Le Ksar, Manifestation de la morphodynamique des Systèmes en Mutation

11 | 2021
Le Ksar, Manifestation de la morphodynamique des Systèmes en Mutation

Amira Naoui (*)

Résumé | Entrée-d’index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur

Résumé

Cet essai vise à éclairer de l’intérieur la vie des Ksour du Sud Est Tunisien, un Sud, encore très rattaché à ses traditions, mais aussi en mutation continue. Le Ksar semble être, en effet, la clé de ce monde ! Son apparition et évolution sont intimement liées aux grands événements historiques de la région. Installé au Djebel (montagne) d’abord et adopté ensuite par la Jeffara (plaine), le Ksar est une institution militaire, agricole et sociale à la fois. Il représente chez les Jebalias un moyen autour duquel leurs villages ont fini par prendre corps…
L’analyse montre bien que Le Ksar, en tant qu’objet est bien un microsystème inséré dans un macro système plus complexe et plus large. En effet, Le Ksar n’est guère statique : il a subi des changements au cours du temps qui ont modifié sa toponymie et la manière même de le percevoir! En effet, tout changement de fonction du Ksar n’était que résultant de nécessités exigeant ce changement même, Ce dernier doit évoluer dans le système !
Cette morphodynamique permet d’accéder à la forme de la dynamique des systèmes régissant la forme du Ksar. Cette première est représentée dans différentes temporalités dans la vie de l’objet Ksar: i) celle de la genèse (la construction), ii) de la maturation (l’Habiter ou exploitation), iii) de la sénescence (vieillissement) et de de la résurrection (de la patrimonialité) …Une morphodynamique témoin de sa durabilité au cours du temps en tant que manifestation d’une structure cachée en mutation. 

Abstract

This essay aims at shading the light on the life of the Ksour of South East Tunisia from within, a South, still very much attached to its traditions, but also in continuous mutation. The Ksar seems to be, indeed, the key to this world! Its appearance and development are closely linked to the great historical events of the region. First settled in the Jebel and then adopted by the Jeffara, the Ksar is a military, agricultural and social institution at the same time. It represents among the Jebalias a means around which their villages have ended up taking shape…
The analysis clearly shows that The Ksar, as an object, is indeed a microsystem inserted into a more complex and larger macro system. Indeed, Le Ksar is hardly static: it has undergone changes over time which have modified its toponymy and the very way of perceiving it! In fact, any change of function of the Ksar was only the result of necessities requiring this very change, the latter must evolve in the system!
This morphodynamics provides access to the shape of the dynamics of the systems governing the shape of the Ksar. This first is represented in different temporalities in the life of the Ksar object: i) that of the genesis (construction), ii) of maturation (Inhabiting or exploitation), iii) of senescence (aging)) and de la resurrection (of the heritage)… A morphodynamic testament to its durability over time as a manifestation of a changing hidden structure.

الملخص

يعمل هذا البحث على التعرّف على عالم القصور بالجنوب الشرقي التونسي وهي جهة لا تزال على صلة وثيقة بعاداتها ولكنّها في الآن ذاته تشهد تغييرات متواصلة. وقد يكون القصر أحد أهمّ مفاتيح فهم وتبين هذا العالم. حيث يرتبط ظهوره وتطوره بكبرى الأحداث التاريخيّة المميّزة لهذه المنطقة. حيث ظهر القصر في البداية بالجبل ثمّ تمّ اعتماده لاحقا بالسّهل(الجفارة.) وهو في الآن ذاته مؤسسة دفاعيّة وفلاحيّة واجتماعيّة. فهو لدى الجباليّة مثلا المحور كالذي وّنوا حوله قراهم.
وقد بيّن البحث والتحليل أنّ القصر هو فعلا نظام مصغّر ينضوي ضمن نظام أكبر وأكثر تعقيدا. فقد شهد القصر عدّة تطوّرات ألحقت تحويرات بتسمياته وحتى بكيفيّة تصوّره والنظر إليه. فكلّ تغيير لوظيفة من وظائفه جاءت استجابة لضرورة التطوّر في إطار نظام أشمل. وتفضي هذه الديناميكيّة في الشكل إلى تبين ديناميكيّة الأنظمة التي تحكم شكل القصر.
ويمكن ملاحظة ديناميكيّة الشكل هذه في مختلف اللحظات المهمّة في حياة القصر: أ- النشأة (البناء), ب- النضج(السكن والاستغلال) ,ج- التراجع(التدهور) والانبعاث(الاعتراف بالقيمة التراثيّة). بذلك تمثّل  ديناميكيّة الشّكل شاهدا على ثبات القصر وتواصله عبر الزمن كمظهر لبنية أعمق متغيّرة ومحجوبة.

Entrée d’index

Mots-clés :Ksar, objet-système, système conceptuel, morphodynamique, durabilité.
Keywords: Ksar, object-system, conceptual system, Morphodynamics.

الكلمات المفاتيح: القصر، النظام الكائني ، النظام المفاهيمي ، الديناميكا الصرفية ، الاستدامة.

Plan

Introduction
1. Le Ksar, manifestation d’une morphodynamique des systèmes

2. La morphodynamique des ksours, des systèmes en mutation
3. Discussion

Texte intégral

Introduction

Où commence et où s’arrête l’architecture, un grand débat qui traverse encore les milieux de la profession et de la critique architecturale. Si on choisit de n’appeler architecture que ce qui a été disons –  conçu par des architectes, que dire de ce qui est nié comme architecture, mais qui fait cependant partie de la pratique de bâtir… Si on choisit de n’appeler architecte que celui qui pense, parle en construction et qui par la grâce d’un complexe de science et d’intuition conçoit, que dire du peuple constructeur primitif qui satisfait au passager par le permanant ?
Notre propos le Ksar, représente une composante déterminante de la structuration du vécu de la région du Sud Est Tunisien. Il ne suffit pas de savoir regarder et apprécier l’œuvre, de la lire et de la composer mais il s’agit aussi, de l’interpréter à la recherche de la logique sous-jacente à sa genèse et évolution. Les Ksour présentent, en fait, un modèle illustrant l’isolement géographique et un particularisme communautaire, mais doté d’un caractère exceptionnel qui lui confère le statut d’un fait d’histoire …un monument ancien, âgé qui englobe un mystère, l’énigme de son existence, « un miroir de l’univers ».

