Limites et Frontières dans le Monde Arabo-musulman Médiéval

09 | 2020

Limites et Frontières dans le Monde Arabo-musulman Médiéval
De l’Asie Mineure à Qaïrawān : Dynamique et épaisseur des Ḥudūd, Ṯuġūr, cAwāṣim et Ribāṭ dans une anthropologie de la limite

Imen Helali (*),

Résumé | Entrée-d’index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur

Résumé

La notion de frontière a évolué de la Médine à la formation du Dār al-Islām ; où elle a constitué, dès les premiers siècles de l’Islām, un objet d’étude à part entière, dans la littérature et les sources exégétiques, historiographiques, géographiques et juridiques. Depuis le VIIIe jusqu’au XIIe siècle, les voyageurs, hagiographes, géographes, ulémas et mystiques dans leurs pérégrinations, convoquent, comme objet de pratique ou de connaissance, les frontières et les ḥudūd du monde musulman. Aussi, les frontières sont considérées un sujet de grande importance, vu la dominance de l’aspect guerrier accompagnant l’expansion islamique ; pour devenir rapidement du Ǧihād face aux ennemis. Ainsi, les Arabes musulmans développent des stratégies, et des systèmes de fortifications, spécifiques, pour affronter les Turcs en Asie centrale, et les Byzantins à Constantinople, sur les côtes d’Égypte et de Syrie à l’Est du Baḥr al-Rūm (Mer Méditerranée), et de l’Ouest à Ifrīquiya (Tunisie). Alors ils ont utilisé les Ṯuġūr – l’offensive – , où ils ont séjourné, puis ils ont spécifié les cAwāṣim – la défensive – face aux Byzantins sur la frontière orientale. En revanche, sur la frontière occidentale, ils ont adapté leurs méthodes à la nouvelle région et aux nouveaux ennemis. Ils ont utilisé des fortifications (fortins et forteresses), face aux Berbères, et pour une première, le ribāṭ; qui après être désigné par le séjour à la frontière, se concrétise en une construction à Ifrīquiya, face aux Romains, al-Rūm, de Sicile. Aussi, ils confirment leur présence, à travers la fondation de Qaïrawān : camp d’affrontation bilatérale (Berbères et Byzantins), et un départ pour les conquêtes de l’Occident islamique.

Abstract

The notion of border evolved from Medina to the formation of Dār al-Islām ; where it constituted, from the first centuries of Islām, an object of study in its own right, in literature and exegetical, historiographical, geographical and legal sources. From the 8th to the 12th century, travelers, hagiographers, geographers, ulemas and mystics in their peregrinations, summon, as an object of practice or knowledge, the borders and ḥudūd of the Muslim world. Also, borders are considered a subject of great importance, given the dominance of the warlike aspect accompanying Islamic expansion ; to quickly become Ğihād against enemies. Thus, the Muslim Arabs develop specific strategies, and systems of fortifications, to confront the Turks in Central Asia, and the Byzantines in Constantinople, on the coasts of Egypt and Syria to the East of Baḥr al-Rūm (The Mediterranean Sea), and from the West to Ifrīquiya (Tunisia). So, they used the Ṯuġūr – the offensive – where they stayed, then they specified the cAwāṣim – the defensive – against the Byzantines on the oriental border. On the other hand, on the occidental border, they adapted their methods to the new region and enemies. They used fortifications (forts and fortresses), facing the Berbers, and for a first, the ribāṭ ; which after being designated by the stay at the border, materializes in a construction in Ifrīquiya, facing the Romans, al-Rūm, of Sicily. Also, they confirm their presence, through the founding of Qaïrawān: bilateral confrontation camp (Berbers and Byzantines), and a departure for the conquests of the Islamic West.

الملخص

تطورت فكرة الحدود من المدينة إلى تكوين دار الإسلام، حيث مثلت موضوعًا للدراسة في حدّ ذاته في الأدب، من القرون الأولى للإسلام، في المصادر التفسيرية والتاريخية والجغرافية والقانونية. من القرن الثامن إلى القرن الثاني عشر: مسافرون وصُلحاء وجغرافيون وعلماء وصوفيون في ترحالهم، يتعرضون للحدود في العالم الإسلامي من خلال المعايشة أو المعرفة. كما تعتبر الحدود موضوعا ذو أهمية خاصة مع هيمنة الطابع الحربي الذي صاحب التوسع الإسلامي، ليتحول سريعا الى جهاد في مواجهة الأعداء. فطوّر العرب المسلمون استراتيجيات وأنظمة تحصين خاصة في مواجهة الترك في آسيا الوسطى والبيزنطيين في القسطنطينية وعلى سواحل مصر وسوريا، في شرق بحر الروم (البحر المتوسط)، وغربه في إفريقية (تونس). هكذا إستعملوا الثغور-الهجومية- ورابطوا فيها ومن ثم أفردوا العواصم -الدفاعية- في مواجهة الروم البيزنطيين على الحدود الشرقية. في المقابل، وعلى الحدود الغربية، طوّعوا أساليبهم للبيئة والأعداء الجدد، فإستخدموا التحصينات (الحصون والقلاع) في مواجهة البربر، وفي سابقة ، الرباط ؛ الذي بعد تداوله كملازمة للثغر، تجسّد كبناء في إفريقية، في مواجهة روم صقلية .كما رسّخوا تواجدهم أيضا من خلال إنشاء القيروان: معسكرا ثنائي المواجهة (البربر والبيزنطيين)، ومنطلقا لفتوحات الغرب الإسلامي.

Mots-clés :

Mots-clés :Frontière, limite, ḥudūd, ṯuġūr, cawāṣim, ribāṭ, ǧihād.
Keywords: Boundary, frontier, ḥudūd, ṯuġūr, cawāṣim, ribāṭ, ǧihād.

الكلمات المفاتيح: حدّ، حدود، ثغور، عواصم، رباط، جهاد.

Plan

Introduction
1. Terminologies et notions fondamentales
2. Limites et frontières : De l’Asie Mineure à Qaïrawān

Conclusion

Texte intégral

Introduction

Dans l’Histoire arabo-islamique du Moyen Âge, les frontières jouissent d’une grande importance vu la caractéristique guerrière dont elles se sont imprégnées, et leurs implications dans la détermination du royaume du Dār al-Islām (Le domaine de l’islam). Dès le IXe siècle, le monde arabe développe ses plans d’expansion, où il affronte de nouveaux ennemis selon des stratégies de guerre appropriées envers les Turcs en Asie centrale, les Byzantins à Constantinople, sur les côtes de l’Est (Égypte et Syrie) et de l’Ouest à Ifrīquiya (Tunisie).
Ainsi, les frontières ont connu de nombreuses batailles, notamment avec les Byzantins, les ennemis traditionnels du califat cabbāsside lors de sa première et deuxième ère. Par contre à celles avec l’Asie centrale, où les frontières étaient conformes à la diffusion de la nouvelle religion dans la Transoxiane ; ce qui rend la frontière stabilisée face à l’ennemi turc. Tandis que les frontières en Andalousie, étaient aux confins de l’Émirat, dans ce qui est connu par al taġer al aclā, face aux Slaves chrétiens.

Pour étudier ce sujet, l’article traite d’abord des définitions fondamentales, pour introduire le concept de frontières d’un point de vue linguistique et géographique. En particulier après la coupure de la géographie islamique (sūrat al arḍ) avec la géographie grecque, et l’adoption de l’histographie et de multiples genres littéraires ; comme le récit de voyage et l’épître, avant l’apparition du genre « riḥla » d’Ibn Ǧubaïr. En plus de l’étude théologique des textes coraniques, des œuvres exégétiques médiévales, des ḥadīṯs, et des ouvrages consacrés aux vertus des pays ayant traité le Ribāṭ en affinité avec le Ǧihād amenant à confondre les deux termes au IIIe siècle de l’Hégire.
Par la suite, il entamme une analyse de la frontière arabo-byzantine en Asie Mineure, en se référant à la nature géographique de la région, par ce que la géographie islamique définit comme Ḥudūd : les fleuves et les montagnes. Ces limites naturelles, ou obstacles seront exploités par les Arabes musulmans pour maîtriser le cours du conflit. Ainsi, la distribution des ṯuġūr, et le ribāṭ dedans, était le long du mont du Lukām (puis Mont-Liban), selon un système offensif absolu, avant son adaptation à la défensive par le détachement, et la formation des cawāṣim. À noter que ṯuġūr et cawāṣim ont connu une fusion idiomatique, au vu de la convergence fonctionnelle et de terrain.

Ensuite, on passe de l’autre flanc du Baḥr al-Rūm, la méditerranée occidentale, où les côtes d’Ifrīquiya ont connu pour la première fois les ribāṭs comme constructions (après sa désignation comme séjour à la frontière : ribāṭ et mulāzamat al-ṯaġer, sur les frontières avec Byzance ; ou comme ḫānqāh aux confins de la Transoxiane). Cela se passe après la fondation de Qaïrawān, camp fixe pour les Arabes dans les terres chrétiennes, contre la Sicile du côté de la mer, et les Berbères du celui de la terre. Ici les frontières se négocient selon les différentes ethnies, terres et religions. Qaïrawān est en relation stratégique avec le ribāṭ de Sousse, qui à son tour est lié à celui de Munastīr par la défensive-offensive. C’est ce qui fait des ribāṭs à Ifrīquiya un modèle unique qui mérite d’être étudié, en considérant le rôle de Qaïrawān dans ce complexe frontalier.

Ainsi, l’article a pour objectif le retraçage des frontières en terres islamiques ; connaissant l’expansion et les conflits, sur les lignes et dans les zones de tension. Il vise à connaître les manières de définition de celles-ci, où elles seront le résultat de données idéologiques, historiques, géographiques, politiques et anthropologiques, plus complexes et dynamiques ; loin des acceptations de toutes les frontières linéaires ou westphaliennes communément échangées.

1. Terminologies et notions fondamentales

1.1- Pléthore lexicale 

D’abord, André Miquel commence par les absences de la notion de frontière, au niveau du lexique arabe ; où il la rapproche au terme ḥadd(1), qui signifie l’aigu ; une crête ou un fil d’un couteau. Pour autant qu’il ne traduit pas le sens de frontière, équivalent aux contrôles obligés. Quant au pluriel « ḥudūd », il est souvent combiné avec Dieu (ḥudūd Allah)(2); il signifie les peines légales selon une jurisprudence précise : la Šarīa. Le mot taḫm (تخم)(3), moins près, signifie plus la marge ou les confins. Ensuite, il fait recours à des termes plus spécialisés, à savoir : ribāṭ, ṯaġr et cawāṣim. D’après Miquel : « Ribât, désigne la forteresse où des volontaires, éventuellement renforcés par des soldats de profession, viennent partager leur temps entre les exercices pieux et militaires, et monter la garde contre les incursions possibles de l’ennemi » ; « Thaghr est tout interstice, et plus précisément, sur le terrain, le passage, le défilé. Au pluriel, thughûr, il désigne les places fortes qui gardent le pays face aux armées de Constantinople », et les cawāṣim sont : « En arrière, (…) une seconde série de points forts, les « protections » (awâçim) »(4).

Dans le Lisān al-carab d’Ibn Manżūr, le ṯaġr(5) signifie, pour l’essentiel, une limite séparatrice entre la terre des musulmans et celle des infidèles ; ce qui succède à Dār al-ḥarb, (terre de guerre), ou l’emplacement de crainte aux confins, interstices et extrémités des pays.

Les études anglo-saxonnes sont aussi fréquentes que celles francophones sur la notion de la frontière au monde musulman ; dont celles de Michael Bonner, W. Ralph Brauer et, C.E. Bosworth. M. Bonner fait appel à la littérature spécifique de la géographie arabe du Moyen Âge, exprimant les limites et frontières selon plusieurs termes, notamment : ‘āfāq, ḥudūd et tuḫūm. Pour les frontières extérieures de l’Islam, le terme le plus couramment utilisé était ṯuġūr. Pour W. Ralph Brauer, différemment de Bonner, il repère plusieurs termes(6), desquels, il spécifie trois utilisés par les géographes, à savoir : ḥadd, ṯuġūr et cawaṣim. Il reconnait l’aspect aigu du terme Ḥadd, en plus, tel qu’employé par les géographes, il implique plus la fin de quelque chose. Ṯuġūr est plus agressif (sens original: les crocs avant d’un chien) ; son substitut mamelouk étant nīb. Enfin, cawaṣim porte une implication défensive, la rétention d’un ennemi à l’extérieur. Il précise que le sens original du terme ṯaġr était celui du port portuaire ; Alexandrie est connue comme un ṯaġr. Les ports du Levant Nord sont connus comme les ṯuġūr al-baḥrya (maritimes) ; reflétant dans les deux cas « l’aversion des premiers dirigeants musulmans à ce qu’ils percevaient comme une mer dominée par des forces hostiles »(7). Après son application aux rives maritimes, le terme s’est étendu à des endroits sur terre. Au Proche-Orient et en Andalousie, la première utilisation du terme ṯaġr fait référence à la région juste en face des armées de l’ennemi chrétien. Après, il fut utilisé pour désigner des localités spécifiques dans une zone frontière plus stable ; lieux fortifiés qui ont servi de résidence, et de points de rassemblement pour les guerriers engagés au ğihād. Ainsi, Brauer considère trois phases du terme ṯaġr : du port, passant à la région de la terre face à l’ennemi, pour désigner à la fin des lieux fortifiés.

1.2- Récits de voyage

Le temps que le voyage chez les Occidentaux mène à un nouveau monde et à repousser les limites de l’œkoumène ; chez les voyageurs de l’Islam, le but est bien différent. Il s’agit de réitérer un espace géographiquement délimité ; on part à la redécouverte de sa propre identité culturelle et religieuse. C’est ce que remarque Houari Touati : « Au lieu de relever d’une herméneutique de l’autre(8), ils ressortiraient plutôt à une construction exégétique du même »(9). Au début du IXe siècle, le discours normatif sur le voyage a trouvé sa place dans des livres, du fait que le savoir véritable ne peut être valable que par le côtoiement des maîtres. Ainsi, les traditionnistes parcourent Dār al-islām, en quête des ḥadīṯs ; propos du Prophète et ses traditions (sīra), pour édifier les chaînes de garants (sanad). À partir du Xe siècle, les linguistes et géographes, comme al-Muqaddasī, concourent à l’unification du territoire musulman par la pratique visuelle (ciyān), à l’encontre de l’oralité (semāc). Jusqu’à ce que le récit de voyage, la Riḥla d’Ibn Ǧubaïr, marque un tournant dans la tradition géographique cabbāsside. Différemment d’Ibn Ḥawqal, ou al-Muqaddasī, pour lesquels le déplacement ne figure pas dans la structure du récit, « la riḥla d’Ibn Ǧubaïr systématise pour la première fois la relation fondamentale entre le temps vécu, l’espace parcouru et la consignation des choses vues dans l’ordre d’un itinéraire »(10).
Quant aux mystiques sūfis, ils parcourent le désert selon une théorie d’errance, enseignée par la ṭarīqa. Ils pratiquent la siyāḥa, l’« errance en quête de Dieu » ; telle que définie par Ibn Arabī, c’est : « parcourir la terre pour pratiquer la méditation [ictibār] et se rapprocher de Dieu (…) », et par l’istibṣār, qui est la recherche et l’exploration.

