11 | 2021
Compte-rendu de l’ouvrage Essai d’analyse de la transition historique d’une ville algérienne vers la modernité urbaine de Saddek Benkada
Sami Boufassa (*),
Édité à partir d’une thèse soutenue en 2008, le livre de Saddek Benkada est un important ouvrage sur l’histoire moderne de la ville d’Oran. Se définissant comme sociologue et historien, Benkada est fortement lié à la recherche contemporaine qui concerne l’Ouest algérien et spécifiquement la ville d’Oran. Ses activités, au sein du centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (le CRASC), sont souvent publiées dans la revue « Insaniyat ». L’édition de ce travail de recherche vient donc enrichir l’histoire de l’urbanisme en Méditerranée et spécifiquement en Algérie. La ville d’Oran est scrutée minutieusement pour une période assez spécifique à cette ville (1732-1912). L’histoire moderne d’Oran reste assez unique car aucune autre ville algérienne ne vit des bouleversements urbains et démographiques comme ceux d’Oran. Première occupation espagnole (1732-1792), reconquête algéro-ottomane (1792-1831), occupation française (1831-1962). A chaque fois et durant les trois périodes, le pouvoir en place, façonne l’organisation urbaine de la ville et contribue à son chamboulement démographique.
L’idée générale du livre est l’introduction d’une ville algérienne dans la modernité. L’occupation espagnole façonne la ville à la manière des villes européennes du XVIIIe siècle. Si en Europe, le tracé urbain est lié au contexte historique et économique (guerres entre pays européens et révolution industrielle), la ville d’Oran a un contexte particulier, celui d’une occupation militaire étrangère qui essaye d’établir une enclave en terre algérienne. La sécurité de la ville et la pérennité du confort intra-muros sont le leitmotiv de cette modernité du XVIIIe siècle. L’autre aspect de la modernité s’exprime par l’aménagement de la ville durant sa période algéro-ottomane (1792-1831). Les travaux entamés par le Bey Mohamed el Kebir avec le tracé novateur et géométrique de la nouvelle ville sur la rive droite du ravin de Raz-el-Aïn et la construction des différents équipements d’utilité publique en une courte durée sont des signes de modernité par rapport à la tradition urbaine des villes algériennes. L’occupation française entame un remodelage de la ville. Le remplacement de la population algérienne par une autre, européenne, est suivi durant tout le XIX siècle par un aménagement moderne qui finit par donner à Oran, l’image d’une ville similaire à celles de la rive nord de la méditerranée.
Le livre est divisé en huit parties. L’évolution chronologique est de rigueur. La première partie traite de la période espagnole. Pour Benkada, cette phase est comme un prélude à la modernité. L’expérience oranaise est comparée à ce qui se pratique en Espagne et en Europe. L’aménagement urbain comme l’exemple de la place Mayor créée à cette époque est ainsi considéré comme une innovation occidentale. Les trois parties suivantes abordent la reconquête d’Oran et sa nouvelle organisation urbaine. Le départ des Espagnols et l’état de ruines de la ville suite au tremblement de terre de 1790, incitent le Bey au lancement d’une politique de repeuplement. En devenant la capitale du Beylik de l’ouest algérien à la place de Mascara, Oran bénéficie de la construction de différents équipements publics et d’une relance de l’économie et de l’industrie locale. La colonisation française occupe les trois parties qui suivent. Une réorganisation est entamée mais sans une réelle confrontation avec un cadre bâti historique. La spécificité d’Oran par rapport aux autres cités algériennes est l’absence de Medina historique. A Alger tout comme à Tlemcen ou à Constantine, l’armée coloniale entame des percées au sein des tissus historiques des villes afin d’installer leurs quartiers et les équipements nécessaires aux nouveaux arrivants ; à Oran, le champ est libre mais avec une autre contrainte, celle de la morphologie difficile du site. Les ingénieurs du génie militaire adoptent des solutions adéquates en urbanisme : que ce soit sur la réglementation des voiries, sur l’aménagement du quartier pour Algériens en dehors des murailles, sur l’aménagement du port ou sur la politique de gestion des sources hydrauliques. La dernière partie est réservée à la seule analyse démographique d’Oran entre 1792 et 1912. Une autre spécificité car Oran se vide de sa population à chaque changement de pouvoir. L’ironie de l’histoire fait qu’Oran (la ville la plus française d’Algérie), se vide, à nouveau, de sa population européenne, en 1962, à l’indépendance du pays. Le chapitre final de cette partie du livre est consacré à René Lespès et à son travail sur la démographie urbaine d’Oran : là, on sent l’effort de Benkada à décoloniser l’histoire des villes algériennes en soulevant ‘les incongruités’ du travail colossal de René Lespès.
Deux points importants sont à souligner qui montrent la valeur historiographique de l’œuvre de Benkada : la situation d’Oran comme ville côtière reste un exemple d’une ville algérienne et méditerranéenne au centre des conflits internationaux. Son évolution urbaine et démographique en est la conséquence. Qu’en est-il des autres villes ? D’un autre côté, l’exemple d’Oran et spécialement durant la colonisation française, montre l’importance des villes comme centre du pouvoir du système colonial. Si l’économie de la présence française en Algérie est agraire, la ville reste le pivot de gestion et de fonctionnement. Une autre réalité historique de toute autre ville algérienne.
Benkada déconstruit le discours colonial sur l’histoire de la ville, surtout ce qui concerne la reconquête (1792-1830). Son appui bibliographique des chroniqueurs algériens du XVIIIe et XIXe siècles donne une nouveauté de l’histoire urbaine d’Oran. Il fait référence à Mohamed Ben Sahnoun Er-Rachidi, à Ben Zerfa Ed-Dahaoui, à Benaouda El Marari, à Mohamed Ben Youcef Ez-Ziani et à El-Mercherfi Abdelkader El Jazaïri. Afin d’asseoir son texte, Benkada a recours, continuellement, à des comparaisons ou à des rappels sous formes de réflexions historiques et théoriques que ce soit avec l’Espagne ou avec la France. Il enrichit la partie réservée à la colonisation française par une série de références liées à des lois et à des décrets gouvernementaux, ce qui procure au livre une prévalue qui dépasse la simple histoire de la ville d’Oran. Benkada donne une large compréhension de l’urbanisme en général durant les deux derniers siècles. Malgré l’excellente qualité du travail de Benkada, on reste sur sa faim quand il s’agit de la limite d’étude à 1912 car Oran connait une transition fulgurante dans le modernisme architectural et urbain durant la première moitié du XXe siècle.
Fig. 1 : Couverture du livre.
Pour citer cet article ↑ |
Sami Boufassa, « Compte-rendu de l’ouvrage Essai d’analyse de la transition historique d’une ville algérienne vers la modernité urbaine de Saddek Benkada », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°11, année 2021.
URL : http://www.al-sabil.tn/?p=6986
Auteur ↑ |
(*) Maître de conférences, Université A. Mira, Département d’Architecture de Bejaia, Algérie.