cette évacuation et a récupéré rapidement, c’est pourquoi Ximénez ne la mentionne pas.
Ainsi, depuis sa refondation par les Andalous et jusqu’au déclenchement des hostilités entre Husayn b. cAlî et son neveu en 1728, la ville va connaitre une période de richesse et une certaine prospérité confirmée par le nombre des fondations : les principaux monuments historiques de la médina remontent à cette époque. Les guerres dynastiques qui ravagèrent à plusieurs reprises la régence entre 1728 et 1756 n’ont pas épargné Tébourba. La ville se trouve sur la route des armées en opposition, et notamment l’armée algérienne venant de l’ouest qui a envahi le pays à plusieurs reprises ; ainsi en 1734, à l’annonce de l’arrivée de l’armée algérienne, Tébourba est désertée par sa population sur ordre du bey Husayn Ben cAlî (61). En 1746, cAlî Pacha adresse, à son tour, un ordre ferme aux habitants de quelques villes dont Tébourba, d’évacuer leurs cités, tout en leur interdisant d’entrer dans la capitale : « ils durent abandonner leurs localités et errer comme des nomades, avec leurs familles et leurs enfants »(62). Le même Pacha ordonne de nouveau au début du printemps de l’année 1756, d’évacuer toutes les localités que devait traverser l’armée algérienne. L’ordre fut donné deux ou trois mois avant l’arrivée des troupes dirigées par le bey de Constantine ; celle-ci fait son apparition devant le Kef le 10 juin de la même année. « Ces population quittèrent leurs foyers au milieu des larmes et durent se résigner à leur triste sort »(63). Après leurs victoires, l’assassinat du Pacha et le saccage de la capitale, les Algériens, sur leur chemin de retour, passe, au début du mois d’octobre 1756 par Tébourba(64). Le chroniqueur Ben Youssef qui rapporte l’information passe sous silence le pillage dont elle fut l’objet, toutefois la dévastation que subit Tunis par ces mêmes troupes peut donner une idée de l’ampleur des pertes humaines et économiques de la ville.
Cependant, les conséquences démographiques de cette guerre se sont atténuées puisqu’en 1762, un groupe important parmi les habitants d’un foyer de révoltes, djebel Waslât, chassés par cAlî Bey de leur montagne et des plaines bordières, vint s’installer à Tébourba et dans sa région, attiré par la richesse du pays. Les Waslâtiya allait devenir un groupe influent dans la ville, par moment le groupe le plus influent ; au XIXe siècle, certains dirigeants locaux étaient des Waslâtis.
Depuis la restauration husaynite en 1756 et jusqu’à l’avènement du protectorat français en 1881, nous assistons à une reprise des activités. Plusieurs zawiyas furent fondées pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, mentionnons celle de Sîdî Ben cIssa et celle de celle de Sîdî Ibn Hassîn. Malgré la crise qu’a traversée tout le pays durant la cinquantaine d’années qui ont précédé le protectorat français, Tébourba va profiter dans un premier temps de la fondation d’Ahmad bey à El-Battan d’une importante fabrique de draps, en 1839 ; ajoutons que la réalisation d’une ligne de chemin fer la reliant à la capitale, en 1876, a contribué à un certain essor de ses activités.
Le témoignage de Guérin qui visita la ville en 1860, confirme que la ville était moins touchée que les autres contrées du pays par les crises du XIXe siècle : « Tébourba est une petite ville un peu moins délabrée que la plupart de celles de la Tunisie. Elle renferme trois mosquées et plusieurs zaouïas. Sa population est de deux mille cinq cents habitants »(65). Alors que d’autres cités andalouses de la même taille ont perdu plus que la moitié de leur population, Tébourba avait environ 2500 habitants, un nombre proche de celui du XVIIe siècle, époque de sa fondation et de sa prospérité.
Sous le Protectorat, Tébourba devient un centre de colonisation ; des fermes sont implantées dans les environs et un village agricole européen vient se greffer à la médina de Tébourba. Habitée par des agriculteurs, des commerçants, des fonctionnaires, la cité européenne va prendre de l’importance et attirer des équipements urbains ayant différentes vocations : habitations, commerces, école, église, municipalité, dispensaire, etc.(66).
Fig. 21 : Tébourba et l’aménagement de son terroir. Carte topographique publiée dans l’Atlas archéologique de Tunisie, 1892-1932.
3.2- La mise en valeur des terres et les activités agricoles
Bâtie sur la rive gauche de la Medjerda, la cité andalouse occupe une plaine étroite et déchiquetée par les méandres de la rivière et de ses affluents. Le site occupé par la ville est assez bas avec des cotes variant entre 27 et 26, le même niveau que les berges de la rivière ; les inondations au niveau du barrage d’El-Battan, tout près, étaient provoquées en élevant l’eau à 28,5. Cette plaine est cernée de plusieurs côtés de collines et de montagnes ; la ville et son terroir sont bordés sur les côtés Est et Nord-est par djebel Maïna (186m) et sur les côtés Ouest et Nord-ouest par un massif assez élevé formé de plusieurs petites montagne dominées par djebel Lansarine (563m). Du côté Sud les hauteurs sont assez éloignées de l’oued et se situent au-delà de la rivière : djebel el-Gassa (145m) et djebel Mahrine (148m).
L’aménagement du terroir de la localité s’est effectué, depuis le XVIIe siècle, sur la base d’une polyculture méditerranéenne habituelle. Une première ceinture de culture intensive irriguée proche de la cité (cultures maraîchères, arbres fruitiers, tels que vignes, pommiers, pêchers, abricotiers, etc.) ; puis une deuxième ceinture très étendue, formée par des vergers plantés d’oliviers. Les grandes propriétés cultivées de céréales, les henchirs, tenues par des grands propriétaires et des fondations religieuses, forment la troisième ceinture et au-delà s’étendent sur les hauteurs les pâturages et les forêts. « Le district de Tébourba, note un rapport français, est riche et fertile. Il produit des céréales en grande quantité ; la récolte des olives est abondante, la culture maraîchère est très développée et très variée »(67).
Les jardins potagers se concentrent au sud de Tébourba dans une zone dite al-Dokhâniyya(68) ; elle est formée de petites parcelles avec des cultures irriguées ; l’arrosage s’effectuait à partir du pont-barrage par des inondations saisonnières et par des canaux d’irrigation acheminant l’eau du barrage situé à environ mille mètres des lieux. Certaines parcelles sont pourvues d’un puits qui fournit un complément d’eau nécessaire pour l’arrosage pendant la saison sèche. Dans leur voyage effectué vers 1880, René Cagnat et Henri Saladin donnent une description des jardins et des oliveraies qui entouraient la ville : « Un grand pont, jeté sur la Medjerda, réunit El-Bathan à Tébourba. Entre le pont et le village s’étendent de belles plantations d’oliviers ; car Tébourba est entourée de grands vergers, qui font la seule richesse du pays. Au moment où nous allons y entrer, nous apercevons, à droite, des Arabes qui se font un jardin ; ce n’est encore, pour le moment, qu’un vaste espace carré, complètement nu, enfermé dans un retranchement ; mais ils y planteront des arbres de toute nature et en retireront quantité de fruits, surtout des abricots, nous dit Mohamed ; les fruits seront vendus à Tébourba même, à Tunis et aussi sur place à des Arabes qui se rendent chaque année, dans la saison, en pèlerinage à un marabout voisin »(69).
Au-delà de la zone des jardins potagers s’étendent, vers le nord, l’est et l’ouest, une deuxième zone formée de vastes vergers d’oliviers. Vers l’Ouest, ces plantations suivaient les méandres fortement encaissées de la Medjerda, sur ses deux rives, et arrivaient jusqu’aux pieds du djebel El-Aroussia, à 8 kilomètres d’El-Battan(70). Vers l’Est, les plantations d’oliviers bordent la Medjerda et contournent djebel Maïna pour rejoindre l’oliveraie de Djedeïda et former avec elle une des plus importantes forêts d’oliviers de la région. Les premières cartes topographiques réalisées au début du Protectorat donnent une idée sur l’étendue de cette forêt d’oliviers et nous aident à restituer le paysage ancien de la période ottomane. Le nombre important d’huileries dans la ville, depuis le XVIIe siècle prouve également l’importance de cette activité. L’oliveraie de Tébourba s’étendait ainsi sur près de treize kilomètres ; elle portait le nom de la forêt d’oliviers, ghabet al-Zaytûn, et avait des amîn-s, des expert disposant d’un pouvoir administratif et judiciaire ; à leur tête un chef, al-amîn al-akbar, qui était nommé par le bey de Tunis en personne et considéré comme une des notabilités de la ville ; un acte daté du milieu de jumâda 1er 1301/13 mars 1884, indique que Muhammad b. Ahmad b. Thalja al-Zawâwî occupait ce poste(71). Un autre acte révèle qu’Ahmad b. Mustafâ b. al-Hâj était, en 1825, l’amîn de la forêt d’oliviers de Tébourba et cAlî b. Muhammad b. cAlî al-Lawâtî était carif ghâbet Qatac al-Wâdî, oliveraie sise à l’ouest Tébourba et faisant partie du finage de la localité(72). Le terme carîf est presque synonyme d’amîn, désignant un expert qui un pouvoir judiciaire et administratif dans le domaine de la gestion des plantations d’oliviers. Dans ce cas particulier, l’amîn a plus de prestige et de pouvoir que le carîf.
Au-delà des oliveraies s’étendent les champs de céréales. Les différents henchirs sont le domaine privilégié de la culture de blé et d’orge notamment. Les principaux henchirs sont : à l’ouest de Tébourba, henchir el-Touta, henchir Toungar, henchir al-Dakhla, henchir Bou Ali ; près de Chouigui, henchir Sîdî al-cArbî, henchir Sîdî Salem. Il faut ajouter au finage de Tébourba, les henchirs de la rive droite de la Medjerda, du côté du pont-barrage d’El-Battan comme henchir Dourguiche, henchir al-Attermine (al-Hathramîn), henchir Krour el Bey, henchir Tlit, henchir Morra, etc. Depuis le XVIIe siècle, ces domaines étaient des propriétés de ceux qui tenaient le pouvoir à Tunis, de leur entourage et de certaines familles riches tunisoises. Certains domaines, comme celui d’al-Hathramîn, étaient tenus successivement par Youssef Dey, ses héritiers ; puis par des Mouradites et à partir du XVIIIe siècle, sa possession passe aux Husaynites. Il est vrai que certaines parcelles prises sur les henchirs appartenaient à des Tébourbiens ou à des fondations religieuses à Tébourba et notamment les mosquées, les zawiyas et les kuttâb-s(73). Certaines fondations religieuses de Tunis détenaient également des propriétés à Tébourba, telles la mosquée de Youssef Dey, la Zaytûna et la mosquée Subhân-Allah sise au quartier des Andalous ; la madrasa des Andalous ; les zawiyas de Sîdî Mucawiya, de Sîdî Mansûr, Sîdî Gharîb, Sîdî Salem, Sayida M’sîka, etc. Des fondations dans d’autres villes andalouses avaient des terres et des vergers à Tébourba, ainsi des grandes mosquées de Medjez-el-Bab et de Djedeïda(74).
Les champs des céréales sont cernés par les collines et les montagnes couvertes de forêts qui fournissaient le bois et on y cherche occasionnellement le gibier. Ces collines et montagnes sont, en outre, des zones de pâturages pour le cheptel de la ville. A Tébourba, le petit élevage occupe une place importante, associé à l’agriculture. Les monticules, les ravins non cultivés constituent autant de parcours pour les vaches, les chèvres et les moutons, en petit nombre, appartenant aux nombreux citadins pour qui l’élevage est une activité d’appoint. En plus des bêtes de somme et de labour du propriétaire, le kurrân des habitations de la médina peut abriter également son petit troupeau. De même, dans le marché hebdomadaire du bétail de Tébourba, les transactions portaient sur le petit cheptel des Tébourbiens, mais aussi sur celui, beaucoup plus important, des tribus voisines.
En résumé, il ressort de cette rapide présentation du milieu géographique, que Tébourba occupe un site relativement favorable à des activités humaines diversifiées : maraichage, arboriculture, oléiculture, labours et parcours. Le centre urbain est étroitement lié à son terroir. Par ailleurs, le paysage environnant, profondément marqué par l’établissement des Andalous au début du XVIIe siècle, porte toujours les traces des aménagements réalisés à cette époque. L’aménagement du terroir environnant et la vivification de terres abandonnées depuis longtemps constituent, plus que les réalisations architecturales et urbanistiques, l’apport principal de la communauté andalouse à la région.
Soulignons aussi que Tébourba, qui est à une trentaine de kilomètres de Tunis, avait des liens très étroits avec la capitale. Comme nous venons de le noter, une partie de la forêt d’oliviers de la ville et les grands domaines des environs étaient en possession de l’oligarchie ottomane au pouvoir et de quelques notabilités tunisoises. Nombreuses parcelles étaient des biens-waqf au profit de fondations religieuses de la capitale. Des parts importantes de la production maraîchère, des fruits, de l’huile d’olive, des légumineuses et des céréales étaient destinées aux marchés de Tunis. Faut-il ajouter que Tébourba achetait de la capitale des outils agricoles, des vêtements, des matériaux de construction, etc. : « Les habitants actuels, note Victor Guérin, descendent pour la plupart de Maures andalous. Ils cultivent autour de Tébourba de fertiles vergers, dont les fruits contribuent à alimenter les marchés de Tunis »(75).
3.3- Urbanisme et activités urbaines
La lecture du plan de la médina de Tébourba révèle deux moments dans l’installation des immigrés morisques dans la cité. En effet, d’après les données topographiques, nous pouvons imaginer que la construction de la ville andalouse s’est faite en deux temps : un premier groupe d’immigrés s’établit sur les lieux et construit le premier noyau de la ville au début de l’immigration qui a continué de 1609 à 1614. Ce noyau s’organise autour d’une grande place et était protégé par une muraille en terre construite hâtivement. Quelques temps après, probablement vers la fin du flux migratoire ibérique, un deuxième groupe de réfugiés vient se joindre au premier. La petite cité profite de cet apport de population pour s’élargir. La petite muraille qui protégeait le premier noyau est rasée et remplacée par une rue demi-circulaire et on édifie alors de nouveaux quartiers qui s’étendent au-delà de cette rue qui porte depuis le nom de la Septa (ceinture). Une muraille, assez modeste, fut construite pour protéger les nouveaux quartiers qui sont venus se greffer au premier noyau ; comme la précédente, cette muraille a une forme demi-circulaire et représente une deuxième ceinture entourant la cité. Les deux composantes de la petite agglomération, le premier noyau et l’extension, fusionnent et forme une seule et même cité complètement intégrée. Ce qui restait de la bourgade de la fin du Moyen Age se trouvait sur la périphérie de la cité et formait un hameau ou une sorte de petit faubourg, très modeste. La ville avait alors une grande mosquée, des oratoires de quartier, des écoles coraniques, des zawiyas, un souk permanent, des hammams, des fondouks, des huileries, des meuneries, etc.
Fig. 22 : Les composantes urbaines de la ville.
La ville de Tébourba s’est modelée ainsi au XVIIe siècle, époque de la fondation, de l’expansion et de la prospérité de la ville. La médina actuelle, qui s’inscrit dans les limites de celle de cette époque, couvre une superficie de près de 16 hectares ; elle se caractérise par des habitations serrées les unes contre les autres et organisées chacune autour d’une cour intérieure(76). Elle est jalonnée par des ruelles qui convergent vers une place rectangulaire qui représente l’élément principal de la structure urbaine.