Le discours sur l’architecture s’inscrit dans une tension entre un discours de l’espace ou des formes visuelles et celui de procès qui a produit ces objets visibles. Ainsi, la forme est-elle bien autre chose qu’enveloppe, une apparence toute extérieure ? Robert PROST considère qu’une solution architecturale ne sort pas du néant ou d’une boite noire et que le concepteur n’est pas créateur clos sur lui-même bien au contraire inscrit dans un jeu de conventions avec lesquelles il va « composer ». De ce fait, le ksar échappe-t-il à la règle ?
Les historiens, archéologues, ethnographes, voyageurs ont beaucoup écrit sur les greniers citadelles ou les greniers collectifs de l’Afrique du Nord, plus particulièrement sur ceux du Maroc, et l’Aurès en Algérie ou du djebel Nefousa en Lybie. Bien des auteurs et chercheurs se sont intéressés, de façon aussi profonde, à cette ligne de « villages fortifiés » et de « ksour » qui, depuis le Djebel Demmer, à l’Est de Medenine jusque déhibet, au pied du Djebel nefousa(1), jalonnent en bordure des Hauts plateaux sahariens, les falaises qui dominent la large plaine de Djeffâra. Nous ne sommes ni des historiens, ni des archéologues et nous n’avons ni les mêmes obligations, ni les mêmes buts. Nous sommes à la recherche d’une concordance d’un point commun, d’une différence évidente qui formeront la règle ! De ce fait, nous avons choisi de raconter, comme les pères racontent à leurs fils leur histoire autour du «canoun(2) ». Nous ne serons pas permis de traiter les ksour autrement. Nous avons adopté une attitude objectiviste par rapport aux textes écrits et récits de voyageurs en les intégrant dans notre projet cognitif de construction et de la structuration du construit Ksourien .  Mais, qu’en est – il de notre propre démarche. Pourrons nous raconter le Ksar autrement qu’en nous inscrivant dans une structure narrative ou un récit réel ?
Nous appréhendons ainsi le ksar en tant qu’objet- système en dynamique, manifeste d’une dynamique d’un système conceptuel. Cette complexité systémique permet alors d’esquisser une morphodynamique(3) en tant que dynamique de la forme. Le terme dynamique (dinamik) désigne « force » et renvoie à la composante « temps » qui permet d’apprécier les changements dans la succession des états de l’objet. Par ce fait, le propos des théories morphodynamiques consiste à expliquer et modéliser la genèse, l’évolution et la mort des formes.

1. Le Ksar, manifestation d’une morphodynamique des systèmes

1.1- Le Ksar, Objet-Système

Les villages berbères, les ksars du Sud Est tunisien représentent des sites grandioses et enchanteurs où on pourrait croire l’Homme absent… Or, cet Homme est partout, lui et son histoire ! Une histoire et une vie incrustées dans les couches les plus tendres de la montagne gravée en relief sur les voûtes des cellules d’engrangement des Ksars, « bruinée fréquemment dans le décor dantesque d’une falaise où l’on ne sait pas toujours dire où finit le village et où commence la montagne, où seul un œil exercé peut saisir ce qui est Djebel (la montagne) et ce qui est un grenier fortifié » (André LOUIS, 1975). Une histoire inscrite dans un cadre où l’homme a choisi ou a accepté de vivre, et ce qui fait sa vie… Une histoire et une vie à peine perceptible parfois, à travers une steppe aride d’un sahara sans dunes et sans nomades ! Rivalités entre gens de la plaine et population du Djebel, rude combat entre l’homme et la substance minérale, entre l’homme et l’aridité du désert, mais efforts conjugués de la nature et de l’homme aussi…Il ne peut être une instante question de refaire exactement un spectacle qui est déjà du passé, mais il nous faut revivre entièrement ou partiellement, nous donner la possibilité de retrouver le vécu d’autrefois et de restituer la mémoire du lieu. Connaitre et comprendre le « génie du lieu » permet d’expliquer et de projeter la durabilité de cette architecture et de son esprit…

Témoins d’une certaine civilisation, celle de l’insécurité dans une nature aride et ingrate, les Ksour(4) ornent de leurs masses souvent majestueuses, les pitons et les crêtes du Sud Tunisien. Leur nombre est imposant, de l’ordre de 150. Ils intriguent et aiguisent la curiosité, et l’homme moderne vient aujourd’hui dans leurs ghorfas se retremper dans l’âge des cavernes. Le phénomène Ksour s’est étendu dans les plaines, témoins de la continuité de la tradition même lorsque la sécurité a été retrouvée. Notons simplement que confrontées à un environnement de crise, les couches populaires ont puisé dans leur expérience une solution à leur problème. L’environnement et la mémoire représentent deux concepts clés de l’architecture de la complexité : interrogeons donc cette mémoire en vue d’examiner sa constitution et ses relations avec l’environnement.

Fig. 1. Implantation des Ksour au Sud Est Tunisien.
Source: Auteur, 2005, p.123.

En raison de sa position géographique, le Sud-Est de la Tunisie a constitué à travers l’Histoire, pour le Maghreb, la porte de l’orient et également une voie de passage vers le sud du Sahara et le Soudan. Ces caractéristiques ont fait du Sud-Est tunisien une zone marquée par une diversité de ses paysages et par une grande richesse de son patrimoine témoin de la succession de plusieurs civilisations. Notre choix s’est focalisé sur le Ksar comme édifice d’ordre public, à vocation militaire, socioéconomique et surtout humaine : Grenier collectif, grenier refuge, grenier fortifié, forteresse même, le vieux ksar fut tout à la fois… « Telle une vigie, il est là, surplombant de sa masse crénelée les paliers d’habitations, témoin de luttes, qui autrefois opposèrent nomades et sédentaires…témoins aussi des efforts de rudes hommes qui, pierre par pierre, le dressèrent, inaccessible, sur le roc » (André LOUIS, 1975).

Le Ksar s’est vu bâtir, tout d’abord, sur les pitons et les sommets surplombant les vallées supérieures des oueds. Autour de lui et avec lui le village est venu prendre corps pour mieux contrôler les terres fertiles des vallées et parer, grâce au stockage, aux incertitudes d’une destinée menacée toujours par la sécheresse. La montagne était donc loin d’être un réduit de persécutés. Elle se présentait plutôt en lieu privilégié qui a toujours été habité. Le secret de l’apparition des Ksour n’est pas élucidé pour autant. Il a été quand même démontré que l’institution du Ksar pourrait avoir ses origines dans toute l’histoire antérieure à son élaboration sous sa forme définitive. Une telle vision offre l’avantage d’imputer le Ksar non à une seule cause mais à plusieurs faits physiques, humains, sociologiques et historiques.

