11| 2021
Hammam Lif, l’urbanité à travers les cartes postales mises à l’épreuve du temps.
Leila Ammar (*)
Résumé | Entrée-d’index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur
Résumé ↑ |
La ville d’Hammam-lif, noyau beylical et modeste cité coloniale à la fin du XIXe siècle a connu un essor notoire en tant que station thermale et balnéaire au début du XXe siècle et vu son apogée dans les années 1950. L’urbanité qui s’y est manifestée dès le départ a connu des persistances et des réinventions dans le temps mais aussi une certaine fragilisation contemporaine. A travers les cartes postales rassemblées, nous voyons surgir une évocation de l’urbanité spatiale et sociale hammamlifoise qui a perduré malgré des variations et des intensités différentes et que l’on peut aujourd’hui encore observer dans les rues , places, marchés, cafés et fêtes populaires de la ville qui accueillent en tant qu’espaces publics des formes de sociabilité aux qualités urbaines.
Abstract
The city of Hammam-lif, beylical nucleus and modest colonial city at the end of the XIXth century, knew a notorious development as a thermal bathing resort at the beginning of the XXth century and saw its apogee in the 1950s. The urbanity which was manifested from the start has known persistence and reinvention over time but also a certain contemporary fragilities. Through the postcards collected, we see an evocation of the spatial and social urbanity of Hammam-Lif which has endured despite different variations and intensities and which can still be observed today in the streets, squares, markets, cafés and popular festivals of the city which, as public spaces, host forms of sociability with urban proprieties.
الملخص
مدينة حمام الأنف ، مشتى البايات الحسينيين والمدينة الاستعمارية المتواضعة حتى نهاية القرن التاسع عشر، عرفت في بداية القرن العشرين مكانة هامة كمركز استشفاء بالمياه المعدنية ومنتجع على شاطئ البحر. وبلغت أوجها في الخمسينيات من القرن الماضي. بيد أن سمات االتمدن التي تميّزت بها سابقا تراجعت وتلاشت خلال الفترة المعاصرة. ويهدف هذا العمل، بالاعتماد على البطاقات البريدية كمصدر أساسي، إلى استحضار لملامح الحضرية والاجتماعية لمدينة حمام الأنف التي صمدت على الرغم من التغييرات الكبيرة والمختلفة التي مرت بها، والتي لا يزال من الممكن ملاحظتها اليوم في الشوارع والساحات والأسواق والمقاهي والمهرجانات الشعبية التي تقام بها حيث تبرز جميع أشكال التواصل الاجتماعي ذات الطابع الحضري
Entrée d’index ↑ |
Mots-clés :Hammam-Lif, urbanité, sociabilité, cartes postales, ville coloniale
Keywords: Hammam-Lif, urbanity, sociability, postcards, colonial town.
الكلمات المفاتيح : حمام الأنف، سمات حضرية، تواصل اجتماعي، بطاقات بريدية، المدينة الاستعمارية
Plan ↑ |
Introduction
1.Retour sur la notion de l’urbanité
2.Les lieux de l’urbanité à Hammam-Lif
3.Vie quotidienne urbaine et urbanité à Hammam-Lif 1900-1930
Conclusion
Texte intégral ↑ |
L’urbanité, qualité de politesse envers autrui de l’individu , mais aussi caractère propre de la ville dense et de la diversité des formes d’interaction est aujourd’hui une notion à la fois controversée et revendiquée . Concept propre à la condition de l’homme en ville, elle a été progressivement investie par plusieurs disciplines .Historiquement construite en opposition à la ruralité, elle évoquait dès l’époque romaine, une forme de politesse caractéristique du milieu urbain se distinguant de la rusticité supposée du monde paysan.
Mais qu’est ce que l’urbanité aujourd’hui ? Une manière de vivre la ville et de faire la ville ? Une pratique de l’ordre de la représentation et de l’action sur le territoire ? Y aurait-il des degrés d’urbanité : une suburbanité , une désurbanité , une sous-urbanité lorsque la ville décline , s’efface ou se transforme ?
Nous nous proposons d’en saisir les déclinaisons et les usages comme représentations de la ville , des gestes et des actions qui tissent la société , à travers
l’exemple de la ville balnéaire d’Hammam-Lif ( née à la fin du XIXe siècle près de Tunis), que nous étudierons par le biais de la carte postale comme dispositif populaire de communication et support pour un discours sur la ville. Nous envisagerons le surgissement ou l’affaiblissement de l’urbanité à travers les cartes postales par cycles de 1895 à 2020, en mettant en évidence les manières de vivre et les lieux où se manifeste l’urbanité balnéaire de la ville. La rue , la place , l’avenue, le boulevard maritime, la gare, le casino, le palais , la plage, la montagne sont autant de lieux pratiqués et de scènes mises en image qui sont un véritable précipité de l’alchimie urbaine de cette station thermale et balnéaire. Nous tenterons de repérer et de suivre l’évolution de l’urbanité dans cette ville des années 1900 à la période contemporaine, à travers le discours et le récit de l’ordinaire et de sa représentation. Cette histoire s’inscrit dans le temps long et dans une géographie spécifique, site, climat, reliefs, paysages en évolution et celle des valeurs que les habitants lui attribuent. L’histoire résumée d’Hammam-Lif est celle d’une modeste cité entre mer et montagne, née et articulée d’abord autour du palais beylical, devenue station balnéaire et thermale à la fin du XIXe siècle et qui voit son apogée dans les années 1950. L’histoire contemporaine de la station est celle du déclin de la vocation de villégiature balnéaire et de la transformation de la ville en une agglomération de banlieue populaire, ouvrière et de classes moyennes.
Nous proposerons en conclusion, un essai sur l’urbanité d’Hammam-Lif aujourd’hui en insistant sur la vie quotidienne et sur le fait que l’urbanité contemporaine semble y être perçue comme relevant des pratiques spatiales et sociales populaires, des modes de vie, du patrimoine et de la valeur mémorielle de l’héritage.
1.Retour sur la notion de l’urbanité
La notion polysémique et complexe d’urbanité a été un thème important des études urbaines ces dernières années. Elle a été redécouverte dans les années 1980 par l’anthropologie, la géographie, l’ethnosociologie, l’urbanisme, l’architecture, la littérature. Elle est convoquée pour avancer que la ville est une institution singulière, opposée à la campagne. La ville, lieu par excellence de la diversité et de la densité, est aussi le lieu de l’altérit, de l’attention à l’autre, des pratiques, représentations et imaginaire. L’urbanité est « ce qui fait la ville » et ce qui fait que la ville n’est pas un simple espace densément bâti, organisé et habité mais un lieu qui prend des significations et des représentations particulières pour ses habitants (Joseph, 1998) . L’urbanité est donc liée à une certaine conception de la ville concrète et relationnelle qui désigne ce caractère spécifiquement urbain de l’homme vivant dans une ville. Elle associe étroitement des modes et des manières de vivre, des savoirs- faire et des savoirs- être, à des lieux particuliers auxquels nous sommes attachés par nos représentations et nos souvenirs. Mais l’urbanité se manifeste aussi dans l’organisation spatiale et les formes architecturales et dans les lieux publics, espaces de citadinité et de confrontations. La rue, la place, l’avenue, le boulevard sont non seulement le décor ou le paysage physique du spectacle urbain mais aussi le paysage humain ou la scène en mouvement où l’essentiel est dans l’interaction entre les citadins. L’urbanité apparaît ainsi comme la scène d’une évolution des diverses présences des habitants. Elle est cependant une notion relative culturellement, qui dépend du contexte culturel, des récepteurs et de leur expérience sensible de l’espace(1).Si les espaces sont en transformation, non seulement du point de vue spatial mais aussi sémantique, l’urbanité se construit en évoluant sensiblement dans le temps. Plus qu’une qualité propre à la ville, elle est plutôt un trait d’union entre des espaces publics, des fonctions urbaines, une certaine ambiance faite d’anonymat entre les passants et d’attachement à des lieux, des formes diverses de mobilité, un art de vivre, une éthique commune dans les espaces publics(2)
L’urbanité est de nos jours sans cesse réinterrogée par les mutations de la ville et doit être repensée à la lumière des transformations récentes que connaissent toutes les villes du monde. Face à la fragmentation des territoires, à l’étalement des périphéries urbaines, à la différence des modes de vie, à la dilution des espaces urbanisés difficiles à définir, l’urbanité trouverait ses limites et ne semblerait plus aller de soi. Cela signifie-t-il que l’urbanité pourrait disparaître? Ou perdre sa signification partagée entre les citadins et communautés qui cohabitent dans la même ville? L’urbanité peut s’effilocher et le « sentiment d’urbanité » ne résiste pas et se dissout dans des espaces urbanisés où la vie n’est guère différente de ce qu’elle est dans une multitude de confins péri-urbains. Dans certaines villes , le centre-ville, même ne peut plus être reconnu comme tel. Certains espaces fonctionnels et techniques dûs à la rationalité technocratique, ne favorisent pas l’éclosion du « sentiment d’urbanité ». Sous face de viaducs, délaissés d’autoroutes urbaines, friches, terrains en attente d’appropriation ou d’enjeux fonciers, dépotoirs, autant d’espaces inscrits au cœur de la nonurbanité moderne et des non- lieux.
* L’urbanité dans la dynamique urbaine d’Hammam-Lif, ville thermale et balnéaire
Hammam-lif se distingue par une urbanité liée à l’héritage urbain, à la mémoire de la ville, à son identité balnéaire et à celle de ses pratiques habitantes. L’histoire de cette urbanité est étroitement associée à la morphologie urbaine et aux tracés de la ville dont certains ont perduré et d’autres ont connu transformations et mutations dans le temps(3). Cette urbanité qui connaît son apogée dans les années 1950-1960, a pu régresser et se diluer avec les changements sociaux, urbains et politiques des décennies postérieures (1970-2020). L’urbanité hammamlifoise, que l’on peut observer aujourd’hui, rend compte du fait que dans cette ville balnéaire se sont accumulées les strates d’activités, les histoires vécues et celles imaginées, les politiques d’aménagement, les conflits et parfois les destructions.