Cette ville était entourée de murailles modestes construites hâtivement probablement en terre ; au XVIIIe siècle, Francisco Ximénez les signale et parle de murailles légères(77). A la veille du Protectorat, Villot indique que la cité est dotée d’un petit mur bastionné(78). Les murailles apparaissent également dans des actes anciens : « la totalité de la parcelle délimitée sur le côté ouest par les murailles » ou le bien immobilier « délimité sur le côté nord par la rue qui mène vers les murailles de la ville »(79). La toponymie actuelle et les actes indiquent également que les murailles de la ville andalouse étaient dotées de portes ; quatre noms apparaissent : Bâb al-Souk, à l’est, Bâb al-Wâdî à l’ouest ; Bâb Mateur au nord-ouest et Bâb al-Krârit (les Charrettes) au nord-est. Bâb al-Souk est signalé par plusieurs documents de waqfs relatifs à l’huilerie al-Rîkadhûn, au Fondouk al-Rîkadhûn, au hammam qui leur est contigu, indiquent que cette porte ferme une rue intégré dans le souk et menant vers la Grande place ; une rue bordée de boutiques, d’un hammam, de fondouks et d’huileries. Une petite ruelle non passante reliée à cette rue portait le nom de Zanqat al-Fanâdiq, la ruelle des Fondouks(80).
L’emplacement de Bâb al-Krârit, la porte des Charrettes, est précisé par un acte conservé dans des archives de l’ASM de Tébourba. Le document est relatif à une maison objet d’un conflit entre les héritiers de Hamda b. Sâssî : « la totalité de la maison ouvrant vers le nord, située près de la zawiya de Sîdî Thâbet al-Ansârî et de la place Bastwîla, du côté de Bâb al-Krârit »(81). Bâb al-Krârit et Bâb Mateur sont deux portes distinctes ouvertes sur le même côté ; la première tout près de l’extrémité nord de la première ceinture et la seconde, un peu plus loin, au niveau de la deuxième ceinture ; elle donnait vers un chemin qui menait vers henchir Chouigui. Ces murailles et leurs portes protégeaient la ville des incursions des tribus nomades ou des attaques de bandes de brigands, mais elles ne pouvaient pas résister à des armées organisées.
Fig. 23 : La place centrale ou la place du marché représente le coeur de la ville andalouse.
Les murailles ont disparu depuis longtemps, mais la médina a gardé son tracé ancien ; celle-ci présente un plan assez régulier : les rues de 5 à 6 mètres se croisent de façon orthogonale, huit d’entre elles convergent vers la grande place rectangulaire qui constitue l’élément principal de la structure urbaine. Ici, la grande stabilité du tracé des rues contraste avec les ruelles étroites et sinueuses des médinas tunisiennes de l’époque. La rareté des impasses représente une autre caractéristique du tracé de cette ville historique. Ce plan régulier témoigne d’un urbanisme intentionnel, la ville ayant été bâtie par les immigrés morisques vers 1610.
A Tébourba, la place centrale est de plan rectangulaire et se trouve au coeur de la ville andalouse. L’ensemble du tissu urbain s’articule autour de cette place qui est l’aboutissement de 8 rues. Elle est entourée de la grande mosquée, d’un oratoire de quartier qui porte nom de masjid al-Souk ou masjid Yakourî, de cafés et de boutiques à vocations commerciales et autres. Des fondouks, des huileries, un hammam s’élevaient tout près et complètent ses diverses activités sociales et économiques. En effet, la place du Souk ne constitue pas ici simplement un espace d’articulation, de circulation et de distribution mais également un espace de rencontre, d’échange et de cohésion de la communauté urbaine. Elle rappelle la plaza mayor des villes espagnoles. En citant l’exemple de la place de la ville andalouse de Testour, Francisco Ximénez nous rapporte dans son journal du jeudi 20 octobre 1724, que ses habitants morisques y organisaient des pseudo-corridas et avaient des fêtes de taureaux à l’espagnole(82). Cette place centrale de Tébourba remonte à l’époque de la fondation de la ville andalouse au début du XVIIe siècle. D’après le plan actuel, celle-ci apparait comme un centre planifié dont l’édification a été réalisée selon un plan préconçu, certainement à la même époque que le tissu urbain dont elle fait partie.
Fig. 24 : La grande place ou place du marché. Photo : Mohamed Mezi, 1991, p. 57.
Les informations données par Francisco Ximénez (1724), les descriptions d’autres récits de voyage et les cartes postales anciennes nous révèlent que la grande place de Tébourba a subi peu de transformations. Les plus importantes sont assez récentes et sont postérieures à la seconde guerre mondiale ; en effet, à partir de novembre 1942 et jusqu’aux premiers mois de l’année suivante, la ville fut, et des semaines durant, le théâtre d’une bataille dévastatrice entre les troupes de l’Axe et celles des alliés et a subi d’importants bombardements et destructions. Après la guerre et pendant la période dite de la Reconstruction, des monuments, comme la grande mosquée, furent restaurés et certaines boutiques furent également reconstruites, un marché a été bâti près de l’angle nord-est et des arcades furent ajoutées sur les côtés de la place et à certaines rues avoisinantes. Depuis les évènements de 2011, cette belle place historique a été défigurée et occupée par des constructions sommaires, des étals anarchiques et par le commerce parallèle.
De plan rectangulaire, 75 m de long et 38 m de large, cette place assez spacieuse portait le nom de place du marché, Bathat al-Souk, et représentait le centre économique de la cité. Elle était, en effet, bordée de tous les côtés par des boutiques. Ces échoppes adossées aux habitations et aux autres bâtiments qui leur sont attenantes étaient très simples, d’environ deux mètre de largeur et 3 mètres de profondeur et ouvraient sur la place par des portes assez larges qui se fermaient par deux battants. Leurs façades étaient fréquemment protégées par des auvents en bois ou en tuiles creuses qui leur donnaient une belle apparence. Les toitures des boutiques étaient, jusqu’à la deuxième Guerre mondiale, en appentis et étaient couvertes presque toutes par des toits en tuiles creuses avec un seul versant. De rares boutiques étaient doublées d’un étage faisant usage d’entrepôts ; ces étages dits culwî étaient éclairés par de grandes fenêtres donnant sur la place(83). Les boutiques débordaient au-delà de la place centrale sur quelques rues voisines ; elles étaient souvent des pièces prises sur une partie des habitations adjacentes et transformées en commerce. Une des rues qui arrivent jusqu’à la place centrale porte le nom des Tisserands, al-Houkia ; il est probable que les artisans et des commerçants spécialisés dans les métiers du textile occupaient une partie de cette rue.
Fig. 25 : La grande place. Les corridas du XVIIe siècle étaient remplacées par des fantasias, spectacles équestres traditionnels ; de tels spectacles se déroulaient sur les lieux en présence d’un public nombreux. Carte postale datant des années 1900. Collection Chawki Dachraoui.
Un rapport français indique que « dans la ville toutes les industries arabes comptent des représentants ». Ainsi, la diversité des activités était une des caractéristiques de ce petit souk de plusieurs dizaines de boutiques : des activités nécessaires aux habitants de la cité et aux paysans des environs. Il est question de professions à caractère commerciales ou de métiers pratiqués par des artisans. On y rencontrait également des activités qu’on peut classer parmi les services : ainsi, des établissements tels les cafés, les fondouks ou les hammams employaient un personnel nombreux nécessaire pour les services qu’offraient ces établissements. De même, le shaykh, le khalifa, le qadi et les notaires avaient pour bureaux des boutiques dans le souk. Au XIXe siècle et probablement même avant, et pour se distinguer l’un des chefs de la ville, un shaykh ou un khalifa, s’est fait construire un pavillon au milieu de la Grande place. Dans ce pavillon à colonnades, il dirigeait la ville au nom du bey, menait ses activités et recevait les invités. Dans leur voyage effectué vers 1880, René Cagnat et Henri Saladin notent que « Sur la place, au centre, s’élève une sorte de pavillon, où le khalifa se tient comme dans un hôtel de ville ; il y reçoit les étrangers et leur offre le café, comme il le fit pour nous »(84). Le pavillon apparait sur des photographies anciennes ; il rappelle les qubba-s, les kiosques ou belvédères, utilisés par les beys husaynites pour des moments de détente, pour recevoir des invités ou pour rendre la justice ; citons l’exemple de Kobbet al-Hawa qui se trouvait dans les jardins du palais de la Manouba et fut transférée au parc du Belvédère(85).
Les activités traditionnelles du souk étaient complétées par d’autres activités dispersées dans la médina ou dans ses environs (meunerie, huilerie, fabrique de savon, etc.) et par le marché hebdomadaire. A ce propos, Francisco Ximénez donne une information de première importance qui nous laisse supposer que le marché du vendredi remontait au XVIIe siècle, à l’époque de la fondation de la ville andalouse ; il note dans son journal du 13 juillet 1724 que « Tous les vendredis, ils ont un marché ouvert ; on y accourt pour acheter et vendre, des douars et villages avoisinants »(86). Ce marché se tenait sur la Grande place de la ville le vendredi, du début de la matinée au milieu de la journée. La ville connaît alors une animation particulière avec l’afflux des paysans et des habitants des environs. Cette affluence profitait aux commerçants et artisans du souk.
Les documents du waqf révèlent aussi que la grande place de Tébourba était pourvue de points d’eaux, appelés parfois sabil, mais le plus souvent khabiyya, il s’agit d’un dispositif des plus simples permettant à ceux qui fréquentaient les lieux de se désaltérer. Les khâbiyya-s sont de grandes jarres placées dans un petit local ; une tasse attachée au récipient permettait aux passants de se servir pour puiser l’eau et étancher leur soif. Un inventaire des waqfs de Tébourba daté du 15 Rabîc II 1291/ 1er juin 1874 signale une oliveraie habous au profit de plusieurs khâbiyya-s sises dans le souk qu’on remplissait d’eau destinée pour ceux qui cherchent à se désaltérer ; le gestionnaire du habous était Muhammad b. cAtiyya, un habitant de Tunis(87). Un autre acte, daté de l’année 1875, révèle que ces khabiyya-s, appelées ici sabîl-s, en plus de l’oliveraie déjà citée, avaient comme biens-waqfs quatre boutiques(88). Un autre document signale une boutique constituée waqf au profit de l’eau des khabiyya-s du Souk. Pour préciser l’emplacement de l’une d’elle, un acte, daté des débuts de shacbân 1299/18 juin 1882, indique que ses limites sont « à l’est, le souk sur lequel ouvre sa porte ; au sud, la boutique de mustafâ qui lui a donné son nom ; au nord, la boutique de Sâlih b. cAmmâr al-Jiljlî al-Zawâwî et à l’ouest, cAbd Allah b. Ahmad al-Gafsâwî »(89). Ceci implique que ces jarres étaient abritées dans de petits locaux se fermant par des portes. Nous ne connaissons pas l’emplacement de toutes ces Khabiyya-s ; elles étaient installées dans différents endroits autour de la Grande place. Nous pensons que l’une d’elles se trouvait près de la grande Mosquée. Ajoutons que les documents des archives étudiés confirment qu’une autre khâbiyya se trouvait près de la mosquée d’al-Hâj Ramdhân al-Andalusî et donnait sur la Grande place. Plusieurs documents nous inclinent à penser que cette la mosquée est celle qui, à partir la seconde moitié du XIXe siècle, portera le nom le nom masjid al-Yakûrî (90).
Pour finir, soulignons que la place centrale de Tébourba était au coeur des activités urbaines de la cité et rappelle ainsi « la plaza mayor » des villes espagnoles. Près de l’angle sud-ouest de la place s’élève le principal bâtiment de la ville, la grande mosquée et son minaret qui domine les lieux ; le côté opposé, nord-est, a reçu masjid Yakouri, une petite mosquée des plus ancienne de la ville, pourvu lui aussi d’un petit minaret. Des boutiques et de petites échoppes entourent la place de tous les côtés et débordent sur les rues alentour ; on y trouve des commerces, différents métiers artisanaux, des bureaux de notaires ou des cafés. Non loin, se trouvaient des établissements importants de la ville, tels les fondouks, les hammams et les huileries. Débordant de vie, la place représentait le lieu de sociabilité par excellence. Quotidiennement les gens s’y rendaient pour faire des achats, s’y rencontraient pour discuter ou pour siroter un café. Le vendredi, elle recevait le marché hebdomadaire. Occasionnellement, elle pouvait recevoir les festivités et les jeux : des corridas, comme cela se passait à Testour, s’il l’on croit Francesco Ximénes. Des photographies anciennes indiquent que des fantasias, spectacles équestres traditionnels, se déroulaient sur les lieux en présence d’un public nombreux. Des processions des confréries religieuses se passaient également sur cette place.
Les quartiers résidentiels s’étendent autour de la place centrale et du souk. Ceux-ci se caractérisent par des habitations serrées les unes contre les autres et organisées chacune autour d’une cour intérieure. Les maisons de Tébourba sont modestes, d’un plan méditerranéen : une entrée en chicane qui mène à un patio entouré de chambres d’habitation(91). Il est question souvent de maisons avec un seul niveau comprenant des chambres pour le logement ouvrant sur une cour à ciel ouvert. Le patio autour duquel s’ordonnent les différentes composantes de l’habitation est quelquefois orné de plantes à fleurs odoriférantes, tels le rosier, le jasmin ou le citronnier ; une pratique ancienne dans le pays, mais qui a été développée par les Andalous. Nous rencontrons encore aujourd’hui dans la médina Tébourba, de vieilles maisons joliment agrémentées perpétuant cette tradition.
Fig. 26 : Dar Ben Saad. ASM Tébourba. D’après les relevés des étudiants de ENAU, 4e année 2007.
Trois ou quatre pièces d’habitation ouvrent sur le patio. Celles-ci sont peu profondes, autour de 2,50 m, et relativement longues, puisqu’elles peuvent atteindre 8 m. Un espace réservé au service avec bayt al-mûna, la cuisine ou bayt al-nâr, et un autre espace servant d’écurie, kurrân, complètent chaque habitation. Le Kurrân est une autre spécificité de la maison de Tébourba. Le terme provient du nom espagnol korral qui désigne un lieu fermé et découvert attaché à une habitation et qui peut servir comme écurie ou basse-cour, etc. A Tébourba, comme à Testour ou à Zaghouan, il représente une annexe importante pour plusieurs habitations, des plus modestes aux plus spacieuses. Cette dépendance est repoussée souvent vers l’arrière de l’habitation. On y accède soit à partir du patio, soit directement de la rue par une rue qui lui est propre. Son sol en terre battue, peut recevoir des constructions sommaires, provisoires ou durables pour les séparations des bêtes ou pour protéger les lieux d’activités ménagères. Il renferme parfois un petit four dit tabûna ou une fosse septique.
Les maisons étaient pourvues parfois d’un culwî, véritable grenier, situé à l’étage, au-dessus du vestibule ou au-dessus d’une aile de la maison. On y accédait par un escalier droit placé dans le vestibule ou dans un angle de cour. Cette pièce basse et aérée par de petites ouvertures serait au le stockage des réserves alimentaire, tels les fruits secs (figues, raisins), les légumes (filets de tomates, ou poivrons) les olives salées. On y place également des jarres remplies d’huile d’olive, des sacs de blé, de couscous, de fèves, de pois chiches, de lentilles, d’épices, etc.(92). Les maisons étaient également quelques fois dotées d’un puits et d’une citerne. Les actes notariés révèlent que parfois deux maisons ou plus avaient un puits en commun. Un acte daté de la fin du mois dhû al-hijja 1256/22 février 1841 signale que la maison dite d’al-Wajhâni et celle d’al- Jijlî avaient un puits en commun(93).
Comme nous l’avons souligné, les composantes de l’habitation à Tébourba apparaissent dans les anciens actes notariés de façon assez explicite. Nous citons un extrait d’un acte daté de la fin du mois ramadan 1284/25 janvier 1868 pour monter le genre d’informations qu’ils peuvent révéler. Après avoir précisé l’emplacement d’une maison à Tébourba faisant partie de l’héritage laissé par Muhammad al-Qasrî , il indique qu’elle est pourvue d’un kurrân qui lui est attenant, sur le côté nord ; de trois buyût, pièces ; d’un petit culwî érigé sur la saqîfa, le vestibule, un autre culwî élevé sur la chambre nord et un puits intarissable sous la galerie de la cour de la maison(94).