La compréhension de La morphodynamique comme formes des dynamiques est nécessaire, afin de nous permettre l’assimilation du développement de cette architecture, son développement dans le temps et dans l’espace. Le passage d’une phase à une autre touche les principes d’organisation qui sont différents de l’objet système (ksar). En effet, au niveau de l’image, le Ksar a subi une évolution en parallèle à celle vécue au niveau physique. Le ksar doit sa naissance à un simple abri assurant la survie hors des zones du danger. Suite aux attaques venues de tous côtés, l’Homme berbère se construit une nouvelle image de son abri. En réponse à la taille des attaques, ce lieu refuge devrait être encore plus sûr et inaccessible. Après une certaine soumission au nouvel arrivant (l’arabe), le Berbère acquiert une nouvelle conception du Ksar. Ce dernier représente un produit fécond d’un contact culturel varié. II devient, par conséquent, et en plus de sa fonction principale de grenier collectif, un lieu de rencontre, d’échanges civilisationnels et de communication. Un certain degré de méfiance persiste et fait que ces échanges sont ponctuels et temporaires. Or, l’image du Ksar ne s’est pas restreinte à une utilisation autochtone. Elle est transmise à l’Arabe envahisseur. Ce dernier, témoignant de son intégrité envers le Berbère avec qui il a établi des relations à plusieurs échelles profite d’un certain état de paix pour construire des Ksour en pleine plaine. Le Ksar se manifeste de ce fait, en tant que produit humain communicable. Le Ksar ne cèdera définitivement son rôle qu’au milieu du XXème siècle sous la pression d’une économie qui divorce avec son caractère pastoral et prend un tout autre contenu qui donne lieu à de nouvelles institutions.

Les réflexions développées tout le long de cet essai cherche à démontrer le caractère dynamique du système conceptuel des Ksours. En effet, ces derniers ne sont que manifestation d’une structure plus large mettant en interaction des systèmes complexes ! La durabilité est question de mémoire de système qui met en relation l’homme, l’architecture et un ensemble d’environnements qui dévoilent la complexité de la production humaine. Concevoir la durabilité c’est aussi prendre connaissance des enjeux et des réalités de l’objet Ksar en tant que manifestation d’une structure cachée à savoir un système conceptuel mettant en relation l’Homme et des environnements.

Fig. 2. Implantation des Ksour au Sud Est Tunisien.
Source: Auteur.

1.2- Environnement physique et technique

Le relief de la région est donc composé de trois parties : Le Dahar, le Djebel et la Djeffara.

i) Le « Dahar » est un plateau aride qui se développe à l’Ouest et vers le Sud. Il s’incline en pente douce vers l’Erg Oriental. Inculte dans sa plus grande partie, il n’offre qu’une végétation de pâturage.

ii) Les rebords du plateau saharien forment une falaise appelée Djebel, qui est aussi la continuité de la série de montagne de Matmata. Il sépare le Dahar de la Djeffara. Le Djebel est cultivé et habité par des populations sédentaires, celles qui se disent « jbâlya », les montagnards. A travers des gorges formées par les ruissellements, ils ont aménagé leurs jardins et leurs cultures arbustives : les olives surtout.

iii) La Djeffara représente une plaine qui s’étend jusqu’à la côte formant un vaste couloir entre le Djebel et la mer. Elle est occupée de plusieurs dépressions qui servent d’écoulement aux eaux du Djebel. Cette plaine constitue essentiellement la zone de labours. Les gens de plaines, les semi nomades dressent leurs tentes. Les sédentaires du Djebel n’y font que séjourner temporairement au moment de semailles et de la moisson.

Fig. 3. Coupe schématique du relief.
Source: Auteur, 2005, p.124.

Chaque tribu ou grande famille construit son propre ksar, lui servant à approvisionner ses réserves de récoltes durant des années. Il faut protéger ses récoltes, mettre son grain en réserves durant les périodes de déplacements mais aussi se protéger contre un éventuel ennemi. Cette architecture se confond avec le paysage naturel et se perçoit comme une sculpture, la couleur fauve de roches s’intègre avec les ocres de la pierraille des constructions. Elle ne se révèle à distance que par ses éléments de repères et références, en particulier la mosquée.  L’œuvre et son environnement apparaissent comme un tout indissociable dans lequel il n’y a pas de limites. C’est une interprétation qui traduit une complémentarité entre l’artificiel et le naturel. L’homme est en train de terminer ce que la nature n’a pas pu lui offrir.

Les différents matériaux de constructions locaux utilisés dans la construction :

i) Le palmier: On façonne du bois pour l’utiliser dans la construction soit pour la confection de toiture plate formée de poutrelles de demi-troncs de palmier jointives ne dépassant pas 2.5 m de portée, soit pour la confection de linteaux de portes ou fenêtres de ghorfas de ksar. Il est également utilisé dans la menuiserie pour la fabrication des portes, dans le coffrage pour la réalisation des voûtes.  L’adjonction du sel dans le bois en fait un milieu salé homogène, empêche son attaque par les insectes et lui maintient un certain degré hygrométrique lui permettant de vivre plus longtemps…le sel reste dans le tronc pendant environ un mois. Le tronc asséché sera prêt à l’utilisation.

ii) L’olivier : les constructeurs des ksour étaient conscients que la résistance de l’olivier à la flexion est grande, c’est pour cette raison qu’ils l’ont utilisés dans la réalisation des toitures plates de quelques entrées ou comme console ou poutre en porte à faux. Le bois est utilisé brut sans aucun traitement. Il est utilisé comme linteau sur les portes de ghorfas.

iii) La pierre est extraite de la montagne en grands blocs puis elle est concassée en petits morceaux servant dans la construction à la confection des murs, des toitures plates, de voûtes, de coupoles, d’escaliers, de contreforts, des linteaux, de dallage.

iv) La chaux est fabriquée par cuisson modérée de pierres calcaires. La calcination du calcaire est « une simple opération de cuisson de la roche à une température d’environ 600°C…  La chaux est utilisée pour ses propriétés thermiques, sa couleur blanche réfléchit le maximum de rayonnement solaire. Elle est imperméable à l’eau, utilisée pour l’étanchéité des toitures, La chaux bien trempée dans l’eau, au moins une semaine ne risque pas de se détacher…la chaux mélangée au sable est utilisée comme mortier dans les parties basses des murs, qui risquent d’être attaquées plus que d’autres par l’humidité.

v) Le Gravier: extrait dans les lits des oueds…pour ce qui est de son usage dans la construction, le gravier est utilisé pour la préparation du mortier de chaux.

vi) Le plâtre : est un sulfate anhydride de chaux. Il est le produit de déshydratation du gypse, c’est donc une opération de cuisson. Il s’agit d’un matériau de qualité pour la construction vu sa dureté et la rapidité de sa prise. Le plâtre, en plus de sa propriété de prise rapide présente avec la chaux des qualités thermiques remarquables. La fraîcheur qu’on ressent en entrant dans une pièce enduite en mortier de chaux. Les réserves peuvent tenir sans péril jusqu’à 7ans.

Fig. 4. La construction, un déploiement du milieu physique et naturel.
Source: Auteur, 2005, p.164.