Elle participe de l’imaginaire de ses habitants et de leur mémoire souvent orientée vers la nostalgie et le mythe d’une ville beylicale de villégiature, à vocation internationale, creuset multiculturel, aux atouts paysagers et environnementaux appréciés et reconnus, aujourd’hui en déshérence.
L’usage que les habitants d’Hammam-Lif font d’elle aujourd’hui, témoigne de la persistance d’une urbanité contemporaine qui existe à travers les discours, les échanges, les pratiques et les relations sociales des habitants. Celle-ci se produit et se manifeste surtout dans les lieux et les espaces publics du carré historique, propices au mouvement et au croisement. C’est là que la ville d’Hammam-Lif demeure fourmillante d’urbanité. En dehors de cet espace urbain, la plage, la corniche, les rives de la route nationale GP1, les abords des cafés et des hammams anciens, sont aussi les lieux de formes de vie urbaine particulières porteuses d’urbanité.
L’urbanité à Hammam-Lif a été mise à l’épreuve du temps et des mutations urbaines. Elle peut paraître parfois aujourd’hui insaisissable et floue dans les quartiers périphériques éloignés du centre historique. Elle demeure une réalité perceptible et garde sa signification partagée entre les citoyens, malgré les changements de population et de modes de vie. Elle révèle une géographie spécifique privilégiée et manifeste les contradictions de la société hammalifoise dans son histoire.
2.Les lieux de l’urbanité à Hammam-Lif
2-1-La rue, la place, l’avenue, le boulevard maritime, le casino, la gare, le palais, la plage
Les développements qui suivent sont le résultat du rassemblement et de l’observation du contenu de plusieurs cartes postales sur la ville d’Hammam-Lif qui mettent en visibilité de hauts lieux et des lieux ordinaires. Nous en avons sélectionné les lieux les plus représentés qui semblent à eux seuls « résumer » l’espace urbain de la station thermale et balnéaire à travers le temps (1895-2020). Les commentaires et descriptions qui suivent se rapportent donc au matériel et au corpus des cartes postales disponibles sur la ville, les paysages, les scènes de vie, les moments, les monuments.
* La rue
La rue est l’évidence et le ferment de la ville. Évidence car sans rues la ville n’existe pas. Ferment car la rue est une matrice morphologique qui supporte et génère le tissu urbain à travers les tracés viaires et le découpage des lots et ilots. La rue ordinaire et courante définit l’espace urbain à l’échelle des quartiers. Extraordinaire, exceptionnelle ou prestigieuse, elle organise par son échelle les relations intra et interurbaines entre les différentes fonctions et lieux et demeure profondément liée au fait urbain. Ce lieu commun que nous partageons avec autrui concrètement et dans l’imaginaire, peut devenir un symbole et un emblème de la ville. La rue générique appartient au monde de l’extérieur et est le lieu d’une sociabilité particulière banale et quotidienne ou au contraire exceptionnelle, lors des cortèges, des manifestations de rue, des attroupements et des émeutes. Elle est le lieu de la rencontre entre les personnes et de la proximité. Elle irrigue les tissus et les quartiers, organise les espaces urbains et accueille appropriation et prolongements de l’espace privé. Lieu de l’expression du peuple mais aussi du pouvoir public, la rue est le creuset de la vie populaire extravertie et résonne de la rumeur des milliers de vies quotidiennes qui s’y déroulent. On y discute, on y séjourne, on s’y assoit, on y travaille, on s’y installe, on y passe et on y retourne pour exercer évènements quotidiens ou exceptionnels.
La rue est aussi le lieu de manifestations et d’attroupements, de rixes, d’ébullitions et de débordements, auxquels la police et le pouvoir mettent fin en l’investissant. Principale ou de desserte, large et bien tracée ou sinueuse et étroite, elle est fondatrice de la vie urbaine, véritable actrice sociale, révélatrice de la vie quotidienne comme des tensions et des conflits. Elle permet de connaître les coins et les courants favorables ou défavorables d’une ville. Livrée au public et au peuple, elle participe de l’imaginaire social et constitue le miroir de la ville. La rue porteuse d’urbanité et lieu de la sociabilité est le lieu de confrontations et de séparation entre public et privé, entre majorité et minorités, et a sans cesse provoqué de la part des autorités des règlements visant à en assurer un usage satisfaisant pour le plus grand nombre. Et la rue n’a pas cessé de balancer entre la norme et la transgression. Enfin, elle possède des rythmes, ceux de la quotidienneté ou de la fête, des odeurs, des couleurs, des registres sensoriels et climatiques. Il existe des rues animées, des rues passantes, des rues chaudes, des impasses et des rues calmes. Pierre Sansot, nous rappelle à la nécessité d’observer la rue, ses personnages, le contenu de ses éventaires, son langage et insiste sur le rôle de la rue dans la libération du langage.
La rue est donc susceptible d’une micro-histoire comme d’une micro-sociologie et l’existence dans la rue se confond bien souvent avec l’existence dans la ville. « Dans la rue, tout homme retrouve un corps, des jambes, un dos, un visage justiciable de l’admiration ou du sarcasme ». La rue est donc un dehors habité, instable, bruyant dans lequel on peut gagner sa vie debout à l’air libre et parler une langue libre de toute retenue(4).
Cette forme urbaine à la fois spécifique et générique, millénaire et actuelle, révélatrice de la vie quotidienne comme des tensions et des conflits est un témoin puissant de la transformation des villes qui met en jeu le spatial, le social, l’économique et le politique.
A Hammam-Lif, les rues héritées des tracés du XIXe siècle ont aujourd’hui changé de physionomie et de nom, mais les tracés ont résisté au temps. Alors que les espaces bâtis se sont transformés, la trame des rues apparaît d’une grande stabilité dans l’histoire de la ville.
Fig.1. Hammam-Lif, le site et les premiers tracés, source Guide Joanne, cartographie et dessin L. Ammar.
Ces lieux sont aujourd’hui investis au quotidien par les habitants dans une ambiance paisible et banale emprunte d’urbanité. Nous allons explorer dans les développements ultérieurs le réseau des rues de la ville et tenter d’en repérer les qualités et les spécificités.
Fig.2. Hammam-Lif, premier noyau urbain, centre ville actuel, cartographie et dessin L. Ammar.
2-2- Hammam-Lif, naissance de la station thermale et balnéaire et organisation de la trame urbaine
Le site qui a servi à l’installation de la ville est une étroite bande de terrains marécageux et de friches de 500 mètres de large, pris entre la montagne du Bou Kornine et le rivage du Golfe de Tunis. A la fin du XIXe siècle ( 1885-1895) , la station thermale et balnéaire est la création d’une société privée : la Société d’Hammam-Lif-Tunis qui a acquis diverses propriétés parmi les terrains immatriculés, concédés à la Banque de Tunisie(5)
La naissance d’Hammam-Lif, station balnéaire et thermale, à la fin du XIXe siècle entre mer et montagne, au fond du golfe de Tunis, s’inscrit dans le vaste mouvement qui a transformé en Europe, à partir du dernier tiers du XVIIIe siècle, le territoire, les loisirs et les mœurs. Ce mouvement issu des préconisations thérapeutiques des bains de mer promeut les villes littorales européennes, change le rapport à la mer et invente la plage comme espace de liberté, de convivialité et de sociabilité urbaine. Alain Corbin a remarquablement relaté le « désir de rivage de l’Occident », le passage du bain de mer thérapeutique au bain de mer hédoniste, le surgissement du nageur et du baigneur et les conquêtes et épreuves qui feront des plages insalubres et inhospitalières du XIXe siècle des lieux de rêve domestiqués qui s’imposent comme symbole de liberté et suscitent la ruée vers les stations balnéaires(6)
Fig.3. Le bain thérapeutique, bain à la lame, Etretat, France, 1900
Comme le souligne Alain Corbin, l’invention de la plage remonte au XVIIIe siècle en Angleterre. C’est en effet à partir de ce pays, à la fin du XVIIIe siècle, que les villes du littoral anglais prennent de plus en plus d’importance au point de devenir les grands rendez- vous de l’ère victorienne. La plage et le bord de mer commencent alors à avoir un attrait pour les voyageurs ou les vacanciers. Les stations balnéaires qui naissent sur les littoraux anglais vantent leur salubrité et leurs vertus curatives. L’air marin et les bains de mer réunis constituaient un remède presque infaillible.
Ces stations rivalisent en divertissements, distractions, architectures originales et exotiques et se dotent des traits les plus attirants. D’abord libertines et aristocratiques, elles ne tardent pas à être concurrencées par des stations bourgeoises puis populaires lorsque le chemin de fer les transforment en centres de l’industrie touristique. La clientèle ouvrière, les classes moyennes, la bourgeoise, l’aristocratie et la Société, un véritable flot humain convaincu de l’efficacité des bains et des plaisirs du bord de mer, afflue en saison et même hors saison.
Fig.4. La plage de Brighton (Angleterre) à l’ère victorienne.
Fig.5. Station balnéaire de Deauville (Normandie, France), la plage à la belle époque (début du XXe siècle).
Les stations balnéaires s’équipent de jetées et de môles, de jardins, de promenades et de boutiques, de baraques de foire, de théâtres, de zoos, de salles de bal et de parcs d’attractions pour les enfants avec jeux mécaniques et manèges à l’électricité.
