GHADAMES : lecture anthropique d’une architecture de terre

09| 2020

GHADAMES : lecture anthropique d’une architecture de terre(1)

Emna Bchir (*),

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Résumé

Le présent travail a été élaboré suite à un séjour in situ, lors d’un voyage d’études effectué en 2005 avec des étudiants de l’Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis à Ghadamès (Lybie), cité-oasis qui a fasciné les voyageurs à travers les siècles. Basé sur le croquis, le relevé et l’observation, le travail consiste en une lecture architecturale et urbaine de Tingesone, un des sept quartiers qui constituent la ville et est représentatif de par sa morphologie et ses bâtiments, des six autres. L’article interroge la morphologie urbaine du point de vue de l’organisation et la structure de l’espace public, ainsi que la typologie architecturale, les usages de l’espace, les techniques et matériaux de construction de cette architecture de terre insolite et mystérieuse.

Abstract

This work results from a fact-finding trip which was organized in 2005 with students of the National School of Architecture and Town planning to the city of Ghadamès (Libya), a fascinating oasis-city which inspired many travelers throughout the centuries. The study was based on sketches, surveys and on-site observations. It consists in a specific reading of Tingesone, one of the seven districts which constitutes the city and quite representative of the other six. Our scope in this paper is to examine the overall context, throughout both the structure of the urban space, and the building typology, space functionality, materials and construction techniques of this mysterious adobe architecture.

الملخص

انجز هذا العمل إثر رحلة دراسية صحبة مجموعة من طلبة المدرسة الوطنية للهندسة المعمارية والتعمير إلى غدامس، المدينة التي فتنت المسافرين على مدار القرون. استنادًا إلى تقنيات الملاحظة والمقابلات والرسوم التخطيطية الهندسية التي أعدت على عين المكان، يتمثل هذا المقال في قراءة معمارية وحضرية لحي نموذجي « تنجزون »، وهو أكبر حي من بين السبعة الذين يشكلون المدينة ويمثلون هيكلها ومبانيها. ويبحث هذا العمل عن الإطار المعماري من خلال التنظيم العمراني للمدينة ونمط المباني المعمارية ووظائف الفضاء وتقنيات ومواد البناء لهذا الطراز المعماري الطيني البديع.

Entrée d’index

Mots-clés : Ghadamès, Architecture de terre, Analyse architecturale, organisation urbaine, Cité-oasis, Techniques et matériaux de construction, contexte
Keywords: Ghadamès, Mud architecture, Architectural analysis, urban structure, oasis city, construction Techniques and materials.

الكلمات المفاتيح: العمارة الطينية ،غدامس ،تحليل الهندسة المعمارية ،المنظمات الحضرية، تقنيات ومواد البناء.

Plan

Introduction
1.Organisation urbaine

2. Typologie du hūš
3. Ghadamès, une architecture à l’échelle de l’Homme
4. Gestion de l’eau à Ghadamès
5. Matériaux et techniques de construction
Conclusion

Texte intégral

Introduction

Ghadamès cité-oasis fascinante à plus d’un titre, constitue un exemple unique d’architecture vernaculaire de terre, une symbiose parfaite entre le bâti, l’homme et la nature. S’étalant sur 225 ha dont 10 bâtis(2), la cité-oasis souvent nommée perle du désert, se distingue des tissus urbains classiques du désert à maints égards. De par sa situation géographique et historique sur la route des caravanes qui traversaient l’Afrique, elle est depuis deux millénaires pour le Sahara un centre de gravité naturel et pour le Maghreb un passage obligé. Quatre routes, avec pour principaux pôles Tunis, Tripoli et Ghadamès, en partaient pour sillonner l’Afrique, du nord vers le sud et de l’est vers l’ouest.(3)La ville rayonnait tellement dans la région qu’elle était considérée par les habitants du Djebel Nefūza comme la véritable capitale du sud. Passage névralgique du commerce transsaharien, elle fût qualifiée par certains chercheurs de ville du far-ouest saharien: il y régnait des systèmes très organisés d’échanges, avec des caravanes dirigées par un chef ġedamsi et une sécurité assurée par un chef touareg « homme bleu » du Sahara à la fois protecteur et racketteur.

Fig. 1 : Cité en plein cœur de l’oasis
Source : Photo de l’auteure.

Fig. 2 : Accès à la ville.
Source : Photo de l’auteure.

Fig. 3 : Rue menant à la palmeraie.
Source : Photo de l’auteure.

Le statut privilégié de la cité a naturellement fait de Ghadamès un carrefour de rencontre des cultures, dont les interactions vont se concrétiser en architecture, puisqu’on retrouvera des similitudes rappelant l’architecture de terre et les décors de façades que l’on peut voir dans des endroits aussi éloignés que Sancâ au Yémen, ou dans les motifs et palettes de couleurs terre caractérisant l’Afrique subsaharienne.

Fig. 4 :
Source : Etudiants

Ghadamès présente par ailleurs une grande originalité au niveau de son implantation urbaine qui lui confère son caractère insolite. La ville est en effet construite en plein cœur de l’oasis, et non comme cela se fait traditionnellement, auprès de l’oasis. Les constructions sont érigées au sein même de la luxuriante palmeraie, définissant une forme ovoïde compacte de l’ensemble urbain(figure 4). Cela confère à la ville un microclimat appréciable en plein désert, où ni les houleuses tempêtes de sable, ni les températures extrêmes ne sont ressenties. Les températures avoisinent les 21 degrés, tout au long de l’année que ce soit dans les rues ou à l’intérieur même des constructions aux murs épais. Ce microclimat est également dû à un autre trait original de la ville, à savoir le dédale de rues et de ruelles, entièrement couvert, qui la structure. La morphologie urbaine peut être décrite comme un tissu en grappe, assimilable à une grande masse de terre ponctuée de trous d’aération oblongues et de quelques petites placettes à ciel ouvert. Le réseau urbain est constitué de rues couvertes, éclairées et aérées par des puits de lumière plus ou moins longs et plus ou moins hauts, ménageant ainsi des ambiances lumineuses absolument extraordinaires.