Les formes primitives de la construction résultaient du besoin de protection contre un environnement physique capricieux. On peut parler de ce que SCHULZ appelle contrôle physique sur le climat, lumière, son, …facteurs géographiques. Les ksour, dans la plupart des cas, implantés dans les sommets de montagne, le choix de cette implantation en hauteur n’est pas dû seulement au besoin de refuge mais aussi à cause des propriétés qu’offre ce type d’implantation en bioclimatique pour la conservation de réserves de récoltes (blé, orge, huile, olive…). Plus on monte en hauteur plus la température diminue, donc plus il fait frais. Les parois extérieures sont aveugles, on ne communique avec l’extérieur que par une ou deux portes. Cela fait éliminer les ouvertures sources d’entrée et de la perte de chaleur indésirable. Leurs épaisseurs donnent une résistance assez suffisante pour faire obstacle aux vents dominants : ceci empêche l’entrée des rayons de soleil à l’intérieur et par conséquent l’échauffement des ghorfas…Le ksar fermé à l’extérieur arrête aussi les vents dominants. Le choix de l’orientation du Ksar a tenu compte des besoins en soleil à toutes les saisons, Le ksar est toujours orienté vers le Sud Est ou l’Est, une orientation qui semble être la plus avantageuse « l’implantation du bâti sur le flanc de la montagne opposée à la direction des vents dominants est une bonne solution à l’action indésirable de ce dernier surtout pendant les périodes de Siroco.

 Les murs extérieurs jouent ainsi le rôle d’écran contre le passage direct de la chaleur par leur masse volumique, leur texture ou leur couleur blanche réfléchissante. Les murs présentent aussi une capacité calorifique intéressante qui emmagasine la chaleur pendant la chaleur pendant le jour et la dissipe la nuit lorsque la température extérieure baisse. ; Les trous d’en haut de 20 cm sont faits pour permettre une ventilation et une aération continues.  L’air chaud ascendant s’échappe à travers ces trous. Un maintien de la température à un degré moyen ce qui assure la bonne conservation des réserves. En comparant les différents types de toiture, nous remarquons que La voûte révèle un enseignement, la solution architecturale la plus adaptée aux conditions climatiques. La voûte suit la course du soleil le long de la journée, la moitié de sa surface extérieure est toujours à l’ombre. Cela crée un mouvement perpétuel de l’air intérieur entre la zone ensoleillée et la zone ombragée. Cet échange convectif refroidit la toiture et par la suite l’ambiance du local au-dessous. Les contreforts, en plus de leur rôle structurel (soutenir le mur et éviter son effondrement), joue un rôle fort important de régulation thermique et ce par le rajout de la capacité calorifique du mur donc de son inertie thermique.

On vit au rythme d’une économie précaire, close, limitée à l’horizon de sa montagne ; les cultures traditionnelles modestes : agriculture et petit élevage, les travaux de « fées de la laine et du poil du chameau, passant des heures et des heures sur leur métier à tisser ». Chaque constructeur produisait les matériaux dont il avait besoin avec l’aide des membres de sa famille ou encore de sa communauté. Pour le bois, on utilisait le palmier ou l’olivier de son jesr qui ne produisait plus, même l’abattage se faisait familialement ainsi que pour l’opération du transport jusqu’au lieu de construction. Chaque famille avait son four propre qu’elle utilisait pour la cuisson du plâtre et de la chaux. Il y avait ainsi une autosuffisance en matériaux de construction. On essayait d’économiser l’énergie et d’en profiter au maximum de ce que prodiguait la nature.

1.3- Environnement historique 

Construire un ksar était une tâche qui dépassait les possibilités d’un homme. Aussi, faisait-on appel aux membres de la famille, aux voisins, aux gens de groupes. Tandis que les hommes s’occupaient des gros travaux à savoir extraction de la pierre, cuisson de plâtre, de la chaux…les femmes apportent aux hommes les seaux de mortiers remplissent de gros sacs de sable. De tels services appellent toujours un retour, un service analogue quand celui qui a apporté son concours gracieux aura à construire. Cette entre aide s’appelle dans la région « Rgata. » La personne qui donne son aide apporte gratuitement ses forces et son travail, celui qui l’accueille et reçoit l’aide est chargée de la nourrir, mais n’est tenu à aucune rétribution en espèce ou en nature,
« …ajoutons que cette prestation de service, consentie parfois par la loi de la région قانون الشرطية a un caractère quasi-sacré et oblige sa réciprocité. Elle s’organise autour d’un repas commun assurant une sorte de contact à travers l’eau et le sel consommés dans la nourriture, contact réputé bénéfique parce qu’unifiant. Chez les arabes toute nourriture partagée constitue un pacte d’union que nul n’a le droit de trahir… ».

La majorité des analyses renvoient la genèse du ksar à son histoire. En effet l’histoire des ksour se situe dans un système de défense des berbères de la montagne contre le nomade de la plaine, arabe pour la plupart : les berbères avaient à redouter les incursions des nomades dans les vallées cultivées afin d’assurer leur sécurité. Ils s’installèrent au sommet d’un piton quasi inaccessible. Sur cette crête, isolée du reste de la montagne par de fortes échancrures, ils établirent une véritable forteresse refuge. On vivait dans les grottes, mais on gardait ses réserves dans la forteresse qui servait de grenier, vienne une alerte de la part des nomades de la plaine, on s’y réfugiait. Ces mêmes environnements politique, Ethnique étaient des faits, des forces majeures qui conduisaient aussi à la construction du ksar. Il venait un temps où le berbère composait avec l’arabe de la plaine, passait un contrat de servage avec lui : le sédentaire berbère fournit au nomade l’huile et les tissages. Le nomade, arabe, véritable suzerain, assura au sédentaire protection contre les razzias éventuelles d’autres nomades et permet au troupeau de son « protégé » de paître sur ses propres terres de parcours. Le berbère quitta sa forteresse et s’installa plus bas dans les veines friables de la montagne. En effet, une fois la paix instaurée, la kalâa fortifiée ne sert plus de refuge, on y engrange cependant les récoltes : elles y seront à l’abri lorsque l’on part pour les cultures dans la plaine ou sur la frange cultivable du plateau. La forteresse ne sert plus comme telle, elle est devenue un immense grenier collectif « ksar ». » la montée est pénible, on abandonne le Ksar là-haut au profit d’un ensemble construit se développant en véritable quartier d’engrangement de caractère familial installé sur deux ou parfois trois niveaux. Ainsi, l’institution communautaire et collective du sommet est devenue inaccessible et inutile, abandonné au profit des ghrof de famille d’accès direct depuis l’habitation.