C’est à partir de l’Angleterre et au milieu du XIXe siècle que l’engouement en faveur des bains de mer et le réaménagement des rythmes du travail lié à la révolution industrielle, gagne les autres pays d’Europe. La France, l’Italie, l’Espagne, les pays scandinaves mettront en place des stations thermales et balnéaires où les loisirs rythmés par les saisons impliquent un style de vie voué au temps libre. Avec l’afflux des visiteurs, le développement du réseau de communications, les progrès sociaux du temps libre et les congés payés, les stations balnéaires en Europe se développeront et se populariseront sans fixer de limites aux réjouissances. Le désir de vacances des foules et des villégiateurs se réalisera dès le début du XXe siècle dans l’engouement pour les plaisirs éphémères que pouvaient procurer le soleil, la mer, les paysages et les loisirs associés aux cures thermales.
Hammam-Lif, près de Tunis, célèbre pour ses eaux minérales et sa résidence beylicale, prise au sein d’un ensemble de paysages privilégiés, dotée d’un chemin de fer dès 1882, attire villégiateurs et résidants grâce à son climat et à ses installations économiques. La société privée -Hammam-Lif– Tunis va exploiter l’engouement de la population pour les eaux thermales et la fascination de la mer. En 1890, par la création de la société d’Hammam-Lif –Tunis, naît la station thermale et balnéaire d’Hammam-lif qui mettra une décennie à se construire (1890-1905) et va connaître un avenir florissant. La publicité des années 1890 vante les sources thermales et les bains de mer, le Casino, la promenade maritime, l’ensemble des paysages de mer et de montagne, dans un écrin de verdure et l’accueil souriant et hospitalier de la population autochtone.
Fig.6. Carte postale publicitaire pour la station thermale et balnéaire d’Hammam-Lif, 1895.
En 1890, le bain de mer est encore thérapeutique, on ne voit pas un seul baigneur sur la plage d’Hammam- Lif qui est déserte et dépouillée à ce moment. La bonne société hammamlifoise multiculturelle se rend sur le rivage pour une promenade maritime toute endimanchée en costumes, chapeaux et toilettes. Le Casino Grand hôtel inauguré en 1894 sera le fleuron de la station et accueillera une clientèle européenne et autochtone triée sur le volet. Il faudra attendre les années 1920 pour voir apparaître sur la plage les premiers baigneurs et nageurs. A ce moment, le bey et sa cour, résidant définitivement à Hammam-Lif, pratiquent le bain de mer dans des cabines ou baraques de bois sur pilotis qui leur sont réservées.
Fig.7. Hammam-lif , la Promenade de la Mer en 1910 ( actuelle corniche, Boulevard B’Chira Ben Mrad).
Fig.8.Hammam-Lif, l’avenue de la Plage, actuelle corniche, dans les années 1920.
A partir des années 1940, la domestication des plaisirs de la plage et de l’espace marin deviendra quotidienne, populaire et conviviale. Hammam-Lif sera alors réputée non seulement pour ses cures miraculeuses, mais aussi pour les plaisirs de sa plage de sable fin, de sa corniche aménagée, de sa jetée, de ses rotondes sur la mer, de ses cafés-restaurants, de ses boutiques et de son fameux Casino dont l’architecture exotique néo-mauresque rehausse le caractère exceptionnel(7)La petite cité coloniale proche de Tunis, va prendre son essor dans les années 1920 et devenir le lieu de villégiature préféré des tunisois et d’une clientèle internationale.
En 1905, le noyau fondateur de la ville est tracé, loti, planté de palmiers et d’eucalyptus. Les parcelles sont en cours de vente, de construction et d’occupation. De coquettes maisons et villas apparaissent lentement sur les terrains lotis et en bord de mer. Hammam-Lif est une petite station balnéaire et thermale coloniale de 1500 habitants en développement(8)Elle va connaître à partir des années 1930 une activité florissante et attirera une population mélangée de villégiateurs, de vacanciers, de curistes, de travailleurs et de résidants.
- La trame urbaine
Le noyau initial, aujourd’hui centre-ville historique, est conçu comme un carré de 550 mètres de côté entre la voie ferrée et le rivage de la mer méditerranée. Ce carré comprend en son centre un tracé rectiligne majeur perpendiculaire au rivage : l’avenue du Casino (actuelle avenue Habib Bourguiba). Il est irrigué en son tiers par deux diagonales en direction de la voie ferrée et divisé en une trame régulière de 7 rues d’est en ouest et de 6 rues du nord au sud. Les rues ne sont pas très larges et varient entre 10, 12, 14 et 16 mètres. Le damier, des rues parallèles et perpendiculaires au rivage, découpe des îlots carrés ou rectangulaires de tailles variées. Les rues sont sommairement carrossées et cailloutées et les axes principaux plantés d’eucalyptus et de palmiers. A la rencontre des deux diagonales et de l’avenue du Casino se tient le Rond-Point, place qui articule la composition et dessert l’ensemble des rues qui y débouchent. Le carré est pris entre deux boulevards de 14 m de large : le boulevard de la méditerranée et le boulevard de la plage (actuelle avenue Salammbô). A l’intérieur des îlots de la grille orthogonale se tiennent les édifices publics et principaux équipements du centre urbain (Hôtel de ville, église, marché, écoles, établissement thermal, Postes et télégraphes). En 1905, l’essentiel de la trame urbaine est achevée mais il faudra plus de deux décennies pour voir achevées les rues et avenues et pour que les premiers arrivants investissent les propriétés et réalisent maisons ou villas et petits immeubles. Les rues plantées sont bordées de maisons cossues ou plus modestes avec des jardins et des vergers qui marquent le paysage urbain ordinaire de la ville. Entre la gare et le Casino (1894), l’avenue du Casino large de 16 mètres et longue de 500 mètres est plantée de palmiers et dessert de nombreux commerces, cafés, restaurants, hôtels et villas. Elle est l’emblème de la station thermale et balnéaire et le creuset de son urbanité.
Fig.9.Plan parcellaire du premier centre urbain conçu en 1905, source ANT,
la figure compose un carré coupé de deux diagonales qui se rejoignent au Rond-point.
Fig.10. Hammam-Lif, carte des repères et édifices publics dans la ville, cartographie L. Ammar.
2-3- La place
Si la rue est à l’origine du tissu urbain courant, la place et les places sont de l’ordre de l’exception, collectivement reconnues par les habitants comme centre de la vie sociale. Sur la place, souvent défendue contre les empiètements et appropriations, débouche toute la circulation chaotique des rues et des ruelles. Ordonnancée ou irrégulière, simple lieu de réunion à l’origine, elle s’entoure vite de portiques et d’arcades, abris contre le soleil et la pluie. Elle est le domaine public par excellence, une constante de l’urbanisme méditerranéen depuis l’Agora grecque et le forum romain. La Plaza Mayor, décor obligé des villes espagnoles, les places communales des petites villes italiennes, les Corso le long desquels de riches demeures et défilent processions et cortèges, tous ces lieux nommés et reconnus par les citadins, sont des points d’ancrage des rencontres, des assemblées de citoyens, des manifestations de masse et des exécutions publiques. Dans les faubourgs ou les villages, il suffit d’un espace restreint près de l’église ou de la mosquée, de quelques arbres, d’un café et d’un peu d’ombre pour que les habitants s’y retrouvent entre eux et fassent vivre la place. Dans les villes arabes et musulmanes, les formes urbaines spécifiques ont provoqué un agencement de l’espace différent. A la cour de la Grande Mosquée, principal lieu de rassemblement et d’expression publique et politique répondent les zones publiques des souks et des bazars. Dans les quartiers de résidence plus privés, existent de nombreuses places et placettes, simples élargissements de rues ou résultat de la démolition de deux ou trois maisons. Ces places sont propices aux activités quotidiennes de proximité, aux jeux d’enfants, aux rencontres des habitants du voisinage. On les appelle au Maghreb, Rahba, Batha ou Fasha.
A Hammam-Lif et dans le noyau historique formé par le carré initial, il y a une place publique renommée, c’est le Rond-Point, lieu d’aboutissement des rues adjacentes en diagonale et point névralgique de la circulation piétonne et véhiculaire. Le Rond-Point est un lieu de promenade, de séjour et de halte. C’est l’endroit où il faut se montrer et être vu en ville. On peut s’y tenir debout ou assis, à bicyclette ou à pied. A la croisée des parcours qui mènent en ville, le Rond-Point est un lieu symbolique et emblématique de la ville. Les dimanches et jours de fête c’est un lieu très fréquenté. Agrémenté de plantations d’arbres et d’édifices remarquables (villas et hôtels) le Rond-Point fonde la figure clé du réseau des rues de la ville. Dans les années 1965, il a été réaménagé avec un parterre fleuri et un drapeau national et dévolu à la circulation automobile. Le lieu devient inhabité mais participe toujours fortement à l’image de la ville.
Fig.11. Carte postale du Rond-point à Hammam-Lif, années 1960.
2-4-L’avenue du Casino
L’avenue du Casino est l’axe central majeur de la station balnéaire d’Hammam-Lif. C’est un tracé rectiligne de 16 mètres d’emprise, perpendiculaire à la montagne et à la mer qui relie le palais beylical et la gare de chemin de fer au Casino et au rivage. L’avenue est plantée de palmiers et d’eucalyptus et permet de traverser toute la ville. De grands arcs métalliques supportent l’éclairage public, d’amples trottoirs sont aménagés de part et d’autre de la chaussée. La perspective, qui ouvre sur le front bâti de l’avenue et mêle commerces de qualité, restaurants, hôtels, villas, édifices publics, s’achève au Casino. L’avenue est le lieu incontournable de l’espace urbain, pratiqué et habité par les citadins qui constitue par son importance et sa fréquentation un repère symbolique dans la normalité du quotidien. Maintes fois reproduite dans l’iconographie des cartes postales de la ville, l’avenue du Casino diffuse de l’urbanité et symbolise l’identité de la ville et celle de son image urbaine. A la fois quotidienne, familière et exceptionnelle, cette avenue qui suscite de nombreuses pratiques et appropriations devient l’un des emblèmes de la station balnéaire au début du XXe siècle.