Les températures avoisinent les 21 degrés, tout au long de l’année que ce soit dans les rues ou à l’intérieur même des constructions aux murs épais. Ce microclimat est également dû à un autre trait original de la ville, à savoir le dédale de rues et de ruelles, entièrement couvert, qui la structure. La morphologie urbaine peut être décrite comme un tissu en grappe, assimilable à une grande masse de terre ponctuée de trous d’aération oblongues et de quelques petites placettes à ciel ouvert. Le réseau urbain est constitué de rues couvertes, éclairées et aérées par des puits de lumière plus ou moins longs et plus ou moins hauts, ménageant ainsi des ambiances lumineuses absolument extraordinaires.

Fig. 5 : Arc urbain.
Source : Photo de l’auteure.

Fig. 6 : Contraste clair/obscur.
Source : Photo de l’auteure.

La ville historique qui, à la veille du XXe siècle comptait 6000 habitants,(4) est structurée en sept quartiers, complètement autonomes. Ces quartiers sont séparés entre eux et fermés physiquement les uns par rapport aux autres par de lourdes portes en bois, ouvertes le jour et closes la nuit. (Figure 7) Nul ne pouvait passer d’un quartier à un autre, sauf les quelques adultes autorisés à le faire et ayant une raison bien particulière pour cela. Autrement, les échanges entre les zones restaient rares et occasionnels. Cette division par quartiers correspondait en réalité à une division d’ordre tribal, et chaque quartier constituait à lui seul une unité administrative. Les Six quartiers considérés berbères étaient organisés comme suit : Les Béni Ouasit occupaient les quartiers au sud du marché commun à toute la ville : ğerisane, Tingesone et Taferferāt. Les Beni Ulid, quant à eux occupaient les quartiers au nord du marché : Tesku, Beni Derar et Beni Mazeġ. Le septième quartier de la ville était habité par un groupe considéré arabe : les Uled Belil(5). Il est à noter qu’un ordre tribal régnait dans la ville, mais qui était transcendé par un véritable ordre urbain reposant sur les prérogatives de la notabilité marchande, régie par le système corporatiste (cuir, cuivre, etc…).

Fig. 7 : Porte de quartier.
Source : Etudiants

1. Organisation urbaine

Les sept quartiers sont structurés de manière similaire. Les animaux n’ont pas de place dans la ville. Ils restent à l’extérieur dans les champs. Chaque quartier dispose de son propre réseau de rues couvertes. Un grand šārac décrivant un quadrilatère fermé, constitue l’artère principale du quartier, sur laquelle se greffent les ruelles et les impasses. Ce système de rues accueille deux espaces publics uniques dans chaque quartier, le meyden et le mağlis. Le meyden est une sorte de petite placette oblongue, généralement à ciel ouvert, où se tiennent les activités de célébration des nombreuses fêtes religieuses, mystiques et sociales. Il articule les différents équipements du quartier : quelques commerces (matğar), un masğid, un ğāmac réservé à la prière du vendredi, ainsi qu’une medersa, un kottāb et une zawya. Cette placette débouchera toujours sur les champs par le biais d’une ruelle en chicane. A proximité se trouve le mağlis (figure 8), autre placette de dimensions équivalentes à celles du meyden, et également à ciel ouvert. La différence entre les deux est d’ordre social et fonctionnel. Alors que le premier est réservé aux rassemblements et à la célébration des fêtes, le second est l’espace de vie communautaire au quotidien. Il est le lieu où les hommes se rassemblent et s’assoient pour discuter. Le mağlis est entouré de banquettes maçonnées, traduisant l’ordre social qui régit la communauté. Elles sont construites selon trois hauteurs différentes destinées aux trois tranches d’âge : celles qui sont hautes seront réservées aux personnes âgées, celles moyennes aux hommes à partir de la quarantaine et celles basses aux jeunes entre onze et quarante ans. Les discussions se tiennent en réalité entre les plus âgés du groupe, tandis que les plus jeunes ne sont autorisés qu’à écouter leurs aînés afin d’apprendre et de gagner plus de maturité. Les longues discussions sont ponctuées d’interruptions au rythme des cinq prières de la journée, pratiquées dans le masğid les jours de la semaine autres que le vendredi. On peut facilement imaginer combien la vie quotidienne était animée dans ces espaces publics.

Fig. 8 : Mağlis.
Source : Photo de l’auteure.

La Ghadamès arabe est une ville pieuse. On y dénombre beaucoup de masğid répartis de manière régulière environ tous les cinquante à soixante mètres. Ils sont dédiés à la prière, mais également à l’approfondissement des connaissances théologiques. Le cheikh, qui professe dans le miḥrāb, réunit autour de lui, les élèves les plus anciens. A leur tour ls se chargent d’instruire les plus jeunes, oralement, par la méthode du talqīn. Il est à noter que la différence de pratique entre le masğid et le jāmac est d’ordre typologique : le masğid ne peut pas accueillir la prière du vendredi et ne comporte pas de minaret, alors que le jāmac dispose d’un minaret carré, et étant construit en adobe, il n’est pas très élevé. Le jāmac accueille outre les prières quotidiennes, celles du vendredi.

Fig. 9 : Coupe et axonométrie mosquée.
Source
: Etudiants

Fig. 10 : Plans, coupe et croquis mosquée.
Source : Etudiants

La ville compte également un grand nombre de marabouts (zawya) dédiés aux nombreux saints qui la protègent. Les pratiques soufies de la cIsawuia sont très courantes. Ces zaouias n’ont pas d’emplacement particulier dans la ville, comme on peut le voir ailleurs : (Nefta(6) en Tunisie par exemple) où elles sont généralement construites en périphérie. A Ghadamès, les zawya se trouvent aussi bien en périphérie qu’à l’intérieur du tissu urbain. Elles auront cependant un signe distinctif : une coupole signalétique, allongée au-dessus d’une toiture plate.