1.3- Textes religieux et jurisprudence

Les textes coraniques sont le fondement de la jurisprudence islamique : la šarīa. Selon laquelle, les juristes insistaient sur le caractère indivisible du Dār al-Islām, que ni les révoltes, ni les régimes politiques ne pouvaient mettre des frontières entre ses unités territoriales religieusement unies. Ibn al-Qayim définit : « Dār al-Islām est celle qui est la propriété des Musulmans et gérée par les lois de l’Islam, et ce qui n’est pas administré par l’Islam, ne l’est pas un Dār al-Islām »(11). En effet, Brauer relève que la position la plus adoptée des juristes et philologues, est celle d’al-Māwardī(12) qui a proclamé que c’est seulement où les terres islamiques sont divisées par une mer, que le royaume peut être conçu comme divisé en deux (ou plus) communautés politiques, dont les dirigeants sont indépendants les uns des autres, bien qu’ils doivent en fin de compte la soumission à l’Imām(13). On y trouve, ainsi, une réponse à l’absence de frontières intérieures de l’empire de Islām.

En plus, l’unicité divine est le roc fondateur de l’Islām ; selon cette forte idée d’unité, il faut maintenir la cohésion de l’Umma ; où la communauté des croyants est une prescription disciplinaire centrale. Dans le Coran(14), la sourate III, ‘Āl-Imrān, le verset (103) dit : « Attachez-vous tous au pacte de Dieu ; ne vous divisez pas ; souvenez-vous les bienfaits de Dieu ; Dieu a établi la concorde en vos cœurs ; vous êtes, par sa grâce, devenus frères alors que vous étiez des ennemis les uns pour les autres. Vous étiez au bord d’un abîme de feu et il vous a sauvés »(15). Encore, dans la même sourate, le verset (110) dit : « Vous formez la meilleure Communauté suscitée pour les hommes : vous ordonnez ce qui est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable, vous croyez en Dieu »(16). Louis Massignon souligne à plusieurs reprises l’aspect social et culturel de la notion d’umma. De façon plus précise, il la définit par : « tous les croyants qui prient tournés vers la Qibla (direction de la Mekke), qui désirent vivre ensemble, (…) ; qui reconnaissent les cinq devoirs d’obligation, (…)»(17). À l’instar, W. R. Brauer partage le fondement religieux de cette unité : « La ‘umma, la communauté des croyants, a été définie à l’origine dans des termes purement religieux comme cohérente et unie par sa croyance ; en ce sens tous les musulmans étaient frères, non séparés par aucune frontière intérieure dans Dār al-Islām »(18). C’est uniquement avec l’éclipse du califat cabbāsside, aux Xe et XIe siècles, que cette perception a cédé la place à une période de décentralisation et de formation d’États séparés ; les Émirats.

L’Islām, la nouvelle religion, s’appuie sur le Coran, pour mener sa défense lors de son jeune âge, et ensuite par les conquêtes, lors de son expansion. Les versets coraniques encouragent à la guerre et élèvent les défenseurs et guerriers de la nouvelle religion, au grade des martyrs. Pour faire la guerre, la sourate Al-‘Anfāl (VIII), littéralement le butin, le verset (60) instruit ce qui suit : « Préparez, pour lutter contre eux, tout ce que trouverez, de forces et de cavaleries, afin d’effrayer l’ennemi de Dieu et le vôtre et d’autres encore, que vous ne connaissez pas, en dehors de ceux-ci. mais que Dieu connaît »(19). Il s’agit de rassembler « des chevaux en nombre suffisant », ribāṭ al-ḫayl, pour impressionner l’« ennemi de Dieu » et le vôtre(20). Les soldats mènent leurs raids au nom d’Allah, mujāhid fī sabīl Allāh. Le paradis leur est promis lors de la mort au combat : al- šahāda ; le verset (169) de la sourate (III), fut le plus célèbre : « mais seulement sur le chemin de la Géhenne. Ils y demeureront, à tout jamais immortels : voilà qui est facile pour Dieu »(21) (22).

Le ribāṭ est lié à la guerre dès l’époque tribale, en tant que verbe d’action. Étant une tradition et une pratique d’usage ; il est cité dans le Coran. Dans la sourate III, au verset (200) : « Ô vous qui croyez ! Soyez patients ! Encouragez-vous mutuellement à la patience ! Soyez fermes ! Craignez Dieu ! Peut-être serez-vous heureux»(23) (24). Selon Jacqueline Chabbi, « il s’agit de « se montrer ferme en soi-même » (aṣbirū), de « tenir face à l’adversaire » (ṣābirū), et de « faire le ribāṭ » »(25). En plus, « l’impératif rābiṭū, qui signifierait, en contexte, le fait de prendre les dispositions qui consistent, à « rassembler les juments pour montrer qu’on est prêt à combattre » »(26). Elle précise qu’il ne s’agit pas évidemment « d’aller sur la frontière » ; signification qui ne peut, selon elle, intervenir que plus tard, c’est-à-dire à l’époque des conquêtes, ou à celle, qui lui est consécutive, de la guerre de position qui va opposer, plusieurs siècles durant, le califat musulman à ses adversaires byzantins »(27).

Ainsi, l’Islām a conquis plusieurs terres, et l’étendue de sa mamlaka s’agrandit de jour en jour. Les terres, récemment conquises (maftūḥa), sont les nouvelles frontières extérieures du Dār al-Islām, comme dernières terres ajoutées à son territoire. Elles sont non définitives, donc provisoires, car l’expansion est en avancée ; des nouvelles terres s’ajoutent continuellement. C’est pour cette raison, que les frontières n’étaient pas possibles, ou du moins dans leur aspect usuel, de forteresses et murailles solides et fixes ; face à un territoire dynamique, menant les Arabes à développer des dispositifs appropriés, et en cohérence avec leur philosophie de l’unité et de l’indivisible. David Do Paço nuance cette confirmation : « En effet, le Dâr al islâm est pluriconfessionnel. Il est composé de l’Ummâ et des dhimmî, c’est-à-dire étymologiquement des « protégés » »(28), auxquels est appliqué un montant d’impôt spécial, la ğiziya. Par ailleurs, Brauer explique l’absence du concept de frontière, dans une liaison avec le mode d’impôts : alḫarāğ. Il l’explique par l’absence, ou la rareté d’usage, du concept d’aire dans la géographie musulmane. Ce concept n’aurait pas pu être réalisable, vu la manière dont la propriété foncière et les opérations fiscales ont été conçues par le ḫarāğ(29) (30); tributaire de la qualité de la terre, du type de plantations et des modes d’irrigation.

D’autre part, avec les Conquêtes (Futūḥ) des musulmans, au temps de cUmar Ibn al-Ḫatāb (vers 17H/ 638), ont apparu les razzias de sawaif et šatāwī, (conquêtes califales respectivement en été et en hiver). Les conquêtes arabes ont instauré al-ġanīma(31) (pl. ġanā’im) ; butins de guerre à partager entre combattants après avoir retiré le cinquième pour la recette des finances des musulmans (Dār māl al-muslimīne). De l’autre, les terres conquises deviennent une source considérable d’argent pour le califat islamique ; un montant en dinar est appliqué à chaque ğrīb(32). Depuis que cUmar bin al-Ḫaṭāb a envoyé cUthman bin Ḥanif, pour faire l’état des lieux (al-misāḥa) du Sawād(33), « terres noires » fertiles du delta Euphrate-Tigre, nouvellement conquise(34). L’argent du ḫarāğ est collecté, entre autres, des ṯuġūr ; Qudāma Ibn Jacfar, dans son livre Kitāb al-Ḫarāğ, énumère le produit de l’impôt pour chaque ṯaġr. Les ṯuġūr aš-šāmīa, (de Syrie) ont un produit d’impôt annuel de 100 000 dinars, ceux d’al-ğazria en plus de ṯaġr Malṭia, leur produit est de 70 000 dinars. Pour l’état économique des cawāṣim, il semble avoir été assez prospère à l’époque cabbāside ; le produit de l’impôt du ğund de Qinnasrīn et des cawāṣim réunis était de 400 000 dinars selon Ibn Ḫurradāḏbih et de 360 000 selon Qudāma. À part ces allégeances appliquées du ḫarāğ et de la ğiziya ; la charité, la ṣadaqa est donnée pour supporter et financer le ribāṭ et le ğihād.

1.4- La géographie arabe

D’abord, Miquel précise que la géographie arabe a rompu avec celle ptoléméenne : « Le premier, Iṣṭah, (…), il répudie, comme son prédécesseur, la division grecque en sept climats longitudinaux au profit de vingt entités territoriales, (…) »(35). Emmanuelle Tixier du Mesnil partage le même avis : « Au Xe siècle, grâce à Balḫī notamment puis à d’illustres géographes comme Muqaddasī ou Ibn Ḥawqal, la division du monde en sept climats a été relativement éclipsée ; la géographie se proposait désormais d’étudier avant tout le dār al-islām et ses différentes provinces (au nombre de quatorze ou vingt, selon les auteurs) »(36).

Selon Miquel, la géographie arabe annonce l’« avènement d’une véritable géographie humaine », avec le genre des Masālik(37) wa l-mamālik (Livre des Routes et des Royaumes). En cartographie, la mamlaka d’al-Islām fournit « la trame, à peu près exclusive, des masālik ». Il précise que sur le plan politique, d’autres trames sont en jeu ; Iṣṭaḫrī libère les provinces de la tutelle politique contrairement à Balḫi. C’est ce qui devient connu par l’école des géographes du Dār al-Islām, ou « l’école d’al-Balḫī » ;  par son « Atlas de l’Islām » et ses filleuls, jusqu’à la mappemonde diverse d’al-Idrīssī(38). C’est ce qui montre la façon avec laquelle la terre des musulmans a été considérée et représentée. Au début, exégétique de soi-même et de son domaine « la mamlaka »; ensuite du monde au-delà de ses frontières. En revanche, Brauer mentionne l’absence des frontières, lors de sa traduction du livre Nuzhat al-muštāq fi iḫtirāq al-‘Āfāq, connu aussi par le Livre de Roger(39), d’al-Idrīssī, il dit : « Je n’ai pas réussi à en rencontrer de frontières entre les diverses unités politiques ou ethnographiques, que ce soit dans le texte de cette œuvre ou les cartes qui l’accompagnent »(40).

Par opposition, comme le mentionne A. Miquel, al-Muqaddasī « définit sans doute l’iqlīm (province) comme le pays ressortissant à un même pouvoir, dynastique ou préfectoral, mais en même temps souligne bien, le cas échéant, les écarts qui peuvent séparer, ici ou là, les frontières politiques et les limites naturelles »(41). Tandis que, pour H. Touati, une seule délimitation peut être faite, celle entre les terres de l’Islām et les pays païens ; « En se déplaçant à travers cet espace politico-religieux, le géographe, qui est aussi un grand voyageur, l’a arpenté comme un espace unifié tenant d’abord son unité de sa qualité d’espace de croyance. Ainsi, lorsqu’il délimite les frontières orientales de la mamlaka, il décrit le Sind et le Khurâsân comme une limite avec « les pays de l’Impiété » , desquels on ne saura naturellement rien »(42)

Les limites naturelles sont appelées ḥudūd dans la géographie islamique. Sur le terme ḥadd mentionne W. Ralph Brauer : « Ainsi nous le trouvons appliqué non seulement aux pays, mais aussi aux villes, au domaine de l’Islam, à la terre par opposition à la fin d’une chaîne de montagnes, ou au grand désert et autres »(43). Dans son sens politique, ḥadd était fréquemment utilisé par Ibn Ḥawqal, (Voir Fig. 1) et al-Istaḫrī, mais aussi par al-Idrīsī dans la description des confins de régions spécifiques dans le domaine de l’Empire islamique.

Fig.1. Ṣūrat Al-Šām, désignation des Ḥudūd. Légende : a. Ḥadd al-Šām ; b. ğabal al-Lukām (Mont-Liban).
Source : Ibn Ḥawqal, 1992, p. 155.

Contrairement, la région des ṯuġūr qui est diversifiée géographiquement avec l’existence des chaînes montagneuses, des plaines côtières, des rivières et des lacs. Des fleuves comme nahr sīḥān, nahr ğiḥān près de Tarsus, encore le célèbre nahr al-lāmis, ou Lamos, en plus du lac d’Antioche. Les Arabes font des conquêtes, razzias, en territoire byzantin, au-delà de l’Amanus, appelé al-Lukām et du Taurus. D’ailleurs, Qudāma parle de cette montagne, comme (ḥadd)(44) ; où le Taurus (central, anti-taurus, et oriental) commence de La Mecque, jusqu’à arriver en Syrie, et puis à Ḥimṣ, en bordant le côté sud-est de l’Anatolie. Quant à Ibn Ḥawqal, il reconnait la séparation par al-Lukām entre les deux ṯuġūr de Syrie et d’al-Gazīra(45). À l’instar, C. E. Bosworth reconnait la liaison entre les invasions arabes sur les byzantins et le nouveau rôle stratégique de la montagne du Taurus(46). J. Chabbi parle de « la marche cilicienne , au pied des pyles du Taurus, dans la zone dite des thughūr »(47).

En plus, les frontières peuvent imiter la nature, ou être artificielles. D’antan, le recours à l’emploi des fossés, ḫandāq ; lors de la « bataille des tranchées », Ġazwat al-ḫandāq, une des épisodes de la guerre à La Mecque. Aussi, Ṭarsūs a un fossé(48) et deux limes, il y a ḫandāq al-Rūm à Alep, il est repris par al-Ẓāher et renforcé en profondeur en l’entourant d’un limes(49).