Fig.12. Carte postale de l’avenue du Casino vers le Casino, 1905.
Fig.13. Carte postale couleur de l’avenue du Casino, 1910.
2-5-Le boulevard maritime (Promenade de la Mer)
Le boulevard maritime, le Casino-Grand Hôtel et la plage sont le tryptique balnéaire de la station d’Hammam-Lif et la rencontre territoriale avec l’espace marin. Le boulevard maritime longe la plage, c’est une vaste promenade de 50 mètres d’emprise par 1,5 kilomètres de long. Elle s’achève à l’endroit où la plage n’est plus domestiquée et où les villas du front de mer disparaissent. C’est un lieu de promenade publique, de rencontres temporaires et d’agrément où l’on peut séjourner dans les cabines de bains et établissements de restauration , s’arrêter pour jouir du spectacle du littoral à une table de café, s’asseoir sur le muret qui borde la promenade et prendre le temps des plaisirs quotidiens du bord de mer. Le boulevard maritime ou Promenade de la mer est rehaussé par des plantations de palmiers et une belle végétation abondante qui jaillit des jardins environnants. Le cadre est à la fois idyllique, agréable et familier. Le Casino-Grand Hôtel ouvre sur le boulevard par une vaste terrasse à laquelle s’attablent des clients. Cette forme urbaine, récurrente dans les cartes postales du moment, exprime bien l’urbanité balnéaire et le récit visuel du paysage littoral qui dit le confort de la ville, l’aisance et la familiarité des lieux.
Fig.14. Carte postale couleur du Boulevard maritime (Boulevard de la Mer), 1905.
2-6-Le Casino-Grand Hôtel
Le Casino-Grand Hôtel est un édifice phare de la station balnéaire d’Hammam-Lif. Controversé à ses débuts par la population musulmane pieuse qui refusait un établissement illicite et impie, il s’impose après versement de subsides aux associations cultuelles et culturelles musulmanes. Le Casino (1894) ouvre sur la mer et le boulevard maritime, le Grand-Hôtel (1904) donne sur l’avenue du Casino. En un même édifice, l’ensemble présente une architecture éclectique néo-mauresque de la plus belle facture. Avec ses arcades outrepassées sur des loggias ouvragées en bois, ses tourelles d’angle, sa rotonde, sa coupole et ses vitraux, le Casino-grand Hôtel se dresse fièrement au milieu de ses jardins luxuriants.
Fig.15.Carte postale du Casino-Grand Hôtel, 1906
Au rez-de- chaussée, salons, salle de bal, restaurants et terrasse en plein air prolongent l’atmosphère festive, le sentiment de confort, l’aisance et la quiétude des lieux. C’est l’emblème qui a fait entre autres, la réputation de la station, où la bonne société de la ville se doit être vue et de séjourner pour la saison. Pour les villégiateurs et les visiteurs aisés, le Casino-Grand Hôtel voué aux plaisirs et aux divertissements, devait certainement constituer le lieu privilégié de la balnéarité dans un cadre naturel idyllique. Le Casino-Grand Hôtel est une image-paysage récurrente des cartes postales de l’époque qui l’ont représenté et cadré à partir de tous les points de vue possibles.
Fig.16. Carte postale du Casino-Grand Hôtel et de la montagne Bou Kornine, 1904.
2-7-La gare
La gare d’Hammam-Lif se tient à l’entrée ouest de la ville entre le palais beylical adossé à la montagne et le départ de l’avenue du Casino. C’est un haut lieu de la ville car à défaut de port, c’est par le train qu’on arrive et qu’on repart de la station balnéaire. Elle signe en 1886 la modernité de la cité et concrétise le lieu des pratiques citadines, précipitation et attentes, échanges, attroupements et effervescence qui participent à l’imaginaire et à l’identité de la ville. Elle est un concentré du quotidien des habitants et des voyageurs. Ses abords foisonnent de commerces et de services quotidiens, buffets, coiffeurs, épiceries, cordonniers, marchands ambulants, produisent un flot d’images, d’impressions, de sentiments. Aux abords de la gare et sur l’avenue du même nom, on rencontre des personnes de toutes conditions. Les dames en toilettes, les messieurs en costumes et chapeaux, les autochtones en habits traditionnels. La présence humaine est cosmopolite : casque colonial, chéchia, panama ou casquettes voisinent et se côtoient. La gare dont le bâtiment modeste à tuiles rouges est reconnaissable entre tous, est un lieu emblématique voire mythique de la vie urbaine. Elle donne son nom au quartier qui l’entoure et constitue avec ses prolongements un creuset de l’urbanité hammam-lifoise. Représentée maintes fois dans les cartes postales, elle est indissociable du profil et de la masse imposante de la montagne qui cadre la scène à l’arrière-plan.
Fig.17. Hammam-Lif, carte postale de la gare et de la montagne du Bou Kornine , 1930.
2-8-Le palais
Le palais beylical et ses alentours sont le premier noyau symbolique fondateur de la cité avant l’arrivée du protectorat et du chemin de fer. La source thermale de Aïn El Bey ou Aïn el Kebira est à l’origine de son édification au milieu du XVIIIe siècle (1750). Issu d’un modeste pavillon de plaisance hivernale le palais associé à un caravansérail destiné aux classes populaires et aux voyageurs de passage, s’agrandit au milieu du XIXe siècle et adopte alors l’allure d’une bâtisse imposante de trois étages parallépipédique sur la route de Sousse, adossée aux contreforts de la montagne Bou Kornine.
Fig.18. Carte postale du palais beylical, 1900.
L’entourage du Bey, les notables de Tunis et le petit peuple attiré par les sources miraculeuses et la présence de la cour ne manqueront pas de fréquenter assidument les lieux pendant la saison hivernale. Une caserne est attenante au palais dont la façade principale donne sur une vaste place publique véritable salle d’attente de l’entrée aux sources et au bain et des audiences données par le Bey. C’est à partir des années 1920 que la cour beylicale, les princes et princesses résideront définitivement au palais d’ Hammam-Lif et prendront leurs quartiers et leurs premiers bains de mer dans la cité. Le palais apparaît comme l’un des hauts lieux symboliques incontournables de la ville et d’une importance indéniable pour la population musulmane qui vient s’y soigner ou demander une audience en haut lieu. La place devant le palais est le lieu du séjour et de l’attente, de l’échange, de la palabre et de multiples allées et venues. Aujourd’hui, le palais qui survit est très dégradé et en partie en ruine. Il abrite plus de 100 familles nécessiteuses sans abri.
Fig.19. Le palais beylical depuis la route de Sousse, 1950.
Fig.20. Le palais beylical habité par des familles pauvres, 2005.
2-9-La plage
De la plage ample, déserte et insolite de la fin du XIXe siècle, où seules quelques cabines et baraques de bains de mer s’avancent dans un littoral dépouillé de présence humaine, à la plage hammam-lifoise pratiquée et habitée des années 1960 (avec le grand tournant de la balnéarité libérée), les cartes postales très prisées de la plage et des bains de mer racontent l’histoire du passage du bain thérapeutique rare, à la domestication des plaisirs de la plage et de l’espace marin.
Fig.21. Hammam-Lif, carte postale des Bains de mer, 1920.
La nature est devenue confortable et accueillante, prédisposée à l’installation humaine. Les corps se sont dévêtus et arborent maillots ou slips de bain, robes légères et chapeaux de paille. Ils sont au centre de la théâtralité balnéaire qui se déploie dans les scènes de plages quotidiennes, populaires et conviviales. Avec ses villas de bord de mer, sa corniche aménagée, ses cabines, cafés et restaurants, la plage d’Hammam-Lif est aussi un lieu qui capte de l’urbanité et où rien ne semble venir perturber les jouissances quotidiennes des plaisirs du bord de mer dont l’expression est maintenant libre et multiplement ritualisée. Contrairement à d’autres plages, celle d’Hammam-Lif a pu garder à travers le temps, ses pêcheurs et ses algues, son esthétique populaire du rivage, sans emphase, sans clinquant et sans touristes.
Fig.22. Hammam-Lif, la plage, 1960.
S’asseoir sur le bord de la corniche, aller aux terrasses des cafés, suivre une jeune femme pour engager la conversation, se promener, se baigner, profiter du spectacle de la mer en s’abritant des chaleurs, prendre un bain de soleil, jouer avec le sable doré, autant de pratiques balnéaires, de contacts avec les éléments et de petits bonheurs inédits qui permettent d’apprécier les moments de la plage à Hammam-Lif et de se libérer de certaines contraintes quotidiennes.
3.Vie quotidienne urbaine et urbanité à Hammam-Lif, 1900-1930
Au début du XXe siècle, la vie quotidienne urbaine à Hammam-Lif se passe autant dans la rue et les commerces attenants qu’à l’abri des maisons et propriétés privées qui ponctuent les jardins et vergers. Les rues, avenue et boulevards sont le lieu et le théâtre d’intenses allées et venues, de la gare vers le Casino et la mer, des boulevards vers la place du marché et de l’église, de la Poste vers les établissements de bains ou les écoles. Cochers, carrosses, calèches ou arabas et fiacres se croisent et se pressent en demandant le passage. Au Rond- Point, c’est l’effervescence et la cohue des voitures et des passants. Promeneurs et passants, vendeurs ambulants, porteurs d’eau, colporteurs, marchands forains, marchands des quatre saisons se bousculent avec les charrettes et arabas qui assurent le transport des marchandises au marché municipal. Une population bigarrée et cosmopolite investit les rues, toutes catégories sociales confondues. Tunisiens musulmans, italiens, sardes et siciliens, français, maltais, juifs tunisiens, grecs, espagnols, libyens, marocains et algériens se fondent dans la cohue pour vaquer à leurs occupations. Le petit peuple fréquente les lieux ordinaires, épicerie, marché, boulanger, bistrots, cafés ; les dames et les messieurs de la bonne société vont dans les commerces bien achalandés, les boutiques spécialisées , les hôtels et restaurants.