Fig. 11 : Mosquée.
Source : Photo de l’auteure.

1.1- Etude du quartier Tingezone

Les relevés et croquis présentés ci-après, ont été effectués dans le cadre d’un voyage d’études avec des étudiants de l’Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis, suite à un séjour sur site en 2005.

Fig. 12 : Plan, coupes sur rue et croquis du quartier Tingezone.
Source : Etudiants

La morphologie qui se dessine dans le quartier Tingezone est représentative de celle du reste des quartiers de la ville. Elle est très claire et très simple. Une artère résidentielle principale, très aérée et éclairée, nommée šārac d’environ deux mètres de large décrit une boucle fermée, sur laquelle se greffent quelques ruelles perpendiculaires d’environ un mètre de large, plus courtes et plus étroites. Les ruelles secondaires sont également plus basses, leur couverture atteignant à peine trois mètres de haut, et de ce fait plus sombres puisqu’il y aura peu de puits de lumière et peu de puits d’aération. Quelques impasses se branchent aussi bien sur les ruelles que sur le šārac. Elles sont carrément noires, car non éclairées et très écrasées. Certaines impasses sont tellement basses qu’on arrive à peine à circuler en station debout, la hauteur sous-plafond pouvant descendre jusqu’à 1,2 mètre. L’accès à l’intérieur des maisons y attenant est malaisé. Ces différences de hauteurs sont dues en réalité aussi bien aux chevauchements des constructions avec parfois des parties couvrant la rue, qu’à la conception elle-même des maisons en système de demi-niveaux.

Fig. 13 : Meyden Ġazar.
Source : Photo de l’auteure.

Le meyden Ġazar est la place du quartier et son centre de gravité social. Il n’est pour autant pas son centre géométrique puisqu’il se situe à l’extrémité du quartier. Non connecté de manière directe au šārac il débouche par le subterfuge d’une ruelle en coulisse, sur les champs. Le meyden est une cour oblongue à ciel ouvert, de forme rectangulaire agréablement proportionnée et composée de manière réfléchie. Les côtés longitudinaux sont divisés en travées régulières comportant de grandes niches arquées, dont la base, la profondeur et la hauteur sont étudiées pour servir comme banquettes. Il est intéressant de noter la différence de hauteur des banquettes de part et d’autre des deux côtés longitudinaux du meyden. Le côté à trois niches abrite les banquettes les plus hautes, celles qui seront réservées aux adultes, tandis que celui opposé à quatre niches abritera les banquettes plus basses, celles réservées aux jeunes. Dans l’axe longitudinal du meyden, deux beaux arcs épais reposant sur un pilier lourd, matérialisent le passage vers un mağlis largement couvert, bien abrité du soleil. Traversé lui-même de deux rues en chicane l’une par rapport à l’autre laissant ainsi circuler l’air, le mağlis est un espace très frais. Il est aisé d’imaginer combien il est agréable de s’y allonger, et d’y vivre au rythme des cinq prières de la journée, sur les banquettes creusées dans le mur du fond, à l’abri du chaud soleil et de la lumière intense.

Fig. 14 : Plans, coupe et croquis meyden Ġazar.
Source : Etudiants

Du côté opposé au mağlis, un palier de deux marches forme une transition. Il permet d’une part, aux habitations des ruelles du quartier, le passage à travers une chicane ; et d’autre part ouvre sur des escaliers cachés derrière une composition de trois arcs. Ces arcs matérialisent la quatrième façade du meyden traitée dans le même esprit que les trois autres. Les escaliers mènent en réalité à une galerie à l’étage au bout de laquelle et juste au-dessus du mağlis se dresse une zawya, qui le dote d’une épaisse toiture, lui conférant ainsi une inertie thermique appréciable dans cet environnement désertique.
Les escaliers et la galerie située sur un seul côté à l’étage offrent une vue entière sur le meyden et permet d’assister d’en haut aux évènements qui s’y déroulent. Les femmes se tiennent sur les terrasses à l’abri des regards tandis que les hommes restent en bas. Même si ses dimensions demeurent modestes (……/…. m), le meyden peut rassembler l’ensemble des résidents de Tingezone.

Fig. 15 : Plans, coupe et croquis meyden Ġazar.
Source : Etudiants

Jouxtant l’ensemble mağlis, meyden et zawya, un commerce (matğar) et une mosquée (ğāmac) forment le noyau de vie du quartier. Cependant, le meyden Ġazar présente une typologie unique dans la ville de Ghadamès. Il constitue le seul exemple où le meyden est séparé du mağlis, tout en étant lui-même doté d’un mağlis annexe. Cela l’agrandit et lui confère différents sous-espaces appelés à être occupés toute l’année, et en toutes circonstances. Cet enchevêtrement de plusieurs sous-espaces ainsi que la proximité des équipements, font du meyden un espace qui vit toute l’année de jour comme de nuit.

Fig. 16 : Plan et coupes mağlis. Croquis banquettes près du ğāma‘.
Source : Etudiants

Un des angles du šārac inclue un second mağlis entièrement couvert. De forme carrée, entouré de banquettes, il est construit selon le même modèle structurel que celui du meyden Ġazar. Un pilier en adobe épais ponctue l’espace et supporte la toiture grâce à un système d’arcs en plein ceintre. Les mêmes arcs tapissant le fond du mur et permettant d’y creuser des banquettes qui aménagent des espaces propices à la détente et au rafraichissement, s’y retrouvent également. La rue traversante favorise la présence d’un courant d’air frais agréable.
Du fait de leur proximité au mesğid, les banquettes de part et d’autre de la rue présentent la même typologie haute réservée aux adultes. C’est effectivement à côté de cet édifice cultuel qu’on s’installera pour échanger, tout au long de la journée en attendant l’heure de la prière.