2. Limites et frontières : De l’Asie Mineure à Qaïrawān

Pour les frontières extérieures, celles qui sont à la périphérie de l’Empire ; là où la terre musulmane était contiguë à celle des « incroyants ». Les frontières face au Dār al-arb, « domaine de la guerre » ; ceux sont la terre du Ǧihād et de la guerre sainte(50). André Miquel distingue les contours frontaliers selon trois typologies ; d’abord la « frontière naturelle », c’est la frontière nettement marquée : le Sahara, ensuite la « frontière floue », celle du Caucase, où l’Islam y pénètre par place et, enfin la « frontière mobile », face à l’Espagne chrétienne et surtout à Byzance, où le va-et-vient règne. Pour la frontière en Asie centrale J. Chabbi soulève un problème historique, car la frontière, face aux Turcs(51), est relativement stabilisée, au milieu du VIIIe siècle, et apaisée au cours du Xe siècle. Cependant, les sources parlent de « terre de ribāṭ ».

Ibn Ḥawqal parle de plus de 10 000 ribāṭs en Asie centrale(52), de la chance au ğihād vu la proximité avec l’ennemi turc(53), et du ṯaġr des Musulmans face aux Turcs.

Miquel repère les emplacements des différents ribāṭs : « monter la garde contre les incursions possibles de l’ennemi : turc en Asie centrale, byzantin en Anatolie et sur les rivages de Tunisie, d’Egypte et de Syrie »(54).

Sur les rivages de la Tunisie, Qaïrawān, première implantation fixe de l’Islām à l’Afrique septentrionale, a favorisé l’édification des premiers ribāṭs-édifices, de Sousse et Munastīr. À  l’opposé, la frontière orientale a instauré le ribāṭ comme mulāzamat-al-ṯaġr.

C’est ainsi que se construit le corpus d’étude : entre la frontière orientale (ribāṭ-fonction) et la frontière occidentale (ribāṭ-édifice). Ce problème est fondamental pour Albrecht Noth, qui soulève ses doutes sur l’usage conventionnel du concept de ribāṭ entre la fonction du murābiṭ de garder la frontière, et l’édifice : « (…), nous devons penser que les sources arabes anciennes et médiévales semblent à peine connaître ribāṭ comme la base des gardes-frontière contre les païens, mais en tout cas elles donnent un indice sur l’hypothèse d’une coïncidence inconditionnelle de ribāṭ comme nom de l’agent et ribāṭ comme nom de lieu »(55). On retrouve la même idée chez J. Chabbi, sans faire référence à A. Noth ; elle distingue entre le ribāṭ-fonction et le ribāṭ-espace : « Cela ne suffit d’ailleurs pas à indiquer si c’est l’édifice en soi qui porte ce nom ou si c’est la fonction qu’on lui assigne qui lui donne »(56), dit-elle.

2.1- La frontière orientale

Parmi les fronts majeurs, la frontière arabo-byzantine, est la plus élaborée et la plus réputée. L’Empire de Constantinople est l’ennemi religieux privilégié du califat. Dans la Sourate (XXX) Al-Rūm, Les Romains, (pour désigner les Byzantins) ; les versets 1 et 2 disent : « Les Romains ont été vaincus dans le pays voisin ; mais après leur défaite, ils seront vainqueurs »(57) (58). Dans cet article, la frontière orientale constitue le premier élément du corpus de cette étude. Elle est la frontière par « excellence », avec sa propre nomenclature, comme le souligne M. Bonner.

2.1.1- La littérature des Ṯuġūr

La littérature de la frontière a été pieusement conservée avec tous les poncifs inhérents, comme le souligne J. Chabbi. Les deux ouvrages phares sont Kitāb Buġyat a ṭalab fī tārīḫ Ḥalab d’Ibn al-cAdīm, et celui du Qāḍī Abī cAmr bin Abd Allah al-Ṭarsūsī intitulé Syar al-ṯuġūr, restitué en partie. Le Qādi al-Ṭarsūsī a habité le ṯaġr de Ṭarsūs, son témoignage compte par sa description de la cité frontalière et de ses fortifications. Ibn al-cAdīm, comme al-Ṭarsūsī, mettent l’accent sur la grande valeur religieuse , « faḍl », du ṯaġr de Ṭarsūs(59) par le ğihād et la préférence de ses martyrs(60). Parmi les résidents du ṯaġr les cheikhs « al-masğadīa »(61), tel que décrit par al-Ṭarsūsī comme étant des hommes de foi et de savoir, ne quittant leurs pratiques qu’à l’appel au ğihād(62). Une tradition prophétique a été enseignée soit pour encourager le ğihād, soit pour honorer les buldāns (pays)(63). Ce récit distingue les habitants de la terre d’aš-Sām aux confins d’al-Ǧazīra, comme étant des murābiṭūne ; où tout conquérant d’une de ses villes est en ribāṭ ; et tout conquérant d’un de ses ṯuġūr est en ğihād(64). On peut comprendre de ce sens sacralisant, l’implantation des ṯuġūr et cawāṣim le long de ce front.

Le livre du Qādī al-Ṭarsūsī porte renseignements sur les fortifications de Tarsūs. On retrouve après la double muraille de Tarse, Dar ‘Um al-Muqtadir(65), mentionnée comme la plus grande maison du ṯaġr ; c’est d’elle qu’on part au ğihād. Ensuite on retrouve la mention des fortins, ḥuṣūn du ṯaġr ; ce sont ḥuṣūn cağīf, avec bastions (abrāğ), et ḥiṣn al-ğuzete. D’ailleurs, c’est ce que confirme J. Chabbi : « Il faut remarquer que, sur la frontière byzantine, il n’est jamais question d’un édifice qui serait nommé ribāṭ. Les fortifications portent différents noms, selon leur nature. Le mot ḥiṣn « forteresse », semble dominant»(66).

2.1.2- Ṯuġūr et cAwāṣim

Dans l’Encyclopédie de l’Islam (2), Clifford Edmund Bosworth définit al-ṯuġūr (pl. de ṯaġr) d’abord par un « trou, brèche, ouverture » ; il est aussi employé pour les points d’accès entre Dār al-Islām et Dār al-Ḥarb, et la limite entre les deux. Il précise : « On l’emploie plus spécifiquement au pluriel pour signifier les lignes de fortifications protégeant les ouvertures dans les frontières, comme celles de l’Anatolie du Sud-est, entre Arabes et Byzantins et pour les terres des marches d’al-Andalus entre les royaumes des Arabes et ceux des Chrétiens au Nord. Mais il est employé aussi parfois par les géographes et les historiens musulmans, à propos d’autres régions périphériques du monde musulman comme le Caucase, l’Asie centrale et l’Afghānistān oriental face aux divers peuples du Caucase, Turcs des steppes entre autres » (67). A. Miquel repère l’emplacement des ṯuġūr : face à Constantinople, en Asie Mineure, et au Nord de l’Espagne.

D’après J. D. Latham, le terme ṯuġūr, en plus de son sens général, a une signification spécifique applicable à ce que les historiens occidentaux de l’Espagne musulmane appellent couramment « les Marches ». Ainsi, les Hispano-Umayyades désignent trois zones majeures créées : la Marche supérieure, la Marche moyenne et la Marche inférieure. Des trois marches originales, la plus septentrionale, c’est-à-dire la plus éloignée de la Cordoue umayyade, était la Marche supérieure (al-ṯaġr al-ac), et la Marche lointaine (al-ṯaġr al-aqṣā). La marche supérieure n’a jamais été une région limitée par des frontières nettement tracées. Au contraire, elle était, avec les autres ṯuġūr d’al-Andalus, plus qu’une entité variable, dont l’extension ou le rétrécissement suivaient les vicissitudes de la guerre entre les Musulmans et les Chrétiens.

Pour Marius Canard, al-cAwāṣim, (sing. al-cāṣima)(68), est le « nom d’une partie de la zone frontière qui s’étendait entre l’empire byzantin et l’empire des califes au Nord et au Nord-est de la Syrie. Les places avancées de cette zone sont appelées al-Thughūr ou places frontières proprement dites, celles qui étaient situées plus en arrière sont dites alcAwāṣim, littéralement « les protectrices » »(69). Elles sont appelées « cawāṣim », car (i) selon Ibn Šaddād : « les habitants des places frontières (‘ahl al-thughūr) se protégeaient par elles quand un danger les menaçait de la part de l’ennemi » ; (ii) selon al-Qalqašandī : « parce qu’elles protégeaient de l’ennemi le territoire musulman qui était derrière elles (dūnahā), car elles étaient limitrophes du pays des Infidèles » ; (iii) Qudāma combine les deux fonctions de protection et de garnison, comme suit : « chacun d’eux a été appelé cāṣim, car il protège le ṯaġr et l’approvisionne en temps de mobilisation, puis les gens y viennent en renfort d’Antioche, al-Ǧūma et Qūrus »(70). Pour Bonner : « al-cawāṣim ou « les protectrices », ainsi appelées parce que les guerriers y chercheraient refuge (yactaṣimūna ilayhā) après leurs raids ou lorsqu’ils sont attaqués »(71).

À part le désaccord sur la définition des cAwāṣim, des géographes comme Ibn Ḫurradāḏbīh, Ibn Ḥawqal, Ibn Šaddād, Qudāma Ibn Jacfar, Yākūt Al-Ḥamawī et bien d’autres, ne sont pas d’accord sur le nombre des localités qui en font partie(72).

M. Bonner reconnait l’apparition des ṯuġūr et cawāṣim selon un processus commençant à la fin de la période Umayyade et atteignant son résultat à l’époque du califat Hārūn al-Rašīd : « La plupart des sources s’accordent à attribuer ce système des cAwāṣim et Ṯuġūr au califat de Hārūn al-Rašīd (170-193 / 786-809). Il peut être mieux de le considérer comme le résultat d’un long processus qui est décrit dans ce qui suit. C’est dans la dernière période Umayyade que les musulmans se sont installés dans la région qui est devenue par la suite connue sous le nom de cAwāṣim et Ṯuġūr »(73). Les historiens arabes, plus tardifs, comme Al-Balāḏurī et les géographes attribuent l’origine des ṯuġūr et cawāṣim à Hārūn al-Rašīd, qui en aurait confié la réalisation à des membres de la famille califale, comme cAbd al-Malik b. Ṣālih, et son propre fils al-Qāsim, dans l’intention d’associer, personnellement, la famille cabbāside au ǧihād contre Byzance. Il nomme son fils Al-Qāsim sur les cawāṣim« Et cette année-là, [187] al-Rašīd envoya une expédition (saifa). Il l’a consacré à Dieu, en fait un sacrifice et un moyen [d’approcher Dieu], et l’a nommé gouverneur d’al-cAwāṣim »(74). Alors qu’Al-Bakrī attribue l’édification des cawāṣim à Yazīd ibn Mucāwia(75).

2.1.3- Mise en position des ṯuġūr et cawāṣim 

Qudāma Ibn Jacfar, dans son livre Kitāb al-Ḫarāğ, divise les ṯuġūr selon leurs côtés face à l’ennemi. Il les classe ainsi en trois catégories(76): terrestres, maritimes et combinés (terrestres-maritimes en même temps) ; dont il détaille avec grande précision(77).

Pour les ṯuġūr terrestres, auxquels on s’y intéresse le plus, dans cet article, il les énumère comme suit :

  • Les ṯuġūr aš-šāmia, au nord de la Syrie, sont : Ṭarsūs, Aḏna, al-Meṣīṣa, cAïn zerba, al-kanīsa, al-Hārūnia, Bayās et Naqābules. Les cawāṣim sont : Antākia, al-Ǧūma et Qūrus.
  • Les ṯuġūr d’al-Ǧazria : Marciš, al-ḥadṯ, Kīsūm, ḥiṣn Manṣūr, Sumaysāt et Mālṭia. Les cawāṣim sont : Dulūk, Racbān et Manbiğ.
  • Les ṯuġūr al-bakria des Diyār Bakr : Smīsāṭ, Ḥānī et Malkī, ses fortins ḥusūn dont : Ǧamḥ, Ḥūrān, Kils et autres, ensuite ṯaġr Qālīqalā au nord, isolé et lointain.

En dépit du manque de précision, dans les différentes sources historiques, sur le rôle de Hārūn al-Rašīd, dans la réforme et la construction du système guerrier des musulmans, son apport fut incontestable. Selon al-Tabari, en (170H), « al-Rašīd détacha toutes les places frontières de la Djazīra et de Qinasrīn, et en fit un seul territoire et les appela al-cawāṣim »(78). Selon Al-Balāḏurī c’est : « Lorsque le commandant des fidèles al-Rašid, Hārūn b. al-Mahdī, devenu calife, il a détaché Qinasrīn et ses districts (kuwar) et en a fait un seul jund. Il a également détaché Manbiğ, Dulūk, Racban, Qūrus, Antioche et Tīzīn, et les a appelés al-cawāṣim, parce que les musulmans se réfugient en elles, et qu’elles leur fournissent refuge et protection lorsqu’ils partent dans leurs raids et sortent du ṯaġr. Il a fait de Manbiğ leur capitale (madina) »(79). M. Bonner mentionne que la plupart des successeurs suivent la version d’al-Balāḏurī, selon laquelle les cawāṣim ne sont tirées que de l’ancien Ǧund Qinasrīn, tandis que les positions de la première ligne sont les ṯuġūr. Quant à lui, il favorise la version d’al-Ṭabarī considérant les cawāṣim, au moins au début, tous les bastions frontaliers, y compris, mais sans s’y limiter, ceux de Jund Qinasrīn. Cependant, M. Canard, en reprenant la version d’al-Balāḏurī, qualifie la réorganisation faite par al-Rašīd de défensive : « En 170/786, Hārūn al-Rashīd, plus pour assurer la défense de la région frontière exposée aux attaques byzantines que dans un but offensif, car il organisa aussi défensivement la zone avancée, détacha du djund Ḳinnasrīn un certain nombre de places, Manbidj, Dulūk, Racbān, Ḳūrus, Antioche, Tīzīn, qu’il appela al- cawāṣim »(80).

De l’autre côté de la frontière, l’organisation byzantine de la région frontalière ne manque pas de faire des ajustements par la création des clisures/kleisoura et des thèmes. Théophile, jurisconsulte byzantin du VIe siècle, réorganisa les thèmes ; (i) soit par la subdivision d’un thème en plusieurs : « En Anatolie ce furent le thème de Chaldia, détaché du thème des Arméniaques vers 837 (…) et le thème de Paphlagonie, (…). En même temps la création d’un thème à Kherson acheva de fortifier la position militaire de Byzance sur la mer Noire »(81) ; (ii) soit par le passage de clisure en thème : « Un peu plus tard, des régions frontières du califat furent détachées des thèmes arméniaque et anatolique pour former les clisures de Charsianon, Cappadoce, Séleucie, destinées à devenir des thèmes »(82). À la mort de Théophile, l’Empire byzantin comptait 17 thèmes, dont 9 pour l’Orient et 8 pour l’Occident. Grâce à ces mesures de réorganisation de l’armée, de réformes du régime des thèmes, et l’adaptation de la tactique byzantine aux méthodes de combat des ennemis arabes ; l’Empire a connu de grandes victoires au Xe siècle. Nicéphore II Phocas conquiert définitivement Tarse (965)(83). En 966, il ravage la Mésopotamie jusqu’à Nisibe, puis s’enfonce en Syrie, où il s’empare de la place forte d’Arta, entre Alep et Antioche.