Fig.23.Hammam-Lif, scène de vie, carte postale de l’Epicerie du Casino, 1900.
En 1905, Hammam-Lif est un petit centre colonial de 1500 habitants dont 900 tunisiens musulmans et 600 européens. Autour de la gare et du palais beylical, derrière la voie ferrée, l’animation est grande. Les arrivants descendent du train dans un ballet de paquets de valises, d’enfants et de porteurs. Les marchands ambulants proposent leurs denrées, le buffet de la gare et les petits commerces attenants ne désemplissent pas de voyageurs ou de résidents. Face au palais le petit peuple musulman attend son tour pour entrer au bain de Sidi al Ariane ou se presse pour obtenir une audience avec le Bey avant de se rendre au marabout proche de Sidi Bou Riga.
Au Casino et au Théâtre, c’est une autre clientèle qui est attendue. L’élite citadine musulmane et la haute société européenne fréquentent le Casino-Grand Hôtel, ses jardins luxuriants et le boulevard maritime. Costumes et toilettes élégantes les distinguent du petit peuple des blouses et paletots. De nombreux visiteurs et habitants se sont installés pour la saison ou définitivement en raison du climat favorable et de la proximité par le train avec la capitale et les autres centres proches. La proximité des centres industriels de la banlieue sud a attiré une population ouvrière et de petits métiers : ouvriers, marchands forains, marchands ambulants, gens de maison, jardiniers, artisans et petits commerçants.
Les petites gens logent en ville et finissent par acquérir de petits lots dans des lotissements privés. D’autres emménagent dans des oukalas, petites maisons de rapport ou immeubles à la chambrée. D’autres encore construisent au pied de la montagne baraques ou gourbis de fortune. Les catégories aisées, elles, se sont fait construire de belles villas sur le bord de mer ou dans la montagne. Les classes moyennes, petits fonctionnaires et employés, habitent le centre-ville dans de petits pavillons ou maisonnettes avec jardin fruitier et potager. La population active et résidentielle permanente se mêle aux estivants et aux curistes et double pendant la saison estivale.
Les rues et les places d’Hammam-Lif, objets d’une surveillance stricte et quotidienne du Service de la voirie communal, sont investies par toute une population hétéroclite qui habite littéralement la voie publique. Le service de la voirie a bien du mal à contenir l’afflux de gens de toutes conditions dans les rues de la ville. Animaux de bât, chèvres et vaches laitières, moutons et chiens errants, colporteurs et mendiants, charrettes, arabas et voitures à place, vendeurs ambulants de casse-croûte et de boissons fraîches, marchands forains, un monde humain et animal se déverse dans les rues et carrefours les plus visités et les places de la commune, occasionnant des désordres et des désagréments aux règles de l’hygiène, de la sécurité et de la bienséance.
Les rues de la ville, objets d’activités tolérées ou illicites sont un véritable lieu de travail et de vie pour le peuple. Lieux de flânerie et de rendez-vous des badauds, elles sont aussi le théâtre d’affrontements, d’injures, de rixes et de violences. On s’insulte, on se frappe, on se bat dans la rue car c’est là l’endroit où l’on peut régler ses affaires. Aussi, la vie quotidienne dans les rues d’Hammam-Lif, au début du XXe siècle peutelle devenir périlleuse.
Les rues sont d’abord le domaine de sociabilités masculines. Les règles du Haram et de l’honneur imposent à toute femme musulmane honnête d’être assignée à l’espace domestique. Les femmes musulmanes ne sortent pas et sont totalement absentes de la vie publique. Lorsqu’elles sortent, citadines de haute famille ou femmes « comme il faut », sont toujours accompagnées et leurs parcours sont balisés. Seules les prostituées, les domestiques, les servantes, les femmes du petit peuple et les rurales franchissent l’espace étroit du logis urbain pour se glisser dans les tavernes et les cafés, dans les marchés, autour des fontaines et abreuvoirs et même pour exercer des petits métiers de rue. Quant aux femmes européennes et étrangères de la bonne société, on peut les croiser le dimanche à l’église, sur la promenade maritime, sur l’avenue de la gare ou dans les institutions de charité, mais elles sont assignées à un cercle étroit. Celui de la charité, de la morale et de l’hygiène et du divertissement bienséant. Au premier tiers du XXe siècle, les femmes européennes que l’on voit dans la rue sont aussi celles que leur statut social et leur logement médiocre poussent dans les rues pour y chercher l’eau, les combustibles et les vivres à bon marché.
Fig.24. Hammam-Lif, carte postale de l’avenue de la Gare, 1900.
Fig.25. Hammam-Lif, femmes populaires devant la caserne d’artillerie, ( act. Hammam al Souri), 1905.
Dans les rues de la ville, la vie nocturne est animée par une société masculine qui fréquente , cafés , bistrots et tavernes. Public qui n’est pas seulement européen mais aussi musulman. Les procès verbaux et correspondances du Service de la voirie regorgent d’anecdotes et de rapports sur les conflits , rixes et heurts entre les occupants temporaires des rues, cafés et tavernes et les normes de circulation, d’hygiène et de sécurité émises par les services municipaux. Taxes et impôts sur le stationnement et les activités temporaires sur la voie publique se multiplieront face à la recrudescence des infractions et usages illicites de la rue.
Tandis que les lots et terrains de la ville se couvrent de villas et de maisons bourgeoises ou plus modestes, les alentours du Boulevard maritime (Promenade de la mer) sont littéralement pris d’assaut à la belle saison. C’est ainsi que de mai à octobre, par le train, en charrette ou en arabas, chargés de meubles, de matelas et d’effets divers, la population de Tunis et des environs proches afflue pour humer l’air de la mer et profiter du séjour estival en se mêlant à la population résidente. La plage d’Hammam-Lif est assez vaste et longue de 3 kilomètres pour offrir à chacun selon sa condition, l’emplacement privilégié et le lieu du bain et du séjour sur le rivage. Se baigner dans la mer est encore une pratique récente et émergente. A Hammam-Lif, il faudra attendre les années 1920 pour voir la cour du Bey, princes et princesses résidant définitivement au palais, pratiquer le bain de mer en cabines ou en rotondes. Le boulevard maritime, large de 50 mètres domestique la plage et constitue une scène sociale qui représente le contact de la station balnéaire avec la nature.
Fig.26.Hammam-Lif, scène de vie, la plage, 1922.
Cet interface rivage /mer, est un lieu marqué par des territorialités éphémères qui s’intègre aux espaces publics de la ville et capte certaines formes d’urbanité. On y rencontre des promeneurs endimanchés, des estivants et des baigneurs, des familles aisées ou plus modestes , des restaurateurs et des clients du Casino-Grand Hôtel, et toute une foule de villégiateurs que la pratique de la promenade et d’une nouvelle relation au corps et à l’eau de mer inspire pour un usage récréatif et ludique. La douceur du climat, la beauté du paysage et la luminosité participent à la mise en place d’un nouveau rapport à la plage. Le Boulevard maritime, aménagé et investi de cabines et de rotondes de bains, devient l’un des emblèmes de la station et fonde l’urbanité balnéaire d’Hammam-Lif.
Le front de mer et le boulevard maritime sont à la fois des formes urbaines innovatrices et le lieu de socialisation et de contact sécurisé avec l’espace marin. Ce sont des lieux d’urbanité où les promeneurs et baigneurs passent du spectacle de la mer et de la plage à la pratique d’un territoire de loisirs, de côtoiement et de rencontres temporaires.
Face au Boulevard maritime, le Casino-Grand Hôtel, est dès 1900, le fleuron de la station balnéaire. Casino et Théâtre ont rapidement conquis la clientèle aisée qui venait y séjourner, y souper le soir, y goûter les frissons des jeux de hasard et du défi et le plaisir du spectacle des comédies et opérettes. Le Casino est un lieu mixte qui rassemble hommes et femmes de la bonne société dans des toilettes vestimentaires de rigueur. On y joue au baccarat, on y danse et on s’y restaure et on y goûte la fraîcheur des soirées étoilées au bord de mer. Les abords du Casino sont plongés dans un écrin de jardins plantés de belles essences. Le soir l’orchestre y entonne des quadrilles, des polkas et des valses sur une terrasse en plein air pour des dîners dansants et des soirées face au rivage. C’est l’un des hauts lieux de la sociabilité et de l’urbanité aristocratique et bourgeoise. A lui seul, il peut résumer la ville et devient le symbole de la réussite de la villégiature balnéaire d’Hammam-Lif et de sa population cosmopolite.
Fig.27.Hammam-Lif, carte postale du Casino vu de la mer, 1900.