Trouvant les greniers des berbères inaccessibles ou trop lointains, les arabes, afin d’ensiler leurs grains plus à leur aise, en bâtissent d’autres sur le même modèle. Une nouvelle formule apparaît : le ksar de montagne. Ces nouveaux greniers construits par les arabes et pour eux, pourront également être utilisés, si besoin est, par leurs vassaux berbères. Ainsi dans cette partie de la montagne berbère pénétrée et dominée par les arabes de la plaine vont s’élever des ksour ! Bon nombre de berbères, cependant parce qu’ils n’avaient pas les moyens de vivre dans le Djebel ou parce qu’ils ne s’entendent pas avec leurs contribues, cherchent à récupérer leurs terres de la plaine, voire à s’installer sur ces terres. Ils sont obligés de composer avec les arabes nomades qui les occupent. Ils s’arabisent peu à peu tout en assurant une semi indépendance.

1.4- Environnement socio culturel 

Il faut être conscient de l’influence équilibrante de la culture sur l’existence humaine : « deux individus appartenant à des cultures différentes non seulement parlent des langues différentes, mais ce qui est sans doute plus important, habitent des modes sensoriels différents » (Edward HALL,1984). En effet, il est vrai que les systèmes culturels peuvent varier du tout au tout la structure de comportement ainsi la culture conditionne la vie quotidienne. Et il est tout à fait erroné de traiter l’homme à part comme s’il constituait une réalité distincte de sa demeure, sa ville, son langage, cette interdépendance est existentielle…

  • Système de vie

A l’instabilité de l’habitat en mouvement incarné par la tente du bédouin, le ksar oppose la commodité de la stabilité garante de la maîtrise de soi et de son milieu. Installé sur la plaine, il a contraint les nomades à de nouveaux rythmes de déplacement. Il a donné à leur mouvement une direction. Il les a mis sur la voie de la sédentarisation.

«Dans un pays où l’herbe est rare par suite du manque d’eau, il eut été, en effet, impossible de pratiquer un élevage sans transhumance, il fallait que les troupeaux aient la possibilité de se déplacer continuellement à la recherche d’une pâture… » (André LOUIS, 1975). Mais cette formule devint inapplicable dès qu’on se met à labourer et cultiver : le ksourien, jadis semi nomade, se sédentarise. Sédentarisation spontanée ou dirigée, elle amène nécessairement un recul de la vie pastorale. Il y’a en fait, pour le ksourien trois secteurs de travail : ses vergers, près du ksar, là où il habite ; ses terres de cultures, dans la plaine, et ses parcours, sur le plateau. Cette vie rythmée sur la nécessité de constituer des réserves et pour la famille et pour le troupeau, sur les précipitations atmosphériques autant que sur les modalités d’appropriation des terres, supposait en somme trois secteurs d’implantation : i) une implantation temporaire dans les plaines, lors des semailles ou de la moisson. ii) Une implantation temporaire et précaire sur le Dahar, lors des pâturages des troupeaux. iii) Un habitat quasi permanent près du ksar, l’ancien grenier fortifié ne servant pratiquement que de magasins à grains. Avec le recul de la vie pastorale, la vie agricole progresse d’autant, et le ksourien ne se contente plus d’une culture d’appoint. La tribu constitue donc une unité économique. Elle vit en autosuffisance, sans exclure pour autant le troc et les relations commerciales avec les autres tribus.

La conservation des céréales a toujours été, et demeure encore pour une grande partie des Tunisiens, un phénomène déterminant dans l’équilibre économique de la famille. L’importance de ce phénomène se traduit par la notion de « NI’MAT RABI(5) » ou de « AWLA(6) » qui signifie littéralement « providence ». Ces termes s’appliquent aux céréales, en particulier le blé, l’orge et leurs dérivés tels le pain, le couscous, ou bien les pâtes. Dans le sud de la Tunisie, plusieurs procédés d’ensilage existent suivant qu’on soit nomade, ou semi nomade ou sédentaire : Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre catégorie de population, cette pratique de la conservation du grain s’expliquait dans des régions arides, au régime de pluies irrégulières ; On pouvait ainsi disposer parfois pendant deux ou trois ans du grain de récolte. Elle permettait aussi lorsque l’on avait ses terres de cultures situées dans des zones distantes de trouver son grain de semence sur place(7). Elle assurait enfin les usagers contre leur propre imprévoyance, les ménagères ne risquant pas d’en consommer trop pour les préparations alimentaires « chacun préfère avoir son grain bien à l’abri et bien aéré, loin des femmes » (Marceau GAST et François SIGAUT, 1979).

Fig. 5. Coupe schématique du relief.

  • Valeurs sociales

La tribu constitue l’espace organique essentiel de la vie ksourienne. Aucune vie n’est possible en dehors de cet ensemble. Les valeurs référentielles qui régissent le comportement de l’individu émanent de cette entité même les réactions des hommes dans ce qu’ils ont de plus intime ne prennent forme et contenu que grâce aux normes forgées par la tribu. La tribu est une valeur, une partie qui se situe en dehors de l’espace en raison de son déplacement où la terre n’est conçue qu’en tant que point de passage ou étape dans une quête permanente d’espace, d’un espace collectif sans limites. Le seul point d’attache spatial permanent est le Ksar ! On pourra nous rétorquer que les communautés berbères se sont toujours plus ou moins attachées à un cadre spatial définitif.

Les ksouriens apprennent à vivre en groupe et peu à peu les éléments d’une conscience collective prennent racine à travers les idées qu’ils expriment et qui prennent parfois allure de conte et perpétuent les grandes valeurs de la tribu « dans les sociétés primitives, l’individualité du moi proprement dite n’existait pas. Le Moi était uniquement un Moi – Social fait de participation collective aux mythes, aux rites et aux coutumes » (Alex MUCCHIELLI, 1994). Ces gens furent distingués par des valeurs dans leur comportement entre eux. En effet, Le statut familial est patriarcat.  Le père est au sommet de la pyramide. Il détient tous les pouvoirs et s’érige en maître absolu que nul ne peut contester. L’aînée des fils lui succède en général et ainsi de suite. Deux éléments décident la place de l’individu dans la famille l’âge et le sexe. Ainsi le masculin passe avant le féminin. L’obéissance est inhérente à l’organisation hiérarchique de la famille. En milieu berbère la femme acquiert un peu plus d’importance en raison de sa participation plus active à la production des moyens de vie. Elle détient son autorité de la détention d’une partie de l’économie de la famille. L’obéissance n’est, qu’une forme de discipline nécessaire à la cohésion de la tribu malgré son blocage de l’épanouissement de la personnalité.