Ainsi, on peut représenter la frontière arabo-byzantine des deux côtés (Voir Carte. 1).

Carte. 1. La frontière arabo-byzantine orientale (vers 960) : Ṯuġūr et cAwāṣim.
Source : Carte de l’auteure. D’après Qudāma Ibn Jacfar, 1981. Fond de carte © 2007-2020 d-maps.com.

2.1.4- Analyse du modèle : [ṮuġūrcAwāṣim]

Bonner détaille les composants de la frontière orientale ; les ṯuġūr comme « ligne allongée », derrière eux une pièce plutôt compacte les cawāim: «Faisant face à l’ennemi directement le long d’une ligne, allant de Tarse en Cilicie vers le nord-est jusqu’à Qāliqāla (Erzurum), et au-delà, où se trouvaient les bastions constituant le district du uġūr. Ce district divisé en deux sous-districts nommés ensuite, et considérés comme les appendices de plus grandes provinces derrière eux : les ṯuġūr de Syrie et de Ǧazīra. Derrière ce district de première ligne allongée, se trouve un district de deuxième ligne, un morceau de territoire, plus compact, contenant les bastions connus sous le nom d’al-cAwāim ou « les protectrices », (…) »(84). Il note une contradiction dans ce système : « alors que les deux sous-districts des Ṯuġūr sont liés par leur nom aux plus grandes provinces (Syrie et Ǧazīra) derrière eux, ces « provinces-mères » sont également coupées de leur ṯuġūr par l’interposition des cawāṣim »(85). À l’instar, Ibn Ḥawqal n’accepte pas cette distinction en liaison avec les deux districts, sinon tous les ṯuġūr derrière l’Euphrate seront ceux de la Syrie, admet-il. Selon lui, cette désignation correspond à la provenance des murābitūne qui s’y rendent dans ces ṯuġūr ; ils sont d’al-Ǧazīra(86). Ainsi, il s’agit d’une seule frontière dédiée au ribāṭ et chargée de murābitūne face à l’ennemi byzantin. (Voir Fig. 2)

Fig. 2. Les ṯuġūr selon : (a). Qudāma Ibn Jacfar- Districts: Syrie et Ǧazira ; (b). Ibn ḤawqalOrigine des Murābitūne. 
Source : Dessin de l’auteure.

Dans la région frontalière arabo-byzantine, selon C.E. Bosworth « Ici, les thughūr étaient les premières lignes de forteresses d’une région appelée parfois ḍawāḥī ou ḍawāḥī l-Rūm « terres extérieures [du pays des Grecs] », formant une sorte de no-man’s land ; derrière les thughūr s’étendait la ligne de forteresses des arrières, les cawāṣim ou « [places-fortes] protectrices » »(87). Suivant un scénario principal d’assaut terrestre, on constate l’existence de plus d’une première ligne au niveau des ṯuġūr : c’est une ligne doublée, une épaisseur ; C.E. Bosworth parle de région. On peut soutenir cette deuxième ligne, surtout en se basant sur la tactique arabe de l’attaque et l’esquive, karr w farr ; ou d’embuscade, etc. C’est ce qui se confirme avec la  troisième ligne des cawāṣim, d’où l’épaisseur importante de cette ligne de front. En plus, selon Bonner, « al-cawāsim sont comprises comme une zone tampon entre le nord de la Syrie, et les ṯuġūr de Cilicie, allant d’Antioche à Manbiğ »(88). D’ailleurs Héraclius dépeuple ces villes, quand il s’est retiré de la Syrie ; les Byzantins ne laissèrent que des postes de garde (masāliḥ). C’est ce que reporte al-Balāḏurī, en parlant des ṯuġūr de la Syrie(89). Michel le Syrien, l’histographe syriaque, témoigne aussi que : « les Romains volèrent et pillèrent tout ce qu’ils trouvèrent, ils dévastèrent eux-mêmes les pays plus que les Ṭaiyayê(90) ; ils s’en retirèrent et les abandonnèrent aux mains des Ṭaiyayê qui y régnèrent nouvellement »(91). À propos de l’avancée sur cette zone tampon, al-Balāḏurī décrit « les ṯuġūr aš-šāmia aux temps de cUmar et de cUṯmān, étaient de ce qui est derrière Antioche et à part elles, les villes dont al-Rašīd appela cawāṣim, et où les musulmans conquièrent ce qui est en arrière d’elles, comme ils le font aujourd’hui de ce qui est derrière Tarsus, où il y avait entre l’Alexandrette et Tarsūs des fortins, ḥuṣūn et garnissons, msāliḥ, l-Rūm (Byzantins) desquels passent les musulmans aujourd’hui »(92). De même, M. Canard remarque l’avancée des Arabes dans les terres byzantines :« À l’époque de cUmar et de cUthman, les places frontières musulmanes étaient celles qui devaient être appelées plus tard al-cAwāṣim, situées entre Antioche et Manbidj, tandis que celles qui devaient porter plus précisément le nom d’al- Thughūr étaient dans une sorte de no man’s land, dans la vaste région s’étendant au Nord d’Antioche et d’Alep jusqu’à Tarse et au Tarsus, où les villes avaient été intentionnellement dépeuplées par Héraclius quand il s’est retiré de la Syrie (…) »(93). On peut représenter cette avancée importante des ṯuġūr et la disparition du no man’s land de la frontière orientale, dans la figure ci-après (Fig. 3).

Fig. 3. Nom de la figure.Avancée des ṯuġūr sur le no man’s land de la frontière orientale.
Source : Dessin de l’auteure. Fond de carte © 2007-2020 d-maps.com

Du côté opposé de la frontière, Sophie Métivier confirme que les Byzantins ont procédé d’abord par un no man’s land : « Quant aux Byzantins, soucieux de protéger le plateau central de l’Anatolie, ils auraient contribué dans un premier temps à la formation d’un no man’s land, avant de procéder, à la fin du VIIIe et dans la première moitié du IXe siècle, à la création de verrous frontaliers dans les régions du taurus et de l’Antitaurus, les clisures de Séleucie, de Cappadoce et de Charsianon, élevées ultérieurement au rang de thèmes »(94). Dans la seconde moitié du VIIe siècle, ce no man’s land a connu un rétrécissement, ajoute-t-elle : « Ce « no man’s land » byzantin, évoqué brièvement par les auteurs grecs, arabes et syriaques, commença à être réduit à cette date »(95). D’ailleurs, c’est ce que confirme C.E. Bosworth : « La zone ainsi créée devait être une sorte de cordon sanitaire, appelée en grec byzantin une Kleisoura(96) (97)(…).Ces Kleisoura « clissures » étaient déjà connues dans l’empire byzantin avant le VIIe siècle, mais avaient été situés aux frontières de l’empire en Arménie, en Transcaucasie et en Égypte ; auparavant, il n’avait jamais été nécessaire de créer une telle zone le long du Taursus et d’y garnir des points fortifiés parce que la région avait été, avant les invasions arabes, bien à l’intérieur des frontières de l’empire »(98). Bosworth confirme le schéma de départ, sauf qu’il est inversé en faveur des Byzantins. Ainsi, la frontière connait des tensions, on souligne, encore une fois, le gain de terre enregistré par les Arabes dans les terres byzantines, précisement à cette phase du conflit (VIIIe-IXe siècles). 

De tout ce qui précède, on n’est pas d’accord avec A. Miquel quand il parle des ṯuġūr et sa première ligne : « en avant, face aux lignes ennemies, un no man’s land »(99), en privilégiant un schéma classique de front. On soutient la thèse de l’avancée des Arabes sur ce no man’s land et la disparition de cette zone de neutralisation au profit de leur camp, c’est-à-dire par le reculement de cette zone à l’intérieur des terres du califat, et la progression des ṯuġūr en première ligne. Selon C.E. Bosworth, les historiens plus tardifs, comme al-Balāḏurī et les géographes, décrivent un « système binaire » : « la ligne extérieure des thughūr, offrant des bases pour mener des raids et tenter des conquêtes, et la ceinture intérieure de protection des cawāṣim étant une zone de colonisation »(100).

Ainsi, on peut reconnaitre la ceinture intérieure de protection comme un no man’s land ou comme ḍawāḥī al-carab (terre de colonisation et de peuplement) précisément entre les ṯuġūr et les cawāṣim. (Voir Fig.4). Le système frontalier arabo-musulman est inversé par rapport aux schémas habituels classiques ; il refoule l’épaisseur dans sa marge intérieure et l’inclut dans sa frontière. Ce schéma affirme l’aspect offensif des incursions arabes en premier et deuxième lignes ; ou ce qu’on peut considérer comme une épaisseur, tandis que la défense est en troisième ligne.

Fig. 4. Comparaison du modèle frontalier arabo-musulman (a) au modèle classique (b).
Source : Dessin de l’auteure.

Sur cette notion d’épaisseur, refoulée à l’arrière et appropriée ; on se réfère à H. Touati qui décrit cette ligne de front comme étant chargée de l’Islam orthodoxe et surtout non partagée ; « en tant qu’ulémas, (…), ils ont eu le sentiment d’œuvrer – au moins symboliquement – pour que la ligne de partage entre soi et les autres ne soi et les autres ne soit pas une ligne partagée, mais la frontière qui circonscrit le conformisme »(101).

2.2- Frontière occidentale 

2.2.1- Le Ribāṭ 

D’après J. Chabbi, il n’est pas possible de proposer une définition univoque du terme ribāṭ ; le mot doit être constamment rapporté à sa chronologie et à son contexte car le sens a été très évolutif. La racine (r-b-ṭ) regroupe à la fois les emplois coraniques (VIII-60), et ceux des premières périodes califales, elle précise : « À l’origine, ces emplois sont liés à la guerre tribale. Ils n’impliquent aucun type de construction, ni aucune fortification, mais seulement les apprêts que l’on fait en concentrant des montures, en vue d’un combat »(102). La période postérieure aux conquêtes mène à l’installation du pouvoir musulman sur de nouveaux territoires et de passer à « une guerre de position, dans l’intervalle des offensives qui continuent d’être menées »(103). Avec la période des Futūḥ, des dispositifs de défense seront installés ou réutilisés (ouvrages antérieurs préexistants), en terre comme en mer. Cette installation face à l’ennemi se fera progressivement dès le califat de Médine, notamment le calife cUṯmān. Elle se poursuit, sous les Umayyades ; où le mot ribāṭ et les termes qui lui sont associés, vont s’appliquer à des objets nouveaux ; principalement des bâtiments. Cependant Chabbi reste sceptique, si c’est dans cette même période, ou c’est sous les cAbāssides, que le terme ribācommence à être utilisé pour désigner un édifice fortifié. Ainsi, elle distingue les ribāṭs des établissements frontaliers : « Ces établissements collectifs pour mystiques (qui logent aussi les voyageurs) n’ont, en tout cas, aucun rapport avec les ouvrages fortifiés de la frontière qui, dans la représentation musulmane médiévale, à partir d’une certaine période, sont censés avoir accueilli les « combattants de la foi » »(104).

Dans les sources exégétiques et la littérature des IIIe/IXe et IVe/Xe siècles, le terme va connaitre des ruptures importantes avec son ancien sens. Depuis, il aura le seul sens du « séjour durable sur la frontière » – mulāzamat-al-ṯaġr(105) ; en faisant passer au second plan son sens initial de rassemblement de montures (ribāṭ al-ḫayl). Dans lesdites sources : « le terme va être associé à l’idéologie du djihād, telle qu’elle s’est développée, probablement seulement à partir de l’époque cabāsside »(106). Contrairement à M. Bonner qui considère que le ğihād a commencé avec la période cabbāsside(107), J. Chabbi ne souscrit pas à cette thèse. Elle s’y oppose selon deux points : (i) à cause de l’exagération de l’idéologie et de l’imaginaire collectif : « (…), même cette dernière considération, liée à une représentation du djihād  – souvent tenue pour un fait d’évidence – doit être fortement nuancée. Elle pourrait relever, en grande partie, de l’idéologie et de l’imaginaire de la croyance, et non de l’événementialité historique directe »(108) ; (ii) à cause du manque d’idéalisation nécesssaire pour justifier le ǧihād : « au début du IIIe/IXe siècle, l’idéalisation des figures de la frontière ne parait pas encore très poussée. Ibn Sacd, mort en 230/845, consacre, dans ses ṭabaqāt, une rubrique de 18 noms aux résidents de la frontière, al-cawāṣim wa-l-thughūr. Les notices sont très brèves et pas du tout idéalisées »(109). Ainsi, J . Chabbi conclut sur l’importance de revenir avec plus de critique sur ces sources(110) inscrites dans l’émergence de différents mouvements idéologiques du IIIe/IXesiècle, et devennant par la suite les poncifs de la littérature de la frontière, à partir des siècles suivants. Sans ce faire, la forte corrélation entre ribāṭ et ğihād fut et reste très répandue. Chez Lucien Golvin, le ribāṭ, dans son sens élargi ou restreint (voir infra), correspond à « de fondations pieuses destinées à des combattants de la foi, des guerriers de la guerre sainte »(111) ; comme chez G. Marçais, pour lequel c’est « un genre d’établissement à la fois religieux et militaire qui semble assez spécifiquement musulman »(112), aussi pour A. Miquel qui le définit par un « couvent fortifié » ; M. Slimane Zbiss est du même avis : « Ces « ribats » seraient de simples citadelles, comme l’Antiquité et le Haut Moyen Âge en ont connues, sans cette particularité que leurs hôtes y venaient s’offrir pour la guerre sainte, le « jihad » et rechercher une fin enviée : la mort des martyrs pour la Foi. En attendant cette occasion on s’adonnait aux pratiques monastiques. Cette particularité assimile le « ribat » à un couvent fortifié de moines guerriers »(113). De même pour Brauer, les ribāṭs sont des établissements fortifiés « quasi-monastiques », abritant ceux entièrement dévoués à remplir l’obligation religieuse du ğihād.