Ainsi, la vie quotidienne et l’urbanité à Hammam-Lif sont elles marquées par les différences sociales et certaines formes de ségrégation dans les lieux. L’espace public, lui voit se croiser, s’éviter ou se côtoyer toutes les catégories sociales. La vie urbaine et l’urbanité se sont cristallisées autour de pratiques, d’usages et de significations qui ont construit l’idée et l’image de la ville. Sans doute devait-il y avoir plaisir à habiter Hammam-Lif à cette époque. Traversée par diverses architectures, territoires, quartiers, perceptions et lectures différentes, elle devait donner du bien-être et peut-être un plaisir fugace et capricieux à ses habitants. Hammam-Lif, dans le premier tiers du XXe siècle, était une ville en mouvement, elle, n’échappait pas aux turbulences, aux conflits, aux bousculades. Elle était une ville bruissante où les sensations affluent, se télescopent, visages, édifices, monuments, jardins, marchandises, étals, plage, montagne, solitude et dilution dans l’être innombrable de la ville et le limon de la foule.
II-Les cartes postales d’Hammam-Lif par cycles, 1895-2020, surgissement et « intensités » de l’urbanité
A partir de l’exemple d’une série de cartes postales touristiques sur la ville d’Hammam-Lif, rassemblées de 1895 à 2020, ( 80 cartes postales) notre interrogation sur l’imaginaire urbain et l’urbanité de la cité va tenter de montrer comment l’image de la carte postale contribue à l’invention de la ville et du territoire et comment se manifeste l’urbanité des images selon des « intensités » différentes avec le temps. Nous avons classé les cartes postales par typologies et cycles. Ces cycles nous semblent représentatifs de moments particuliers de continuité ou de ruptures. La périodisation que nous tentons d’en donner repose autant sur le contenu des images photographiques des cartes postales analysées que sur les temporalités et évènements historiques. Les cartes postales ici examinées donnent à voir des mises en scène stéréotypées des espaces urbains, des scènes de vie, des moments, des paysages urbains ou naturels, des monuments, des lieux. Ce corpus d’images-paysages reproductibles, traduit un discours mis en forme qui énonce et rend visible la ville et son territoire en tant qu’espaces construits par un regard. Cet ensemble d’images de carte postale photographique que nous analysons prend corps ici en affirmant toute sa pertinence parce qu’il renvoie à l’usage d’une relation au territoire d’Hammam-Lif. La carte postale photographique constitue une cristallisation matérielle du temps urbain à Hammam-Lif. Ces images « ordinaires » de la ville et du territoire représentent des lieux urbains à partir d’une scène initiale qui a déjà eu lieu. Elles ne nous font pas voir la réalité historique de la ville mais restituent au présent, le vif d’un rapport au passé, en exposant l’histoire urbaine à travers des images en mouvement qui constituent des traces d’évènements.
La série de cartes postales, analysées à travers différentes époques et moments, sont une source d’informations et de représentations sur l’esprit du temps et ce qui est à la mode. Elles traversent les époques et les cycles en montrant des scènes de vie, de hauts et petits lieux, des repères d’identité urbaine, des ambiances, des paysages et des monuments. La présence humaine des citadins et des habitants y est manifeste jusqu’à la fin des années 1940. Elle dit, dans un récit d’archive visuelle, le quotidien de la ville et de ses moments familiers. Elle énonce l’urbanité des lieux publics, les pratiques ordinaires, le paysage urbain et son appropriation comme espace pratiqué s’inscrivant en situation dans l’espace urbain.
Entre 1895 et 1940, Hammam-Lif devient l’une des stations balnéaire et thermale les plus fréquentées du littoral sud de Tunis. Le paysage balnéaire du rivage ou celui de la montagne sont inventés par les prises de vue et la réthorique visuelle stéréotypée des cartes postales. L’image d’Hammam-Lif, à travers les cartes postales, s’impose comme destination de villégiature, été comme hiver. Parmi les sujets photographiques les plus représentés nous avons repéré, l’épicerie, la gare, le Casino, le Grand-hôtel et son boulevard maritime, l’avenue du Casino, la Plage et les bains de mer, les Villas sur la plage, le Palais beylical, les vues générales, panoramas et paysages parmi lesquels ceux de la Montagne occupent une place importante.
1.Périodisation et cartographie de la ville à partir de la localisation des points de vue
Si l’histoire est une et continue, on peut tenter de découper le temps en périodes, dans la mesure où ce découpage exprime le passage, le tournant voire la rupture avec les périodes précédentes. S’agissant de l’histoire d’Hammam-Lif et de celle donnée à voir par les cartes postales rassemblées, nous voyons surgir une grande période qui va de 1895 à 1940, elle-même scindée en deux ou trois sous-périodes : 1895-1914, 1914-1920, 1920-1940. La première et la seconde guerre mondiale viennent scander ces périodes et les années, 1940-1945 constituent une rupture significative qui annonce la modernité des années 50 et la Reconstruction. Hammam-Lif va connaître à cette période une fermentation sociale, intellectuelle et politique, un « âge d’or » jusqu’à l’aube de l’indépendance (1956).
Cette effervescence correspond au moment de l’intensification des luttes du Mouvement national et aux prémisses des revendications d’indépendance.
L’observation des sujets des cartes postales rassemblées nous donne, elle, une autre périodisation avec des cycles de 20 ans qui correspondent à l’abandon de certains thèmes et au surgissement de nouveaux points de vue. Cette périodisation se superpose à la première (1895-1940/ 1940-1956). Ainsi, nous avons tenté une cartographie de la localisation des cartes postales par cycles de deux décennies, qui permet de montrer à l’échelle de la ville les lieux et les sites privilégiés des prises de vues photographiques des cartes postales. La carte proposée révèle que les années 1920-1940 correspondent au plus large ensemble de territoires urbains pris en compte par les cartes postales. En revanche, les années 1940-1950 évoquent un rétrécissement notoire de la focale et une réduction ponctuelle des sites photographiés (le Rond-point, L’Eglise et ses alentours, la gare, le palais beylical et ses environs proches).
Fig.28.Carte de la localisation des cartes postales par cycles de 20 ans dans la ville d’Hammam-Lif, cartographie L. Ammar.
On peut bien sûr s’interroger sur les raisons de ces variations de champs de prises de vue selon les cycles de temps, les évènements et les faits historiques.
L’identité visuelle de la station d’Hammam-Lif jusqu’aux années 1940 est créée par les différents points de vue photographiques. Ceux-ci rendent visibles l’entrée de la ville, la foule pressée à l’arrivée par le train, les citadins de tous les jours, l’imaginaire balnéaire et maritime, le Casino, les hôtels, les cafés et restaurants, la Poste, les Thermes, mais aussi et toujours en arrière- plan, la montagne du Bou Kornine, véritable monument « naturel » et point névralgique du paysage. Les images des cartes postales réinventent l’impression d’une espace urbain ouvert, aéré et lumineux. L’ambiance des vues paysagères est toute de quiétude et de confort urbain associés à une présence massive du végétal. Les gros plans sur le Casino, la gare, les principales infrastructures, les rues et avenues, promettent le confort et l’aisance dans un écrin de verdure au bord de la mer et face à la montagne accessible et aménagée. Ces images de cartes postales nourrissent l’imaginaire des visiteurs et des villégiateurs et leur envie de se rendre ou de séjourner à Hammam-Lif qui devient une cité à vocation internationale au tournant du siècle.
A partir de la décennie 1940-1950, la disparition de l’humain dans les cartes postales dénote le renversement d’intérêt des sujets photographiques. L’urbanité faiblit en « intensité ». Ce sont alors les monuments, les symboles administratifs ou nationaux, les paysages inhabités qui sont dignes d’être représentés. Aucune présence humaine ne vient plus troubler le tableau. Le point de vue a changé radicalement et les éléments « type » d’Hammam-Lif sont ceux qui symbolisent la modernité, les monuments, le patrimoine, les paysages avec la montagne en arrière-plan. La vie urbaine se réduit aux symboles et à l’économie du lieu. Ce n’est plus le récit populaire et la vie des rues qui intéresse la prise de vue mais la monumentalité, le souvenir touristique, ce que l’on retient d’un paysage naturel et urbain expurgé de toute manifestation humaine.
Fig.29.Hammam-Lif, les contreforts bâtis modernes et la montagne du Bou Kornine, 1950.
Fig.30. Hammam-Lif, La place Roy, le Palais beylical et les contreforts du Bou Kornine, 1950.
Avec cette disparition de l’humain dans les cartes postales, c’est l’urbanité qui s’affaiblit, le contexte et le sens donné au lieu photographié qui se réduit , les pratiques et les scènes de vie qui sont oblitérées au profit de l’immeuble, de l’infrastructure, du monument, du patrimoine. Dans ces années 1950, la montagne, monument naturel a supplanté la Plage et le rivage qui disparaissent des vues des cartes postales. Le célèbre et très prisé circuit qui commence à la gare et s’achève au Casino sur le rivage n’est également plus de mise. L’animation balnéaire et les figurants ne sont plus utiles. Pourtant, Hammam-Lif à cette époque est toujours une ville de villégiature balnéaire, bien que déjà en proie à des changements sociaux, culturels et politiques en émergence.
2.Vers la disparition des cartes postales
Avec les années 1960 et surtout à partir de 1970, on assiste à la raréfaction des cartes postales d’Hammam-Lif puis à leur disparition totale dans les décennies postérieures (1980-1995). Ce moment coïncide avec des changements sociaux et économiques importants dans la ville. Etrangers, européens, juifs, colons, sont partis en masse à l’indépendance (1956). Le creuset urbain cosmopolite hammam-lifois s’est rétréci comme une peau de chagrin, et les populations tunisiennes pauvres ou démunies de l’arrière-pays ont afflué vers la ville où elles s’installent dans des logements de fortune et des quartiers périphériques ( carrières, cimetières, terrains libres d’occupation, propriétés des domaines de l’Etat). A l’aube des années 70, la station balnéaire et thermale a changé. Sa vocation touristique pour les visiteurs est en déclin. Cette évolution accompagne le désintérêt pour la carte postale « souvenir » représentant la vie urbaine, la localité et les paysages. Quelques rares cartes postales sont alors éditées et diffusées. Avec le développement de la radio, du cinéma, de la photographie en couleur, la carte postale, objet souvenir, a peine à suivre les modes et les tendances qui évoluent rapidement. Dans les années 1980-1995, le silence de la carte postale à Hammam-Lif est total. A partir de 1995, on voit réapparaître certaines cartes postales de la ville, vues générales, vues multiples souvenir. Enfin avec les années 2000 et la popularisation d’internet se développent et se diffusent de multiples sites proposant des photographies de la ville ou des scènes de vie usant de « l’effet carte postale ». Ce ne sont pas des cartes postales sur support traditionnel mais des images photographiques qui prennent pour thème divers sujets et contribuent à la diffusion de l’image de la ville, de ses paysages, de ses habitants. Aujourd’hui, les cartes postales d’Hammam-Lif sont encore rares, elles sont généralement rééditées et datent des années 1995-2015.