Fig. 27 : Quelques traces d’une couverture en tuiles creuses qui protégeait une vielle maison à Tébourba. Photo de Kais Ben Achour 24-11-2018.
Au XVIIIe siècle, Peyssonnel et Ximénez indiquaient que les maisons de Tébourba étaient couvertes de toitures en tuile ronde, comme en Europe. A une époque récente, Mohamed Mezzi qui a connu la ville avant les destructions de la seconde guerre mondiale, affirme que ce type de couverture était dominant jusqu’à la guerre. Les toitures en tuile creuse qui distinguaient les habitations de la ville et qui revoient aux origines hispaniques des fondateurs, ont disparu par la suite de toutes les habitations ; elles ont été remplacées par des couvertures en terrasse selon les techniques habituelles du pays : « Les maisons et leurs dépendances étaient couvertes de rondins apparents de bois de genévrier très durs. Ils reçoivent des tuiles de forme semi-cylindrique longues de près d’une coudée, fabriquées localement jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Le dernier atelier connu à cette époque fabriquait les tuiles et les poteries ; Tébourba en avait plusieurs. Les rondins reçoivent une couche de plâtre renforcée par des tessons sur laquelle on pose les tuiles selon un plan d’une faible inclinaison vers la cour de la demeure »(95).
3.4- Les monuments et l’architecture
Rappelons d’emblée que le XVIIe siècle représente la période la plus brillante de l’histoire de Tébourba. Les principaux monuments de la ville andalouse datent de cette époque : la grande mosquée, deux oratoires de quartier, des zawiyas, le souk et ses boutiques, les deux hammams, etc. Le XVIIIe siècle nous a légué aussi des monuments d’un intérêt certain, telle la zawiya de Sîdî Ben cIssâ, l’une des plus importantes de la ville. Au XIXe siècle fut construite la zawiya de Sîdî cAlî cAzzûz, l’une des plus belles de la ville. Dans cet article nous présentons quelques bâtiments et établissements en nous appuyant sur nos observations sur le terrain et sur des documents d’archives très variés. Arrêtons-nous sur certains aspects relatifs à l’intérêt historique et architectural de tels établissements.
Fig. 28 : La répartition des monuments dans la ville. Plan de l’OTC 1977.
3.4.1- La Grande Mosquée
La grande Mosquée de Tébourba est le plus important monument de la ville. Les érudits locaux et certains historiens ont tendance à l’attribuer à des époques très reculées ; l’historien de Tébourba, Mohamed El Mezzi, fait remonter la grande Mosquée au Ve siècle de l’hégire/XIe siècle(96). Une lecture erronée d’une inscription découverte sur le minaret ces dernières années a amené d’autres historiens locaux à dater le monument du IIe/VIIe siècle. Amenant ainsi les Tébourbiens à se sentir fiers d’avoir la deuxième plus ancienne mosquée du pays, après celle de Kairouan ! Cette inscription a été découverte lors d’une opération de décapage et de restauration du minaret menée vers la fin des années 1990. En haut de la tour, au-dessus des fenêtres jumelées du côté Est, nous pouvons lire sur deux lignes en cursive maghrébine : ( سنة 1031 ، في جمادة ) signifiant « En l’année 1031, au mois de jumâda (mars-avril 1622) ». Le zéro, représenté par un point selon la numérotation de l’époque, c’est-à-dire les chiffres arabes orientaux, n’a pas été vu par les responsables de la restauration qui avaient, en plus, repeint la date pour plus de lisibilité. Cette faute grossière est encore aujourd’hui observable. Et pour commémorer cette découverte, une plaque en marbre a été scellée sur le monument pour confirmer que la mosquée date de l’année 131H/748 et pour plus de prestige au monument qui remonterait pratiquement à l’époque des mythiques de la conquête arabe. L’écriture cursive maghrébine du texte ne peut en aucun cas remonter au IIe/VIIIe siècle. C’est une écriture cursive caractéristique très commune dans le pays et dans son voisinage à l’époque ottomane et l’inscription date du début du XVIIe siècle comme nous l’avons dit.
Fig. 29 : Plan de la Grande Mosquée. Relevé effectué par Slim et Inès Badri.
Cette inscription est d’un intérêt particulier : elle donne des éléments de datation fiables relatifs à la grande mosquée de Tébourba et confirme les informations rapportées par les autres sources historiques. Les chroniqueurs nous disent qu’à leur arrivée les Andalous ont fondé des villes et des villages et les ont dotés de belles mosquées comparables à celles des grandes villes(97). Tébourba est, en effet, considérée comme l’une des principales cités andalouses du pays. Comme toutes les autres grandes mosquées de ces nouvelles fondations, celle de Tébourba a été certainement édifiée à l’époque de l’établissement des immigrés dans la cité. Il est fort probable que les travaux ont commencé vers 1614, date marquant la fin de l’immigration et l’arrivée des derniers groupes de réfugiés. Le chantier a duré quelques années et l’inscription du minaret date l’achèvement de l’édification du monument. L’élévation du minaret nécessitant un budget important, il est habituel que sa construction s’achève quelques années après celle de la mosquée proprement dite.
La mosquée est citée pour la première fois dans les documents d’archives, très rares pour l’époque, en 1629. Daté de cette année (1039 de l’hégire), un acte de waqf de la plus ancienne zawiya de Tébourba, celle de Sîdî Thabet, mentionne un four à pain sis auprès de cette mosquée et qui est habous de la zawiya(98). Il semble que quelques décennies après sa fondation, la mosquée ait subi une restauration importante en 1071/1660-1661. Mohamed Mezzi, qui rapporte cette information, se réfère à un texte inscrit sur un morceau de bois conservé dans la mosquée et perdu actuellement, sans donner plus de détails(99).
Une inscription qui court à la base de la coupole du mihrab indique aussi que, probablement suite à un effondrement partiel des toitures de la mosquée, celles-ci furent réparées et la coupole fut reconstruite. L’opération fut menée par al-shaykh Qûshlî Hamza et al-Hâj Muhammad Jacfar, à la date de la fin de fin de shawwal 1080 (23 mars 1670).
Voici le texte de l’inscription publié par Boutheina Fraj ; nous apportons ici quelques modifications (100):
بسم الله الرحمان الرحيم، صلى الله على سيدنا ومولانا محمد وعلى آله وصحبه وسلم تسليما.
أحمد الله الذي شرّف المساجد وبانيها بقوله تعالى : « إنما يعمر مساجد الله من آمن بالله واليوم الآخر وأقام
الصلاة وآتى الزكاة ولم يخش إلاّ الله ».
وبعد وقد […](101) قبّة؟ المبارك شأنها على يد الأجل المرعي الشيخ قوشلي حمزة والأجل الحاج محمد جعفر.
بتاريخ أواخر شوال عام ثمانين وألف (23 مارس 1670).
La grande mosquée de Tébourba avait des biens waqfs importants qui donnent des éclairages sur son histoire et celle de sa ville. Une liste tardive établie par le responsable des waqfs de la ville, nâdhir al-ahbâs, le 15 rabîcII 1991/1er juin 1874 relève que les biens-waqfs de ladite mosquée sont constitués d’oliveraies, de terres agricoles et de biens immobiliers situés dans la ville. Dans une autre liste établie l’année suivante, nous trouvons une énumération des biens-immobiliers : six boutiques et un entrepôt sis près de la Grande place, deux maisons d’habitation, le quart du Fondouk al-Rîkadhoun et le quart du hammam qui lui est contigu. Abî Muhammad Hammûda al-Rîkadhûn al-Andalusî est une personnalité importante de la communauté andalouse de Tunisie ; habitant Tunis, il était à l’époque en 1772, d’après l’acte du waqf que nous avons cité plus haut, également amîn de la corporation des fabricants des chéchias (al-shawwâshiya) de Tunis. La famille des Rîkadhûn a joué un rôle important comme le prouve son nom donné à un souk spécialisé dans fabrication de la chéchia qui s’interpose entre les souks des chéchias et Dâr al-Bey. La famille avait des propriétés dans d’autres villes andalouses comme Zaghouan.
Fig. 30 : La couverture actuelle de la salle de prière de la Grande mosquée. Photo de l’auteur, 08-05-2004.
Un autre acte de habous plus ancien confirme aussi que la ville avait des relations étroites avec la capitale. Citons l’exemple de ce notable tunisois qui n’avait pas oublié de faire profiter Tébourba de ses waqfs. Consigné à la date de la mi-shawwâl 1100/30 juillet 1689, dans un registre qui se rapporte à des fondations-waqfs de Tunis, cet acte notarié signale fortuitement que la mosquée de Tébourba profite d’une partie de la rente d’un waqf d’al-Hâj cAbd al-Mâlik Ibn Sacîd al-Qaffâl ; le fondateur avait des terres situées près la ville andalouse. L’établissement de l’acte est certainement plus ancien que la date de sa transcription dans le registre et remonterait à la seconde moitié du XVIIe siècle. Dans cet acte, il est indiqué que le fondateur a constitué des biens fonciers en waqfs au profit de plusieurs fondations religieuses de Tunis, principalement le Habous des deux villes saintes, la turba de Sîdî Mâdhî à al-Jallâz et la mosquée al-Huluq à Tunis. L’acte précise que sur l’ensemble de la rente, estimée 330 piastres, la somme de 50 piastres sera affectée à des fondations à Tébourba : 10 piastres pour les indigents de la ville ; 10 piastres pour les muezzines de la grande mosquée ; 10 piastres pour l’imam chargé de la khutba et 20 piastres pour les deux notaires de la ville, son cheikh, ses adjoints et le mandataire de la mosquée. Ces derniers étant chargés de la vente des récoltes du waqf et de la répartition des rendements des cultures suivant la volonté du fondateur(102).
La grande Mosquée de Tébourba s’élève au coeur de la ville. Elle se dresse au croisement de deux rues qui se rejoignent au niveau l’angle sud-ouest de la grande place ; l’une des deux rues porte son nom. L’orientation de la grande mosquée vers la qibla ne correspond pas à celle de la trame urbaine ; aussi, certaines de ses annexes, et notamment le minaret, furent déviées par rapport à l’axe médian de la mosquée pour joindre l’alignement du côté sud de la grande place. La mosquée primitive adopte un plan ifriqiyen, composé d’une salle de prière précédée d’un portique, d’une cour, d’un minaret et de quelques autres annexes(103).
La cour occupe la moitié nord de la mosquée avec des dimensions proches de celle de la salle de prière. Cette cour, qui a reçu le minaret sur son côté nord, est séparée de la salle de prière par une galerie narthex profonde de 3,10 m. Celle-ci ouvre sur la cour par des arcs brisés outrepassés portés par des colonnes taillées dans le calcaire clair et couronnées de chapiteaux sommairement sculptés proches du type dit hafside, exceptée une colonne en granit de remploi dont le chapiteau est de type corinthien. Refaite à l’époque coloniale, la couverture plate de cette galerie, avec des poutres métalliques, IPN, a remplacé à l’époque coloniale une charpente en bois.
La salle de prière, qui présente un plan rectangulaire orienté est-ouest (23 m sur 16,60 m), est de type hypostyle ; elle est divisée par un réseau de 38 colonnes en sept nefs de cinq travées. La nef centrale et l’allée qui longe le mur du mihrab sont plus larges que les autres. Les hauteurs des arcs qui portent les voûtes sont de 6,1 m, tandis que les hauteurs des voûtes varient entre 7,8 m et 8 m pour la nef axiale. La couverture de l’allée qui longe la qibla fut endommagée par les bombardements et remplacée par une toiture plate refaite après la seconde guerre mondiale. Les sept nefs perpendiculaires à la qibla sont couvertes de voûtes en berceau se terminant en arc de cloître.
Fig. 31 : Intérieur de la salle de prière de la Grande mosquée. Photo de l’auteur, 10-11-2018.
Il nous semble que la salle de prière primitive ait été couverte à l’origine par une toiture en tuile creuse qui fut remplacée lors d’une opération importante de restauration et de rénovation par sept voûtes en berceau se terminant en arc de cloître, parallèles à la qibla. Les sources historiques anciennes et des témoignages du siècle dernier affirment que les toitures en tuile creuse dominaient à Tébourba. En 1724, Jean-André Peyssonnel rapporte : « Tuburbo, petit village que les Maures revenus d’Andalousie ont rebâtit sur les ruines de l’ancienne ville ; les maisons y sont couvertes de briques rondes, comme en Provence, et bâties la plupart du temps dans le goût européens ». Francisco Ximénez confirme les observations de Peyssonnel : « Leurs maisons sont construites à la manière espagnole, avec toiture. J’avais l’impression que j’étais dans un village d’Espagne ». A une date récente, Mohamed El-Mezzi affirme que les toitures en tuile creuse étaient très utilisées dans la ville jusqu’aux années 1940 ; la ville avait ses propres ateliers de fabrication de tuiles(104). Les destructions de la Seconde Guerre et les rénovations qui suivirent avaient entraîné le remplacement de ce type de couverture des maisons par des toitures plates. Ainsi, nous pensons que la grande mosquée de Tébourba était, comme toutes les autres grandes mosquées des villes andalouses proches, situées sur les bordures de Medjerda, telles Testour, Slouguia, Medjez-el-Bab et Grich-el-Oued, couverte par des voûtes d’arête doublées d’un toit en tuile à quatre pans porté par un système de piliers établis sur l’extrados des voûtes. La mosquée de Grich-el-Oued a perdu ses toitures en tuile creuse vers la fin du XIXe siècle et celle de Medjez-el-Bab à une date plus récente, lors d’une opération d’agrandissement sauvage du monument en 1980.
Le remplacement des toitures de la mosquée de Tébourba par des voûtes est difficile à dater. La première hypothèse correspond à la date donnée par l’inscription qui se trouve à la base de la coupole, en 1670 : les voûtes qui couvrent actuellement la mosquée de Tébourba sont identiques à celles de la mosquée mouradite de Hammûda Pacha (1655). Mais Slimane Mustafa Zbiss signale que la mosquée de Tébourba avait dans ses réserves une poutre en bois indiquant que la couverture en charpente de l’édifice fut restaurée à la date de 23 muharram 1248/22 juin 1832(105). Ce qui laisse supposer qu’il y avait une charpente couvrant même partiellement la mosquée, la galerie narthex par exemple ou l’allée longeant le mihrab. Curieusement, nous ne connaissons pas actuellement de photographies de l’intérieur de la mosquée et de sa couverture datant de la première moitié du XXe siècle. Il se peut que des photographies d’avant la Seconde Guerre révèleront un jour de nouvelles données sur la nature des toitures de cette mosquée. Les couvertures actuelles ont été certainement partiellement ou complètement refaites après les destructions des années 1942-1943.
Fig. 32 : La Grande mosquée. Le mihrab. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
Fig. 33 : Des chapiteaux de type hispano-maghrébin sculptés dans les ateliers de Tunis. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
La couverture actuelle de la salle de prière repose sur des arcs portés des colonnes couronnées de chapiteaux très variés : une trentaine de colonne de calcaire clair et huit colonnes taillées dans différents marbres. Certaines sont de remploi et antiques ; elles sont parfois retaillées et adoptées à l’édifice. Les chapiteaux sont également très disparates : corinthien à feuilles d’acanthe dentelées ; corinthien à feuilles d’acanthe lisses ; composite ; hafside et hispano-maghrébin. Ce dernier type domine nettement ; il s’agit d’un modèle simplifié assez répandu dans l’architecture tunisoise du XVIIe siècle. Il est employé notamment dans le mausolée du dey Ahmad Khûja (1647) et dans Dar El-Mrabet (XVIIe siècle)(106). Les quatre chapiteaux des colonnettes du mihrab, du même type, ont pourtant un décor beaucoup plus soigné : la partie cylindrique de ces chapiteaux est enveloppée d’un méandre largement recourbée au sommet, alors que les côtés du parallélépipède qui le surmonte a reçu une arabesque formée de palmette d’une belle facture. Leur décor est identique à celui des colonnettes des mihrâb-s des mosquées de Hammûda Pacha (1655) et de Muhammad Bey (1697). Ces chapiteaux proviennent certainement d’ateliers tunisois. Nous pensons qu’une partie des colonnes et des chapiteaux de la mosquée provenaient de Tunis et avait remplacé des colonnes antiques en mauvais état employées hâtivement dans la première mosquée construite juste après l’établissement des Morisques dans ville. La mosquée aurait connu une restauration importante durant la seconde moitié du XVIIe siècle ; probablement au moment de l’édification de la coupole en 1670.