Sur le plan de l’architecture, le terme connait plusieurs variantes d’édifices ; de la simple tour de guet au fortin, à la forteresse, au caravansérail. À partir de l’obédience seldjoukide, dans la région orientale, les établissements pour sūfis sont nommés ḫānḳāh ou ribāṭ. En Égypte et en Syrie on utilise les deux termes en concomitance, avec celui de « zawiya ». Al-Maqrīzī, énumère les ribāṭs d’Égypte(114), qui sont au nombre de douze, dont un est réservé aux femmes et connu sous le nom d’al-baġdādia(115). Il décrit aussi les zāwias et les ḫānqāhs séparément, ce qui mène à différentier les deux édifices. C’est uniquement à Baġdād(116) que ces institutions portent seulementle nom de ribāṭ(117), jusqu’au XIIIe siècle. Aussi un autre édifice est nommé ribāṭ en relation avec al-barīd, la poste. Qudāma mentionne les masālik et les sikak qui sont des maisons ou ribāṭs où demeurer(118). Il cite pour une seule fois le ribāṭ kumağ (kumaḫ )(119) à Qāhistān. Pour Nasser Rabbat, il s’agit d’une dérivée d’un édifice préexistant la ḫānqāh : « Les descriptions des wakfs de ribāṭs mamlūks, par exemple, montrent qu’ils étaient des variantes du khānkāh, si se n’est que certains d’entre eux abritaient d’autres personnes que les Ṣūfis »(120). C’est au XIIe siècle, quand le ǧihād passe du plan militaire au plan spirituel, que l’institution du ribāṭ prend un caractère religieux et mystique. En Iran, il devient un couvent, la ḫānqāh  est édifiée dans les faubourgs des villes. C’est ainsi que Nikita Elisséeff explique l’avènement des « ribāṭs urbains » ; les uns pour les hommes et d’autres pour les femmes(121).

Par contre, J. Chabbi reconnait qu’Ifrīquiya est le lieu fournissant la première réponse au ribāṭ comme édifice original, non comme ses variantes : « Ifrīḳiya est réputée avoir fourni l’attestation la plus ancienne d’un établissement que l’on nomme ribāṭ. Les premières fondations remonteraient au premier demi-siècle de l’époque cabbāside, peu avant l’époque du gouvernorat héréditaire aghlabide (qui est mis en place, à partir de 184/800) »(122).

En ce qui concerne la question de la datation des ribāṭs, J. Chabbi hésite de l’ancienneté la plus grande entre le ribāṭ de Munastīr et celui de Sousse. Tandis que les travaux d’Alexandre Lézine, entrepris depuis 1954, concluent à les dater : le ribāṭ de Munastīr en 796, celui de Sousse en 775. C’est ce qu’explique Lézine pour le ribāṭ de Sousse entrepris en deux temps ; l’édifice initial (775), ensuite des modifications(822), on cite : « Par ailleurs la limite extrême à admettre pour la construction de l’édifice primitif semble être 775, date des monuments d’Asie Mineure possédant un dispositif de défense de l’entrée semblable à celui que nous avons ici. (…)Un gouverneur particulièrement marquant, Yazid Ben Hatim (771-788), présidait alors aux destinées de l’Ifriqiya. C’est à lui que nous attribuerons le premier état du ribat. Ziyadet Allah a modifié le bâtiment en 822 (…) »(123). À l’instar, Nasser Rabbat mentionne, à quelques différence près, que le noyau du ribāṭ de Sousse date de la période (154-80/770-96) et que la dernière étape de sa construction est attribuée à l’‘amīr aġlabide Ziyādat Allah (201-23/817-38)(124). Il s’agit, d’après lui, d’un type de construction non militaire ayant existé depuis la plus ancienne époque islamique, comme ḫān ou caravansérail ; en reconnaissant une ressemblance architecturale, vu que « les khāns étaient eux-aussi fortifiés, et constituaient des périmètres bien gardés »(125).

Ibn Ḥawqal, dans son livre Ṣūrat al-arḍ, en décrivant Ifrīquiya, consacre aux ribāṭs de Sousse et de Munastīr quelques lignes ; dont J. Chabbi éloge la précision, et y repère trois emplois du terme. Le premier comme lieu ou édifice « un ribāṭ (un lieu de ribāṭ) où séjourne un nombre important de gens », « selon les jours et les périodes » (1) ; le second comme une épithète fonctionnelle de « kaṣr ribāṭ », une « forteresse ayant fonction de ribāṭ » (2) ; et le troisième comme un nom verbal « il y a au bord de la mer deux grandes forteresses », « pour le ribāṭ et la dévotion », « qui sont entretenues grâce au bénéfice de nombreux wakf en Ifrīḳiya », « et par des aumônes qui viennent de partout »(126) (127) (3), (Voir Carte. 2.1). À l’opposé, dans les ribāṭs de Sicile, règne le vice, selon lui(128).

Carte. 2.1. La frontière arabo-byzantine occidentale : Qaïrawān et les ribāṭs de Sousse et Munastīr.
Source : Carte de l’auteure. Fond de carte © 2007-2020 d-maps.com.

Lucien Golvin renonce à donner au terme du ribāṭ un sens limité et rigide ; il cherche à identifier les édifices en référence. Il fait recours à al-Bakrī, « le plus complet », dit-il. Pour Sousse, Al-Bakrī parle de maḥris al-ribāṭ(129) ; c’est un refuge des pieux, à l’intérieur duquel, on trouve un autre ḥiṣn, dit al-Qaṣba. À Sfax, il parle de « quelques Ribât’s situés sur le bord de la mer. Le plus célèbre de ces établissements est celui qui porte le nom de Mahrès-Botouïa… les autres Ribât’s sont le Mahrès Habela, Abî al-Ghuçan, le Mahrès Maqdamân, le Mahrès al-Lûza et le Mahrès al-Rîh’âna »(130) (131). Avec les expressions (maḥrès : ribāṭ : ḥiṣn) ; iI est clair que le vocabulaire d’al-Bakrī connait des lacunes. En parlant de Sfax, il ne donne pas au mot maḥris le sens qu’il lui avait donné en parlant de la ville de Sousse. Pour Sfax il confond les mots maḥrès et ribāṭ. Al-Bakrī parle du ribāṭ de Munastīr comme un maris(132) de ceux de Sousse, c’est une grande forteresse, al-qar al-kabīr, il est bâti par Herṯema bin ‘Acyun en 180 H /796.

Aussi, il parle de ribāṭ al-Munastīr comme un ḥiṣn ; à l’intérieur duquel il y a un masğid. Au deuxième niveau ; un groupe des pieux et des murābṭīn se sont isolés des autres(133). Encore, il reporte que ribāṭ al-Munastīr décrit comme un qaṣr(134), à l’intérieur duquel il y a un deuxième ḥiṣn avec beaucoup d’habitations et de masāğid ; avec une mention particulière de « femmes murābitāte » (pratiquant le ribāṭ)(135). Plus loin encore « al-Monastir possède dans ses environs cinq maḥaris de grande solidité et habités par des gens dévots »(136). Pour Munastīr, son ribāṭ est un maḥris pour Sousse, au sens de « ville fortifiée », d’après Golvin. Il résout sur l’usage libre chez al-Bakrī des deux termes : « En résumé, nous pouvons affirmer que les termes Ribât’ et Mahrès sont synonymes dans le vocabulaire de al-Bakrî et que ces mots, employés indifféremment désignent soit un bâtiment très précis, soit un quartier fortifié, voire une ville ou un port »(137). Golvin conclut que c’est suivant les circonstances présentes qu’il faut décider entre : (i) le « sens élargi » du quartier fortifié, ville fortifiée, port de guerre, ou (ii) le « sens restreint » du fortin, dans ce cas les ribāṭs peuvent être (ou devenir) des mosquées. Selon Al-Bakrī, Qaïrawān avait sept maḥāris : quatre à l’extérieur, et trois à l’intérieur(138).

À signaler qu’il existe deux approches du ribāṭ, suivant les deux courants de l’Isālm : le courant sunnite installe le ğihād, alors que le courant chiite préfère le soufisme. Plus tard, cUbayd Allāh al-Mahdī, dit le chiite, érige Mahdia en 914, au sud-est de Qaïrawān. Il désarme les ribāṭs le long du Saḥel, par crainte de révolte contre son jeune Émirat.

2.2.2- Camp en position : Qaïrawān 

Les auteurs arabes, comme Ibn Ḫaldūn, ont souligné la difficulté de l’islamisation de l’Afrique du Nord. Ils reconnaissent que la pénétration arabo-musulmane s’est effectuée au prix d’un long effort. Bien différente des conquêtes de l’Égypte, celle d’Ifrīquiya fut marquée de huit campagnes conduites par des chefs différents face à la lutte forte, notamment de la reine berbère Dihya, al-Kāhina. En dépit du caractère anachronique du récit d’Ibn cIḏārī al-Marrākušī, il relate l’histoire de la fondation de Qaïrawān(139). cUqba Ibn Nāfac arrive avec dix milles de ses hommes à Ifrīquiya, il l’ouvrit. En connaissant l’instabilité des gens du pays, une fois quittés à eux-mêmes, il décida de s’installer en permanence et de fonder un camp : « Qaïrawān ». Ses compagnons zélés lui demandent qu’il la rapproche de la mer pour rendre possible le ğihād et le ribāṭ. Il leurs répond qu’il craint qu’elle serait exposée au roi de Constantinople et prise soudainement. Il ordonne de l’éloigner de la mer dans le nécessaire, afin d’être en connaissance des raids d’attaque. Il ajoute que tant la distance entre elle et la mer ne permet pas de raccourcir la prière ; ils sont considérés comme des murābiṭūne.

C’est ce que confirme Slimane-Mustapha Zbiss, sur le nouveau camp fixe : « C’est pour conserver ces avantages, qu’il fut amené à tenir garnison dans le pays et à construire Kairouan »(140). Sur la distance, Jean Despois explique que : « Kairouan est, d’autre part, à 50 km. de la Méditerranée. C’est qu’au moment où elle est fondée on peut toujours craindre que Byzance ne vienne au secours de sa province et elle ne débarque des troupes sur la côte, à Hadrumète (Sousse), (…) »(141). Pour Qudāma Ibn Jacfar, Qaïrawān est un ṯaġer, il la cite en parlant des ṯuġūr de l’Occident musulman (ṯuġūr al-Ġarb) : « (…)la première Ifrīquiya, c’est la dite Qaïrawān, (…) en arrière d’Ifrīquiya c’est le pays de Tāhart, (…) derrière Tāhart, le pays des Muctazila et leur demeure est Tanger et ses environs, derrière cela le pays d ‘al-Andalus, (…) et sa maison est Cordoue et al-Andalus (…) »(142).

D’ailleurs, Despois parle de Qaïrawān comme une terre avancée de l’Islam dans l’Occident : « Kairouan apparaît donc, dès le principe, comme un poste avancé, une place d’arme que l’on fortifie en terre, et comme un magasin, un caravansérail où l’on met à l’abri le butin rassemblé »(143) ; c’est « un avant-poste des Arabes et de l’Islam en terre latine et chrétienne »(144). S.M. Zbiss mentionne que face aux Berbères, les Arabes ont élevé un limes, comme l’ont fait les Romains. Par contre, ils ont édifié les ribāṭs défensifs, et ensuite offensifs face aux chrétiens: « Par la suite, les incessants soulèvements berbères lui feront établir un limes dont les troupes arabes occuperont les citadelles. Mais, le péril le plus grand venant de la mer, c’est de ce côté surtout, qu’il faudra se défendre en raison des incursions répétées des chrétiens dont la ferme résolution d’occuper le pays ne se démentit jamais. C’est ainsi que naîtra le « ribât », forteresse maritime, ouvrage défensif dès l’abord, devenu offensif par la suite, lorsque, ayant acquis la maîtrise de la mer, les Musulmans s’en serviront comme bases d’embarquement, en particulier, pour conquérir et tenir en main la Sicile »(145).

En effet, le système de fortifications arabes à Ifrīquiya diffère de celui byzantin. Les Byzantins ont édifié de nombreux forts et châteaux, dont la plupart d’entre eux sont à l’intérieur du pays ; pour faire face aux tribus berbères. On remarque que Qaïrawān, différemment aux ṯuġūr et cawaṣim, est un camp bilatéral pivotant par la double confrontation (Berbères et Chrétiens). D’un côté, elle a aussi servi de ṯaġr face aux Berbères en révoltes continues, du côté terrestre. On assimile cette disposition à celle de la frontière en Asie Centrale comme « frontière floue », telle que décrite par A. Miquel ; là où l’Islam s’infiltre par place. Les Berbères convertis ne présentent plus un danger, encouragés par la possibilité de gouverner avec les Arabes musulmans (Ḫariğites), ils vont plutôt se tourner avec eux face aux Slaves, les Ṣaqāliba. Le fameux stratège militaire, Tarīq ibn Ziād, berbère d’origine, fut un exemple ; il dépassera le détroit de Gibraltar, conquiert la péninsule ibérique, et fondera al-Andalus.

De l’autre, les Arabes se sont tournés vers la menace chrétienne, lancée depuis la côte sicilienne. La politique de fortifications a atteint son paroxysme avec les Aġlabides, notamment sous le règne d’Abī Ibrahīm Aḥmed, dont Ibn Ḫaldūn reporte qu’il a ordonné de construire dix mille forteresses de pierres équipées de portes en fer. Un chiffre qui malgré son inexactitude, traduit l’énorme effort qui a été alloué pour protéger les côtes. Ainsi, la dynastie aġlabide a réussi à prendre la Sicile (831) comme l’explique Chabbi : « Les Aghlabides auraient continué cette politique en érigeant de nombreuses murailles et forteresses. À partir de 211/827 que se sont lancées les premières expéditions contre la Sicile dont Palerme, la capitale, Bālarm, est prise en 216/831 »(146).

Néji Jalloul parle du littoral de Qaïrawān : « Sāḥel al-Qaïrawān, qui comporte ce qui est connu après par les pays (awṭān) de Sousse, Munastīr, Mahdia et Sfax »(147). Il considère que l’édification est faite selon une liaison étroite, et une continuité entre Qaïrawān et son Sāḥel. Il ajoute, plus loin, que Sousse est « Ṭarsūs al-Maġreb »(148). Pour J. Depois : « (…) il était normal que les Arabes se tinssent à l’écart des collines, toutes coupées d’olivettes et parsemées de bourgs agricoles, qui constituaient le Sahel »(149).

On remarque que la disposition des ribāṭs s’articule entre les trois postes : Qaïrawān – Sousse – Munastīr ; selon la continuité territoriale, en se plaçant idéalement face à Sicile et avec une concentration importante des ribāṭs dans cette partie. Ainsi, les ribāṭs se développent dans cette partie (Voir Carte. 2.2).