3.Une urbanité en demi-teinte à l’épreuve des changements sociaux et de la gouvernance urbaine, 1970-2020
En 50 ans, (1970-2020), l’urbanité hammam-lifoise a connu diverses intensités et recompositions. Elle s’est affaiblie dans les années 1980 puis s’est recomposée récemment. On peut distinguer un premier moment de 1970 à 1990, une seconde période de 1991 à 2011, enfin une troisième période post-révolution de 2011 à 2020. Durant le premier cycle, la ville et ses institutions municipales se maintiennent et les ressources urbaines, quoique réduites, permettent une gestion quotidienne relativement efficiente. La ville a peu de ressources mais l’institution municipale prend en main les problèmes urbains quotidiens.
Hammam-Lif est encore une petite banlieue au cadre naturel et urbain attrayant où les grands problèmes environnementaux et sociaux ne se sont pas encore manifestés. L’urbanité s’y distingue par son caractère en demi-teinte et le début d’un affaiblissement en intensité. La ville commence à devenir alors une cité dortoir et les nouveaux arrivants des quartiers populaires informels en formation grossissent la périphérie de leur nombre qui dépasse maintenant celui des natifs d’Hammam-Lif ou de ceux qui y sont installés depuis longtemps.
A partir de 1991, avec l’amputation des deux parties nord et sud, Boumhel et Hammam al Chatt devenues communes, la ville d’Hammam-Lif perd ses ressources financières. La gestion municipale devient difficile et chaotique. Le laisser-aller s’installe. La ville entre en léthargie. Les problèmes environnementaux (pollution de la mer et de la plage, inondations et gestion des eaux de ruissellement et des eaux pluviales, ramassage des déchets et des ordures) s’accentuent et deviennent criants. L’édilité perd ses repères législatifs, la ville se densifie en hauteur et au sol sans plan d’aménagement concrétisé par des actes sur le terrain (1997-2009), les quartiers informels s’étendent, grossissent et de nouveaux se forment. La ville ne peut plus assurer une gestion urbaine cohérente des problèmes économiques, sociaux et urbains. L’urbanité s’affaiblit (1991-2011), les lieux publics centraux sont certes toujours fréquentés, mais les manières de vivre la ville ont commencé à changer. L’ancienne urbanité des années 1950-1960 est bien révolue et celle qui se maintient et se recompose à travers les pratiques quotidiennes et les relations sociales des habitants est bien malmenée.
Le changement politique de la révolution de 2011 n’a pas affecté profondément la ville d’Hammam-Lif. De 2011 à 2020, Hammam-Lif a continué à décliner et à subir les aléas d’une mauvaise gouvernance urbaine. Les questions environnementales et sociales sont devenues urgentes impactant le vivre-ensemble, l’aspect et les pratiques de la cité. Les règles du vivre ensemble ne sont plus respectées. L’urbanité se dilue et perd une partie de ses significations. Si bien que d’aucuns n’hésitont pas à affirmer « à Hammam-Lif, c’est un territoire hors-la-loi, n’importe qui peu faire ce qu’il veut et n’importe quoi ».
L’urbanité à ce moment-là est en dilution et en perte d’intensité. Elle résiste dans le creuset central du carré historique et faiblit dès que l’on s’éloigne des espaces publics majeurs. Dans les quartiers informels éloignés du centre, près des carrières, sur les contreforts du Bou Kornine ou à proximité de la commune de Hammam al Chatt, (limite sud), elle apparaît fragile et en souffrance, soumise à la faiblesse du lien social et des pratiques. L’urbanité hammam-lifoise, historiquement fruit de la diversité et de la densité, n’arrive pas à épouser ces nouveaux territoires hétérogènes et moins denses où l’effet de rencontre ne se cristallise plus.
L’histoire que racontent ces cartes postales (1895-2020) de la ville et du site d’Hammam-Lif est d’abord celle de la promotion et de la représentation imaginaire de la station balnéaire et thermale au fil du temps. Elle a ensuite construit des représentations iconiques d’une ville de bord de mer et de montagne près de Tunis, un centre de villégiature et de services, où l’industrie et l’agriculture sont restées partie prenante jusqu’aux années 1980. Hammam-Lif a commencé son déclin et sa lente transformation en une « cité dortoir » dans les années 1970, moment où la bourgeoisie et les notables commencent à quitter la ville. Elle est devenue avec les années, une cité de classes moyennes et populaires, où la vie quotidienne ressemble à celles d’autres cités périphériques de Tunis. Les cartes postales rassemblées ici et observées ont été produites, diffusées et consommées. Leur rareté aujourd’hui signifie sans doute le désintérêt des consommateurs et des producteurs pour l’image et la représentation de la ville, comme elle peut témoigner de l’abandon par la gouvernance urbaine locale des enjeux de visibilité et de dynamique urbaine. Ces cartes postales ne sont pas seulement une illustration du paysage naturel et urbain d’Hammam-Lif, car elles ont elles-mêmes créé la façon de voir la ville et ses habitants, son paysage balnéaire et de montagne en construisant un récit urbain soumis à des discontinuités de la fin du XIXe siècle à nos jours.
Fig.31. Hammam-Lif, descente du train, 1960.
Fig.32. Hammam-Lif, carte postale souvenir, 1960.
Fig.33.Hammam-Lif, vue générale, au centre l’avenue Habib Bourguiba vers le Casino, 2005.
Fig.34. Hammam-Lif, citadines passantes devant le Hammam al Souri, 2016.
Conclusion : urbanité ou urbanités d’ Hammam-Lif aujourd’hui
Si à la fin du XIXe siècle, Hammam-Lif, modeste cité coloniale, se présente et se perçoit comme une station thermale et balnéaire promue à un nouvel essor dans un pays essentiellement rural, la banlieue résidentielle du XXIe siècle a connu en 150 ans des mutations décisives. Au plan urbain, la ville étendue le long du rivage a été amputée (1991) de deux parties au sud et au nord ( Hammam al Chatt et Boumhel) devenues communes industrielles, réduisant les ressources d’Hammam-Lif à néant.
La cité semble laissée à l’abandon et dérive aux aléas d’une gouvernance urbaine hasardeuse. Le palais beylical, le casino, le café-restaurant La Petite Sirène, l’église, le restaurant Chalet vert, tout comme la plage, sont en état de déliquescence et de vétusté. Autant de dossiers «brûlants » que la municipalité n’a su et pu traiter depuis 2011, du fait du déni d’urbanisme, de la démission des pouvoirs locaux et des méthodes mafieuses, corrompant les démarches et les décisions, dans une atmosphère livrée aux lois de la jungle et au petit banditisme administratif.
Quelle est donc l’urbanité d’Hammam-Lif à l’heure où les habitants balancent entre amertume et nostalgie de la légende et du mythe de la ville ? A l’heure où la léthargie ambiante accentue le sentiment de ville en détresse et du mal vivre pour certains ? Que reste-t-il des formes de la vie sociale et culturelle ? Des qualités propres à la ville d’hier, des civilités, des manières de vivre la ville et de s’articuler à elle ?
La plage dépotoir abandonnée et livrée à l’anarchie, la mer polluée, les cafés et restaurants du centre ville fermés, l’église bouclée et vétuste, le casino délabré, le palais muré et évacué récemment, témoignent des obstacles et des difficultés à relever la ville, comme ils racontent l’histoire de la lente dépréciation de l’ensemble des valeurs du citadin.
Malgré les atouts du site et l’héritage patrimonial présent, malgré la mémoire vive d’un passé proche florissant, la ville s’étiole saturée d’immobilisme. Au centre-ville, marché et activités survivent, plus loin au nord, au sud, aux carrières de la montagne, les quartiers denses populaires dont on ne parle pas : Trabelsiyya, Chaabiyya, Aa’chaychiyya, Mallassine, grossissent la périphérie d’Hammam-Lif. Ce sont des territoires hors la loi dont les habitants descendent en ville pour se mêler à la population et vivent essentiellement de l’informel.
Pour l’étranger qui arrive à Hammam-Lif et n’en connaît pas les secrets, la banlieue présente un caractère ordinaire, populaire, familier, paisible. Ici, pas de consumérisme ni d’ostentation et pas de touristes en vue. Les habitants se reconnaissent dans les fragments de cette banlieue disparate. Il y a la corniche, le casino, le marché municipal, la place du Rond point, l’avenue, les cafés. De l’autre côté de l’emprise ferroviaire, après la gare, c’est autre chose, c’est une autre ville. Il n’y a plus de travail ici, on rentre le soir chez soi pour dormir.
Ce sont les habitants, natifs ou migrants d’origines diverses, qui par leurs pérégrinations, leurs contacts, leurs relations sociales même impersonnelles, fabriquent un sentiment de vivre-ensemble et d’urbanité. Par leurs propres déambulations, ils égrènent des itinéraires qui deviennent une partie de leur géographie mentale. A force de les voir et de les pratiquer matin et soir, les rues, les places, les jardins, les mosquées, deviennent leur propre paysage interne. Ils habitent la ville et s’en nourrissent.