En milieu ksourien, le sentiment d’honneur réside aussi dans la parole ou l’accomplissement des promises perçues comme un engagement sacré digne de tous les sacrifices. Ce qui est dit doit être appliqué.  Elle équivaut à la meilleure garantie : les gens vendent sur parole et achètent sur parole. Ces valeurs n’étaient pas appliquées par hasard, mais afin d’avoir une bonne organisation de leur vie collective, de préciser le statut et le rôle de chacun pour pouvoir communiquer. Le ksourien est aussi économe par nature. Ainsi le veut la modestie de ses moyens économiques. Ce principe de se suffire du peu caractérise son style de vie et se trouve perçu comme qualité morale parce qu’elle lui permet de mieux s’adapter à son milieu et à sa condition économique. Cette conception contient aussi des préceptes religieux puristes appelant à l’austérité, à l’ascétisme même. Ces préceptes relèvent du kharijisme(8). Pour cette raison qu’on ne peut pas parler de classes dans les communautés du Sud. En effet, même si on est riche, on est en devoir de ne pas étaler sa richesse. L’austérité est devenue une disposition spirituelle et psychologique qui traduit une expérience permanente du dépassement mené contre soi pour mieux disposer de soi.

Le propre des valeurs sociales est d’aider à organiser la vie, à justifier la place attribuée aux individus et aux groupes sociaux et à codifier le comportement pour maintenir l’existence de la collectivité et son originalité. C’est à travers ce travail, opéré par la morale, qu’on trouve une raison de vivre. Le Ksourien a eu le mérite incontestable d’échapper à la rigueur des conditions matérielles en faisant de sa morale une fin génératrice de plaisir et de jouissance spirituelle. Ses valeurs sont un défi au milieu, un culte de la liberté face à une nature aliénante. A travers sa conduite, il n’a pas manqué aussi d’être en parfaite symbiose avec les composantes de son milieu, de sa religion et de son Histoire (équilibre avec la nature, symbiose avec le cosmos).

Au cours de son existence, le Ksourien a appris littéralement des milliers de signes spatiaux dont chacun revêt un sens propre dans un contexte qui lui est aussi propre. L’espace est construit sur les modes de pensée et techniques qui ont tracé son rapport au monde. L’environnement socio culturel intègre Individu, société, structure de vie et bien évidemment culture. Chaque groupe a sa manière de concevoir son espace. La conception du monde, la représentation d’un univers idéal dans lequel sont représentés les besoins et les désirs, les croyances, les relations à l’environnement naturel et surnaturel, mais aussi les pouvoirs, la hiérarchie sociale, le rôle et le statut de chacun, les relations qui s’établissent dans cette société s’expriment dans et par l’espace.

2. La morphodynamique des ksours, des systèmes en mutation

2.1- Le Ksar, Objet-système en mutation

Le ksar n’était pas un résultat banal de la façon de vivre de ses constructeurs. Il ne présente pas seulement un lieu pour déposer leurs bagages inutiles pendant leur déplacement, mais aussi un lieu leur permettant la stabilité, la tranquillité et l’échange des nouvelles après une période fatigante de voyage. Il est presque certain, alors, que le Ksar a constitué le noyau d’origine du village.

L’économie de subsistance s’est trouvée désormais en déséquilibre par rapport au système techno économique en évolution. La crainte d’une agriculture soumise à la fantaisie d’une pluviométrie irrégulière ou d’un élevage qui n’a plus les mêmes motivations, le souci de sortir d’un cadre de vie qui peut paraître trop étriqué autant que d’échapper à la dégradation de l’économie traditionnelle. La dégradation du groupe au point de vue économique est et a toujours été une cause d’abandon pour les greniers fortifiés. Elle pourrait résulter de son appauvrissement mais aussi des progrès de l’individualisme familial, des discordes entre les notables d’une famille sur les terres et la pacification (après l’indépendance) du pays et son rattachement à une administration régulière et centralisée « la paix, une administration régulière font perdre aux greniers fortifiés une de leurs raisons d’être, le Ksar n’est plus une nécessité comme autre fois et il tend à être abandonné. Les gens avaient en quelque sorte transporté les ghorfas sur les maisons en les coiffant d’une petite pièce voûtées analogue à celle du ksar »(9).

Le Ksar perd sa fonction initiale, son horizon alors ne lui suffit plus. Ceci est dû à un bouleversement et mutation au niveau des environnements qui agissent sur l’objet système. Chaos ruiniforme … n’est ce point plutôt une étrange symphonie de pierres appareillées, de voûtes effondrées, de pans de murs à demi éboulés…et d’alvéoles quasi intactes, voici la destinée de la plupart des Ksour…On est en présence d’un objet système (ksar) dont les systèmes sont dégénérés. Les environnements ne sont pas éteints ou inactifs, au contraire…Leur impact est différent, les environnements ne sont plus les mêmes, ils se sont transformés, évolués.

Fig. 6. Le Ksar se confond avec le relief (Ksar Jouamaa).
Source: Auteur, 2015.

2.2- Le Ksar, enjeu d’Identité

Le système survit-il dans l’imaginaire des gens malgré son agonie? Un recueil de témoignages vivants interroge la population locale sur la présence du Ksar dans la mémoire individuelle ou collective. Abandonné, trop épuisé pour reprendre toute activité, les vieux pensent que leur Ksar a vieilli en silence, un Ksar trop triste pour retrouver le sourire ! Il est rentré dans l’oubli, enseveli Tel un défunt …Tel un vieillard, il semble compter les heures, les jours et les années, loin des hommes à l’ombre de la vie…Il semble suivre attentivement sa dégradation progressive sans pouvoir crier au secours… Nous sommes là pour le rassurer que nous avons promis de l’aimer comme nous aimons notre patrie, affirmait un vieillard, Nous nous retrouvons chaque jour, jouer la KHERBGA comme nous l’avons toujours fait, depuis que nous étions tout petits ! Les vieux du village, ce sont eux, le Ksar… Ils s’y attachent, s’épanouissent, se retrouvent, s’identifient… Le Ksar, pour eux, est l’œuvre de leur histoire… Le témoin du temps passé à l’agriculture qui faisait vivre le Sud de la Tunisie, où le beurre, l’huile, la laine, les céréales dorées remplissaient les ghorfas, où les cavaliers intrépides trouvaient refuge dans l’obscurité de ses abris. Le ksar est raciné, profondeur, Etre…

Fig. 7. Le Ksar, un vécu continu.
Source: Auteur, 2005.