Carte. 2.2. Les Ribāṭs et Qaïrawān à l’époque Aġlabide.
Source : Néji Jalloul, 1995, p.291. Reproduction de l’auteure. Fond de carte © 2007-2020 d-maps.com.

Enfin, on peut comparer les deux modèles : [ṯuġūrcawāṣim], au [Qaïrawān-ribāṭ] (Fig. 5).

Fig. 5.  Comparaison entre la frontière orientale (a) et occidentale (b).
Source : Dessins de l’auteure.

Conclusion

La frontière au monde arabo-médiéval ne s’annonce pas comme une ligne rigide, nette et bien tracée. D’un côté, la perception religieuse intérieure est basée sur l’unité indivisible ; ainsi toutes les frontières internes sont considérées comme opposées aux principes fondamentaux de l’Islām. De l’autre, le faire face au front byzantin est une nouvelle donnée pour les musulmans, habitués aux guerres tribales.

Dès le début des conquêtes et l’expansion islamique ; les frontières et ḥudūd, surtout avec l’ennemi byzantin, ont connu des mouvances et des adaptations continues, au fur et à mesure du long conflit.

En revanche, les Musulmans vont négocier les frontières selon une première stratégie du tir à profit des ḥudūd naturelles, notamment par le mont al-Lukām, (Taurus et Amanus). Les frontières externes multiplient les épaisseurs, confirment l’aspect offensif par la suppression du no man’s land (al-ḍawāḥī), et avancent vers les Byzantins en plaçant les ṯuġūr en première ligne. Une action motivée par les textes coraniques, ḥadīṯs, et traditions prophétiques qui encouragent le Ǧihād ; aussi que la littérature de l’époque et les sources médiévales. Il n’existe plus de zone partagée, la frontière est appropriée et utilisée pour défendre les cAwāṣim. Il faut ajouter que les querelles sur la ligne de front, par l’expansion et le rétrécissement conséquent, rendent la dynamique de cette limite évidente ; au même temps que l’épaisseur dans laquelle elle évolue. On est en présence de l’inversion du modèle historique ; ce qui mène à confirmer la réponse appropriée et inédite du système frontalier des ṯuġūr et cawāṣim.

Par conséquent, la thèse que le modèle frontalier arabo-musulman a fait des emprunts aux modèles romain du limes, ou byzantin des thèmes et clisures, parait faible. D’abord, le modèle [ṯuġūrcawāṣim], tel qu’étudié précédemment, est bien différent des deux précédents. Ensuite, sachant à propos des différentes améliorations faites au sein de l’armée byzantine pour s’adapter aux guerriers arabes, affaiblit encore cette hypothèse.

Si la frontière orientale répond par les ṯuġūr, Qaïrawān, premier camp arabe à Ifrīquiya, présente un cas particulier en Occident islamique. Géographiquement, elle est située entre mer et terre, un « pont avancé ». Pour le plan géopolitique, elle est un ṯaġer du Dār al-Islām entre ses trois pôles Damas, Cordoue et le Caire, d’un côté. Ses ribāṭs sont en face de la Sicile et les Byzantins de la méditerranée occidentale, de l’autre. Les ribāṭs sur le Sāḥel de Qaïrawān : Sousse, Munastīr, Ṣqānès, et bien d’autres, devancent la ville dans un rôle défensif-offensif. Une similitude est possible avec Qinnasrīn (Ǧund), ou Antioche, capitale des cawāṣim. La possibilité de la comparer aux ṯuġūr maritimes de Syrie, peut confirmer ou infirmer l’unicité du modèle frontalier de la capitale aġlabide.

L’adaptation des stratégies des Arabes aux nouvelles données naturelles, nouveaux ennemis et au territoire maritime, alors qu’ils sont connus par leur maîtrise de combats en désert paraissent peu soutenables ; si l’on voit les ṯuġūr maritimes sur les côtes syriennes ; en plus au développement de la plus grande artillerie maritime en son temps au Baḥr al-Rūm durant la dynastie aġlabide.

Terre avancée de l’Islam, Qaïrawān, n’a pas développé les ṯuġūr, même si plusieurs sources la considèrent ainsi. Par contre elle a multiplié les ribāṭs. On peut emprunter le postulat qu’« il n’y avait pas un édifice nommé ribāṭ sur la frontière orientale », de J. Chabbi, au compte de la frontière occidentale, pour dire qu’il n’y a pas un lieu à désigner pleinement de ṯaġer.

Revoir le rapprochement de Qaïrawān aux ribāṭs permet de tracer une triangulation ; typique à la dynamique du système frontalier, à comparer aux lignes constituant l’épaisseur du modèle [ṯuġūrcawāṣim].

Ainsi, les deux typologies frontalières [ṯuġūrcawāṣim] et [camp-ribāṭ] ont été modélées suivant les données historiques, géographiques et géopolitiques contextualisées et appropriés. Les terres prises de l’ennemi byzantin à Constantinople, comme en Occident, prouvent leurs efficacités.

Toutefois, Qaïrawān n’est pas assez considérée par son rôle et sa liaison à la frontière occidentale ; souvent on mentionne les ribāṭs séparément, et on néglige l’importance de cette ville dans l’épaisseur frontalière. Ce travail contribue à une revalorisation du modèle [camp-ribāṭ]. Cette conjecture est défendable par le fait que les Arabes ne conçoivent pas la frontière linéairement. En plus, on peut ajouter que cette épaisseur est indubitable, au moins jusqu’à la date où les ribāṭs prennent la défensive et l’offensive côtière indépendamment de Qaïrawān-camp (Période ottomane)(150). Avant cela, Qaïrawān fait partie de la frontière occidentale selon une articulation triptyque qui s’impose dans la chronologie médiévale, mais qui a évolué jusqu’à son dépassement.

Plus loin, on tient à considérer ce phénomène de mutation du modèle frontalier à Ifrīquiya, pour le camp-Qaïrawān-ribāṭ, et à étudier de plus près la faculté d’un système frontalier de se passer d’un élément central, tel que son camp. Par ailleurs, on peut supposer que ce modèle est une adaptation de celui de [ṯuġūrcawāṣim]. Ainsi, on soutient la thèse du recours des Arabes à des dispositifs frontaliers dynamiques ; dans la frontière orientale, avec les ṯuġūr et cawāṣim; aussi bien que pour la frontière occidentale, avec le camp et le ribāṭ . L’adaptation favorise la procédure de reconfiguration, selon les différentes possibilités par lesquelles le modèle peut varier. Cette hypothèse s’avère porteuse, on postule ses multiples mutations : le modèle M1 [ṯuġūrcawāṣim] a connu des modifications pour produire le modèle M2 [camp Qaïrawān-ribāṭ], qui à son tour va évoluer, en se débarrassant de son camp, pour produire le troisième modèle M3 [ribāṭ]. Cette thèse peut alimenter d’autres travaux, comme elle peut contribuer à une meilleure compréhension des ḥudūd et frontières dans le monde arabo-musulman médiéval, selon une approche dynamique et générative du modèle frontalier par ses variantes et ses éléments.

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Notes

(1) André Miquel, 1988, p. 23.
(2) Le Coran fait souvent allusion (II, 187, 229, 230 ; IV, 13, 14 ; IX, 97, 112 ; LVIII, 4 ; LXV, 1). Dans la Sourate Al-Baqara (II), par exemple, le verset (187) dit : « Telles sont les Lois de Dieu ; ne les transgressez pas. Voilà comment Dieu explique aux hommes ses Signes. Peut-être le craindront-ils ! ».
(3) Ibn Manżūr, 1942, p. 1561, le texte arabe est le suivant :

التخم (بالفتح) منتهى كل قرية أو أرض وجمعه (تُخوم). وقال الفراء: تخوم الأرض حدودها وقال أبو عمرو: هي (تُخوم) الأرض والجمع تُخُم.

(4) André Miquel, 1988, p. 23.
(5) Ibn Manżūr, 1942, p. 486, le texte arabe est le suivant :

الثغر والثغرة: كل فرجة في جبل أو بطن واد أو طريق مسلوك، وهذه مدينة فيها ثغر وثلم، والثغر: ما يلي دار الحرب. والثغر: موضع المخافة من فروج البلدان. قال: الثغر الموضع الذي يكون حدا فاصلا بين بلاد المسلمين والكفار، وهو موضع المخافة من أطراف البلاد. وفي حديث فتح قيسارية: وقد ثغروا منها ثغرة واحدة، الثغرة: الثلمة. والثغر: الفم.

(6) Ils sont :‘aḫīr, tuḫūm, ḥašia, farğ, ḥadd, ṯaġr, nīb. (pl. aniāb), cāṣim. (pl. cawāṣim)
(7) W. Ralph Brauer, 1995, p.14, traduction de l’auteure.

(8) Cf. Michel de Certeau, in. Haouari Touati, 2000.
(9) Houari Touati, 2000, p. 11.
(10) Emmanuelle Tixier du Mesnil, 2014, p. 166.
(11) Ibn al-Qayim, 1997, p. 728, le texte arabe est le suivant :

قال الجمهور: دارُ الإسلام هي التي نزلها المسلمون، وجرت عليها أحكام الإسلام، وما لم تجر أحكام الإسلام لم يكن دار إسلام وإن لاصقها.

(12) Cf. Al-Māwardī, Kitāb al-aḥkām al-sultānia, p. 227-240.
(13) Cf. W. Ralph Brauer, 1995, p. 40.
(14) Le Coran, 1967.
(15) Al Qur‘ān, le verset en arabe: 

وإعتصموا بحبل الله جميعا ولا تفّرقوا. وأذكروا نعمت الله عليكم إذ كنتم أعداء فألّف بين قلوبكم فأصبحتم بنعمته إخوانا وكنتم على شفا حفرة من النار فأنقذكم منها. كذٰلك يبين الله لكم آياته لعلكم تهتدون.

(16) Al-Qur‘ān, le verset en arabe :

كنتم خير أمة أخرجت للناس تأمرون بالمعروف وتنهون عن المنكر وتؤمنون بالله.

(17) Louis Massignon, 1929, p. 51.
(18) W. Ralph Brauer, 1995, p. 40, traduction de l’auteure.
(19) Al-Qur‘ān, le verset en arabe :

وأعدّوا لهم ما استطعتم من قوة ومن رباط الخيل ترهبون به عدو الله وعدوكم وآخرين من دونهم لا تعلمونهم الله يعلمهم.

(20) Il s’agit d’une pratique usuelle de défiler en armes devant l’ennemi aux ṯuġūr, notamment celui de Ṭarsūs, cf. Ibn al-cAdīm, 1988, p. 187, le texte arabe est le suivant :

زينة الإسلام ثلاثة: (…)، ويوم العيد بطرسوس، لأنها ثغر وأهلها يتزينون ويخرجون بالأسلحة الكثيرة المليحة والخيل الحسان، ليصل الخبر إلى الكفار فلا يرغبون في قتالهم.

(21) Le Coran, traduction par Denise Masson, 1967, Gallimard, Paris.
(22) Al-Qur‘ān, le verset en arabe : 

ولا تحسبنّ الذين قُتلوا في سبيل الله أمواتا بل أحياء عند ربهم يرزقون.

(23) Le Coran, traduction par Denise Masson, 1967, Gallimard, Paris.
(24) Al-Qur‘ān, le verset en arabe : 

يا أيّها الذين آمنوا إصبروا وصابروا ورابطوا وإتقوا الله لعلّكم تفلحون.

(25) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 511.
(26) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 511.
(27) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 511-512.
(28) David Do Paço et al, 2010, p. 207.
(29) W. Ralph Brauer, 1995, p. 37.
(30) W. Ralph Brauer reconnait trois modèles fiscaux ; celui prévalant dans l’empire sassanide, dans l’Empire byzantin, et en Égypte. Tous les trois peuvent être réduits à un dénominateur commun avec le système fiscal romain « iugatio-capitatio », entrepris sous l’empereur Dioclétien. 
(31) Le butin, al-ġanīma, n’est pas une invention islamique. Les Arabes à l’époque antéislamique (al-ġāḥilīya), pratiquaient les razzias et retiraient le quart pour les chefs de tribus. Cf. Abū cAlī ben Muḥamed al-Marzūqī al-Aṣfahānī,1996, Al-Azmina w al-Amkina, Dar al-Kutub al-cilmiia, Beyrouth, p. 515-516.
(32) Le Grīb est la surface de la terre de longueur 60 coudes (ḏirāc) et de même pour la largeur ; elle est de 360 coudes.
(33) « Le pays noir » est le plus ancien nom arabe de la plaine d’alluvions du Tigre et de l’Euphrate.

(34) Qudāma Ibn Jacfar, 1981, p. 221, le texte arabe est le suivant :

وقد كان عثمان بن حنيف لما بعثه عمر بن الخطاب لمساحة السواد وضع على جريب الكرم والشجر عشرة دراهم، وعلى جريب النخل خمسة دراهم، وعلى جريب القضب وهو الرطبة ستة دراهم، وعلى جريب البرّ أربعة دراهم، وعلى جريب الشعير درهمين، وفي رواية بعض الناس أكثر.

(35) André Miquel, 1967, p. 272.
(36) Emmanuelle Tixier du Mesnil, 2014, p. 168.
(37) Routes sûres, balisées et fréquentées.
(38) Cf. Francisco Franco Sánchez, 2013, « Les deux chemins opposés de la cartographie arabo-islamique médiévale : la mappemonde « islamique » (« l’école d’al-Balḫῑ », Xe siècle) ou le monde en sa diversité (al-Šarῑf al-Idrῑsῑ, XIIe siècle) », in Parcourir le monde. Voyages d’Orient, Publications de l’École nationale des chartes, Paris, p. 29-49.
(39) À la demande du Roi Roger II de Sicile. 
(40) W. Ralph Brauer, 1995, p. 1, traduction de l’auteure, le texte anglais est le suivant : “I failed to encounter any to boundaries between various political or ethnographic either the text of this work or the maps accompanying it”.
(41) André Miquel, 1967, p. 293.
(42) Houari Touati, 2000, p. 304.
(43) W. Ralph Brauer, 1995, p. 12, traduction de l’auteure, le texte anglais est le suivant : Thus we find it applied not only to coutries, but also to cities, to the domain of Islâm, to land as opposed to the sea, to the end of a mountain range, or to the great desert and others.
(44) Qudāma Ibn Jacfar, 1981, p. 141, le texte arabe est le suivant :

وأما أروفى فحدها من جبال اللكام وما والاها مادا إلى بحر اوقيانوس الشمالي، والحد الثاني، أوقيانوس الشمالي ذاهبا إلى نهاية العمارة من جهة المغرب. والحد الثالث، أوقيانوس المغربي ذاهبا إلى بحر الروم وهو المشترك بين أروفى ولوبية. والحد الرابع، هو البحر الرومي من البحار إلى حد ما يلي لوبية ذاهبا حتى ينتهي إلى ساحل الشام في تمام الحد الأول حتى ينتهي إلى جبال اللكام.