D’une hauteur de 10,40 mètres intérieurement, cette coupole qui remonte au XVIIe siècle est fort intéressante. Légèrement bulbeuse, elle repose sur une base carrée ; le passage du plan carré au plan circulaire s’effectue par l’intermédiaire de trompes d’angle en coquille. La base est percée de quatre fenêtres placées dans des arcs, en alternance avec les trompes d’angle. Elles sont fermées par des carreaux de vitraux colorés. L’intrados de la calotte est tapissé de stuc finement sculpté portant le motif classique du polygone étoilé. Sous le niveau des trompes court l’inscription déjà mentionnée qui date la coupole.
Fig. 34 : La coupole du mihrab de la salle de prière. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
Fig. 35 : A la base de la coupole une inscription historique qui date sa construction (1080/1670). Photo de l’auteur, 8-5-2004.
Le minaret, haut de 14 mètres jusqu’au niveau du parapet qui entoure la plate-forme finale, se dresse sur le côté nord de la cour et surplombe la place centrale de la ville. Par ailleurs, et pour se trouver sur l’alignement du côté sud de cette même place, ses bâtisseurs l’ont élevé sans tenir compte de l’axe principal de la mosquée, déterminé par la qibla et matérialisé par la nef centrale. Le minaret est flanqué, d’un côté par une petite salle annexe, et de l’autre par un piédestal qui porte un cadran solaire réalisé par Ahmad al-cUmarî en 1200/1785(107), un Gnomoniste qui a conçu d’autres cadrans à Bizerte, Sousse et Djerba(108).
Par sa forme et sa construction, ce minaret se rattache à un type local des plus simples : une tour carrée de 3,90 m de côté surmontée d’un lanternon, également carré, dont la base est de 1,20 m. La toiture pyramidale du lanternon se termine par une flèche de fer portant les trois habituelles boules de cuivre. La tour est dépourvue de tout décor à part les fenêtres géminées habituelles, leurs colonnettes et leur encadrement en calcaire clair. L’escalier évolue autour d’un noyau central de plan carré (1 m de côté). Des volées de quelques marches chacune sont séparées par des paliers. Les volées sont portées par des voûtes en berceau et les paliers par des voûtes d’arête. L’escalier mène à une première terrasse située au niveau des fenêtres géminées puis à la plate-forme finale protégée d’un parapet couronné de merlons. La plate-forme est portée par des poutrelles en bois. Ce minaret qui date de 1622 reproduit un modèle maghrébin très répandu dans le pays depuis l’époque hafside.
Fig. 36 : Le minaret se dresse sur le côté Nord de la cour. C’est une tour carrée dotée de fenêtres géminées et portant un lanternon carré. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
Fig. 37 : Inscription indiquant la date de la fin de la construction de la mosquée et de son minaret (1031/1622). Photo de l’auteur, 8-5-2004.
La grande mosquée de Tébourba est l’oeuvre de la communauté andalouse installée dans la ville au début du XVIIe siècle. Cependant, le monument s’intègre parfaitement dans les traditions architecturales locales. La mosquée présente dans son plan et dans sa construction des signes d’archaïsme et se rattache à un modèle ifriqiyen très ancien (salle de prière hypostyle, plan basilical en T, le remploi de colonnes antiques). Elle dévoile aussi des filiations avec les monuments tunisois de l’époque, comme ces voûtes en berceau se terminant en arc de cloître rappelant celles de la mosquée de Hammûda Pacha (1655) et ces chapiteaux en calcaire clair, de type hispano-maghrébin proches de ceux de la turba du Dey Ahmad Khûja (1647). Les toitures en charpente couvertes en tuile creuse, un élément important qui rattachait cette mosquée aux origines ibériques des fondateurs, auraient été détruites probablement dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
Tébourba compte outre la grande mosquée, qui accueille la khutba du vendredi, trois petites mosquée dite aussi masjid pour les prières quotidiennes : masjid al-Yakûrî (l’ancien masjid al-Hâj Ramdhân al-Andalusî), masjid Jacfar et masjid Sîdî Tâhar(109).
3.4.2- Le masjid al-Yakûrî ou masjid al-Hâj Ramdhân al-Andalusî
Cette petite mosquée porte également le nom de masjid al-Souk(110). En effet, elle surplombe la place centrale, dite aussi Bathat al-Souk, sur le côté opposé à celui occupé par la grande mosquée. Avec les boutiques qui lui sont attenantes, elle occupe un emplacement angulaire à la rencontre de la rue al-Hûkiya et celle qui porte le nom de la mosquée, deux rues bordées de commerces menant à la place centrale. Une lecture attentive des documents du waqf nous incite à penser que cette mosquée connue aujourd’hui sous le nom de masjid al-Yakûrî portait jusqu’au premier tiers du XIXe siècle, le nom de masjid al-Hâj Ramdhân al-Andalusî. En effet, d’après un document qui date du début de jumâda II 1210/13 décembre 1795, le waqf de cette mosquée était géré par un andalou, Ramdhan b. Ahmad b. al-Hâj Sâlim al-Sharîf al-Andalûsî, le document précisant que la mosquée ouvrait vers le sud(111). Un autre document datant du début de muharram 1247/12 juin 1831 indique que celle-ci est bordée sur trois côtés (sud, est et ouest) par les boutiques. En outre, le document précise qu’un sabîl ou sabbala se trouvait sur son côté sud. Ces indications s’appliquent parfaitement à masjid al-Yakûri. Une liste des biens waqf de masjid al-Yakûri établie en 1292/1875, signale un entrepôt souterrain ou une cave, damûs, se trouvant en bas du même sabîl, tout près de la porte d’entrée du masjid qui ouvrait vers le sud(112).
Il nous semble que masjid al-Yakûrî ou masjid al-Hâj Ramdhân al-Andalusî fut la première mosquée construite hâtivement par le premier groupe d’immigrés, juste après leur arrivée sur les lieux pour que les fidèles y pratiquent leurs prières quotidiennes. Quelques temps après commencèrent les travaux de construction de la grande mosquée qui se sont achevés en 1622 avec l’édification du minaret. La construction, dans un premier temps d’une petite mosquée suivie de celle d’une grande mosquée à khutba est un phénomène habituel que nous avons observé dans d’autres fondations andalouses, telles que Zaghouan (masjid al-Souk), Soliman (masjid al-Blida)(113).
Fig. 38 : Le masjid al-Yakûrî ou masjid al-Hâj Ramdhân al-Andalusî. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
La mosquée a subi plusieurs restaurations, la dernière datant de 1995, qui ont défiguré complètement le monument. Très sobre, ce petit oratoire est formé d’une salle de prière, d’une cour précédée d’une galerie et d’un petit minaret carré de type local. Celui-ci occupe l’angle nord-ouest de la cour et surplombe la rue des d’al-Hûkiya, les tisserands et les tailleurs. On accède à l’intérieur de la tour par une petite porte qui donne sur un escalier de quatorze marches, évoluant autour d’un noyau central plein ; il mène à une plate-forme protégée par un parapet à merlon. Un petit lanternon se place sur la plate-forme et couronne le minaret. Cette mosquée d’origine andalouse s’intègre parfaitement dans les traditions locales ; elle a perdu à une date indéterminée ses toitures en tuile creuse qui indiquaient les origines ibériques des fondateurs.
3.4.3- Le masjid Jacfar
Cette petite mosquée s’élève dans un quartier résidentiel, non pas loin de la première ceinture et de la rue de Sîdî Tâhar et celle de Sîdî cAlî cAzzûz. Sa porte d’entrée donne sur cette dernière rue ; elle est bordée aussi par une ruelle qui porte le nom de masjid Jacfar. Le fondateur de cette mosquée, al-Hâj Muhammad Jacfar, apparaît dans l’inscription de la coupole de la grande mosquée qui date de 1670. D’après Abdelkarim Bouzayène, il serait mort en 1096/1684(114). L’historien local ne cite pas ses sources et s’appuie probablement sur une stèle qui se trouvait sur sa tombe qui fut détruite et enlevée de la mosquée à une date assez récente. La mosquée a joué pendant longtemps le rôle de kuttâb ; les enfants du quartier y apprenaient le Livre saint.
Les documents du habous signalent également que la mosquée avait des biens waqf modestes : une parcelle à al-Walja sise dans la forêt d’oliviers de la ville et un verger connu sous le nom de cAlî Hannûn. Les documents précisent que les actes certifiant du caractère habous de ces deux biens fonciers sont perdus(115).
Fig. 39 : La mosquée Jacfar, un masjid et un kuttab. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
L’édifice a beaucoup souffert des multiples restaurations, surtout celles effectuées ces dernières décennies ! Il se compose d’une salle de prière, d’une cour et d’un minaret qui représente l’élément le mieux conservé de ce monument du XVIIe siècle. De plan carré, c’est une tour des plus simples, portant un lanternon carré également. L’escalier menant au niveau de la plate-forme est constitué de 33 marches et évolue autour d’un noyau central plein carré (0,61 m de côté). Il est éclairé par les fenêtres géminées percées sur les quatre côté de la tour(116). Rien, dans cette petite mosquée ne renvoie aux origines andalouses du fondateur. Toutefois, il nous semble que la mosquée Jacfar, était, elle aussi, couverte par une charpente en bois portant des tuiles creuses. Des traditions orales le suggèrent et des recherches futures pourraient confirmer cette hypothèse.
3.4.4- Le masjid Sîdî Tâhar
Cette petite mosquée s’élève dans un quartier résidentiel à l’ouest de la médina ; elle ouvre sur une rue qui porte le nom de Sîdî Tâhar. Lieu de culte destiné à abriter les prières quotidiennes des habitants du quartier, elle était considérée aussi comme zawiya et comme kuttâb. En effet, elle est complétée par une chambre funéraire qui abritait la tombe du saint et il semble qu’elle était au XVIIe siècle le siège de la confrérie Qashshâshiya. La mosquée pouvait être transformée aussi en une école coranique et recevait, en dehors des heures des prières, les enfants pour l’apprentissage des rudiments de la langue arabe et pour des récitations coraniques.
D’après les historiens locaux, le fondateur, al-Hâj cAlî al-Tâhar al-Andalusî est d’origine morisque. Abdelkarim Bouzayène rapporte qu’il est né en 1059/1649 et mort à Tébourba en 1149/1736, il fut inhumé dans une turba qui jouxte sa mosquée(117). Dans un inventaire daté du 15 Rabîc II 1291/ 1er juin 1874, l’édifice est considéré comme une zawiya et le document signale que celle-ci était à l’époque gérée par les descendants de Sîdî Tâhar et jouissait d’une parcelle plantée d’oliviers comme bien-waqf(118).
Fig. 40 : Le minaret de masjid Sîdî Tâhar. Un oratoire de quartier, une école coranique et une zawiya, Le monument était, au XVIIe siècle, le siège de la fameuses confrérie Qashshâshiya. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
Fig. 41 : Une fenêtre géminée du minaret. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
Fig. 42 : La porte d’entrée de masjid Sîdî Tâhar. La petite mosquée est désaffectée depuis longtemps. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
Sans le savoir, Abdelkarim Bouzayène nous livre une information fort intéressante sur les liens de cette petite mosquée-zawiya avec la confrérie al-qashshâshiya. Il rapporte qu’al-Hâj cAlî al-Tâhar al-Andalusî était un compagnon de Sîdî Abû al-Ghayth al-Qashshâsh (m. 1622), ce qui semble contredire les dates de naissance et de mort du marabout, Sîdî al-Tâhar, données par l’auteur lui-même. Nous proposons deux explications possibles : la première est que les dates sont erronées et que Bouzayène a confondu al-Hâj cAlî al-Tâhar avec un de ses descendants ; et la deuxième serait que ce dernier n’était pas un disciple direct d’al-Qashshâsh, mais un adepte de la confrérie. Nous savons par des sources de l’époque de l’arrivée des immigrés morisques après 1609, que la confrérie de Sîdî Abû al-Ghayth al-Qashshâsh avait pour tâche d’organiser l’accueil et l’établissement des réfugiés à Tunis et dans le pays. Les textes de l’époque signalent que cette confrérie s’est implantée dans les localités andalouses et que ses adeptes, très nombreux, se recrutaient dans ces villes et ces bourgades. Dès la deuxième moitié du XVIIe siècle, nos sources ne signalent plus cette confrérie dans aucune des localités andalouses. Il semble que les zawiyas qui abritaient les activités d’al-Qashshâshiya avaient permuté et que leurs adeptes s’étaient tournés vers d’autres confréries plus en vogue. En effet, la mobilité à l’intérieur de ces communautés mystique était un phénomène habituel et ne posait pas de problème.
Désaffectée depuis longtemps, la petite mosquée est tombée en ruine ; une partie de ses composantes ont été accaparées par les habitations avoisinantes. Elle se composait d’une salle de prière précédée par une cour ouverte et complétée par un minaret, une salle funéraire et d’autres annexes. On y accède de la rue par un beau portail qui se ferme par deux vantaux et un portillon. Le portail s’inscrit dans un encadrement rectangulaire réalisé dans le calcaire clair qui ouvre sur un arc en plein cintre outrepassé, légèrement brisé.
Bien qu’il soit actuellement en partie effondré, le minaret qui se dresse à droite du portail d’entrée et surplombe la rue de Sîdî Tâhar, ne manque pas d’intérêt. Des photographies anciennes panoramiques nous permettent de restituer son allure. C’est une tour carrée surmontée d’un lanternon carré et dont la hauteur ne dépassait pas les 10 m. Les quatre faces de la tour sont enduites de mortier de chaux et percées de fenêtres géminées dont les arcs reposent sur des colonnettes taillées dans le calcaire clair et que couronnent des chapiteaux de type hafside. Deux boudins saillants embellissant les faces du minaret, le premier se situant au niveau d’une terrasse donnant sur l’extérieur par les fenêtres géminées et le second placé à la base de la plate-forme finale qui a perdu, à une date récente, le parapet à merlons qui l’entourait. Celle-ci est portée par des poutrelles en bois. On accède à l’intérieur du minaret par une porte menant vers un escalier qui évolue autour d’un pilier central carré.
La mosquée de Sîdî Tâhar ne manque pas d’intérêt ; Elle porterait un témoignage rare sur le rapport de la ville andalouse avec la tarîqa de Sîdî Abû al-Ghayth al-Qashshâsh ; cette confrérie tunisoise qui a joué un rôle majeur dans l’accueil et l’encadrement des réfugiés morisque au début du XVIIe siècle. Le minaret à moitié en ruine et qui semble voué à une disparition inévitable, représente, à notre avis, une touche de spiritualité et un mémorial qui évoque un peu de l’histoire de la rue, du quartier et de la ville.
Outre les mosquées, la ville compte de nombreuses zawiyas réparties sur les différents quartiers et sur l’ensemble de la contrée de Tébourba. Faut-il préciser que le terme zawiya s’applique ici à des édifices très différents par les fonctions et les composantes architecturales, allant de la simple qubba, chambre funéraire abritant la tombe d’une personne vénérée, au complexe religieux composé de salles funéraires, de cours à portiques, de masjid, d’école coranique, de chambres pour l’hébergement des hôtes de l’établissement et de différentes dépendances ? En s’appuyant sur la documentation d’archives et des prospections sur le terrain, Boutheina Fraj a inventorié 22 zawiyas(119). Nous en présenterons quelques-unes qui ont un intérêt historique et architectural certain.