« Des Ksars, oliviers , oueds, des ressources naturelles…le paradis sur terre quoi », parla un jeune(10) de son village. Cette génération admire l’œuvre et le considère comme un endroit seulement agréable à voir. Néanmoins, eux, ils rêvent, comme partout ailleurs, de vivre dans de meilleures conditions. Un jeune définit le Ksar comme un « monument qui attire désormais de plus en plus les touristes et qui peut rendre le sourire aux vieux ». Sur l’histoire du ksar, les jeunes ne connaissent rien : sur son apport économique, social et militaire d’autant, ils n’ont aucune certitude sur ses légendes et ses contes « tout c’est l’affaire des vieux…moi j’ai d’autres missions à accomplir… ». Des jeunes, comme d’autres sont aujourd’hui convaincus que «si jamais le Ksar revient à leurs familles, l’eau remplira de nouveau les nappes souterraines et les sources éclateront de partout… Il y aura de nouveau milles puits, milles oliviers, milles oueds mais un seul Ksar, le paradis sur terre » : ça les ferait rêver… Miracle ! Quelques ksour ont subi l’intervention d’un environnement professionnel savant (architectes, ingénieurs, …) et ont servi à une fonction autre que le grenier. Plusieurs ksour(11) ont été très judicieusement transformé en Hôtel : les ghorfas ont été aménagées en chambre et équipées d’eau courante et d’électricité. Des cafés – restaurants ont été faits du groupement de certaines anciennes chambres d’ensilage de quelques Ksour. Des Ksour se sont transformés en « souk », les ghorfas en boutiques… Les cours des Ksour restent encore, et à ce jour, un lieu de rencontre des vieillards, des aires pour le stationnement, … Des Ksour sont réhabilités mais l’image n’est plus la même. On n’utilisait pas les matériaux d’autrefois, on procède par des techniques et matériaux modernes étrangères aux systèmes techniques et économiques générateurs de l’objet passé.

Fig. 8. Changement de la finalité de l’objet système Ksar.

En effet, l’homme – à travers le temps – a défini un espace qui lui est approprié, qu’il peut identifier et auquel il peut s’identifier. Dire que l’homme adapte l’espace à ses besoins, cela parait insuffisant pour définir la forme d’un bâtiment, dans la mesure où le Temps et le Milieu, présentent pour lui des contraintes dont il faut tenir compte lors de sa réalisation. L’homme attaché avec acharnement à la vie, est toujours à la recherche d’une manière de s’adapter aux conditions de l’environnement (climat, relief…) ainsi qu’à celles du temps (les circonstances durables de l’histoire).
L’architecture est essentiellement une matérialisation d’une pensée dans l’espace. Dans cette perspective nous   projetant la durabilité en tant qu’opération de redonner vie à un bâtiment (objet) et ce par l’intermédiaire de ce que pourra dégager ce dernier comme potentiel, matière première pour conception.

2.3- La morphodynamique, projection d’une identité potentielle

L’expérience du passé (s’agissant du Ksar) – qui est, après tout, une expérience présente – fait partie elle-même de la futuration : notre effort pour susciter à nouveau l’apparition d’une expérience ancienne aboutit en fait à une expérience nouvelle… « On n’a pas encore compris qu’une architecture authentique ne peut exister que dans une tradition vivante » (Hassan Fathy, 1973). De nos jours, lorsqu’on parle d’architecture, on évoque souvent l’occident et ses valeurs, la défense et son arche, Kansai et son aéroport, Bilbao et son musée… Ils nous font rêver, imaginer. Nous créons à leurs images. Cette référenciation à l’occident, nous pousse à nous interroger sur le sens de la modernité, la valeur de notre patrimoine. En effet, même les constructions les plus primitives véhiculent l’histoire de ses constructeurs autodidactes, l’histoire d’une « heureuse alliance » de « l’imagination du peuple » et les « exigences du paysage » (Hassen Fathy, 1970). Il s’agit alors d’acquérir une meilleure connaissance et compréhension de cette architecture « à caractère » pour en tirer des leçons. En effet, l’architecture vernaculaire présente un « substrat référentiel », un catalyseur pour la construction d’une logique d’approche d’une architecture innovante, se rattachant à ses racines. Il s’agit plutôt à comprendre l’esprit sous-jacent à cette « matière architecturale », substance de l’identité et de l’Etre de l’« architecture sans architectes ». Dégager ainsi l’identité interne et en identifiant ses caractéristiques, faire éclater l’étroite conception de l’art de bâtir, en explorant le domaine de l’architecture non codifiée. Faire du neuf avec du vieux, la réutilisation des bâtiments s’impose aujourd’hui comme acte de création à part entière. En effet, l’enjeu de l’architecture d’aujourd’hui est de re-créer un état existant en composant avec « ses réalités » (urbaine, sociale, culturelle, économique…) !

Ce faisant Tadao Ando (ARCHITECTE Japonais), se réfère directement à l’espace traditionnel de la maison japonaise, dont la pureté et la spiritualisation semblent bien être des intentions premières. Par le matériau, comme par la géométrie ou l’aménagement des espaces, Ando cherche à réinterpréter des valeurs de l’habitat traditionnel. Cette réinterprétation compose avec les codes et les rituels hérités d’une culture forte.
La référence à la culture est l’un des points revendiqués et fondamentaux de la pensée architecturale de Tadao Ando, et dans la relation de l’homme à l’espace. Il considère un enjeu considérable, l’implication de la culture et de la tradition Japonaise. L’espace clos issu de la tradition Sukiya(12) est l’outil permettant l’établissement de son processus intellectuel.
Est-il que l’architecture d’Andô met en forme un « paysage intérieur » qui inverse la logique du lieu du projet ? Ceci nous pousse à interroger l’architecture des Ksour en vue de dégager des éventuels potentiels conceptuels en faveur d’un « repenser » de nos villes, de nos paysages urbains…de l’identité de notre architecture ;
Concevoir ainsi des outils permettant la durabilité du phénomène Ksar en tant qu’emboitement des systèmes en mutation est simulé par une expérience pédagogique de l’enseignement d’un séminaire d’architecture vernaculaire.

  • Le Déploiement

Penser comment réactiver le matériau vernaculaire et lui doter d’une dynamique est objet d’exploration pédagogique(13) où les étudiants sont amenés à analyser des productions vernaculaires en vue de projeter l’avenir d’une architecture sensible, incarnant l’esprit du lieu… La durabilité consiste alors à dégager l’identité intrinsèque d’une architecture « sans architectes » pour construire une logique d’approche d’une « architecture savante » déployant le matériel et l’immatériel. Les étudiants dégagent des CONCEPTS fondateurs de la conception de l’architecture d’aujourd’hui.
L’étudiant a pu dégager un modèle en faveur de l’identification du concept d’ombre et de son déploiement dans l‘architecture. Il définit ce concept à travers une lecture et analyse de l’ombre manifesté dans l’architecture des Ksour. L’ombre est ainsi esthétique, social, constructif…

Fig. 9.  Extrait des diapositives d’un étudiant. Najeh Rihab, G17, 2017.