(45) Ibn Ḥawqal, 1992, p. 154, le texte arabe est le suivant :

وبين ثغور الشام وثغور الجزيرة جبل اللكام وهو الفاصل بينهما وجبل اللكام جبل داخل في بلد الروم ومتصل بجميع جبال بلاد الروم.

(46) Clifford Edmund Bosworth, 1987, p. 120, le texte anglais est le suivant : The Arab invasions were thus the stimulus for the new strategic role which the Taurus Mountains barrier was to play for the next four centuries in Muslim-Byzantine military and political relations.
(47) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 512
(48) Abī cAmr bin Abd Allah bin Ibrahīm al-Ṭarsūsī, in cAbās Iḥsān,1988, p. 43, le texte arabe est le suivant:

مدّت طرسوس على سورين، في كل سور منهما خمسة أبواب حديد، فأبواب السور المحيط بها حديد ملبس، وأبواب السور المتصل بالخندق حديد مصمت.

(49) Ibn al-cAdīm, 1988, p. 54, le texte arabe est le suivant :

وإهتم الملك الظاهر أيضا بتحرير خندق الروم، وهو من قلعة الشريف إلى الباب الذي يخرج منه إلى المقام، وبنى ذلك الباب ولم يتمه، فتم في أيام ولده الملك العزيز رحمه الله، ثم يستمر خندق الروم من ذلك المكان شرقا، ثم يعود شمالا إلى الباب الذي جدد أيضا في أيام الملك العزيز لصيق الميدان، ويعرف بباب النيرب، ثم يأخذ شمالا إلى أن يصل الى باب القناة الذي يخرج منه الى بانقوسا، وهو باب قديم، ثم يأخذ غربا من شمالي الجبل إلى أن يتصل بخندق المدينة. وأمر الملك الظاهر برفع التراب والقائه على شفير هذا الخندق فيما يلي المدينة، فارتفع ذلك المكان وعلا، وسفح إلى الخندق، وبني عليه سور من اللبن في أيام الملك العزيز محمد رحمه الله، وولاية الأتابك طغرل، وأمر الحجارون بقطع الاحجار من الحوارة من ذلك الخندق، فعمق وإتسع وقويت به المدينة غاية القوة.

(50) Le terme de « la guerre sainte » et de son homologue arabo-islamique présumé, le Ǧihād, a toujours été sensible.
Cf. Flori Jean, 1997, « Croisade et gihad », in Le concile de Clermont de 1095 et l’appel à la croisade. Actes du Colloque Universitaire International de Clermont-Ferrand (23-25 juin 1995), Rome, p. 267-285 

(51) Une tradition prophétique déconseille le combat avec les Turcs, le texte arabe est le suivant :

أُتركوا التُرك ما تركوكم.

(52) Ibn Ḥawqal, 1992, p. 386, le texte arabe est le suivant :

وترى الغالب على أهل الأموال بما وراء النهر صرف نفقاتهم الى الرباطات وعمارة الطرق والوقوف على سبل الجهاد ووجوه الخير وعقد القناطر إلّا القليل من ذوي البطالة، وليس من بلد ولا منهل مطروق ولا قرية آهلة إلّا وفيها من الرباطات ما يفضل عمّن ينزل به ممّن يطرقه، وبلغنى أنّ بما وراء النهر زيادة على عشرة آلف رباط وفى كثير منها إذا نزل النازل أقيم علف دابّته وطعامه إن احتاج الى ذلك، وقلّما رأيت خانا أو طرف سكّة أو محلّة أو مجمع ناس الى حائط بسمرقند يخلو من ماء مسبّل بجمد.

(53) Ibn Ḥawqal, 1992, p. 387, le texte arabe est le suivant :

فأمّا بأسهم وشوكتهم فليس في الإسلام ناحية أكثر حظّا فى الجهاد منهم وذلك أنّ جميع حدود ما وراء النهر إلى دور الحرب أقرب ومن ذلك خوارزم إلى ناحية اسبيجاب فهم ثغر الترك الغزّيّة وأمّا اسبيجاب الى أقصى فرغانه فثغر الخرلخيّة ثمّ تطوف حدود ما وراء النهر من الشقنيّة وبلد الهند من حدّ ظهر الختّل الى حدّ الترك في ظهر فرغانه والمسلمون يقهرونهم وجميع من جاورهم بهذه النواحي ومستفيض أنّه ليس للإسلام دار حرب هم أشدّ شوكة من الترك وهم ثغر للمسلمين فى وجه الترك يمنعونهم من دار الإسلام ويصدّونهم عن إنتهاكها.

(54) André Miquel, 1988, p. 23 
(55) Albrecht Noth, 1966, p. 72, traduction de l’auteure.
(56) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 517-518.
(57) Le Coran, traduction par Denise Masson, 1967, Gallimard, Paris.
(58) Al-Qur‘ān, les versets en arabe sont les suivants :

غُلبت الروم. في أدنى الأرض وهم من بعد غَلبهم سيَغلبون.

(59) Ibn al-cAdīm, 1988, p. 207, le texte arabe est le suivant :

لم يعرف الجهاد في ما مضى في شيء من أرض الثغور يعني طرسوس وأذنة وعين زربة، إنما كان حصن ثابت بن نصر بمدينة المصيصة في آخر أيام بني أمية وأول أيام بني العباس يخرج منه أربعمائة فارس صلحاء إذا قلبوا حوافر خيولهم لتنعل للغزو قلبوا بذلك قلوب بطارقة القسطنطينية خوفا منهم وجزعا.

(60) Ibn al-cAdīm, 1988, p. 200, un exemple ci-après :

عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: ستعمر مدينة بين سيحان وجيحان تسمى المنصورة، من دخلها من أمتي دخلها برحمة، ومن خرج عنها رغبة عنها خرج بسخطة، يبنى مسجدها على روضة من رياض الجنة، يدعى مسجد النور، الصلاة فيه بألفي صلاة، النائم فيها كالصائم القائم في غيرها، المنفق فيها على عياله الدرهم بسبعمائة، طوبى للمجاهدين فيها، وطوبى لمن حشر منها، الميت فيها شهيد، وشهيدها يعدل عشرة من شهداء البحر.

(61) Ibn al-cAdīm, 1988, p. 181, le texte arabe est le suivant :

ويفض منه على الشيوخ المسجدية رسما لا ينقطع عنهم في كل سنة عند قبض الأعشار من الغلات، لكل شيخ منهم ستة أمداء بالمدي الطغاني (…)

(62) Abī cAmr bin cAbd Allah bin Ibrahīm al-Ṭarsūsī, Syar al-ṯuġūr, In cAbās Iḥsān,1988, p. 42-43.

وفي هذا المسجد أقوام معروفون راتبون لا يقرأ عليهم، متوجهون إلى القبلة يصلون نافلة نهارهم أجمع إلا في الأوقات المنهي عن الصلاة فيها، لا يشغلهم عن ذلك إلا النداء بالنفير أو الغزو، أوتجديد أوتشييع جنازة من يموت من الصالحين، أو عيادة مريض من المجاهدين.

(63) Le récit existe dans les livres des vertus des pays. Cf. Abū al-Macālī al-Mušref bin al-Murjā bin Ibrāhīm al-maqdassī, Faḍā‘il bayt al-Maqdis, 2002, Dar al-Kutub al-cilmiia, Beyrouth.
(64) Le texte arabe est le suivant :

أهل الشام وأزواجهم وذرياتهم وعبيدهم وآمائهم إلى منتهى الجزيرة مرابطون في سبيل الله، فمن احتل مدينة من المدائن فهو في رباط، ومن احتل منها ثغر من الثغور فهو في جهاد.

(65) Abī cAmr bin cAbd Allah bin Ibrahīm al-Ṭarsūsī, Syar al-ṯuġūr, In cAbās Iḥsān,1988, p. 45, le texte arabe est le suivant :

(فيما سبق: باب المسدود) وهو ما بين زاوية الحبالين وباب الجهاد عند آخر شارع النجارين، تتصل به الدار الكبيرة التي بنيت للسيدة أم المقتدر بالله رحمهما الله، وليس بطرسوس ولا بالثغر كله دار أكبر منها. وبرسم هذه الدار صناع معروفون من أهل سوق السلاح لتدبير جوانبها، ورم شعث سلاحها وجلاء دروعها وسيوفها، في كل سنة مرة أو مرتين، وكان يركب من هذه الدار إلى الجهاد في سبيل الله مائة وخمسون غلاما بجنائبهم ومن ضامهم.

(66) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 513.
(67) Clifford Edmund Bosworth, 1995,p. 478.
(68) Al-cāṣima, ce mot n’existe pas dans le Lisān ; il s’agit plutôt d’une adaptation moderne du terme. Voir ici-même notes (6) et (70).
(69) Marius Canard, 1995, p. 783.
(70) Qudāma Ibn Jacfar, 1981, p. 186, le texte arabe est le suivant :

وإنما سمّي كل واحد منهما عاصما لأنه يعصم الثغر ويمدّه في أوقات النفير، ثم ينفر إليه من أهل أنطاكية والجومة وقورس.

(71) Michael Bonner, 1994, p. 17, traduction de l’auteure.
(72) Ibn Ḫurradāḏbih y compte aussi al-Djūma, Būḳā, Bālis et Ruṣāfat Hishām ; Ibn Ḥawqal : Bālis, Sandja, Samosate (Sumaysāt), Djisr Manbiğ. Ibn Šaddād nomme aussi Baghrās, Darbasāk, Artāb, Kaysūm, Tall Ḳabbāsin. Yāqūt y place encore d’autres localités.
(73) Michael Bonner, 1994, p. 18, traduction de l’auteure.
(74) Al-Ṭabarī, Tārīḫ al-Ṭabarī, p. 302, le texte arabe est le suivant :

وفيها أغزى الرشيد ابنه القاسم الصائفة، فوهبه لله، وجعله قربانا له ووسيلة، وولاه العواصم.

(75) Al-Bakrī, 2003, p. 32, le texte arabe est le suivant : 

فلنرجع إلى ذكر المدن والكور بالعواصم وقنسرين المتصلة بأرض الجزيرة. وقد ذكرنا أنها كانت من أرض الجزيرة حتى جندها يزيد بن معاوية في تجنيد الشام.

(76) Qudāma Ibn Jacfar, 1981, p. 185, le texte arabe est le suivant :

فنقول: إن هذه الثغور منها برية تلقاها بلاد العدو. وتقاربه من جهة البر، ومنها بحرية تلقاه وتواجهه من جهة البحر، ومنها ما يجتمع فيه الأمران وتقع المغازي من أهله في البر والبحر والثغور البحرية على الإطلاق بسواحل الشام ومصر كلها، والمجتمع فيه الأمران غزو البر والبحر.

(77) Qudāma Ibn Jacfar, 1981, p. 186-188, le texte arabe est le suivant :

الثغور المعروفة بالشامية، فلنبدأ بذكرها وهي: طرسوس وأذنة، والمصيصة، وعين زربة، والكنيسة، والهارونية، وبياس، ونقابلس، وارتفاعها نحو المائة ألف دينار -عواصم هذه الثغور، وما وراءها الينا من بلدان الاسلام: آنطاكية والجومة وقورس.

ثم يلي هذه الثغور عن يمينها وجهة الشمال منها الثغور المعروفة بالجزرية. وأول ما يحاد الثغور الشامية منها مرعش، ويليه ثغر الحدث وثغر كيسوم. ثم ثغر حصن منصور. ثم ثغر شميشاط (سميساط)، ثم ثغر ملطية. وهو الخارج في بلد العدو من جميع هذه الحصون، وكل واحد بينه وبين بلد العدو، درب وعقبة. وثغر ملطية مع بلد العدو في بقعة وأرض واحدة، وكان يواجه هذه الثغور -وعواصم هذه الثغور دلوك ورعبان، ومنبج. ويلي هذه الثغور عن يمينها أيضا وفي جهة الشمال، الثغور المسماة بالبكرية وهي: سميساط، وحاني، وملكين. وحصونها منها: جمح. ومنها حوران ومنها الكلس وغيرها. ثم ثغر قاليقلا في جهة الشمال عن هذه الثغور زيادة، الا انه كالمنفرد لما بينه وبينها من المسافة البعيدة، (…).

أما الثغور البحرية وهي سواحل جند حمص، أنطرسوس وبلنياس، واللاذقية، وجبلة، والهرياذة، وسواحل جند دمشق، عرقة، وطرابلس، وجبيل، وبيروت، وصيدا، وحصن الصرفند، وعدنون. وسواحل جند الاردن، صور، وعكا، وبصور صناعة المراكب وسواحل جند فلسطين قيسارية، وأرسون، ويافا، وعسقلان، وغزة. وسواحل مصر، رفح، والفرما، والعريش.

(78) Al-Ṭabarī, 1967, p. 234, le texte arabe est le suivant :

وفيها (أي في سنة 170 هـ) عزل الرشيد الثغور كلها عن الجزيرة، وقنسرين وجعلها حيزا واحدا وسميت العواصم.

(79) Al-Balāḏurī, 1987, p. 180, traduction de l’auteure, le texte arabe est le suivant : 

وذكروا أن الجزيرة كانت إلى قنّسرين، فجندها عبد الملك بن مروان، أي أفردها فصار جندها يأخذون أطماعهم بها من خراجها، وأن محمد بن مروان كان سأل عبد الملك تجنيدها ففعل ولم تزل قنسرين، وأنطاكية، ومنبج وذواتها جندا، فلما استخلف أمير المؤمنين الرشيد هارون بن المهدي افرد قنسرين بكورها فصير ذلك جندا واحدا، وأفرد منبج ودلوك ورعبان وقورس وأنطاكية وتيزين، وسمّاها العواصم، لأن المسلمين يعتصمون بها فتعصمهم وتمنعهم إذا انصرفوا من غزوهم، وخرجوا من الثغر وجعل مدينة العواصم منبج، (…).