3.4.5- La zawiya de Sîdî Thâbet al-Ansârî
La zawiya de Sîdî Thâbet al-Ansârî est l’une des plus anciennes de Tébourba ; elle s’élève au nord de la ville andalouse occupant un emplacement excentrique à la rencontre de la petite ceinture et d’une rue qui porte le nom du monument, à proximité d’une des portes de la ville, Bâb al-Krârit (les Charrettes) et d’une petite place assez animée, la place Bastwîla. Dans les environs, se trouvaient des fondouks destinés à accueillir les paysans des tribus des alentour, leur bétail et leurs montures, particulièrement le jour du marché hebdomadaire(120).
L’identification du patron de la zawiya pose quelques problèmes. S’agit-il d’un compagnon du prophète originaire de Médine (ansâr) ? Les sources historiques citent un certain Ruwayfac b. Thâbet al-Ansârî qui avait participé à la conquête de l’Afrique de Nord à partir de l’année 27 de l’hégire/647. Plus tard, en 46/666, il est nommé gouverneur de Tripoli, puis en 53/672 de Barqa (Cyrénaïque) où il meurt trois ans plus tard en 56/675(121). Il serait enterré à El-Beïda, et sa tombe l’un des plus importants monuments religieux de la ville. Mais il arrive fréquemment que deux ou plusieurs villes se disputent l’attribution de la sépulture d’un saint ou d’un compagnon du prophète. Nous pouvons observer ce phénomène notamment à des époques tardives, des siècles après la Conquête ; il est intéressant d’un point de vue historique.
Nous pouvons également imaginer que Sîdî Thâbet al-Ansârî n’est autre qu’un saint local originaire de djebel al-Ansarîn, une petite montagne voisine qui tirait probablement son nom de l’installation au Moyen Age d’un groupe qui s’attribuait une origine arabique et prétendait descendre d’un compagnon du prophète.
Fig. 43 – 44 : La zawiya de Sîdî Thâbet al-Ansârî. L’intérieur de la salle funéraire. Photos de l’auteur, 8-5-2004.
Fig. 45 : La zawiya Sîdî Thâbet al-Ansârî, l’une des plus ancienne de la ville. Elle a été rénovée, d’après cette inscription en 1113/1701. Photos de l’auteur, 8-5-2004.
Quoi qu’il en soit, la zawiya de Sîdî Thâbit est ancienne, probablement la plus ancienne de la ville, comme le confirme les textes et une inscription historique sur la tombe du saint. En effet, quelques années seulement après l’établissement des Andalous dans la ville, un acte de waqf de 1039/1629 signale des biens habous de la zawiya assez important : un four à pain, des boutiques et des parcelles de terre agricole(122).
L’inscription qui se trouve dans la zawiya est également d’un grand intérêt pour l’histoire de ce monument. Une belle dalle de marbre jaune de Chemtou (49 sur 30 cm) placée sur la tombe porte le texte suivant inscrit en cursive et relief(123) :
1. الحمد هذا ضريح
2. الشيخ الولي الصالح، شيخ (كذا)
3. البركة المزار سيد (كذا) ثابت
4. الأنصار )كذا( نفعنا الله به آمين، جدّد
5. سنة 1113 ثلاثة عشر ومائة وألف
6. على يد المكرم قاسم بن علي البنزرتي
7. الأندلس (كذا) الناضر (كذا) على الحبس في التاريخ
8. أصلح الله تعالى أمر الجميع آمين
L’inscription révèle une restauration de l’édifice en l’année 1113/1701 ; le commanditaire de l’opération fut le gérant du waqf de la zawiya l’andalou Qâsim b. cAlî al-Banzartî. Les titulatures de Sîdî Thabet al-Ansârî qui figurent dans le texte sont habituels, al-shaykh, le saint, le béni, le seigneur, mais il n’est nullement question d’un compagnon du prophète. Toutefois, le texte indique que la zawiya est un mazâr, autrement dit, un lieu de visite ou de pèlerinage. Dans les deux fameuses zawiyas de Kairouan et de Gabès, consacrées à deux compagnons du prophète, cette titulature apparaît systématiquement (صاحب رسول الله ). En outre, le gérant de la fondation est d’origine andalouse, ce qui nous incite à penser qu’il s’agit d’un culte ancien, probablement médiéval, qui a été ressuscité par les Andalous pour accroitre le prestige de leur ville. L’emplacement de la zawiya primitive pourrait être dans les parages, mais pas nécessairement au même endroit que celui d’aujourd’hui.
La zawiya est constituée d’une salle funéraire, d’un masjid reconstruit complètement en 1912(124) et d’une habitation pour le wakîl. L’ensemble s’organisait autour d’une cour à ciel ouvert et était protégé par une enceinte.
Fig. 46 – 47 :La zawiya de Sîdî Thâbet al-Ansârî. Plan et coupe de la salle funéraire. Relevé effectué par Sofien Dhif.
La salle funéraire avec sa coupole représente l’élément ancien, le plus intéressant. L’édifice daterait du XVIIe siècle et sera rénové au tout début du XVIIIe siècle. C’est une salle carrée de 4,10 mètres de côté couverte par une coupole hémisphérique ; celle-ci repose sur des trompes d’angle qui assurent le passage du plan carré au plan circulaire. Au niveau du tambour, s’interposant entre les quatre trompes d’angle, des niches à fond plat et des lucarnes rustiques avec des linteaux en poutrelles de bois.
Les murs de la salle funéraire sont défoncés d’arcades en plein cintre portées par des pilastres : deux arcades pour chacun des deux côtés nord et ouest, et trois pour chacun des côtés sud et est. L’unique porte d’entrée du mausolée est ouverte dans l’arcade médiane du côté est ; cette porte rectangulaire (1,92 m sur 0,94 m) se ferme par deux battants en bois massif. Un mihrab est placé au niveau de l’arcade médiane sur le côté sud. C’est une niche profonde cintrée des plus simples.
Au milieu de la salle se trouve un cénotaphe en bois couvert par les étendards de la zawiya ; celui-ci couvre une tombe portant l’inscription historique que nous avons évoquée plus haut. La tombe est de plan rectangulaire (1,62 m sur 0,55 m) ; elle est tapissée de carreaux de faïence de belle facture provenant des ateliers de Qallâline et datant du XVIIIe siècle.
La zawiya, au regard de son aspect général, apparaît comme un édifice modeste, dépourvu de toute monumentalité et de tout décor, ce qui paraît paradoxal vu la popularité dont jouit le saint. Faut-il chercher une explication de cette sobriété dans le caractère local du culte de Sîdî Thâbet ? La popularité dont jouissait le saint n’a pas dépassée la contrée de Tébourba car il n’y avait pas eu d’affluence de pèlerins venant de régions éloignées.
3.4.6- La zawiya de Sîdî Ben cIssâ
La confrérie des Aïssawa est la plus populaire de tout le Maghreb. Fondée à Meknès par Sîdî Muhammad b. cÎssâ (m. vers 930H/1523), elle s’est implantée à Tébourba à une date indéterminée, très probablement au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Vers la fin du XIXe siècle, elle constitue l’une des confréries les plus importantes de la ville. A l’époque, le shaykh de la Aïssawa était Ahmad al-Qafsârî mort le 20 shacbân 1318/13 décembre 1900(125). L’homme était également un notaire, un faqîh et un qadi à Tébourba. L’une des maksûra-s de la zawiya abrite la tombe de son fils al-Hâj cUmar, mort le 25 rabîc II 1347/11 octobre 1928.
Fig. 48 : Plan de la zawiya de Sîdî Ben cIssâ. ASM de Tébourba, relevés de Belhessen Kinbi.
Fig. 49 : Coupe de la zawiya de Sîdî Ben cIssâ. ASM de Tébourba, relevés de Belhessen Kinbi.
La zawiya où se réunissaient les adeptes de la confrérie remonte à deuxième moitié du XVIIIe siècle et date de la fin du règne de cAlî Bey (1759-1782)(126). Quelques années plus tard, en 1229/1814, un revêtement de carreaux de céramique tapissant la salle funéraire a été commandé à un atelier des Qallâline à Tunis, celui du maître céramiste al-Usta Abû Shantûf. Le portail en marbre et l’aménagement de la cour et de son portique sont tardifs et remontent aux années 1314-1317/1897-1899.
Le bâtiment actuel occupe une position angulaire au croisement de la rue de la Sebta avec celle d’al-Waha. Il est formé d’une cour, d’une salle funéraire précédée d’un portique et de quelques dépendances. De la rue de la Sebta, on accède directement à l’intérieur de la cour de la zawiya par un beau portail en marbre réalisé par cAlî al-Dhâwî en 1897, comme l’indique une inscription placée au-dessus de l’entrée. Ouvrant dans arc en plein cintre outrepassé, ce portail, qui se ferme par deux vantaux et un portillon, s’inscrit dans un encadrement rectangulaire réalisé dans des dalles de marbre richement sculptées ornées de motifs italianisants (des arcs en ogives, des filets de perles et d’oves, des coquilles, des feuilles d’acanthe, etc.).
Fig. 50 : La zawiya de Sîdî Ben cIssâ. La Porte d’entrée. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
Fig. 51 : La zawiya de Sîdî Ben cIssâ. Inscription au-dessus de la porte d’entrée. Photo de l’auteur, 8-5-2004.
La porte ouvre sur une cour rectangulaire (10,56 m sur 7,45 m) pavée de carreaux de marbre blanc. De part et d’autre de l’entrée, deux banquettes sont aménagées dans le mur qui fait face à la salle funéraire ; elles remplaceraient, en quelque sorte, les traditionnelles banquettes des vestibules et servent de sièges pour les visiteurs. Dans un autre mur et à gauche de l’entrée, est aménagée la niche la margelle de la citerne, mâjil, qui alimentait l’établissement en eau douce ; celle-ci s’inscrit dans un encadrement en marbre. Sur le côté opposé à l’entrée, la cour est bordée d’un portique formé de trois arcs en plein cintre soutenu par des colonnes en marbre. Les parties inférieures des murs de la cour sont revêtues de carreaux de faïence polychromes de Qallâline jusqu’à une hauteur de près de deux mètres.
Fig. 52 – 53 : La zawiya de Sîdî Ben cIssâ. Les parties hautes des murs, les voûtes et les coupoles sont tapissées de stuc finement sculpté. Photo de l’auteur, 16-10-2016.
La composante principale de la zawiya est la salle funéraire ; elle reprend ici des éléments du plan de l’habitation citadine tunisoise : plan en T avec un espace principal sous forme de trois iwans complétés par des pièces annexes ou maqsûras. Couverte de coupoles et de voûtes, cette salle est richement décorée. Les parties supérieures sont tapissées de stuc finement sculpté et les parties inférieures sont couvertes par un beau revêtement en carreaux de céramique dont l’intérêt s’accroit avec une inscription qui porte la signature du maître-céramiste et la date (l’année 1229/1814) : oeuvre du maître Abû Shantûf ( الملك لله، عمل الأسط أبوشنتوف ). Cet atelier de la fin du XVIIIe et des débuts du XIXe siècle a joué un rôle important dans la production céramique tunisoise. Al-Ustâ Abû Shantûf apparaît vers 1800 dans les documents d’archives comme chef de la corporation des céramistes ; nous trouvons des carreaux produits par son atelier et signés à Kairouan, dans le revêtement de la zawiya de Sîdî al-Sahbî et au Caire, dans le décor céramique de mosquée Abû al-Dhahab et au musée d’Art islamique de la ville.
Fig. 54 : La zawiya de Sîdî Ben cIssâ. Un panneau du revêtement de carreaux de céramique des Qallaline de Tunis, Atelier Al-Ustâ Abû Shantûf 1229/1814. Photo de l’auteur, 16-10-2016.
Fig. 55 : La zawiya de Sîdî Ben cIssâ. Détail d’un panneau avec la signature et la date.
Fig. 56 : La zawiya de Sîdî Ben cIssâ. Détail d’un second panneau avec la signature et sans la date.
Ce revêtement est constitué de carreaux répétitifs, tel que le type dit patte de lion, et de panneaux dit à mihrab, présentant des compositions savantes d’inspiration orientale. Deux panneaux presque identiques portent la signature du céramiste, mais un seul mentionne une date. Sur chaque panneau, une première composition à mihrab s’inscrit dans une deuxième composition nettement plus large et du même genre. Sous l’arc du premier mihrab sont figurés un vase avec un bouquet de fleurs et deux oiseaux face à face. Au-dessus, et sous l’arc du second mihrab, prend place un décor architectural avec des coupoles et une multitude de minarets. Les deux compositions sont complétées par des motifs floraux habituels (des rinceaux, des palmettes, des tulipes, des cyprès, des mandorles, des feuilles saz, etc.). Les couleurs de ces panneaux typiquement tunisiens sont variés, mais moins riches que celles des carreaux des époques précédentes, et notamment la production de cAbd al-Wâhid al-Maghribî (première moitié du XVIIIe siècle) : ici, le bleu de cobalt, le vert (oxyde de cuivre), le brun (oxyde de manganèse), l’ocre jaune (oxyde d’antimoine) se détachent sur un fond blanc (stannifère). Le complexe religieux de Sâhib al-Tâbic, construit à la même époque à Tunis, est orné de lambris de céramique très proches de celui de la zawiya de Tébourba. Je pense que les deux revêtements sont l’oeuvre du même atelier.
Fig. 57 : La zawiya de Sîdî Ben cIssâ. Carreau identiques à ceux qui tapissent le complexe de YûSuf Sahib al-tâbic de Tunis. Photo de l’auteur, 16-10-2016.
Fig. 58 : La zawiya de Sîdî Ben cIssâ. Photo de l’auteur, 16-10-2016.
La zawiya de Sîdî Ben cIssâ confirme les rapports étroits de Tébourba avec la capitale. La salle funéraire de l’établissement présente un plan qui rappelle d’autres zawiyas de Tunis datées du XVIIIe siècle, notamment celles de Sîdî Belhassen al-Halfâwi et de Sîdî Alî Azzûz. Ajoutons que le décor agréable qui se concentre surtout sur la devanture et à l’intérieur de la grande salle funéraire, dont les panneaux de faïence à mihrâb déjà cités, compte parmi les oeuvres les plus belles, les plus harmonieuses du point de vue chromatique et les plus représentatives de la production céramique tunisoise du début du XIXe siècle. Ces carreaux sont l’oeuvre du chef de la corporation des qallâline de Tunis ; le maître céramiste Al-Ustâ Abû Shantûf.
3.4.7- La zawiya de Sîdî cAlî cAzzûz
La zawiya de Sîdï cAlî cAzzûz est un des plus importants monuments de la Tébourba. Elle s’élève à l’ouest de la médina, au bord d’une artère importante du même nom. Nous ignorons la date de l’implantation à Tébourba d’une filiale de la confrérie du mystique d’origine marocaine cAlî cAzzûz dont la zawiya mère se trouve dans la ville andalouse de Zaghouan depuis 1680. L’implantation de cette filiale daterait probablement de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Husayn Khûja dans son Dhayl, écrit vers 1723, ne mentionne pas la zawiya de Tébourba parmi les quelques filiales de la confrérie réparties sur des villes du nord-est de la régence à son époque(127). L’édifice actuel est tardif et date de la seconde moitié du XIXe siècle. Abdelkarim Bouzayène l’attribue à un dirigeant de la ville, cAlî b. Muhammad al-Zîn al-Andalusî qui fut nommé khalifa en 1268/1851 et construisit la zawiya en 1274/1857(128).