1.2- La lumière âme de la ville

Malgré son étroitesse, le šārac semble large, du fait d’une part de sa couverture jusqu’à six mètres de haut, et d’autre part de l’éclairage assuré par les nombreux puits de lumière, d’une longueur telle qu’ils donnent l’impression d’une interruption du système de couverture urbain. En réalité, on distingue deux différents types d’ouvertures reconnaissables à leurs dimensions. Certaines serviront à l’éclairage des rues tandis que d’autres serviront à son aération. Les puits d’éclairage sont larges et oblongs, pour rayonner au maximum. Les puits d’aération sont étroits et petits, générant un effet de cheminée qui facilite la circulation de l’air. Ces effets sont optimisés par la fréquence, l’espacement et l’alternance des puits (figure 17). D’une part, un rapport hauteur du puits, largeur de la rue et longueur séparant deux puits, prévaut dans le dimensionnement même d’un puits d’aération ; d’autre part, la dimension de trois puits successifs est telle que leur longueur évolue en ordre croissant. De même, une logique régit l’emplacement des puits de lumière, qui fourniront toujours une intensité lumineuse au-dessus des portes du masğid, du kottāb, des grandes demeures, etc Ces rayons dramatisent l’espace et sont d’autant plus agréables qu’ils sont ponctuels. Les intérieurs les jouxtant, profitent de la proximité d’un puits pour ouvrir de petites fenêtres carrées servant à l’aération intérieure. Un contraste clair/obscur jouant de la puissance des rayonnements, jalonne le cheminement urbain, et confère à la ville son caractère poétique.

Fig. 17 : Dimensionnement des puits de lumière et des puits d’aération.
Source : Etudiants

A cette morphologie urbaine hiérarchisée en fonction de la lumière, correspond naturellement une organisation sociale également hiérarchisée : les familles les plus aisées ont leur hūš (habitation) qui bénéficie d’une grande porte d’entrée à hauteur d’homme et qui donne directement sur le šārac principal lumineux, tandis que les moins fortunés habitent une maison qui donne sur les ruelles les moins éclairées. Et c’est dans les impasses sombres que les familles les plus défavorisées seront logées. La lumière naturelle et l’aération participent donc de la définition de l’espace urbain et renseignent sur les classes sociales de la cité.

Fig. 18 : Plan, Coupe et croquis sur puits de lumière.
Source : Etudiants

Cependant, ce réseau extraordinaire de rues est l’espace de l’homme. La femme se déplace selon un circuit aménagé sur les terrasses, excepté le matin où elle pourra marcher dans les rues. Elle émettra alors un léger sifflement signifiant son déplacement et invitant les hommes qui seraient par hasard de passage, à changer de chemin pour ne pas les croiser. En réalité, c’est lorsque les hommes sont dans les champs que les femmes empruntent les rues pour aller chercher à la source la quantité d’eau nécessaire à l’usage familial quotidien. Le reste du temps, les femmes évoluent sur les terrasses, où le circuit est direct. Il est facilité par le subterfuge de planches de palmiers (figure 20 et figure 21) couvrant une partie du vide pouvant faire obstacle au niveau des puits de lumière, permettant leur franchissement, ainsi que par des marches construites sur les toitures pour rattraper les niveaux et passer d’une terrasse à une autre (figure 19). La fluidité du passage leur est ainsi assurée. La légende dit que cet emplacement en hauteur leur permettait de voir arriver les caravanes et d’avertir les hommes par des vocalises particulières. Ainsi, les rues qui sont un espace public, et par essence espaces extérieurs de par leur vécu, deviennent par leur couverture et leur éclairage, en quelque sorte un espace intérieur.

Fig. 19 
Source : Etudiants

Fig. 20 : Escaliers sur les terrasses créant un chemin.
Source : Photo de l’auteure.

Fig. 21 : Planches pour le passage.
Source : Photo de l’auteure.

2.Typologie du hūš

Le hūš est l’habitation des familles mononucléaires. Chaque enfant lorsqu’il se marie quitte la maison familiale pour construire la sienne, selon un modèle unique qu’on retrouve partout dans la cité. L’organisation du hūš obéit à une logique de déploiement en hauteur sur une dizaine de mètres et selon un système de demi-niveaux indépendants. L’accès à la maison au rez-de-chaussée, se fait par une lourde porte à un seul vantail en bois de palmier, plus large que haute. L’entrée est un petit espace sobre, avec pour seule ornementation une niche servant à l’éclairage, tantôt blanche, tantôt soulignée de dessins rouges et parfois un sol peint de formes géométriques. Cet espace débouche sur un long corridor sur lequel ouvre un maḫzin, espace de stockage des outils utilisés dans la mazraca (les champs).

Fig. 22 : Toilettes sur palier.
Source : Photo de l’auteure.

Fig. 23 : Entrée.
Source : Photo de l’auteure.

Fig. 24 : Escaliers menant à la ṣāla.
Source : Photo de l’auteure.

Au fond, des escaliers étroits à contremarches hautes desservent, en demi-niveau, des latrines basses sous-plafond. Si cet espace est surélevé, c’est parce qu’il se trouve au-dessus d’une fosse septique, et qu’au fur et à mesure de son utilisation, on rajoutait des couches de terre pour étouffer les mauvaises odeurs. En raison de l’emploi de l’adobe dans la cité -à part quelques rares constructions en pierre- cet espace ne comporte pas de point d’eau. Le demi-niveau suivant est l’espace principal de la maison, la ṣāla. Ce lieu de vie familial est utilisé en hiver pour recevoir les invités. Il se présente comme un volume à triple hauteur, inondé de lumière grâce à une lucarne percée dans le plancher haut et assurant la ventilation permanente du hūš. Différents espaces de stockage et chambres à coucher ouvrent sur la ṣāla. Ne communiquant pas entre eux, ils sont situés en haut d’une volée d’escaliers, à des demi-niveaux distincts. Cette ṣāla comporte un espace symbolique, la kubba (figure 23), mise en valeur par sa grande hauteur sous-plafond ainsi que par sa façade arquée. Sorte d’alcôve richement décorée, elle constitue l’espace social de représentation de la femme par excellence : cette dernière s’y installe, en des occasions particulières, pour recevoir les félicitations des visiteurs lors de son mariage ou après la naissance de son premier enfant, et les condoléances pendant les jours de sa cidda lorsque son mari décède.