(80) Marius Canard, 1995, p. 784.
(81) Louis Bréhier, 1949, p. 358.
(82) Louis Bréhier, 1949, p. 358.
(83) Marius Canard, 1953, p. 822.
(84) Michael Bonner, 1994, p. 17, traduction de l’auteure.
(85) Michael Bonner, 1994, p .17, traduction de l’auteure.
(86) Ibn Ḥawqal, 1992, p. 154, le texte arabe est le suivant :

قد جمعت الثغور إلى الشام وبعض الثغور كانت تعرف بثغور الشام وبعضها تعرف بثغور الجزيرة وكلها من الشام وذلك أن كلما كان وراء الفرات فمن الشام وإنما سمّي من ملطيه الى مرعش ثغور الجزيرة لأن أهل الجزيرة بها كانوا يرابطون ويغزون لا أنها من الجزيرة وأعمالها.

(87) Clifford Edmund Bosworth, 1995, p.479.
(88) Michael Bonner, 1994, p. 17, traduction de l’auteure, le texte anglais est le suivant : The cAwāṣim were most often understood to be a buffer zone between northern Syria and the Cilician ṯuġūr, extending from Antioch to Manbiğ. 
(89) Al-Balāḏurī, 1987, p. 224, le texte arabe est le suivant :

وقد قيل إن هرقل أدخل أهل هذه المدن معه عند إنتقاله من أنطاكية لئلا يسير المسلمون في عمارة ما بين أنطاكية وبلاد الروم والله أعلم.

(90) Les Arabes.
(91) Michel le Syrien, 1899-1904, p. 424.
(92) Al-Balāḏurī, 1987, p. 223-224, le texte arabe est le suivant :

كانت ثغور المسلمين الشامية أيام عمر وعثمان « رضهما » وما بعد ذلك أنطاكية وغيرها من المدن التي سماها الرشيد عواصم، فكان المسلمون يغزون ما وراءها كغزوهم اليوم ما وراء طرسوس، وكان فيما بين الإسكندرونة وطرسوس حصون ومسالح للروم، كالحصون والمسالح التي يمر بها المسلمون اليوم، (…).

(93) Marius Canard, 1995, p. 784.
(94) Sophie Métivier, 2008, p. 433-434.
(95) Sophie Métivier, 2008, p. 436.
(96) Clausura : un passage étroit utilisé pour le passage des armées.
(97) Rendue par Michel le Syrien, comme le nom d’une place, quand il décrit la nomination par Héraclius d’un certain général nommé Gregorius comme le défendeur de celle-ci.
(98) Clifford Edmund Bosworth, 1987, p. 119-120, traduction de l’auteure.
(99) André Miquel,1988, p. 23.
(100) Clifford Edmund Bosworth, 1995, p.479.
(101) Houari Touati, 2000, p. 258.
(102) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 511.
(103) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 511.
(104) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 511.
(105) Ibn Manżūr, 1942, p. 1561, le texte arabe est le suivant :

والرباط من الخيل: الخمسة فما فوقها. والرباط والمرابطة: ملازمة ثغر العدو، وأصله أن يربط كل واحد من الفريقين خيله، ثم صار لزوم الثغر رباطا، وربما سميت الخيل أنفسها رباطا.

(106) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 512.
(107) Cf. Michael Bonner, 1992, “Some Observations concerning the Early Development of Jihad on the Arab-Byzantine Frontier”, in Studia Islamica, No. 75, p. 5-31
(108) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 511.
(109) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 515.
(110) J. Chabbi les compare avec les sources les plus anciennes qui remontent au milieu du IIe/VIIIe siècle et qui sont en petit nombre, et conservées dans des ouvrages postérieurs. 
(111) Lucien Golvin, 1969, p. 101.
(112) Jacqueline Chabbi, 1995.
(113) Slimane-Mustapha Zbiss, 1954, p. 144.
(114) Al-Maqrīzī, 1997, p. 302-307.
(115) Al-Maqrīzī, 1997, p. 303, le texte arabe est le suivant :

رباط البغدادية : هذا الرباط بداخل الدرب الأصفر تجاه خانقاه بيبرس، حيث كان المتجر الذي ذكر عند ذكر القصر من هذا الكتاب، ومن الناس من يقول رواق البغدادية، وهذا الرباط بنته الست الجليلة تذكارياي خاتون ابنة الملك الظاهر بيبرس في سنة أربع وثمانين وستمائة، للشيخة الصالحة زينت ابنة أبي البركات، المعروفة ببنت البغدادية، فأنزلتها به ومعها النساء الخيرات، وما برح إلى وقتنا هذا يعرف سكانه من النساء بالخير، وله دائما شيخه تعظ النساء وتذكرهنّ وتفقههنّ، وآخر من أدركنا فيه الشيخة الصالحة سيدة نساء زمانها أمّ زينب فاطمة بنت عباس البغدادية، توفيت في ذي الحجة سنة أربع عشرة وسبعمائة، وقد أنافت على الثمانين، وكانت فقيهة وافرة العلم، زاهدة قانعة باليسير.

(116) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 521. 
(117) J. Chabbi explique le refus de l’emploi du terme ḫānqāh : il est doublement connoté par le mot persan et l’établissement iranien.
(118) Qudāma Ibn Jacfar, 1981, p. 77, le texte arabe est le suivant : 

يحتاج في البريد إلى ديوان يكون مفردا به، وتكون الكتب المنفذة من جميع النواحي ، مقصودا بها صاحبه ليكون هو المنفذ لكل شيء منها إلى الموضع المرسوم بالنفوذ اليه، ويتولى عرض كتب، أصحاب البريد والاخبار في جميع النواحي. على الخليفة، أو عمل جوامع لها، ويكون إليه النظر في أمر الفروانقيّين* (الحامل للخرائط) ، والموقعين* (الذي يوقع على الاسكدار، وهوالمكان المخصوص لحفظ الرسائل إذا مر به بوقت وروده وصدوره)، والمرتبين، في السكك* (المكان الذي يقيم فيه عمال البريد من رباط أو قبة، أو بيت أو نحو ذلك).

(119) Qudāma Ibn Jacfar, 1981, p. 90. 
(120) Nasser Rabbat,1995, p. 523.
(121) Nikita Elisséeff, 2019.
(122) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 519.
(123) Alexandre Lézine, 1954b, p. 141.
(124) Nasser Rabbat, 1995, p. 523.
(125) Nasser Rabbat, 1995, p. 523.
(126) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 519.
(127) Ibn Ḥawqal, 1992, p. 74-75, le texte arabe est le suivant :

وأما سوسه فمدينة بين الجزيرة والمهدية طيبة رفهة خصبة على نحر البحر، ولها سور حصين وماؤها معين، وبها مواجن قليلة وأعمال صالحة نبيلة، وفى أهلها دهقَنة والغالب عليهم السلامة. وهي إحدى فُرَض البحر ولها أسواق حسنة وفنادق وحمامات طيبة، وهي من القيروان على مرحلة وكانت لها ضياع جمة ووجوه من الجباية غزيرة، وغلات واسعة ورباطات كثيرة. وبين المهدية وسوسه رباط يسكنه أمّة من الناس على مر الأيام والساعات، يعرف بالمنستير ويقصده أهل إفريقية لوقت من السنة فيقيمون به أياما معلومة، (1) ويحضر بفاخر الأطعمة ونفيس المآكل ويقيم جمعهم به مدة ثم يتفرقون الى أوطانهم وهو على نحر البحر. وبينه وبين المهدية أيضا قصر رباط (2) يعرف بشقانص دونه عندهم في المنزلة وهو حصين منيع، وبه أيضا أمة مقيمة على صيد السمك، وهما قصران عظيمان على حافة البحر للرباط والعبادة عليهما أوقاف كثيرة بإفريقية والصدقات تأتيهما من كل أرض (3).  

(128) Ibn Ḥawqal, 1992, p. 116, le texte arabe est le suivant :

صقليّة  -وبها رباطات كثيرة على ساحل البحر مشحونة بالرياء والنفاق والبطالين والفساق متمردين شيوخ وأحداث أغثاث رثاث قد عملوا السجادات منتصبين لأخذ الصدقات وقذف المحصنات نقم منزلة وبلايا شاملة وحتوف مصبوبة منصوبة وأكثرهم يقودون ومنهم من لا يرى ذلك لشدة الرياء والسمعة.

(129) Al-Bakrī, 2003, p. 208, le texte arabe est le suivant :

وخارج مدينة سوسة محارس وروابط ومجامع للصالحين، وداخلها محرس عظيم كالمدينة مسور بسور متقن يعرف بمحرس الرباط، وهو مأوى للأخيار والصالحين. داخله حصن ثان يسمى القصبة، (…)

(130) Lucien Golvin,1969, p. 98.
(131) Al-Bakrī, 2003, p. 191-192, le texte arabe est le suivant :

ومنه إلى مدينة سفاقس وهي مدينة على البحر مسورة، ولها أسواق كثيرة ومساجد وجامع وسورها صخر وطوب ولها حمامات، وفنادق وبواد عظيمة وقصور جمة وحصون ورباطات على البحر، منها محرس بطوية وهو أشرفها، وفيها منار مفرط الارتفاع يرقى إليه في مائة وست وستين درجة، ومحرس حبلة ومحرس أبي الغصن ومحرس مقدمان ومحرس اللوزة ومحرس الريحانة.

(132) Al-Bakrī, 2003, p. 209, le texte arabe est le suivant :

ومن محارس سوسة المذكورة محرس المنستير، الذي جاء فيه الأثر المتقدم الذكر. ويذكر أن الذي بنى القصر الكبير بالمنستير هو هرثمة بن أعين سنة ثمانين ومائة. وله في يوم عاشوراء موسم عظيم، ومجمع كثير.

(133) Al-Bakrī, 2003, p. 210, le texte arabe est le suivant :

وهو حصن عالي البناء متقن العمل. وفي الطبقة الثانية منه مسجد لا يخلو من شيخ فاضل، يكون مدار القوم عليه، وفيه جماعة من الصالحين والمرابطين، قد حبسوا أنفسهم فيه منفردين دون الأهل والعشائر.

(134) Al-Bakrī, 2003, p. 210, le texte arabe est le suivant :

وقال محمد بن يوسف:  هو قصر كبير عال، داخله ربض واسع، وفي وسط الربض حصن ثان كبير كثير المساكن والمساجد. والقصاب العالية طبقات بعضها فوق بعض، (…).

(135) Al-Bakrī, 2003, p. 210, le texte arabe est le suivant :

(…) وفي القبلة منه صحن فسيح، فيه قباب عالية متقنة البناء، تنزل حولها النساء المرابطات تعرف بقباب جامع.

(136) Al-Bakrī, 2003, p. 210, le texte arabe est le suivant :

وبقرب المنستير ملاحة عظيمة تشحن فيها السفن بالملح إلى البلاد، وبقربه محارس خمسة متقنة البناء معمورة بالصالحين.

(137) Lucien Golvin,1969, p. 99.
(138) Al-Bakrī, 2003, p. 197, le texte arabe est le suivant :

وللقيروان من القديم سبعة محارس أربعة خارجها وثلاثة داخلها.

(139) Ibn cIḏārī al-Marrākušī, 2013, p. 44, le texte arabe est le suivant :

ووصل عقبة بن نافع الفهري إلى إفريقية في عشرة آلاف من المسلمين، فافتتحها، ودخلها، ووضع السيف في أهلها، فأفنى من بها من النصارى. ثم قال: إن إفريقية، إذا دخلها إمام، أجابوه إلى الإسلام؛ فإذا خرج منها، رجع من كان أجاب منهم لدين الله إلى الكفر، فأرى لكم، يا معشر المسلمين أن تتخذوا بها مدينة تكون عزا للإسلام إلى آخر الدهر. فإتفق الناس على ذلك، وأن يكون أهلها مرابطين ؛ وقالوا : نقرب من البحر ليتمّ لنا الجهاد والرباط. فقال عقبة : إني أخاف أن يطرقها صاحب القسطنطينية بغتة، فيملكها. ولكن اجعلوا بينها وبين البحر ما لا يدركها صاحب البحر، إلا وقد علم به، وإذا كان بينها وبين البحر ما لا يوجب فيه التقصير للصلاة، فهم مرابطون.

(140) Slimane-Mustapha Zbiss, 1954, p. 144.
(141) Jean Despois, 1930, p. 163.
(142) Qudāma Ibn Jacfar, 1981, p. 200, traduction de l’auteure, le texte arabe est le suivant :

ثم نذكر بعد ذلك ثغور الغرب فنقول : إن أولها إفريقية وهي المسمى القيروان، ولم يزل مذ إفتتح مدبرا من قبل ملك العراق بعد تولي بنى مروان إلى أن تغلب عليه في هذا الوقت صاحب المغرب، وإستولى عليه وتعدّاه إلى برقة فتغلّب عليه زيادة. فأما وراء أفريقية فبلاد تاهرت وبينها وبين أفريقية مسيرة ثلاثين يوما، وهي في يد صاحب الإباضية، وهم ضرب من الخوارج، ووراء تاهرت مسيرة أربعة وعشرين يوما بلد المعتزلة وعليهم رئيس عادل وعدلهم فائض وسيرتهم حميدة، ودارهم طنجة ونواحيها والمستولي عليها في هذا الوقت، ولد محمد بن إدريس بن عبد الله بن حسن بن حسن عليهم السلام، وكان محمد ينزل مليلة وهي آخر مدائن طنجة، فمات بها فانتقل ولده الى فاس، وهم بها إلى هذا الوقت، وراء ذلك بلاد الاندلس والمستولى عليها الأموي ومسكنه فيها في قرطبة والأندلس نهاية الغرب. وبها مجتمع البحرين الذين تقدم وصفنا لهما.

(143) Jean Despois, 1930, p. 162-163.
(144) Jean Despois, 1930, p. 163.
(145) Slimane-Mustapha Zbiss, 1954, p. 144.
(146) Jacqueline Chabbi, 1995, p. 519.
(147) Néji Jalloul, 1998, p. 65, traduction de l’auteure.
(148) Néji Jalloul, 1998, p. 70.
(149) Jean Despois, 1930, p. 163.
(150) Cf. Néji Jalloul, 1995, Les fortifications côtières ottomanes de la Régence de Tunis (XVIe-XIXe siècles), éd. Fondation Temimi pour la recherche scientifique et l’information, Zaghouan.

Pour citer cet article

HELALI Imen, « Limites et Frontières dans le Monde Arabo-musulman Médiéval : De l’Asie Mineure à Qaïrawān : Dynamique et épaisseur des Ḥudūd, Ṯuġūr, cAwāṣim et Ribāṭ dans une anthropologie de la limite », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°09, année 2020.
URL : http://www.al-sabil.tn/?p=7434

Auteur

(*) Doctorante à l’Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis. Université de Carthage, et au Département de Langues et Littératures françaises et romanes et le Collège Doctoral de l’Art de bâtir et d’Urbanisme de l’Université de Liège.


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