Fig. 59 : La zawiya de Sîdî cAlî cAzzûz. D’après un plan publié par Riadh haffar, 2005, p.205.
L’édifice primitif est conçu selon un plan régulier, et la parcelle qu’il occupe est de forme presque rectangulaire. Deux pièces annexes prises sur les habitations voisines ont été ajoutées ultérieurement, l’une sur le côté nord et l’autre sur côté est. L’ensemble de l’édifice couvre une superficie estimée à 640 m² et présente un plan aux dimensions équilibrées, aux proportions harmonieuses. Il abrite des éléments traditionnels d’une zawiya : une grande salle à coupoles flanquée sur le côté sud d’une cour ; un portique à trois arc s’interpose les deux espaces. Plusieurs dépendances complètent la zawiya, dont une salle faisant fonction d’école coranique, une salle d’ablution, des chambres pour accueillir les visiteurs et des entrepôts.
L’accès à l’intérieur de l’édifice s’effectue par un portail en arc en plein cintre outrepassé inscrit dans un encadrement en pierre calcaire clair ; il se ferme par deux battants et un portillon en bois massif et donne sur un vestibule pourvu de banquettes maçonnées adossées aux murs latéraux.
Fig. 59 : La zawiya de Sîdî cAlî cAzzûz. La porte d’entrée. Photo de l’auteur, 10-11-2018.
Fig. 60 : La zawiya de Sîdî cAlî cAzzûz. La coupole de la salle principale. Photo de l’auteur, 10-11-2018.
La cour de la zawiya s’inscrit dans un plan rectangulaire d’environ 11,80 m sur 8 m. Le côté nord est bordé d’un portique dont les arcs en plein cintre outrepassés reposent sur des colonnes minces en marbre couronnées de chapiteaux de type néo-ionique. Sous le portique, le mur est tapissé de lambris de faïence et les voûtes de stuc ciselé.
Au-dessus de la porte d’entrée de la salle principale de la zawiya, au niveau d’un bandeau de décor stuqué, se trouve une inscription exécutée sur deux plaques de marbre indiquant, après la basmala et la tasliya, que la construction du monument date de l’année 1274/1857 et la réalisation du décor en stuc sculpté de l’année 1298/1880(129).
هذا مقام الولي الصالح والزناد الفادح سيدي الحاج علي عزوز، نفعنا الله به وإياكم ببركاته آمين آمين.
تاريخ البناء عام 1274 تاريخ النقش 1298
Fig. 61 : La zawiya de Sîdî cAlî cAzzûz. La coupole de la salle principale. Photo de l’auteur, 10-11-2018.
Fig. 62 : Inscription indiquant la date de la construction du monument (1274/1857) et celle de la réalisation du décor en stuc sculpté (1298/1880). Photo de l’auteur, 10-11-2018.
La salle principale de la zawiya présente, comme celle de Sîdî Ben cIssâ, un plan inspiré de celui des habitations bourgeoises tunisoises ; il est question de grande salle dite « bît bi-al-qbû wa-al-mqâsir », salle large (bît) avec une grande alcôve (qbû) établissant le plan en T. Des pièces annexes occupant les angles (mqâsir) flanquent l’alcôve et rétablissent le plan rectangulaire. Couverte de coupoles et de voûtes, cette salle offre un décor très riche : les parties inférieures sont lambrissées de carreaux de faïence et les parties supérieures sont tapissées de plâtre sculpté. Importés probablement d’Italie, les carreaux de faïence présentent des types en vogue à Tunis durant la seconde moitié du XIXe siècle ; des rosettes et des rinceaux stylisés peints avec une palette de couleurs assez harmonieuse : bleu de cobalt clair, vert olive, ocre jaune, rouge et le brun pour dessiner les contours sur un fond crème laiteux.
Les pièces en marbre, largement utilisées dans cette salle, proviennent d’Italie : des colonnes, des chapiteaux, des pilastres, des encadrements des portes et des fenêtres. Les quatre colonnes sur lesquelles reposent les arcs portant la grande coupole précédant la coupole de l’iwan ou qbû sont couronnées de beaux chapiteaux en marbre blanc d’un type proche du corinthien ; ils sont marqués sur chaque côté d’un flambeau couronné de croissant.
Fig. 63 : La zawiya de Sîdî cAlî cAzzûz. Des carreaux de faïence importés d’Italie présentant des types en vogue à Tunis durant la seconde moitié du XIXe siècle. Photo de l’auteur, 10-11-2018.
Fig. 64 : Des chapiteaux en marbre blanc d’un type proche du corinthien. Photo de l’auteur, 10-11-2018. Photo de l’auteur, 10-11-2018
La zawiya de Sîdï cAlî cAzzûz de Tébourba rappelle les plus beaux monuments de Tunis du milieu du XIXe siècle ; de telles oeuvres architecturales sont rares dans les petites villes à l’époque. Ceci confirme les liens étroits de la cité avec la capitale. Nous sommes certains qu’à l’origine des marbres et des carreaux de faïence importés d’Italie et employés dans le décor de la zawiya, sont dû à une commande officielle émanant du palais du Bardo. La confrérie cAzzûziya était très influente auprès des Husaynites et de leur entourage.
D’un autre côté, le monument révèle aussi des attaches de la ville avec la communauté andalouse. En effet, la cAzzûziya s’est implantée surtout dans des cités habitées par cette communauté, telles que Zaghouan, Tunis, Testour ou Ras djebel. Le bâtisseur de la belle zawiya du XIXe siècle Tébourba est d’origine andalouse.
3.4.8- Le Hammam de Sîdî cAbd al-Nabî
Tébourba est équipé d’un certain nombre de bâtiments affirmant le caractère urbain de la ville et permettant de la distinguer des localités rurales ; parmi de tels bâtiments, mentionnons les hammams. La ville avait, à l’époque de son apogée, deux bains au moins ; le plus anciens de ces bains qui nous est parvenu est celui de Sîdî cAbd al-Nabî.
Fig. 65 : Hammam Sîdî cAbd al-Nabî (effectué par Maha Ghribi en 2017).
Il portait également le nom de hammam al-Rîkadhûn ; il se trouvait dans la partie est de la ville, pas loin de la place centrale. Il jouxtait un fondouk et une huilerie qui portaient le même nom. Les documents du waqf révèlent, en effet, un petit complexe économique connu sous le nom de habous al-Rîkadhûn. D’origine andalouse, le fondateur al-Hâj Muhammad Hammûda al-Rîkadhûn, amîn al-Shawwâshiya de Tunis, était le puissant chef de la plus importante corporation de la capitale et de ce fait, il était aussi le chef de toutes les corporations des métiers de la ville. D’après les actes, la constitution de cette fondation est antérieure à l’année 1186/1772(130). Il semble que Muhammad Hammûda al-Rîkadhûn se soit procuré les trois établissements par achat et les a constitués en waqf. Le hammam daterait probablement du XVIIe siècle. Toutes les cités andalouses s’étaient dotées de hammam dès leurs fondations. Ce hammam porte également le nom du vieux bain ce qui indiquerait qu’il est le plus ancien de la ville et donc qu’il en avait d’autres plus récents. Le document du waqf précise que le bain ouvre vers l’ouest ; ses limites sont : sur le côté est le fondouk al-Rîkadhûn ; sur le côté nord, une rue le séparant d’une huilerie portant le même nom.
Le hammam qui donne sur une petite ruelle, occupe encore aujourd’hui un emplacement discret, à proximité de la place centrale. Il se distingue des constructions avoisinantes par sa coupole hémisphérique. Il présente un plan habituel de ce genre d’établissement(131).
Fig. 66 : La ruelle que borde le Hammam Sîdî cAbd al-Nabî. Photo de l’auteur, 16-10-2016.
Fig. 67 : La coupole de la salle de déshabillage de Hammam Sîdî cAbd al-Nabî. Photo de l’auteur, 16-10-2016.
- Une skîfa presque carrée, dotée d’une banquette et couverte d’une voûte d’arête ; celle-ci permet l’entrée, d’un côté, à l’intérieur du bain, et de l’autre, à l’intérieur d’un couloir, long de près de 5 m, menant à un escalier qui conduit vers les terrasses où se trouve le puits qui alimentait l’établissement en eau.
- Une grande salle de déshabillage et de repos dotée de banquettes et couverte d’une grande coupole hémisphérique posée sur une base carrée, la transition du plan carré au plan circulaire s’effectuant par des pendentifs ; elle est portée par arc brisée posés sur quatre colonnes. Le côté nord de cette salle est occupé par une maqsûra, pièce assez spacieuse qui complète la salle de déshabillage dans ses fonctions et qui est réservée aux baigneurs qui voudraient s’isoler pendant le moment de repos et de relaxation. Le milieu de la salle de déshabillage était occupé par une fontaine qui a été remplacée par une vasque en 1985.
- Succèdent à la salle de déshabillage, deux salles froides de transition : l’une d’elles est pourvue de latrines et d’un bassin d’eau froide.
- Une salle tiède ou Bayt al-matâhir grande salle de lavage et de massage. Elle est couverte de voûtes d’arête percées de quelques petites ouvertures vitrées servant à l’éclairage.
- Une salle chaude, qui se trouve au fond du bain, et qui présente un plan rectangulaire ; elle est couverte par une longue voûte en berceau. Elle renferme la grande chaudière en cuivre accolée au mur du fond et deux bassins d’eau chaude placés à gauche et à droite de l’entrée.
- Rejetée derrière le bain, la cour renferme le furnâq et ses dépendances. On accédait à cette chaufferie et au foyer par une entrée particulière de service. Le document du waqf déjà cité laisse entendre que la cour de service, furnâq, était plus spacieuse et jouxtait l’huilerie al-Rîkadhûn. Il précise aussi que le bain donnait sur une rue le séparant du fondouk al-Rîkadhûn ; il s’agit de la rue qui mène à Bâb al-Souk, tout près(132).
Ce hammam présente un plan presque identique aux nombreux bains des villes andalouses du pays. En bon état de conservation, ce charment petit établissement historique qui daterait du XVIIe siècle a été désaffecté depuis quelques années et est menacé de disparition.
L’essor de la basse vallée de la Medjerda et notamment celui de Djedeïda, El Battan et Tébourba au XVIIe siècle, l’aménagement des routes, l’édification d’ouvrage d’art et de bâtiments publics importants et la mise en valeur des terres dans la région résultent d’une collaboration étroite entre les autorités turques et la communauté des immigrés andalous. Le dispositif mis en place par les Turcs de Tunis pour exploiter la région consistait à mettre la main sur les richesses naturelles, notamment les riches terres agricoles, et à profiter de la main d’oeuvre immigrée et de son savoir-faire.
Ce sont les immigrés andalous qui avaient construit les trois localités et avaient bâti les principaux monuments ; la région avait des relations très étroites avec la capitale : les terres et surtout les grands domaines étaient tenus par des membres de l’oligarchie ottomane ou par des notabilités tunisoises. Plusieurs parcelles étaient des waqfs de fondations religieuses de Tunis, celles la Zaytûna, la mosquée de Youssef Dey et celle Subhân Allah ainsi que la madrasa des Andalous. Près des domaines qu’ils possédaient dans la région, l’oligarchie ottomane et les notabilités tunisoises avaient construit de nombreuses résidences secondaires. L’une des plus importantes fut celle de Youssef Dey ; il l’édifia près du pont qu’il bâtit sur la Medjerda en 1616, juste après l’arrivée des immigrés morisques, sur un grand domaine connu sous le nom d’al-Qantara, l’actuelle Djedeïda. Les mouradites héritèrent de cette résidence. L’un des derniers monarques de la dynastie, Muhammad Bey, en édifia une seconde auprès d’un deuxième pont-barrage qu’il venait de construire, celui d’El-Battan. Les deux résidences continuèrent à être fréquentées par les beys de Tunis et par des membres de leur entourage jusqu’à la fin du XIXe siècle. D’autres résidences ont été implantées dans la région de Tébourba par des notables tunisois.
Les rapports étroits des trois localités avec la capitale se confirment aussi à travers l’architecture. D’après les témoignages des chroniques et des récits de voyage du XVIIe siècle, les résidences secondaires de Youssef Dey à al-Qantara et celle de Muhammad Bey à al-Hathramîn dépassaient par leur somptuosité les plus beaux palais de Tunis. Thevenot souligne que le décor de la résidence d’al-Qantara, ses fontaines, ses stucs, ses plafonds dorés et ses tableaux de peinture dépassent par leur beauté ce qu’il avait vu auparavant à Tunis. La résidence de Muhammad Bey portait le nom de Bardo signifiant par là même qu’elle est la doublure du prestigieux palais de la banlieue de Tunis ! Les commanditaires de ces demeures, aujourd’hui disparues, aimaient retrouver à la campagne le cadre architectural et les aises que l’on jugeait indispensables à Tunis. D’un autre côté, les plus beaux matériaux employés dans la construction des monuments de l’époque qui nous soient parvenus, et notamment ceux de Tébourba, provenaient de Tunis. Les colonnes et les chapiteaux de type hispano-maghrébin de sa grande mosquée ont été sculptés dans des ateliers de la capitale. Les magnifiques carreaux de céramique du revêtement de la zawiya de Sîdî Ben cIssâ sont l’oeuvre du chef de la corporation des Qallâline de Tunis et enfin, le beau décor en marbre et en carreaux de faïence d’origine italienne de la zawiya de Sîdî cAlî cAzzûz faisaient partie certainement d’une commande officielle émanant du Bardo.
Tébourba et les deux villages voisins avaient également des relations étroites et des échanges continus avec la communauté andalouse habitant Tunis et de nombreuses cités du nord-est du pays. Dès les débuts, les immigrés, qui avaient mis la main sur la puissante corporation des shawwâshiya, avaient installés des fouleries indispensables pour la fabrication des chéchias, à al-Qantara, vers 1616, et plus tard, en 1690, à El-Battan, tout près des résidences de plaisance de Youssef Dey et de Muhammad Bey. Des fondations religieuses andalouses avaient des biens immobiliers et fonciers waqfs à Tébourba et dans sa région ; citons la madrasa et la mosquée des Andalous de Tunis et les mosquées de Medjez-el-Bab et de Djedeïda. De son côté, le fondouk de Bâb Téboursouk à Testour était un bien constitué en waqf au profit de la grande mosquée de Tébourba.
Une des principales personnalités de la communauté andalouse du pays, Muhammad Hammûda al-Rîkadhûn, le chef de la corporation des shawwâshiya de Tunis a constitué en waqf, au XVIIIe siècle, un complexe économique important à Tébourba formé d’une huilerie, d’un fondouk et d’un hammam, sis à l’est de la médina, entre la porte du Souk et la place qui porte le même nom. Ce waqf alimentait le budget d’institutions se trouvant à Tébourba et à Tunis.
Les nombreux monuments de Tébourba, principale ville de la basse vallée de la Medjerda, appartiennent aux traditions locales et se rattachent par maints détails à l’architecture tunisoise. Les toitures en tuile creuse furent pratiquement l’unique élément très visible qui reliait la ville à l’architecture morisque. Hélas ! Les derniers ateliers de terre cuite qui fabriquaient ce matériau ont arrêté de travailler depuis la deuxième guerre mondiale et les toitures en tuile qui couvraient les habitations et les différentes constructions ont disparu complètement de Tébourba depuis plus d’un demi-siècle.
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Notes ↑ |
(1) Husayn Khûja, 1973, p. 153 et al-Wazîr al-Sarrâj, 1985, t. 3, p. 252. Mahmûd Maqdish, (1988, t. 2, p. 90) nous dit que le pont fut construit l’année même de l’arrivée des immigrés andalous et cite l’année 1017/1608-1609.
(2) Louis Poinssot, 1942, p. 321-333.
(3) Jean Thevenot, 1665, p. 546-547.
(4) Louis Poinssot (1942, p. 324, note 12) des meules à aiguiser.