3. Discussion

L’intérêt de cette proposition est de concevoir la morphodynamique en architecture non comme un fait de survie d’objet mais comme système conceptuel à partir duquel l’architecte d’aujourd’hui pourra en tirer leçons pour concevoir du nouveau. En effet l’objet, ici le ksar, est la résultante d’un emboitement de systèmes entrant en composition ou/et conflit. En effet, différents systèmes interagissent et dictent les différents états et manifestes de l’objet architectural.
Agir sur l’ancien, faire du neuf en interprétant du vieux, s’impose aujourd’hui comme acte de création architecturale à part entière. En effet, l’enjeu de l’architecture d’aujourd’hui est de réécrire sur l’écrit en composant avec une boite à outils qui représentent les différents systèmes (socioculturel, économique, technique…) qui ont conduit à la genèse de l’objet. D’autant plus, ces stratégies d’action sur l’existant constituent des stratégies durables du moment où elles projettent l’acte de bâtir comme acte de transformation morphodynamique. En effet, le système dans son emboitement représente son propre matériau de renouvellement. Il se reconstruit via un processus morphodynamique qui assure à la fois continuité et dépassement…
L’objet- en agonie n’est pas un simple bâtiment en ruine mais aussi une matière à partir de laquelle un architecte pourra en tirer concepts. Les différentes mutations pourront empêcher de repenser le bâtiment tel qu’il est en tant que dimension physique mais il pourra être pensé et conceptualisé à partir de plusieurs autres dimensions (sociale, esthétique, …) qui garantiront une actualisation et dynamique.

Bibliographie

DJERBI Ali, juin 2002, « Expression de l’architecture vernaculaire en Tunisie », Archibat, N°4, Tunis, p. 20-25.
LOUIS André, 1975, Tunisie du Sud, Ksars et villages de crêtes, éditions du centre national de la recherche scientifique.
MUCCHIELLI Alex, 1994, l’identité, collection que Sais-je, presse universitaire de France.
NAOUI Amira, 2005, Le Ksar emboitement de Système, sous la dir Ali ZRIBI, ENAU.
RAPOPORT Amos, 1972, Pour une anthropologie de la maison, Dunod, Paris.
RAVEREAU André, réédition 2003, Le M’Zab, une leçon d’architecture, éditions Sindbad -Actes Sud, Arles.
RUDOFSKY Bernard, 1964, Architecture sans architectes brève introduction à l’architecture spontanée, Chêne, France.

Notes

(1) Djebel Nefousa est une frontière Lybienne.
(2) Dispositif primitif utilisé pour allumer le feu et faire la cuite des repas.
(3) Par ailleurs, ce terme est utilisé en physique, biologie et sociologie pour désigner des objets mouvants ou étudier le mouvement des objets à travers le temps.
(4) Le ksar présente un édifice destiné à accueillir les provisions et les biens de ses constructeurs. Il a connu plusieurs toponymies : Le Ksar est appelé Kalaâ aussi et parfois Khirba. Il y est pourtant des différences à préciser : i) Le terme Kalaâ, traduisible par forteresse, évoquait surtout une fonction militaire. Ce qui ne l’empêchait pas de servir de lieu d’ensilage aussi. En effet, avant d’être un grenier, elle était un refuge défensif, installée sur un relief, au-dessus d’un groupe d’habitation : l’ensemble forme ainsi un village fortifié avec sa citadelle. Le Ksar (pluriel = Ksour), lui, était avant tout un grenier ou mieux, un ensemble ingénieux de greniers. Qu’il soit situé en bordure de la falaise ou implanté dans la plaine, le ksar était essentiellement un grenier servant à une collectivité.  ii) La Khirba, traduisible en ruine désigne un Ksar ou une Kalâa en ruine.
(5) Dans les rites magico religieux la NI’MAT RABI symbolise la prospérité offerte par DIEU, dans la vie quotidienne elle est constamment vénérée. Très tôt on apprend à l’enfant tout le respect qu’il doit à cette « providence divine », dès qu’il fait tomber un morceau de pain, par exemple, on l’oblige à le ramasser, à le porter aux lèvres pour l’embrasser, puis au front en signe de respect.
(6) AWLA dérivée du verbe awâla « compter sur », être sous la protection de. La AWLA symbolise la sécurité, c’est ce qui sauve en cas de malheur, ce qui permet de survivre indépendamment de contingences extérieures. A la fois rituel technique et liturgique, la AWLA constitue une phase importante dans le cycle de l’année traditionnelle. Chaque saison a son rituel spécifique de AWLA.
(7) Chez les nomades, « aire d’ensilage ou retba » le silo, « matmûr ». Les « gambût » (on y enserrait de préférence les fruits délicats ou certaines provisions que l’on tenait à garder près du sol) et « rwâni » (servant surtout à la conservation du grain : blé et orge), Chacun choisissait un « amâra, signe distinctif » pour son silo ou pour le contenant qu’il confiait au gardien. Chez les sédentaires,une ghorfa du ksar surplombe le village.
(8) Courant dominant chez les Ibadites implantés dans le Sud Est tunisien. En effet, le Sud a été le fief du kharijisme de première heure : la période ksourienne en a hérité et perpétué un sens rigoriste dans ses croyances et ses pratiques. Cette fermeté a entaché aussi tout le comportement : le style de leur architecture est sévère et sobre.
(9) André LOUIS, 1975.
(10) Entretiens auprès des jeunes de la région.
(11) Nous prenons l’exemple de Ksar HADDADA, un ksar de montagne sis à GHOMRASSEN, une communauté de la ville de TATAOUINE.
(12) Ando spécifie à maintes reprises ce qu’il retient du style Sukiya, qui concerne spécifiquement la conception et la réalisation des Pavillons de thé. « L’esprit du Suki n’est pas de donner la nature, comme en occident, mais de nouer avec elle un ensemble de relations harmonieuses. L’homme doit écouter la voix des choses, déchiffrer leur souffle, leur essence. C’est l’étape ultime, et chaque être humain doit consacrer son existence entière à y parvenir. Dans le Suki, le thème majeur a toujours été la nature telle qu’elle est reflétée au sein des choses ». (Yann Nussaume, 1999 : 201).
(13)Le séminaire de la cinquième année est assuré à l’école nationale d’architecture et d’urbanisme de Tunis (ENAU), destiné aux étudiants de la cinquième année d’architecture intitulé contextualité stratégique, déploiement des lieux.

Pour citer cet article

Amira NAOUI, «Le Ksar, Manifestation de la morphodynamique des Systèmes en Mutation », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°11, année 2021.
URL : http://www.al-sabil.tn/?p=8108

Auteur

(*) Maitre assistante à l’école nationale d’architecture et d’urbanisme de Tunis.


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