Hammam-Lif n’est pas le chaos, elle juxtapose des fragments et des lieux dont certains ont gardé leur cohésion. Ce n’est pas une banlieue désordonnée et incohérente, mais elle semble avoir perdu son unité. Dans cette ville, les lieux de l’urbanité sont toujours les mêmes que ceux que montraient les cartes postales du début du XXe siècle. Ils se rassemblent dans le carré initial, le centre-ville historique et le long du rivage.
Certes, les acteurs et le paysage urbain bâti ont changé mais la topographie de l’ensemble et l’essentiel du tissu demeurent.
*Sur la plage et la corniche, les estivants se pressent en été. On ne trouve plus une place ni un parasol aux cafés de fortune installés dans des baraques pour la saison. Hors saison, la corniche publique est le lieu de flânerie, de promenade et de séjour de la population. Quelques pêcheurs continuent leurs activités et vendent leur poisson à la criée sur les trottoirs de la corniche.
*Autour du Casino fermé, pris entre ses immeubles HLM, il ya toujours du va et vient. Les voitures s’arrêtent à ce point de rendez-vous. Kiosques et cafés sur la plage animent le bord de mer. Les promeneurs et les clients s’arrêtent pour un moment de détente, s’allongent au pied d’un palmier, se tiennent assis sur le muret, discutent, passent le temps au bord de l’eau.
*Au marché municipal et dans les rues voisines, c’est l’effervescence. Le marché se tient toujours au même endroit à proximité de l’église. Il est bruissant de cris, de voix, d’odeurs, de couleurs, d’allées et venues. Malgré un réaménagement récent, les vendeurs s’installent plus volontiers sur la chaussée centrale et vendent dans la rue. Au cœur de la cité, la rumeur du marché est vivante. Bruyant, malpropre, encombré, animé, le marché est un des hauts lieux où se déroule la vie publique d’Hammam-Lif.
*Au centre ville, à la croisée des deux grandes diagonales, la place du Rond-point est toujours un lieu remarquable et un repère, malgré les quelques commerces fermés. Cafés et terrasses ouvrent sur la place. C’est un lieu de séjour, de rencontres, de sociabilité et d’urbanité où s’échangent les récits de la ville, du matin et du soir, qui a gardé les qualités de son prestige passé.
*Sur l’avenue centrale Habib Bourguiba (ancienne avenue du Casino et de la Gare) passants et badauds affluent. Cette avenue avec ses palmiers de la gare au casino est restée le lieu des activités, du commerce, du côtoiement et de la rencontre. Les trottoirs envahis par la marchandise obligent les passants à marcher sur la chaussée. Commerces et marchands ambulants se partagent l’espace des devantures et des vitrines. Aux abords de la gare, la densité des commerces et des flux s’accroit. Le mouvement est incessant. En tant qu’espace public du commerce, cette avenue est devenue avant tout un marché, un lieu pour acheter et vendre, pour « faire des affaires », échanger avec des gens que l’on ne connaît pas, mais aussi flâner et se promener. Les habitants se rendent à l’avenue depuis toujours et depuis tous les quartiers d’Hammam-Lif. Avec son public urbain diversifié et hétérogène socialement, l’avenue est un haut lieu de l’image publique de la ville. Ce lieu public de cohésion sociale, dense et hétérogène reste remarquable par son ambiance propice à la rencontre et aux formes de sociabilité. L’avenue s’est popularisée et a maintenu son caractère de centre vivant de la culture publique des citadins.
Ainsi, la cité d’Hammam-Lif, même si elle n’est plus une destination cosmopolite pour les villégiateurs et visiteurs en quête de pittoresque et de dépaysement, ne s’est pas départie de ses qualités urbaines et spatiales et de son urbanité contemporaine manifeste dans le comportement de ses habitants qui, eux, ont changé. Le paysage urbain et l’environnement fabriqué par la population pour son usage lui donnent aujourd’hui son ou plutôt ses urbanités particulières. L’urbanité d’hier n’est plus mais celles d’aujourd’hui prennent selon les quartiers différentes formes et intensités dans l’espace. Au centre-ville historique, creuset des urbanités d’aujourd’hui, s’opposent les urbanités en souffrance ou fragilisées des quartiers populaires périphériques sous l’effet de la dilution spatiale et de la faiblesse des activités sociales et économiques.
A Hammam-Lif, les urbanités présentes ne cessent de se recomposer et de se mettre en place sous nos yeux, à travers les discours, les pratiques quotidiennes, les échanges, les relations sociales des habitants. L’attrait exercé par l’image de l’ancienne urbanité, la nostalgie et le mythe d’Hammam-Lif, cité à vocation internationale florissante où tout le monde se rend, hante la parole des natifs de la ville. Cet imaginaire qui puise aux sources de la ville beylicale , de la fête renouvelée, de la diversité ethnique est porté par la nostalgie d’un « passé heureux » opposé à un présent problématique et à un avenir incertain.
La situation actuelle périphérique, « déshéritée » et laissée pour compte d’Hammam-Lif au sein du Grand Tunis réclame sans doute une meilleure gouvernance, des engagements et des actes qui prennent à bras le corps les questions sociales et urbaines. Les habitants, citadins et citoyens d’Hammam-Lif, n’ont pas renoncé à un partage de la ville sous d’autres formes, à la possibilité d’un renouveau de la cité, à imaginer de nouveaux espaces à l’urbanité.
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Notes ↑ |
(1)Ansay Pierre, Schoonbrodt René, 1989, p. 268-269. Le mot urbanité vient du latin urbs, qui désignait dans l’Antiquité romaine la « ville d’entre toutes les villes » : Rome. Il est emprunté au dérivé urbanitas qui signifiat « cette politesse d’esprit, de langage et de manières attachées spécialement à la ville de Rome » ( Encyclopédie . Dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers, 1751-1772).
(2)a.* Sirdey Jean, 2015. L’auteur revisite les enjeux contemporains du concept d’urbanité dans le champ de l’urbanisme du point de vue de l’œuvre de Pierre Sansot. La ville contemporaine réinterroge la définition même de l’urbanité née de manière plus ou moins énigmatique de la proximité spatiale et de ses effets de densification. Conscient du nécessaire dépassement entre approche scientifique et sensible qui ne répond plus à la complexité de la ville contemporaine, l’auteur rappelle que Pierre Sansot pour qui la ville est « naturante » et engendre les hommes, n’a jamais oublié ce qui faisait la ville et le rappelle à chaque instant par le récit sensible qu’il nous en livre.
b.* Métral Jean, 2000. La ville comme phénomène politique, capable d’organiser le vivre ensemble, ne va pas de soi. Les cultures urbaines caractérisées par l’effervescence, la multiplicité, les oppositions, les tensions, renvoient à ce qu’on peut appeler des « mondes ». La ville est ce lieu des mondes et des cultures produites par ces mondes. La citadinité est la capacité qu’a le citadin de circuler entre ces mondes, de se sentir chez lui, de circuler dans des mondes multiples.
(3)Le noyau central historique constitué d’un carré de 500 m de côté et les lotissements limitrophes de ce noyau parallèles au rivage sont ceux qui ont le mieux résisté au temps et aux modifications de structure du tissu urbain.
(4) A la recherche de l’urbanité, Biennale de Paris, 1980, CNAC Georges Pompidou.
L’urbanité, est la qualité d’une organisation urbaine illustrant l’identité d’une ville, sa mémoire, ses conflits, ses changements. Les procédures d’urbanisme « moderne » ont engendré la ségrégation des citadins, la fragmentation des espaces et du temps. En réaction à ces tendances un usage nouveau du terme « urbanité » est proposé en alternative pour désigner une qualité nouvelle de l’usage et de l’aménagement des villes. L’urbanité contemporaine désignerait le « savoir faire la ville » et le « savoir vivre la ville ». L’urbanité démocratique recherchée repose sur une identité communautaire, des espaces de proximité une « poétique de la ville » .Elle substitue à la consommation effrénée de la ville une civilité et une convivialité urbaines nouvelles.
(5)Pichon Pascale, 2007. L’auteure aborde l’urbanité dans les territoires urbains contemporains à partir de « l’expérience limite » des sans domicile fixe. Elle ajoute à la citoyenneté et à la mobilité un autre fondement sur lequel le politique devrait s’appuyer pour penser l’urbanité de la ville contemporaine : l’habitabilité qui renvoie plus largement à l’hospitalité de la ville. C’est à dire à l’acceptation des plus pauvres et/ou de l’étranger dans l’espace public, tout autant qu’à l’accessibilité de tous aux ressources et aux services de la ville.
(6) Alain Corbin , 1988. Flammarion Champs, 1990. Alain Corbin, 1995.
(7) Ammar Leïla, 2019. Dans cette contribution, l’auteure met en perspective l’histoire et la genèse de la ville d’Hammam-Lif à partir de sources archivistiques, de documents et d’une iconographie originale. Cette contribution antérieure sert de point d’appui aux développements ici présentés sur l’urbanité et l’observation analytique des cartes postales rassemblées.
(8) 1500 habitants en 1905 dont 900 musulmans et 600 européens.
Pour citer cet article ↑ |
Ammar Leila, «Hammam Lif, l’urbanité à travers les cartes postales mises à l’épreuve du temps», Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°11, année 2021.
URL : http://www.al-sabil.tn/?p=8403&preview=true
Auteur ↑ |
(*)Leïla Ammar, architecte, maître de conférences à l’ENAU – Université de Carthage- Laboratoire d’Archéologie et Architecture Maghrébine (LAAM).