Fig. 25 : Plan 1er et 2èmeet croquis du hūš.
Source : Etudiants

De la ṣāla on monte en demi-niveau à la chambre nuptiale, où une alcôve maçonnée sert de lit, et dont l’intimité est assurée par un rideau. Les chambres (figure 23) des enfants se trouvent à d’autres demi-niveaux, celle des garçons d’un côté et celle des filles de l’autre. Ces pièces sont aérées par la porte qui ouvre sur la ṣāla. Leur basse hauteur sous-plafond est due, parait-il, à la petite taille des ġedamsi.
La cuisine (matbaḫ) se situe tout en haut sur la terrasse, dégageant de ce fait les odeurs à l’air libre. Elle est protégée néanmoins du soleil car construite en demi-niveau par rapport à l’extérieur. Un miroir est accroché en haut des escaliers y menant, pour à la fois fournir la lumière à la ṣāla par diffraction des rayons, et pour permettre à la femme, tout en vacant à ses occupations ménagères, de contrôler ce qui se passe à l’intérieur de sa maison. Sur la terrasse, un mağlis ombragé se révèle sous une alcôve couverte par un plancher plat soutenu par une double arcade épaisse et basse de plafond. La famille y passe les chaudes soirées de l’année.

Fig. 26 :Plan Terrasse et croquis hūš.
Source : Etudiants

La décoration à l’intérieur du hūš est joyeuse et chaleureuse. Elle est typique des pays d’Afrique subsaharienne et se caractérise par des dessins géométriques rouge sang. Ces dessins sont réalisés quelques jours avant le mariage par la mariée elle-même, et codifiés de manière à conjurer le mauvais sort et assurer la fidélité du mari. La qualité de leur réalisation témoigne de l’adresse de la future mariée, qu’elle affichera aux yeux de la société. La partie haute des murs est tapissée d’une composition colorée de tentures, de couvre-plats, de pots en cuivres et de miroirs. Ces derniers ont outre un rôle décoratif, celui fonctionnel de capter la lumière naturelle venant de la lucarne au centre du plafond, pour la diffracter vers tout l’espace de la maison. Le sol de la ṣāla en terre battue enduite ou non d’un mortier, est généralement entièrement tapissé de kilim très colorés, participant à l’ambiance chaleureuse de l’espace.

Fig. 27 : Escaliers menant au matbaḫ.
Source : Photo de l’auteure.

Malgré les petites dimensions de la lucarne au milieu de la ṣāla, le hūš est lumineux. Les coupes ci-après (figure 24) montrent comment les rayons de soleil envahissent l’ensemble du volume domestique et comment par l’artifice des miroirs et des pots de cuivre, ils sont diffractés vers les moindres recoins de l’espace.

Fig. 28 : Escaliers menant au matbaḫ.
Source : Photo de l’auteure.

Fig. 29 : Escaliers menant au matbaḫ.
Source : Photo de l’auteure.

L’étroitesse des volées d’escaliers résulte non seulement des contraintes structurelles des matériaux de construction, mais également d’une volonté de ne pas former d’obstacle à la luminosité à la spatialité intérieure.
Tout comme dans la ville, l’éclairage artificiel à l’intérieur de la maison est assuré par des lanterneaux déposés dans les niches en forme de trèfle, conçues à cet effet. A l’extérieur, la niche qui donne sur la rue est badigeonnée de chaux blanche comme tous les murs de l’espace urbain, tandis qu’à l’intérieur de la maison, la niche est généralement décorée de ces fameux entrelacs linéaires rouges sang, relevés de motifs géométriques et de touches de couleur jaune, verte et bleue. (Figure 26).

Fig. 30 : Coupes et Croquis sur la sala.
Source : Etudiants

3. Ghadamès, une architecture à l’échelle de l’Homme

Les contraintes du matériau ainsi que la structure de la société tribale, n’ayant pas d’image sociale particulière à afficher, ont naturellement donné à la cité une architecture qui prend en compte l’habitant. Aussi bien les espaces publics que les espaces privés sont dimensionnés à largeur d’homme : tout est calculé pour faire passer une personne, que ce soit la largeur d’un escalier ou celle d’une rue.

Fig. 31 : Coupes et Croquis sur la sala.
Source : Etudiants

Fig. 32 :
Source : Etudiants

Fig. 33 :
Source : Etudiants

L’architecture à Ghadamès est, à l’image de la société, codifiée. Cela transparait dans la structure du réseau urbain, régie par une hiérarchie des largeurs et des hauteurs sous-plafond. Cela est également perceptible dans l’expression architecturale à travers les éléments du vocabulaire tels que les banquettes par exemple, construites selon trois hauteurs différentes correspondant aux trois tranches d’âge de l’homme : jeune, adulte et vieux.
De même, la position du qandīl dans la niche renseignera sur l’humeur du moment des habitants de la maison (figure 31) : déposé au milieu, le qandīl indiquera un état normal, tandis qu’à droite ou à gauche, cela voudra dire que les habitants sont en période de deuil ou de fête.
La codification est également perceptible dans l’ornementation architecturale. Etant donné que la religion jour un rôle primordial dans la société, une personne ayant accompli son devoir de pèlerinage du ḥağğ, sera fière de l’afficher sur sa porte d’entrée cloutée, et décorée de motifs floraux confectionnés à l’aide de pièces de cuir ou de tissus soigneusement découpés et superposés l’un sur l’autre, suggérant un motif floral. Ces fragments de tissus sont de couleur alternativement rouge, jaune et verte, tout comme les entrelacs muraux.

Le domaine de l’homme et celui de la femme sont clairement délimités et séparés, tout comme leur rôle dans la société. Une comparaison des espaces est intéressante à observer : la trajectoire de circulation réservée à la femme dans la ville se trouve sur les terrasses, tandis que l’homme circule à terre à travers le réseau de rues. La femme est exposée aux intempéries alors que l’homme circule à l’abri, dans la fraicheur. L’homme habite et pratique au quotidien l’espace public –meyden et mağlis– en étant assis à l’ombre sur des banquettes confortables, alorsque la femme communique avec les autres sur les terrasses. Et lors des manifestations sociales, l’homme se tient en bas quand la femme est à l’abri des regards en hauteur. A l’intérieur même du hūš, les deux genres sont séparés : une chambre unique est réservée aux filles et une autre également unique est destinée aux garçons sans distinction d’âge. L’espace de la femme à l’intérieur de la maison, est en plein coeur, lumineux et haut de plafond : c’est l’espace de réception kubba, où elle affiche ses statuts successifs d’épouse, de mère ou de veuve. Le matbaḫ quant à lui, espace de service, se situe à l’extrémité haute de la maison, tandis que l’espace de l’homme est au niveau inférieur. C’est l’espace de stockage petit et sombre : le maḫzin.

Fig. 34 : Porte de la maison d’un ḥāğ.
Source : Photo de l’auteure.

Fig. 35 : L’espace de la femme.
Source : Etudiants

4. Gestion de l’eau à Ghadamès

L’eau est précieuse à Ghadamès. La légende dit qu’un jour une jument s’arrêta net, et refusant d’avancer, se mit à frapper le sol jusqu’ à ce que l’eau jaillisse sous ses sabots. Cette source fut baptisée « Source de la jument ». Un conflit éclata alors parmi les cavaliers et le groupe se scinda en deux. Ceux qui revinrent à la source miraculeuse sont restés et y ont édifié une ville. Toujours est-il que la construction de la cité a été déterminée par l’emplacement de cette source principale ‘in El fāris, qui fournit à la ville ses besoins en eau et au développement de son agriculture.

Fig. 36 : 
Source : Etudiants

Le système d’irrigation à partir de la source ‘in El fāris est peut-être un des exemples les plus significatifs du vivre-ensemble dans cette cité, qui témoigne de la sociabilité de la population ġedamsi. Un système complexe de distribution de l’eau a été élaboré depuis des siècles dans la ville pour subvenir aux besoins de tout un chacun, en arrosage des terres, et en ablutions dans les mosquées. Ce système est basé sur l’emploi du qadūs, instrument de mesure et de calcul du temps pour une gestion de l’eau à l’échelle de la cité-oasis. Le qadūs est un bol troué qui laisse couler l’eau goutte à goutte calculant ainsi le temps d’accès à l’eau alloué à un champ donné, ou à une construction donnée. A l’intérieur de la ville, un réseau de canalisations en pierre, assure l’adduction de l’eau jusque dans les mīḍha des mosquées, ainsi que dans les maisons des notables situées sur le šārac au niveau d’un espace extérieur, en chicane, devant la maison qui sera réservé à la douche. Les maisons ordinaires ne bénéficieront pas de cet espace.

Fig. 37 : Creux sur la banquette, réservé à l’eau.
Source : Dessin étudiants

Dans l’espace public de ce lieu parmi les plus ensoleillés de la planète,(7) on peut voir pratiqué dans les banquettes des mağlis (figure 37) un creux de forme concave, pour assurer les besoins en eau d’autres êtres vivants.

5. Matériaux et techniques de construction

En plein désert, loin des carrières de pierres, les ġedamsi ont construit leur ville avec les matériaux locaux, puisés sur place. Ils ont ainsi produit une architecture de terre et un urbanisme exceptionnels, adaptés à leur environnement aride et aux températures extrêmes du Sahara. Cette architecture de briques de terre crue séchée au soleil, présente par essence une inertie thermique élevée, laquelle, conjuguée à la contiguïté des constructions de la ville, permet de maintenir la température constante toute l’année à l’intérieur des bâtiments ainsi que dans l’espace urbain. Elle avoisine les vingt et un degrés, qu’il en fasse cinquante à l’ombre en été ou cinq dans le désert en hiver. Par ailleurs, la masse bâtie que constitue le tissu urbain de la ville est une protection contre les vents de sable et les tempêtes de désert nullement ressentis dans la cité. On peut y circuler en toute quiétude même si une grosse tempête de sable fait bouger des dunes atteignant facilement les cinquante mètres de hauteur et pouvant même aller jusqu’à deux cents mètres dans cette région du Sahara.

Les matériaux utilisés sont :

  1.  la terre (turba) pour réaliser les briques servant essentiellement à la construction des murs,
  2. le tronc de palmier (ṣannūr) utilisé pour la structure notamment des planchers et des escaliers ;
  3. le gypse et l’argile -tīna- matériaux de base pour confectionner l’enduit,
  4. la chaux servant à badigeonner les murs et à étancher les terrasses. Elle constitue également un excellent fongicide pour le bois de palmier attaquable par les insectes.

5.1- Procédés de préparation des matériaux de construction

La brique de terre et le bois de palmier nécessitent une préparation préalable longue (figure 38). La brique obéit à un protocole de production de deux années. La première étape consiste en la réalisation d’un mélange, dans des proportions de 1/3 turba blanche, 2/3 turba noire, de la paille et du fumier, avec un gâchage jusqu’à saturation. L’étape suivante est celle de la fermentation. Elle prendra une année environ, et permettra de procéder au malaxage de la terre produite, puis à son moulage. Les briques ainsi obtenues ont pour dimensions 30/40/10 cm, et sont disposées à plat pour sécher lentement au soleil pendant une année.

Fig. 38 : Préparation de la terre.
Source : Dessin étudiants

Les palmiers utilisés pour la construction sont bien évidemment ceux qui ne sont plus productifs. Les troncs sont alors récupérés puis préparés pendant une année avant de servir à la structure des constructions. Ils sont au préalable coupés longitudinalement en deux parties égales et mis à sécher sur des cales afin d’éviter leur déformation ultérieure une fois façonnés. La bonne qualité du bois ainsi préparé doit être attestée par un expert de la cité. Une fois bien sec et l’attestation obtenue, le tronc est enfin découpé en plusieurs parties et dimensions. Etant donné que le bois de palmier travaille à la flexion, les zones dures serviront de poutres tandis que les autres serviront à consolider la structure. Les pièces de bois ainsi découpées sont traitées au sel et avec de la compote de dattes (rob), avant d’être passés à la chaux pour éloigner les insectes.

Fig. 39 : Préparation du tronc de palmier.
Source : Dessin étudiants

Le gypse est le matériau de base utilisé pour l’enduit et la construction des arcs. Il est brûlé selon un processus qui dure une dizaine de jours. Dans une fosse préparée à cet effet, on tapisse le fond de 20 cm de gypse préalablement préparé, et d’une couche de paille et de bois combustible. Au-dessus de cela, on disposera des pierres calcaires par rangées horizontales et dans un ordre décroissant de la plus grande à la plus petite pierre, en prenant soin de réserver une cheminée verticale au centre, traversant toutes les couches, (figure 40) pour servir à l’allumage de la mèche de feu. Une semaine après et lorsque le refroidissement du mélange est total, il sera procédé au broyage et au tamisage du gypse obtenu.

Fig. 40 : Préparation du tronc de palmier.
Source : Dessin étudiants

5.2- Techniques de construction

Les planchers sont construits selon un système de poutres -ṣannūr- constituées d’une série de troncs, disposés sur chant régulièrement espacés de trente centimètres environ, de manière à amplifier le rôle porteur et à résister à la flexion. Lorsqu’il s’agit de supporter un mur, les poutres sont doublées ou triplées voire quadruplées. (Figure 41).

Fig. 41 : Architectonique des Planchers.
Source : Dessin étudiants

Fig. 42 :
Source : Photo de l’auteure.

Fig. 43 :
Source : Photo de l’auteure.

Les ṣannūr supportent le plancher constitué de quatre couches successives : depuis l’extérieur, un enduit de chaux, assurant l’étanchéité de la terrasse, recouvre une épaisse couche de turba. Juste en dessous, une couche assez mince de limbe –ğrīd– sorte de tout-venant, assure la transition avec la couche de sinsāy assemblé, destinée à décorer la pièce.
Dans tous les quartiers de la ville, deux types d’assemblage géométriques de sinsāy, révélant une esthétique différenciée, sont réalisés : un assemblage en trame carrée à 45 degrés et un assemblage en trame linéaire, dessinant des lignes parallèles aux solives et soulignant le plancher. (figure 42 et figure 43).
Pour lutter contre l’humidité éventuelle du sol et pour supporter les étages des constructions, les fondations dans la ville sont en pierres empilées sans enduit de liaison. Les murs sont construits en briques de terre liées entre elles par de la turba et enduits d’un mélange de gypse et d’argile puis badigeonnés à la chaux. Pour assurer la stabilité des cloisons, les rangées de briques sont consolidées tous les trois ou quatre mètres par un tronc de palmier. Les charges du plancher vers les murs sont transmises par une série de pierres calcaires plates (figure 44) qui assurent ainsi la jonction entre les éléments horizontaux et verticaux de la structure. Les murs extérieurs donnant sur l’espace urbain non couvert sont décorés d’une frise de triangles évidés, unidimensionnels, dont le module élémentaire du motif. L’inclinaison de la brique définit la rythmique de la frise est obtenu. A l’extérieur de la ville, cette frise est mise en valeur par sa couleur de badigeon à la chaux blanche, et contraste avec la couleur terre des murs ; tandis qu’à l’intérieur dans les meyden et mağlis, les vides triangulaires restent blancs et se fondent dans la surface du mur entièrement badigeonnée.

Fig. 44 : Détails architectonique d’un mur et d’un escalier.
Source : Dessin étudiants

Les escaliers menant aux étages, utilisent les troncs de palmiers comme marches. Ils sont recouverts de turba qui permet d’obtenir la planéité horizontale et de dessiner la contremarche verticale. Une âme constituée d’un long et solide ṣannūr porte et lie toutes les marches entre elles. Elle repose elle-même sur de minces piliers d’adobe érigés toutes les quatre à cinq marches, afin d’éviter la flexion du tronc de palmier.

Fig. 45 : Coupe sur canalisation
Source : Dessin étudiants

L’eau n’étant pas acheminée à l’intérieur des constructions, on ne trouvera les canalisations que dans l’espace urbain. Leurs dimensions en largeur et en profondeur, dépendent du débit d’écoulement à assurer. Elles sont construites en pierres et l’étanchéité est obtenue grâce au liant à base d’argile –tīna. La canalisation est recouverte sur tout le long, de larges dallettes en adobe.

Fig. 46 : Détails constructifs.
Source : Dessin étudiants

La ville comprend beaucoup d’arcs. Leur construction se fait en un temps record de quarante-cinq minutes et nécessite de ce fait l’intervention simultanée de sept à huit hommes. Un échafaudage en troncs de palmiers est au préalable réalisé ; puis les hommes confectionnent une sorte de moule, en empilant rapidement de l’adobe, lui donnant la configuration de l’arc désiré, de forme aplatie au niveau de son sommet. Une fine couche de sable humidifié sur place est appliquée et rapidement d’une épaisse couche d’un coulis de gypse, après démoulage sera décoré en bas-relief. Les pierres Carch, qui constituent la structure proprement dite sont rapidement et soigneusement mises en place pour former l’arc final. Avant le séchage de l’adobe et du sable, il fallait rapidement arriver à démouler toutes les briques et gratter le sable. Les décorations de l’arc sont réalisées soit par des motifs géométriques, soit par des inscriptions, qui portent la signature du maître maçon ayant supervisé le travail.

Fig. 47 :
Source : Photo de l’auteure.

Fig. 48 : Technique de construction d’un arc.
Source : Dessin étudiants

Les lourdes portes extérieures des hūš et des autres équipements sont construites sur le modèle de la porte traditionnelle à pivot avec un linteau en bois. Une série de larges planches sont rassemblées et cloutées à l’arrière sur une traverse. Les portes tournent autour d’un axe pivot en fer forgé, relié au mur et au linteau et sont verrouillées par de grosses clés métalliques. Le heurtoir reste facultatif.

Fig. 49 :
Source : Photo de l’auteure.

Les matériaux utilisés à Ghadamès étant naturels, les constructions nécessitent un entretien régulier. Une solution fongicide et répulsive à base de rob ainsi que de la chaux sont régulièrement utilisées pour badigeonner le bois de palmier et le protéger des insectes et champignons pouvant l’attaquer. De même, les poutres en ṣannūr lorsqu’elles fléchissent ou se fissurent, sont renforcées par une pièce disposée en dessous pour les caler (figure 51). L’enduit s’effrite fréquemment et nécessite également d’être refait.

Fig. 50 : Porte extérieure sur pivot.
Source : Dessin étudiants

Fig. 51 : Détail de restauration d’une solive.
Source : Dessin étudiants

Conclusion

Il s’est construit à Ghadamès au fil des siècles une architecture vernaculaire mettant en oeuvre une symbiose parfaite de la triade vitruvienne firmitas, utilitas et venustas : la forme architecturale, la fonction spatiale et la structure porteuse y forment un tout indissociable, où l’Homme a judicieusement su tirer profit des possibilités du matériau afin d’aménager en plein désert une multitude de lieux de bien-être. L’analyse de l’habitation a mis en exergue le caractère privé et individuel du hūš, matérialisé par l’espace de vie qui est mis à distance de la porte d’entrée à la fois horizontalement et verticalement, par paliers. Ce caractère privé interpelle dans une société de type tribal, mais témoigne en réalité d’une richesse culturelle certaine. Elle trouve son point culminant dans le système complexe de gestion de l’eau et traduit le bien-vivre ensemble des habitants de la perle du désert.

Par ailleurs, la dialectique d’écartèlement bachelardienne(8) du dedans et du dehors prend ici toute sa signification(9). Les rues, essentiellement domaine de l’homme et espace de sociabilité et de bien-être masculin, représentent pour la femme un extérieur dont elle est ponctuellement exclue et qu’elle ne fréquente, qu’à des moments donnés selon un code précis. Le tissu urbain est à la fois simple du point de vue de sa structure physique, mais riche de par sa structure immatérielle, dramatisée par la lumière. Qu’il soit naturel ou artefact, l’éclairage donne vie, hiérarchise et structure l’espace au même titre que tout autre matériau de construction ou élément architectonique. Les simples images géométriques qui opposent par convention l’espace intérieur clos et limité à l’environnement extérieur, ouvert et souvent plus vaste, se jaugent ici à des échelles aussi diverses que celles du chaud et du froid, du naturel et du bâti, du sombre et du lumineux, de l’oasis et de la cité. En allant au-delà de cette représentation géométrique et en la multipliant à l’infini, Ghadamès nous offre tout un univers poétique dont nous sommes loin d’avoir évalué toute la complexité…

Bibliographie

BACHELARD Gaston, 1984, Poétique de l’espace, Editions des Presses Universitaires de France, Paris.
GOODLAND Robert, 2013, Libya: The Urgent Transition to Environmental Sustainability. Library of Congress Cataloguing-in-Publication Data. Tripoli. LAFI Nora, 2006 « Ghadames cité-osais entre empire ottoman et colonisation »,
in : La Libia tra Mediterraneo e mondo islamico, Giuffrè, p. 55-70.

LANFRY Jacques, 1968, Ghadamès étude linguistique et ethnographique, Fort National, Algérie, Fichier de documentation berbère, Vol I, textes, notes philologiques et ethnographiques.
BCHIR Emna, 2006, Eléments d’approche d’une poétique de l’architecture : Etude de l’habitat individuel à Tunis, Thèse de Doctorat d’Architecture, Dir. MUNTAÑOLA Joseph, ENAU-Tunis.

Notes

(1) Je remercie mon collègue Laroussi Eddeb pour m’avoir soutenue dans l’organisation du voyage en Lybie et dans l’encadrement des étudiants. Je remercie vivement mes étudiants aujourd’hui confrères : Taha Husseine, Hassène Abdennadher, Hédi Zghall, Asma Amamou, Wassim Ghorbel, Hamdi Ben Nasr, Bilel Souissi, Kacem Arous, Fahmi Ben Ammar, Asma Dermech, Mohamed Ali Maaroufi, Hassène Abdennadher, Hamdi Ben Nasr, Saïd Lakmassi, Safa Boujemaa. Une pensée particulière à Imène Mansouri, Fadhel Rabaï, Meriem Bouzaiène, Raja Ben Ali, Amel Bel haj Salem, Mouna Bouzidi, Fatma Ouni, Aymen Belgasmi, Yosra Lammouchi, Ayda Siala, Kacem Arous, Aymen Belgasmi, Hamed Jouini, Chafik Zaafouri.
(2) Intisar AZZUZ, 1999.
(3) Nora LAFI, 2006, p. 60
(4) Le recensement ottoman de 1895 donne le chiffre de 6308 habitants.
(5) J. LANFRY, 1968, p. IV.
(6) La ville de Nefta est tout comme Ghadamès, une ville soufie. On la dénommait Kūfa Essoġra.
(7) Robert J. GOODLAND, 2013, p. 5.

(8) Gaston Bachelard, 1984, p.191.
(9) Emna BCHIR, 2006, p.160.

Pour citer cet article

Emna Bchir, «Ghadames : lecture anthropique d’une architecture de terre », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°09, année 2000.
URL : http://www.al-sabil.tn/?p=7193

Auteur

(*) Maître Assistante, ENAU- Université de Carthage- Laboratoire LAAM


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