(5) Ibn Abî Dînâr, 1967, p. 207.
» ذكر بين الناس، وكان عليها برج في حياته، ثم زاد فيها من بعده مولاه الفتى نصر آغة، ثم تولّع به ولده المرحوم أحمد شلبي وضخّمه، ثم صار من ومن خيراته بناؤه القنطرة العجيبة التي على وادي مجردة من ناحية بلد بعده إلى حفيده أبي الحسن علي باي فزاده ضخامة، إلى أن صار يضرب به المثل، وجاء بسعادته على أجمل شكلطبربة، وجاءت من أجلّ القناطر، وهي اليوم من أعجب المنتزهات التي لها. «
(6) Al-Wazîr al-Sarrâj,1985, t. 2, p. 354.
« وبنى قناطر عديدة أجلها وأعظمها التي على وادي مجردة قرب طبربة. وهي من أعظم ما صنع وأغرب ما ابتدع. وكان عليها برج عظيم في حياته، ثم ضخّمه من بعده مولاه نصر آغة الطوّاشي. ثم ولع به ابنه المرحوم أبو العباس أحمد وضاعف في ضخامته، وأنشأ به دولابا يدور بنفسه من غير وجود دابة تديره، فكان آية في صنعه، ثم انتقل من بعده إلى أبي الحسن علي باي. »
(7) Ahmed Saadaoui, 2011, p. 70-71.
(8) Ahmed Shalabî fils de Youssef Dey avait épousé une fille de Hammûda Pacha et donc soeur de Mourad II. Il avait marié ses deux filles à leurs cousins cAli et Mumammad fils de Mourad II. Il était le beau-père de ces deux beys mouradites. Le sieur de la Croix, Mémoires, 1684, p. 235-236 ; Thevenot, 1665, p. 546-547.
(9) Ahmed Saadaoui, 2011, p. 461-463.
« جميع الباطان الجوفي الباب، المشتمل على دولابين، المعد لغسل الشواشي وملف الأندلس، المحدث البناء بشاطئ وادي مجردة من شرقيه، وجميع الفرن الشرقي الباب، المعد لطحن الطعام، وبه دولاب واحد، الملاصق له من شرقيه. يحدهما قبلة حيث يفرغ ماء الغسالة، وشرقا طريق حيث يفتح باب الفرن وآبار هنالك، وجوفا قنطرة الوادي المعروفة بالمرحوم يوسف داي، وغربا الوادي المذكور. »
(10) Ahmed Saadaoui, 2011, p. 464-465.
« جميع الهنشير المعروف باللخمي، من عمل وادي مجردة. يحده قبلة وادي مجردة، وشرقا الأصبحين الكبرى، وجوفا شواط وقشبة، وغربا منزل حماد وقصر الحديد، ويشتمل الهنشير المذكور على هنشير مفر الجدعان والأصبحين الصغرى، وحدود هنشير اللخمي المذكور شاملة لهما. ويحد هنشير مفر الجدعان المذكور، قبلة وادي مجردة، وشرقا الأصبحين الكبرى، وجوفا وغربا اللخمي. »
وما بهنشير اللخمي من البرج الكبير، الواسع الفناء، الضخم البناء، والمخازن والمعصرة والفنادق والحوانيت وغير ذلك، مما أحدث به من البناءات على اختلافها ومن السواني وما به من أنواع الغراسات على اختلاف أنواعها ».
(11) Jean Thevenot, 1665, p. 546-547.
(12) Louis Poinssot (1942, p. 324, note 12) pense que les “moulins de Maréchaux” sont des meules à aiguiser. Et explique qu’au XVIIe siècle le marchal-ferrant était aussi taillandier. Il nous semble que “maraîchaux” dérive de l’ancien français marescheier qui signifie maraîcher et non maréchal.
(13) Ibn Abî Dînâr, 1967, p. 284-285.
« وهذه القنطرة من بناء أبي المحاسن يوسف داي، وكان بناؤه لها سنة خمس وعشرين وألف ) 1025 / 1616 (، فجاءت من أحسن ما يكون، وجعل بها أرحاء تدور بالماء، وبنى بها برجا لطيفا. ولمّا سار إلى رحمة ربه تولع بها خادمه نصر الطواشي فزاد فيها عدة بساتين، ومن بعده تولع بها المرحوم أحمد شلبي وشيد بها المنارة الرفيعة واهتم بها غاية الاهتمام. ولما سارت إلى رحمة ربه ووقعت الفتن كاد أن يتلاشى حالها فتداركها بعزمه وحزمه المكرم علي باي فزادت محاسنها على ما كانت عليه، وصارت يضرب بها المثل. وغدت أحسن مما كانت قبل » ويضيف « كيف لا تفتخر هذه البقعة وهي ذات المنارة والقباب التي حيطانها ذات العماد. وشيدت معالمها وتزخرفت بالنقوش المذهبة حتى قيل لم يخلق مثلها في البلاد. وصنعت العجائب على حافتي الوادي… ودارت دوائر نواعيرها وفقدت قلبها فهي تدور على القلب. وكان هذا الدولاب الذي أحدث بالقنطرة على طابع مجردة أحسن مما عمل في حماة وأولى. وإن كانت نواعير حماة أسبق بالزمان فالآخرة خير لك من الأولى. »
(14) Al-Wazîr al-Sarrâj (1985, t. 2, p. 354) indique ceci : « وأنشأ به دولابا يدور بنفسه من غير وجود دابة تديره، فكان آية في صنعه«
(15) P. Grandchamp, La France en Tunisie, VI, p. 226.
(16) Jean Thevenot, 1665, p. 547.
(17) Ibn Abî Dînâr, 1967, p. 285-287. Voici quelques extraits de ce long poème :
فردوس قنطرة يا طيّب الأرج تبارك الله عن ذي المنظر البهج
وبرجك الضخم كالإيوان نشأته والكشك في الصدر كالإيوان للفرج
إن حل في الصدر صدر الملك قلت له لقد حللت بصدر الملك غير ذي حرج
بناؤه بتماثيل منوعة بغاية النقش ما يغني عن السرج
وشاهق في علاه مثل سيده يرقى له فوق أعداد من الدرج…
وقبة الملك قد شدت دعائمها على استواء بلا ميل ولا عوج…
ويسرح الطرف في مرأى بدائعها بزخرف النقش أو بالماء والمرج
والنهر يجري إلى الدولاب منعطفا تراه منعرجا في إثر منعرج
وصوت دولابه في حسه نغم أصوات معيد في الثاني من الهزج…
(18) Peyssonnel et Desfontaines, 1838, t. 1, p. 102.
(19) Carte topographique publié par le Service géographique de l’Armée (échelle 1/50 000), Feuille de Tunis, Paris 1889-1928.
(20) Jean Ganiage, Les origines du protectorat français en Tunisie 1861-1881, Paris, PUF, 1959, p. 178.
(21) E. Pellissier, 1853, p. 20.
(22) La Tunisie, Histoire et Description, 1896, II, p. 141.
(23) Charles Lallemand, 1892, p. 238.
(24) L’enzel est un contrat par lequel le propriétaire d’un immeuble ou l’administration d’une fondation habous cède, à titre perpétuel la possession et jouissance d’un immeuble, contre une redevance déterminée et invariable, payable par année ou par mois, que l’autre partie s’engage à lui verser.
(25)
» وأن ما شملته حدود الهنشير المذكور وداخل فيه جميع السانية المشجرة بأنواع العود الرقيق المشتملة على برج قبلي، وعلو كذلك معتلى على بيت من البرج المذكور، وعلى بيت آخر من البرج المذكور ملاصقة له، وفندق قبلي ملاصق له أيضا، وحوش قبلي، ومخزنين جوفيين، ونعورتين، والجدار الذي بين النعورتين، وداموس وسبالة. »
(26) Nous trouvons le nom de la Dokhniyya de Djedeïda dans les actes de la conservation foncière. Il signifie une zone proche du hameau que pourraient atteindre la fumée des habitations du hameau. On y trouve une concentration de petites parcelles irriguées.
(27) Les mémoires du chevalier d’Arvieux, 1735, IV, p. 49.
(28) Ibn Abî Dînâr, 1967, p. 285.
« وكان هذا الدولاب الذي أحدث بالقنطرة على مجردة أحسن مما عمل في حماة وأولى… وبهاء فردسوها يشوق ناظرها إلى فردوس الجنة. وبه من الفواكه العجيبة ما لا يوصف… ولقد تنزهت في تلك المحاسن. ونظرت إلى عذب الماء الذي هو غير آسن. وقد جرت جداوله ودخلت إلى البستان فصار مروجا… ».
(29) E. Pellissier, 1853, p. 20.
(30) Louis Poinssot, 1942, p. 328, note 25.
A l’origine de cette faute Alphonse Rousseau qui attribue « le beau pont de Tébourba » à Youssef Dey (1864, p. 44). Rousseau était suivi par le conseiller municipal de Tébourba Fleury du Sert (1902, p 145-146) ; il date l’ouvrage de 1622 et l’attribue à des ingénieurs hollandais. Il nous semble qu’à l’origine de cette date et de cette attribution le premier traité conclu entre la Hollande et la Régence de Tunis le 14 septembre 1622, traité signalé dans les annales du même Rousseau (1864, p 517). Ces informations sont fantaisistes continuent à être véhiculées dans des publications assez récentes.
(31) A titre d’exemple nous citons les deux publications de Mohamed El-Mezzi, 1991, p. 87, 1983, p. 15-16 qui donnent une version romancée qui ne s’appuie sur aucune source historique fiable. Voir aussi J. Kress, 1983, p. 142 et Abdelhakim Gafsi, 1993, p. 46.
(32) Les débuts des travaux sont donnés par une source contemporaine crédible, al-Wazîr al-Sarrâj (1985, t. 2, p. 548-552).
(33) al-Wazîr al-Sarrâj,1985, t. 2, p. 559.
(34) Peyssonnel et Desfontaines, 1838, t. 1, p. 99. Outre Tuburbo Minus, d’autres sites furent mobilisés pour le chantier. Francisco Ximénes (cité par Epalza, 1983, p. 70) indique que le pont-barrage et les bâtiments qui le complètent –appelés fabrique- sont l’oeuvre de Mahamed Bey, puis il note dans son journal, le 7 mars 1727 : « Pour faire cette fabrique, on a détruit les superbes édifices romains dans plusieurs endroits pour en tirer la pierre que les charrettes des Maures andalous emportaient ». Certains sites pillés se trouvent assez éloignés du pont, comme Thignica, Aïn Tounga ; une dalle portant un fragment d’une inscription fut envoyé à El Battan. R. Thouvenot, 1938, « Notes d’un Espagnol sur un voyage qu’il fit en Tunisie (1724) », Revue Tunisienne, XLV, 1938, p. 313-322.
(35) Thomas Shaw, 1743, p. 212-213.
(36) Peyssonnel et Desfontaines, 1838, t. 1, p. 99-100.
(37) Francisco Ximénes (cité par Epalza, 1983, p. 70) corrige Peyssonnel, qui mentinne 22 arches, et indique que le pont-barrage avait 24 arches et précise que les quatre arches du côté de la rive droite se trouvent au niveau du soubassement de la foulerie. « Ici il y a un pont de 24 arcs, les quatre derniers couvrent le moulin et la foulerie des bonnets. »
(38) Peyssonnel et Desfontaines, 1838, t. 1, p. 99-100.
(39) Peyssonnel et Desfontaines, 1838, t. 1, p. 99-100.
(40) Francisco Ximénes, cité par Epalza, 1983, p. 70.
(41) Ahmed Saadaoui, 2015, p. 122.
(42) Ibn Abî Dhiaf, 1990, t. 4, p. 86-88.
« وفي هذه السنة 1266 / 1844 ، تمّ بناء دار الملف بآلاتها التي أنشأها الباي حذو قنطرة محمد باي )المرادي( بطبربة. وكان بناؤها علي يد أبي عبد الله محمد بن عيّاد. وهي من المصانع الهائلة والمباني الرفيعة، يحرك الوادي آلاتها على أسلوب معجب، باعتبار حالة هذه المملكة، إذ لم يتقدم مثلها، مع ما فيها المصلحة للبلاد. وأرّخها شيخ الإسلام أبو عبد الله محمد بيرم… ».
وتوجه لها الباي ومعه رجال دولته، ورأى تلك المصانع وتحريكها، وبات بقصر الوزير أبي النخبة مصطفى خزنه دار بالجديّدة. ثم رجع لها من الغد، إعجابا بشأنها. وصنعت بها أنواع من الملف مستحسنة فائقة، مثل ملف الافرنج. ثم فتر عزمه عن العناية بها… ».
(43) Khalifa Chater, 1984, p. 531-532.
(44) Francisco Ximénes, cité par Epalza, 1983, p. 70.
(45) Peyssonnel et Desfontaines, 1838, t. 1, p. 99-100.
(46) E. Pellissier, 1853, p. 22.
(47) Les cartes topographiques réalisées par le Service géographique de l’armée française 1/50.000. Feuille de Tunis (1889-1938) et feuille de Tébourba (1894-1934).
(48) Les cartes topographiques réalisées par le Service géographique de l’armée française 1/50.000. Feuille de Tunis (1889-1938) et feuille de Tébourba (1894-1934).
(49) al-Wazîr al-Sarrâj, 1985, t. 2, p. 559.
(50) Les cartes topographiques réalisées par le Service géographique de l’armée française 1/50.000. Feuille de Tunis (1889-1938) et feuille de Tébourba (1894-1934).
(51) Fleury du Sert, 1902, p. 145-155.
(52) Thomas Shaw 1743, p. 212-213.
(53) Claude Lepelley, 1979-1981, t. 2, p. 205-206.
(54) J. Desanges, N. Duval, Cl. Lepelly et S. Saint-Amans (coordination), 2002, p. 258.
(55) Ibn Khadoun, 1992, t. 6, p. 201. L’auteur rapporte que :
« مدافع بن علال القيسي شيخ من شيوخها، فلما اضطربت إفريقية عند دخول العرب إليها امتنع بطبربة وحصّن قلعتها واستبد بها في جملة من ولده وبني عمّه وجماعته، إلى أن ثار عليه ابن بيزون اللخمي… وطالت بينهما الفتنة والحرب… »
(56) Ibn Khadoun, 1992, t. 6, p. 201.
(57) al-Zarkashî, 1998, p. 28.
(58) Ibn Adhdhûm, Kitâb al-‘Ajwiba, 2006, t. 6, p. 270-273.
(59) Victor Guérin, 1862, t. 2, p. 189.
(60) Francisco Ximénes, cité par Epalza, 1983, p. 81.
(61) M. Seghir Ben Youssef, 1900, p 151.
(62) M. Seghir Ben Youssef, 1900, p 251.
(63) M. Seghir Ben Youssef, 1900, p 3510.
(64) M. Seghir Ben Youssef, 1900, p 397-398.
(65) V. Guérin, 1862, t. 1, p. 188.
(66) Faiza Matri, « Genèse du village colonial à Tébourba », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°7, Année 2019. URL : http://www.al-sabil.tn/?p=5423.
(67) Exposition Universelle, 1900, p. 397.
(68) Nous trouvons le nom de la Dokhâniyya de Tébourba dans les actes de la conservation foncière. Il signifie une zone de culture maraîchère proche de la cité que pourrait atteindre la fumée des habitations. Le toponyme est connu aujourd’hui et il apparait sur les cartes topographiques anciennes, notamment celle 1954 (1/50.000).
(69) R. Cagnat et H. Saladin, 1894, p. 346.
(70) Voir à ce propos la description d’Edmond Pellissier (1853, p. 22 et 23).
(71) Fond d’archives de l’ASM de Tébourba. L’acte révèle que le second amîn était cAzzûz b. Muhammad b. al-Hâj cAyyâd al-Waslâtî et l’amîn de l’oliveraie de Qatac al-Wâdî (sis à l’Ouest de Tébourba) était al-Hâj Nasr b. Salih, b. Mahjûb al-Ghanî.
(72) Fond d’archives de l’ASM de Tébourba. Acte daté de la fin de Rabîc 1er 1241/12 novembre 1825.
(73) Muhammad al-Mezzi, 1991, p. 78.
Voir également les documents rassemblés par l’Association de Sauvegarde de la Médina de Tébourba sur l’initiative du Professeur, feu Abdelwahab Mahjoub. Quelques mois avant son décès, notre ami nous a donné des copies de certains de ces documents précieux (Fond d’archives de l’ASM de Tébourba).
Dans cette documentation formée d’actes de habous, d’héritage ou de transaction, les parcelles détenues par des Tébourbiens ou par des fondations religieuses de Tébourba sont généralement petites et sont décrites ainsi : « la totalité de la parcelle de terre nue destinée au labour et à l’ensemencement, etc. ». A titre d’exemple, nous citons un acte daté 15 jumâda 1er 1310/ 5 décembre 1892 décrivant ainsi à plusieurs reprises des parcelles sises à l’Est de Tébourba :
« جميع الشراك الأرض البيضاء المعدّ للحراثة والإزدراع الكائن شرقي طبربة ومن مزارعها… ».
(74) Mohamed El-Mezzi, 1991, p. 77-78.
(75) V. Guérin, 1862, t. 2, p. 188.
(76) Plusieurs indices confirment que la médina actuelle s’inscrit dans les limites de la ville de cette époque de référence ; en effet, Francisco Ximénes (1983, p. 81) estime le nombre d’habitation en 1724 à 800, avec une moyenne raisonnable de 4 personnes pour chaque foyer, sa population serait donc d’environ 3.200 habitants ; le recensement de l’INS de 1975 indique que la ville avait 3.200 habitants.
(77) Francisco Ximénes, cité par de Epalza, 1983, p. 81.
(78) Villot (E.), 1881, p. 26-27.
(79) Des actes signalés par Mohamed El-Mezzi, 1991, p. 55. Voir aussi les actes du Fond d’archives de l’ASM de Tébourba.
(80) Les documents se trouvaient aux Archives du Domaine de l’Etat. Concernant le fameuse huilerie al-Rîkadhûn, un acte daté du milieu du mois de ramadan 1186/10 décembre 1772 signale que ses limites sont : au sud, une ruelle la séparant de la chaufferie (furnâq) du hammam et une huilerie en ruine ; à l’est, les murailles de la ville ; au nord, la rue qui mène à Bâb al-Souk, une des portes de la ville et à l’ouest, la porte d’entrée donnant sur une rue séparant l’huilerie du fondouk Balma.
[…بعد أن استقر على ملك الحاج أبي محمد حمودة الريكاضون الأندلسي، أمين الشواشية والتجار بتونس في التاريخ، جميع المعصرة الغربية الباب المعدة لعصر حب الزيتون الكائنة داخل بلد طبربة، المحدثة البناء… يحدها الآن قبلة طريق فاصل بينهما وبين فرناق الحمام المتين مع المعصرة المنهدمة، وشرقا سور البلد المذكور، وجوفا الطريق المخرجة إلى باب السوق أحد أبواب البلد المذكور، وغربا طريق فاصل بينها وبين فندق بالمه، وذلك حيث المفتح…]
Voir Boutheina Fraj, 2006, le document n°1 des annexes (Huilerie al-Rîkadhûn), n°2 (le hammam attenant) et n°3 (fondouk al-Rîkadhûn) ; l’auteure a lu 1086 alors qu’il est question de 1186.
Hammûda al-Rîkadhûn al-Andalusî apparaît également dans des actes à Zaghouan où sa famille avait des propriétés et son fils Mustafâ s’est marié avec la fille du cheikh des Andalous de la ville, Youssef b. Muhammad b. Mustafâ b. Ibrâhim b. cAbd al-cAzîz. Un premier acte de décès de l’intéressé, Youssef, daté des débuts de dhû al-qacda 1178/22 avril 1765 et un deuxième acte d’échange entre la corporation des shawwâshiya et le gérant du waqf de la mosquée hanafite de Zaghouan daté du milieu de muharram 1180/23 juin 1766). Ces documents m’ont été révélés par mon ami Khaled Chaeib ; qu’il en soit vivement remercié.
(81) Fond d’archives de l’ASM de Tébourba, acte 10/10.
(82) Francisco Ximénes, cité par d’Epalza, 1983, p. 81.
(83) Sur une carte postale datant des années 1900 (collection Chawki Dachraoui), nous observons quatre boutiques, près de l’angle sud-ouest de la place, non loin de la grande mosquée, pourvues d’un étage avec fenêtres sur la place.
(84) R. Cagnat et H. Saladin, Voyage en Tunisie, Paris 1894, p. 346.
(85) G. Marçais, 1954, p. 480.
(86) Francisco Ximénes, cité par de Epalza, 1983, p. 82.
(87) Les documents se trouvaient aux Archives du Domaine de l’Etat. Voir Boutheina Fraj, 2006, p. 62 et le document n°12 des annexes.
(88) Boutheina Fraj, 2006, le document n°11 des annexes.
(89) Les documents se trouvaient aux Archives du Domaine de l’Etat. Voir Boutheina Fraj, 2006, p. 62.
(90) Boutheina Fraj, 2006, p. 85, 90 et le document n°8 des annexes où il est indiqué que le côté ouest de la mosquée d’al-Hâj Ramdhân al-Andalusî est délimité par des boutiques et un habous d’al-sabbâla ; al-sabbâla signifie ici al-sabil ou al-Khâbiyya.
(91) Les maisons actuelles de la médina de Tébourba ont subi, à travers les âges, trop de modifications pour être représentatives de celles des XVIIe et XVIIIe siècles. Les documents historiques et des témoignages de certains érudits, comme Mohamed El Mezzi (1983, p. 8) qui a connu la ville avant les destructions de la seconde guerre, nous donnent une idée assez exacte sur de telles constructions.
(92) Mohamed El-Mezzi, 1991, p. 557-58.
« وفي مدخل السوق من الجهة القبلية أقيم المسجد الجامع المتوغل في القدم والغالب على الضن أنه من مباني القرن الخامس هجري ».
La cité médiévale se situait, comme nous l’avons dit plus haut, sur le site antique, sa kasbah occupait le l’amphithéâtre romain et la mosquée jouxtait certainement la citadelle. Vers la fin de la période hafside, la cité médiévale déclina et tomba en ruine. A leur arrivée les Andalous fondèrent leur cité selon un plan orthogonal préétabli, à côté d’une localité en ruine et désertée ; vers 1600 les Fatwa-s d’Ibn cAdhdhûm parle de Henchir Tébourba et ne mentionne pas la cité. Ibn Adhdhûm, Kitâb al-‘Ajwiiba, 2006, t. 6, p. 270-273.
(93) Fond d’archives de l’ASM de Tébourba, acte 2.
(94) Fond d’archives de l’ASM de Tébourba, acte 4.
« … جميع الدار الشرقية الباب إرث الحاج محمد القصري، المحتوية على كرّان ملاصق لها من الجوف، وثلاثة بيوتا، وعلوي صغير على السقيفة، وعلوي على البيت الجوفي، وبئر معينة بوسط الرواق… »
(95) Mohamed El Mezzi, 1991, p. 57-58.
« والمسقوف من هذه المرافق يستعمل في سقفها عود السرداوي، وهو من خشب العرعار لأنه غاية من الصلابة. وتغطى السقوف بالقرميد المهلل الذي يشبه نصف أسطوانة يبلغ طول القرميدة ذراعا تقريبا. وهو من المصنوعات المحلية التي أفل نجمها إثر الحرب العالمية الثانية، حيث أنذك آخر معمل كان يصنع فيه ضمن المصنوعات الخزفية. وكان بطبربة أكثر من مصنع للخزف، آخرها ما ذكرت. ويتمّ غطاء السقوف بالقرميد بعد تغطيتها بالتراب الذي يوضع على ما بني من السقف باستعمال مادة الجص المقوى بقطع الخزف. وتكون السقوف مائلة في اتجاه وسط الدار… »
(96) Mohamed El-Mezzi, 1991, p. 56.
« وفي مدخل السوق من الجهة القبلية أقيم المسجد الجامع المتوغل في القدم والغالب على الضن أنه من مباني القرن الخامس هجري ».
La cité médiévale se situait, comme nous l’avons dit plus haut, sur le site antique, sa kasbah occupait le l’amphithéâtre romain et la mosquée jouxtait certainement la citadelle. Vers la fin de la période hafside, la cité médiévale déclina et tomba en ruine. A leur arrivée les Andalous fondèrent leur cité selon un plan orthogonal préétabli, à côté d’une localité en ruine et désertée ; vers 1600 les Fatwa d’Ibn cAdhdhûm parle de Henchir Tébourba et ne mentionne pas la cité. Ibn Adhdhûm, Kitâb al-‘Ajwiiba, 2006, t. 6, p. 270-273.
(97) Ibn Abî Dînâr (1967, p. 206), Ibn Abî al-Dhiâf (1990, t. 2, p. 35) ainsi qu’al-Wazîr al-Sarrâj (1985, t. 2, p. 344) qui note qu’à l’époque de cUthmân Dey (1598-1610) :
« قدم أهل الأندلس وكانوا خلقا كثيرا، فأوسع لهم وجبر قلوبهم وأذن لهم في إنشاء بلدان، فاشتروا هناشر ووضعوا فيها بلدانا وأنشأوا بها مساجد تحاكي مساجد المدن. وأوقفوا عليها أوقافا ضخمة احتسابا لله. وأحدثوا بها جنات من أعناب وزيتون وغريب الفواكه والثمار، وكانت تنيف على عشرين بلدا. »
(98) Boutheina Fraj, 2006, p. 66 et 106.
(99) Mohamed El-Mezzi, 1983, p. 8 (la partie en arabe).
(100) Slimane Mustafa Zbiss signale le premier l’inscription dans un petit article de vulgarisation, 1983 (b), p. 44 ; Ahmed Saadaoui la mentionne également (2000, p. 117) et dans son mémoire de Master sous notre direction Boutheina Fraj (2006, 72-73) la publie.
(101) Deux mots que nous n’avons pas pu lire ; la peinture récente ayant introduit des perturbations sur le texte.
(102) ANT, registre 3992, p. 229-230, acte publié par Ahmed Saadaoui, 2011, p. 83-85.
(103) A l’époque coloniale, la mosquée a subi des transformations importantes ; sur le côté ouest, une maison d’habitation mitoyenne fut démolie et intégrée dans la salle de prières. Nous pouvons reconnaître facilement cette extension représentée hachurée sur notre plan. Sur le côté opposé, la salle d’ablution et d’autres annexes furent également réaménagées à une date récente.
(104) Mohamed El-Mezzi, 1991, p. 58.
(105) Slimane Mustafa Zbiss signale cette inscription dans un petit article de vulgarisation, 1983 (b), p. 43.
(106) Ahmed Saadaoui, 2010, p. 63 et Jacques Revault, 1978, fig. 124.
(107) Boutheina Fraj, 2006, p. 68.
(108) Fathi Jarray et Eric Mercier, 2016, p. 69-89.
(109) Au XIXe siècle, Victor Guérin (1862, t. 2, p. 188) signale que « Tébourba est une petite ville un peu moins délabrée que la plupart de celles de la Tunisie. Elle renferme trois mosquées et plusieurs zaouïas. »
(110) ANT, registre 2249 (2), cité par Bouthein Fraj, 2006, p. 36 ; dans un inventaire des bien waqf du bey Hussayn b. cAlî, il est désigné sous le nom de (مسجد سوق البلد ). Voir également Abdelkarim Bouzayène, 1997, p. 96-97- D’après l’auteur des documents de waqf l’appellent (جامع سوق البلد ).
(111) Boutheina Fraj, 2006, p. 85, le document n°7 des annexes.
(112) Boutheina Fraj, 2006, p. 90. L’auteure cite un document des Archives du Domaine de l’Etat daté de l’année 1308/1890.
(113) Abdelkarim Bouzayène (1997, p. 96-97) date la mosquée du Moyen Age sans donner aucune preuve tangible. Boutheina Fraj (2006, p. 90) qui donne une description détaillée de ce masjid, distingue entre celui d’al-Hâj Ramdhân al-Andalusî et celui d’al-Yakûrî et pense que ce dernier est tardif et représente la dernière mosquée construite à Tébourba.
(114) Abdelkarim Bouzayène, 1997, p. 72-73.
(115) Boutheina Fraj, 2006, p. 80 et 137. L’auteure cite des documents consultés aux Archives du Domaine de l’Etat qui ont été transférés aux Archives Nationale de Tunisie.
(116) Abdelkarim Bouzayène (1997, p. 37) publie une photographie ancienne de la mosquée avant sa restauration en 1985 et Boutheina Fraj (2006, p. 80-84) présente une description de cette mosquée.
(117) Abdelkarim Bouzayène, 1997, p. 81. L’auteur rapporte une tradition qui attribuait la construction de cette mosquée à Qâsim al- Binzartî, le gérant des habous ; à l’origine de cette attribution erronée, une information tirée de l’inscription de la zawiya de Sîdî Thâbet et se rapportant à la zawiya.
(118) Les documents se trouvaient aux Archives du Domaine de l’Etat. Voir Boutheina Fraj, 2006, le document n°12 des annexes.
(119) Boutheina Fraj, 2006, p. 95-97.
(120) Fond d’archives de l’ASM de Tébourba, acte 10/10. Un document relatif à une maison objet d’un conflit entre les héritiers de Hamda b. Sâssî précise son emplacement en ces termes : « la totalité de la maison ouvrant vers le nord, située près de la zawiya de Sîdî Thâbet al-Ansârî et de la place Bastwîla, du côté de Bâb al-Krârit ».
(121) Voir à ce propos notamment al-Dhahabî, Aclâm al-Nubalâ’ et al-Mâlikî, Riyadh al-Nufûs.
Beaucoup de confusion à ce propos chez Bouzayène (1997, p. 72) : un compagnon de Muhammad qui arrive à Tébourba plus d’un siècle après la mort du prophète (en 146/763) ?
(122) Boutheina Fraj, 2006, p. 106.
(123) Cachée sous le cénotaphe du saint, nous avons découvert cette inscription dans les années 1990, nous l’avons signalée dans notre article Villes et villages Andalous de Tunisie (2000, p. 117) ; Boutheina Fraj l’a publiée dans le mémoire de Master que nous avons dirigé (2006, p.108-109).
(124) Une lettre envoyée au premier ministre Youssef Djaït datée du 24 juin 1913 indique que la mosquée fut reconstruite complètement ainsi que son minaret en 1912. ADE, le document est cité par Boutheina Fraj, 2006, p. 106-107.
(125) Abdelkarim Bouzayène, 1997, p. 367.
(126) D’après un témoignage d’Abdelkarim Bouzayène, cité par Boutheina Fraj, 2006, p. 126.
(127) Husayn Khûja, 1972, p. 287-289.
(128) Abdelkarim Bouzayène, 1997, p. 84. Voir aussi Mohamed El-Mezzi, 1983, p. 26.
(129) Riadh Haffar, 2006, p. 48.
(130) Boutheina Fraj, 2006, les documents n°1, 2 et 3 des annexes.
(131) Boutheina Fraj, 2006, p. 56-58.
(132) Boutheina Fraj, 2006, le document date de 1772, n°1 des annexes.
Pour citer cet article ↑ |
Ahmed Saadaoui, « Tébourba, Djedeïda et El-Battan : L’établissement des Andalous dans la basse vallée de la Medjerda. Mise en valeur des terres, urbanisme et architecture« , Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°8, Année 2019.
URL : http://www.al-sabil.tn/?p=6561
Auteur ↑ |
(*) Professeur universitaire – Université de la Manouba. Laboratoire d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines.