11 | 2021
Les leçons d’une carte.
Colonisation et construction de l’espace migratoire franco-tunisien (milieu du XIXe siècle-années 1970)
Houda Baïr (*),
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Résumé ↑ |
Les leçons d’une carte. Colonisation et construction de l’espace migratoire franco-tunisien (milieu du XIXe siècle-années 1970)
Une affiche comportant une carte de la Tunisie a été diffusée dans les média et au sein du milieu agricole français au début des années 1890. Du fait de la mention qui y est mise en évidence, « Terres à vendre », elle est alors à la fois l’outil et le symbole de l’évolution de la politique adoptée par la France en faveur d’une colonisation de peuplement de la régence de Tunis. La diffusion de ce document sur les réseaux sociaux en septembre 2020 est significative, de la part de ceux qui en ont pris l’initiative, d’une volonté de rappeler l’un des épisodes majeurs de l’histoire tunisienne. Cette étude est consacrée à l’analyse de l’avant et de l’après de ce document. L’avant, c’est principalement le processus de cartographie de la Tunisie qui a été piloté par les autorités françaises et s’est développé au cours du XIXe siècle. Ce processus a en effet constitué l’une des conditions d’instauration, en 1881, du protectorat, dont le document de 1891 a été l’une des traductions en faveur de l’immigration française, notamment agricole, immigration qui a engagé l’après. Cette seconde période a connu une importante rupture lors de l’accession de la Tunisie à l’indépendance, en 1956. Cette rupture prit alors la forme d’une double migration vers la France : celle des Français eux-mêmes, mais aussi celle de travailleurs tunisiens de plus en plus nombreux à rechercher un emploi à l’étranger. L’ensemble de ces phénomènes, depuis la cartographie du XIXe siècle jusqu’à la constitution d’un espace migratoire franco-tunisien, forme une totalité historique dont cette contribution dégage et analyse les moments-clés.
Abstract
Lessons from a map. Colonization and construction of the migratory Franco-Tunisian (mid 19th century-1970s)
A poster with a map of Tunisia was circulated in the media and among the French agricultural community in the early 1890s. Because of the reference to “Land for Sale”, it was at the same time a tool and a symbol of the evolution of the policy adopted by France in favour of colonization of the regency of Tunis. The publication of this document on social networks in September 2020 is significant, on the part of those who took the initiative, of a desire to recall one of the major episodes in Tunisian history. This study is devoted to an analysis of the before and after of this document. At the forefront, it is mainly the process of mapping Tunisia, which was piloted by the French authorities and developed during the 19th century. This process has indeed constituted the one of the conditions for introduction, in 1881, of the protectorate, whose 1891 document was one of the translations in favour of French immigration, particularly agricultural immigration, which began later. This second period saw a major break with Tunisia’s independence in 1956. This rupture took the form of a double migration to France: that of the French themselves, but also that of Tunisian workers, increasingly numerous, looking for work abroad. All these phenomena, from the mapping of the 19th century to the creation of a French migratory Franco-Tunisian, form a historical totality whose contribution highlights and analyses the key moments.
الملخص
دروس من الخريطة: الاستعمار وتشكل مجال الهجرة بين تونس وفرنسا (أواسط القرن التاسع عشر-سبعينيات القرن العشرين)
تم نشر اعلان اشهاري يحمل عبارة « أراضي للبيع » ضمن خريطة البلاد التونسية في وسائل الاعلام وداخل المجتمع الزراعي الفرنسي في أوائل تسعينيات القرن التاسع عشر. وهذا يرمز الى التغيير المهم الذي تبنته السياسة الفرنسية لفائدة الاستعمار الاستيطاني بالإيالة التونسية. ويكتسي توزيع هذه الوثيقة عبر شبكات التواصل الاجتماعي في سبتمبر 2020 أهمية لدى المبادرين بذلك، حرصا منهم على التذكير بحقبة من تاريخ تونس. تعنى هذه الدراسة بتحليل ما قبل وما بعد صدور هذه الوثيقة. فقبلها تجسمه خرائط البلاد التونسية التي اوعزت بها السلطات الفرنسية والتي تطورت في القرن التاسع عشر، وهو ما شكل أحد العوامل الرئيسية المساعدة على انتصاب الحماية الفرنسية بتونس في 1881. وكانت وثيقة 1891 احدى البواعث المشجعة للهجرة الفرنسية ولا سيما المتصلة بالزراعة، وهي تعكس بداية المرحلة الثانية التي تشهد قطيعة باستقلال البلاد التونسية. وقد أسست هذه القطيعة لبداية هجرة مزدوجة الى فرنسا. عودة الفرنسيين الى بلادهم من جانب وهجرة العمال التونسيين بنسق متزايد للبحث عن عمل بالخارج من جانب ثانٍ. تمثل مجمل هذه الظواهر بدءا بعملية رسم الخرائط في القرن التاسع عشر، وصولا الى تشكيل فضاء هجرة تونسي فرنسي كلية تاريخية. وتندرج هذه المساهمة في رصد وتحليل اهم محطاتها.
Entrée d’index ↑ |
Mots-clés : Tunisie, France, cartographie, protectorat, colonisation, agriculture, indépendance, migrations.
Keywords: Tunisia, France, cartography, protectorate, colonization, agriculture, independence, migrations.
الكلمات المفاتيح: تونس، فرنسا، خرائط، حماية، استعمار، زراعة، استقلال، هجرات.
Plan ↑ |
Introduction
1. D’une carte à l’autre : cartographie et colonisation
2. D’une immigration de peuplement à l’autre : construction d’un espace migratoire franco-tunisien
Conclusion
Texte intégral ↑ |
En septembre 2020, des messages ont fait circuler sur les réseaux sociaux une affiche de la fin du XIXe siècle (fig. 1). Cette affiche, sur laquelle figure une carte de la Tunisie, a été réalisée par l’administration coloniale française une dizaine d’années après l’instauration du protectorat. Elle comporte en gros caractères l’expression : « Terres à vendre ». Voici l’un de ces messages :
« Ce document, qui date de l’année 1890(1), provient d’un journal trouvé dans un entrepôt à Lyon et était en mauvais état. Le papier supportait à peine le toucher et il était difficile de le prendre sans le détruire.
La page parle de la ‘‘colonisation de la Tunisie’’ et incite les Français à se rendre sur ce ‘‘nouveau’’ territoire et à acheter des terres pour 50 francs l’hectare. La Tunisie est présentée comme propice à la culture de la vigne, des olives, des céréales et à l’élevage de bovins, de vaches et de moutons. Elle parle aussi des mines de fer, d’argent, de zinc et de phosphate… Elle évoque également les forêts, la pierre ponce, le pin d’Alep et la pêche.
Cinq traversées sont organisées par semaine de Marseille à Tunis ; leur durée est de 36 heures.
Le document est en français et son titre est clair : ‘‘La colonisation de la Tunisie’’.
C’est un colonialisme criminel, épuisant les richesses, torturant les gens, démantelant les institutions, asservissant le peuple, investissant dans l’éducation des fils des colons et empêchant celle de la jeunesse tunisienne…
Il ne s’agit pas d’un protectorat. On ne digérera pas le fait que ‘‘c’était un protectorat et non le colonialisme’’. Et ‘‘celui qui s’excuse s’accuse’’ tant que nous vivrons ».
Fig. 1 : Affiche (vers 1891) « Terres à vendre »(2).
Source : Archives du MEAE(3).
Les auteurs de ces messages dénoncent les méfaits qui ont résulté de la colonisation de la Tunisie par la France, notamment en ce qui concerne l’exploitation des terres agricoles et des richesses du pays. Ils considèrent la carte dessinée sur l’affiche(4) comme une preuve concrète et un témoignage indiscutable de la domination française par voie d’appropriation de leur pays. D’une façon plus large, ils expriment des ressentiments qui résultent de rapports non seulement d’altérité, mais également d’iniquité sinon d’antagonisme. La diffusion de l’affiche sur les réseaux sociaux veut signifier que ces rapports se sont nourris non seulement de trois quarts de siècle de colonisation, mais également, au lendemain de l’indépendance, des conditions de l’important mouvement migratoire de travailleurs tunisiens vers l’ancienne puissance coloniale. Nous sommes ainsi en présence d’un espace migratoire dont, chronologiquement, le second « versant » a pris la suite du premier, dont il est dans une large partie la conséquence. Gildas Simon estime en 1979 que l’étude de l’espace des travailleurs tunisiens en France « n’a cessé de mettre en évidence le déséquilibre et l’inégalité croissante des rapports entre un petit pays, pauvre et dépourvu de ressources importantes (à la différence d’autres État du tiers-monde), et son ancienne métropole coloniale, dotée d’une industrie puissante, et d’une technologie ‘‘avancée’’(5) ». On peut estimer que ces réactions sont également indissociables des difficultés éprouvées au moment de leur diffusion par de nombreux jeunes d’Afrique du Nord désireux d’émigrer mais qui s’affrontent aux restrictions imposées par les pays européens(6). Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 1 200 migrants ont péri au cours de l’année 2020 en Méditerranée. Les commentaires dont cette carte a fait l’objet sont à forte teneur émotionnelle et protestataire ; ils traduisent la projection d’un événement ancien sur la conjoncture présente. Sans porter nul jugement de valeur sur la publication de ces messages, l’historien a pour tâche de replacer l’origine de cette carte dans le contexte de sa création et de sa diffusion.
Les messages diffusés sur les réseaux sociaux ont attiré notre attention parce que nous avions découvert le document qu’il diffuse quatre ans plus tôt, en 2016, aux archives du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, à Paris. Nous le donnons à voir dès maintenant dans la mesure où il constitue l’objet central de cette contribution, mais nous en reportons l’analyse de la structure et du contenu dans les pages suivantes. Estimer que ce document occupe une position centrale, c’est reconnaître qu’il a exercé à la fin du XIXe siècle une fonction déterminante non seulement comme traduction et comme facteur d’une évolution majeure de la colonisation de la Tunisie, mais aussi comme résultante d’un processus cartographique et politique antérieur, engagé plusieurs décennies plus tôt en étroite relation avec les autorités politiques et militaires françaises.
À l’évidence, les cartes ont occupé une place singulière et fondamentale dans la représentation de l’« autre » et dans l’établissement des rapports que la France a noués avec le territoire tunisien, d’abord au travers de l’activité de cartographes-typographes au cours du XIXe siècle puis dans l’engagement, une dizaine d’années après l’instauration du protectorat, de nouvelles modalités dans la conduite de la politique coloniale. Cette analyse se fonde sur une triple hypothèse conjointe : d’abord, celle d’un lien progressif mais devenu étroit entre l’activité cartographique française en Tunisie au cours du XIXe siècle et la colonisation ; en deuxième lieu, celle de l’effet déterminant de la politique symbolisée par la diffusion de la carte de 1891 sur l’immigration française en Tunisie ; enfin, celle du lien entre l’indépendance de la Tunisie et l’immigration en France de travailleurs tunisiens. C’est dire que nous établissons une double relation, que nous examinerons successivement : d’une part, entre deux moments cartographiques – « d’une carte à l’autre » – et, d’autre part, entre deux mouvements migratoires – « d’une migration de peuplement à l’autre ». Dans cette configuration d’ensemble, qui va du milieu du XIXe siècle aux années 1970, on peut considérer que l’affiche de 1891 constitue l’élément intermédiaire qui permet de passer de la représentation cartographique à l’engagement d’un mouvement migratoire qui, lui-même, comporte deux phases successives et inversées. En toute logique, les différents segments de cette contribution s’accompagnent de la présentation de documents cartographiques, dans la mesure où la dimension territoriale est constamment présente. La cartographie ainsi que l’immigration représentent en effet des processus en interrelation qui ont contribué à la construction de l’identité tunisienne et qui nous permettent d’interroger, au fondement de la culture politique de ce pays, les modalités historiques d’affiliation et d’appartenance territoriale(7).
1. D’une carte à l’autre : cartographie et colonisation
La colonisation de la Tunisie peut être considérée comme relativement tardive au vu à la fois de la précoce et très précise investigation cartographique du pays et de la colonisation de l’Algérie voisine, engagée un demi-siècle plus tôt. Il convient, à cet égard, de souligner le caractère inédit de la cartographie française de la Tunisie au cours du second tiers du XIXe siècle. La carte de 1857 a été déterminante, un quart de siècle plus tard, au moment de l’occupation du pays par l’armée française. Elle s’est sans nul doute avérée à nouveau utile pour la réalisation du document de 1891, en particulier pour celle de la carte qui y figure et qui a ainsi profité des connaissances disponibles. Ce document éclaire la mise en œuvre du relatif changement qui s’opère alors dans la conduite de la politique coloniale en Tunisie puisqu’il a pour fonction d’informer la population française, et tout particulièrement les acteurs économiques, de l’enjeu que représente l’immigration dans un territoire voisin de l’Algérie et désormais placé sous protectorat français(8).
1.1- L’établissement de la carte de 1857 : un outil au service de la colonisation ?
Les travaux que nous avons réalisés sur la mise en œuvre et sur l’évolution de la cartographie de la Tunisie au XIXe siècle sont réinterprétés ici afin d’analyser de façon plus spécifique et plus précise les objectifs de ce processus, singulièrement en ce qui concerne leur possible visée colonisatrice. De ce point de vue, l’activité des cartographes qui y ont participé s’est sans nul doute fortement distinguée de celle qui avait été mise en œuvre au siècle précédent, lorsque la découverte et l’observation des pays de la « Barbarie » traduisaient avant tout une curiosité scientifique caractéristique du Siècle des Lumières. C’est dans ce registre que l’on peut situer les travaux du prêtre anglican naturaliste Thomas Shaw ou ceux de deux médecins et naturalistes français, Jean-André Peyssonnel et René-Louiche Desfontaines. Lucette Valensi assure que « les voyageurs des XVIIe ou XVIIIe siècles ne savaient pas […] que l’Europe construirait des systèmes coloniaux dans les régions qu’ils visitaient »(9).
À cet égard, l’activité cartographique qui se développe en Tunisie au XIXe siècle marque assurément une nette évolution. Les noms de deux cartographes ressortent ici nettement : celui de Christian Tuxen Falbe (1791-1849), officier de marine danois, diplomate et archéologue, qui a séjourné en Tunisie de 1821 à 1838, et celui d’Évariste Pricot de Sainte-Marie (1810-1872), officier d’état-major français, qui fut envoyé en mission en Tunisie de 1839 à 1849(10). On peut aussi évoquer, à titre d’exemples, ceux d’Edmond Pellissier de Reynaud (1798-1858), officier français en poste en Algérie puis diplomate, qui fut consul de France à Sousse de 1843 à 1848, et de Charles Tissot (1828-1884), élève-consul à Tunis qui a également exercé une activité de géographe et d’archéologue. Ce qui caractérise les deux premiers, c’est l’étroitesse des relations qu’ils ont entretenues avec le Dépôt général de la guerre, c’est-à-dire avec le service du gouvernement français chargé de la réalisation de cartes à finalité militaire. De telles relations sont évidemment logiques en ce qui concerne Pricot de Sainte-Marie, militaire de carrière qui a d’abord séjourné cinq ans en Algérie, où il a appris l’arabe. Elles peuvent au contraire paraître plus singulières en ce qui concerne l’activité de Falbe, officier de nationalité danoise qui s’est tourné vers la carrière diplomatique. À la fois francophile et francophone, il s’est pourtant attaché, alors qu’il était consul du Danemark à Tunis, à réaliser au tout début des années 1830 le plan de cette ville(11) avec les techniques cartographiques alors disponibles et en faisant un usage rigoureux de la triangulation. L’intérêt qu’il porte au potentiel militaire de Tunis est significatif de la faveur qu’il accorde à la colonisation de la Tunisie par la France. Il est même permis de penser qu’une telle expédition militaire constitue le but principal de la réalisation de son plan de la ville de Tunis et de Carthage. À propos de cette expédition à la fois attendue et jugée improbable, il écrit en effet dans son mémoire : « Quoiqu’il soit invraisemblable qu’une puissance européenne serait dans le cas d’en entreprendre une à l’époque actuelle, il me paraît que quelques renseignements concernant les ressources militaires du gouvernement et de la ville trouveraient une juste place, avant que j’explique les détails qui ne peuvent être indiqués par le dessin topographique »(12). C’est la raison pour laquelle il prend l’initiative de remettre ce « dessin » au directeur du Dépôt de la guerre, qui fait part d’une avis très positif dans un courrier qu’il adresse à son ministre le 16 juin 1833 : « Le travail de Mr Falbe a le mérite d’une grande exactitude et fait bien connaître, sous les rapports topographique, statistique et militaire, un pays riche en souvenirs, sur lequel on n’avait que des notions incertaines et que le voisinage de nos possessions d’Afrique rend de plus en plus intéressant »(13). Dès l’année suivante, Falbe est décoré par le roi Louis-Philippe des insignes de chevalier dans l’Ordre royal de la Légion d’honneur. À son retour en Tunisie en 1837, à titre de délégué de la Société pour l’exploration archéologique de Carthage, il s’engagera bien plutôt dans la cartographie de l’ensemble du territoire tunisien pour procéder à la triangulation du pays, mais il ne manquera pas d’assister, quelques mois après son arrivée, à la prise de la ville de Constantine par l’armée française. La poursuite de son activité cartographique, qui donne lieu à une première carte en 1839, sera confiée cette même année à Pricot de Sainte-Marie, qui lui consacrera toute une décennie. Les deux cartographes ont en commun un trait de personnalité : ils partagent la même capacité à nouer des relations de confiance avec le bey de Tunis, qui leur octroie des laissez-passer pour l’organisation de leurs missions topographiques dans l’ensemble de la régence. Le bey a en effet compris tout l’intérêt que représente la cartographie dans la gestion politique et administrative de son territoire. L’ambivalence de la politique française dans la Tunisie précoloniale est illustrée par le double jeu de ces deux cartographes, qui développent de telles relations avec le pouvoir beylical tout en élaborant sur la longue durée un outil indispensable à une éventuelle intervention militaire de la France.
Après une nouvelle carte de la Tunisie dressée au Dépôt de la guerre en 1842 à l’échelle 1/400 000 et qui englobe les lieux visités par Pricot Sainte-Marie ainsi que la portion du territoire représentée dans la carte de Falbe de 1839, la carte publiée en 1857 est le résultat de plusieurs années d’intense investigation sur le terrain(14), notamment en ce qui concerne la représentation du relief. Elle a été réalisée sur le modèle de la carte d’état-major française et à la même échelle de 1/400 000 que celle de l’Algérie(15). On observe que la légende prend soin de souligner la contribution de chacun des deux cartographes : ainsi, la carte a été dressée « d’après les observations et les reconnaissances de Mr Falbe, capitaine de vaisseau danois, de Mr Pricot de Ste Marie, chef d’escadron d’Etat-major français et d’après les renseignements recueillis par eux ».
Il est à noter que ce milieu du XIXe siècle a donné lieu, également en 1857, à la promulgation du « Pacte fondamental », inspiré des réformes de la Sublime Porte mais adopté également sous la pression de puissances européennes, celle en l’occurrence de la France et de la Grande-Bretagne. Plusieurs des dispositions de ce pacte ont d’ailleurs répondu à certains intérêts, d’ordre notamment immobilier, de la colonie étrangère. À la suite de l’insurrection de 1864, la situation économique et financière a conduit à la mise en tutelle de la Tunisie avec la création, en 1869, d’une commission financière internationale composée de la France, de l’Angleterre et de l’Italie.
Les premières modifications qui ont été apportées à la carte de 1857 ont été réalisées à la fin des années 1870, dans une visée que l’on peut donc estimer délibérément précoloniale. Surtout, il convient d’observer que c’est sur une copie de cette carte de 1857 que des informations ont été inscrites par les militaires en 1881 (fig. 2), après leur entrée sur le territoire tunisien, ainsi que cela est indiqué plus avant.
Fig. 2 : Subdivisions militaires apportées par le service topographique de l’armée française sur la carte de 1857.
Source: IGN(16).
Ce processus cartographique, qui a conduit à l’élaboration des cartes de 1839, de 1842 et, surtout, de 1857, a été stimulé et suivi de façon très étroite par le Dépôt de la guerre. Il a sans nul doute donné lieu à des débats dans le milieu des militaires alors en activité en Tunisie. On peut en effet trouver la marque de tels débats dans des écrits de Pricot de Sainte-Marie et du commandant Ernest de Taverne. Pricot de Sainte‑Marie estime ainsi dans une lettre adressée au Dépôt de la guerre en 1846 que « les populations sont fatiguées et attendent patiemment l’issue d’une lutte qu’elles‑mêmes reconnaissent devoir tourner à l’avantage des chrétiens ; elles n’excluent pas la domination de leurs pays par les Français, dont elles reconnaissent la justice et la bonne foi(17) ». La position du commandant de Taverne est à l’opposé de cette vision des choses. Alors qu’il vient de prendre la direction de l’École polytechnique du Bardo, cet officier adresse en 1853 aux autorités militaires françaises un rapport très documenté consacré à l’inventaire des forces militaires de la régence de Tunis et réalisé dans le cadre de ses fonctions de formateur des officiers tunisiens. Dans les premières lignes de son rapport, l’officier écrit : « Loin de nous la prétention de vouloir donner à cet écrit quelque importance que ce soit comme document à consulter dans l’hypothèse d’éventualités plus ou moins possibles et éloignées(18) ». Cette introduction trouve tout son sens dans les dernières lignes du rapport : « Signal d’un immense incendie, [l’invasion de la Tunisie] ne serait que le début obligatoire et forcé de cette grande question de la lutte d’une armée contre une nation, question qui se représentera longtemps encore partout où la Croix ira chercher le Croissant(19) ». L’officier français se fait ici le défenseur de relations fondées avant tout sur le respect réciproque entre Tunisiens et Français, y compris sur le terrain militaire.
En tout état de cause, le Dépôt de la guerre entreprend une nouvelle étape importante à la fin des années 1870. Dans le but d’apporter des précisions à la carte de 1857 dans une région estimée déterminante pour le contrôle du pays, il a en effet confié en 1878 à une équipe de quatre capitaines, placés sous l’autorité du commandant François Perrier, l’élaboration de nouveaux travaux cartographiques, en rapport notamment avec la frontière algéro-tunisienne, ainsi qu’une carte détaillée de la région de Tunis-Carthage (fig. 3). Jean-Luc Arnaud souligne que ce plan « permet d’organiser les premières installations militaires. Dressé sous la direction d’un polytechnicien spécialiste des questions de cartographie, [il] présente toutes les garanties de qualité(20) ». On peut supposer que ce travail a été facilité par la consultation du travail de Falbe réalisé plus de 40 ans plus tôt sur cette région. Il a pu également bénéficier de la consultation du plan de Tunis « attribué à Colin » qui a été dressé au début des années 1860 dans le cadre d’un projet d’adduction d’eau(21).
Fig. 3 : Carte des « environs de Tunis et Carthage » : levés exécutés en 1878 sous la direction du commandant Perrier
Source: Gallica, Bibliothèque nationale de France.
Les éminentes qualités de ce chef d’opération, qui a été promu général en 1887, soulignent l’enjeu du projet. En effet, ancien élève de l’École polytechnique et de l’École d’application de l’état-major, le commandant Perrier avait acquis une grande expérience lors de ses travaux géodésiques réalisés en France, en Grande-Bretagne et en Algérie(22). C’est d’ailleurs à lui que furent confiées, au moment de l’occupation de la Tunisie, les opérations géodésiques et topographiques du corps expéditionnaire français : il fut en effet nommé responsable du service géographique de ce corps(23). Trois missions ont été effectuées en Tunisie au cours des années 1878-1881 sous la direction de François Perrier et ont conduit à la réalisation de levés topographiques et de mémoires descriptifs. Au cours de cette période, les controverses sont encore très vives dans le milieu de la classe politique française et au sein même du gouvernement en ce qui concerne l’opportunité d’une telle intervention, mais tout semble se passer comme si, aux yeux de la hiérarchie militaire, il convenait d’éviter le déficit en informations cartographiques dont avait souffert l’armée française lors de la colonisation de l’Algérie. Comme l’indique en effet Hélène Blais, le projet de fabrication de la carte de l’Algérie est contemporain du processus même de colonisation : les cartographes ont ainsi dû suivre le mouvement de la guerre dans un territoire qu’ils ne connaissaient pas(24). Il est à noter que cette année 1878 est également celle de la conférence diplomatique organisée à Berlin du 13 juin au 13 juillet par les puissances européennes ; c’est au cours de cette conférence que la France a reçu l’accord de l’Angleterre de Disraeli et de l’Allemagne de Bismarck pour intervenir en Tunisie, accord qui avait aussi pour but de s’opposer aux ambitions italiennes. Toutefois, il a fallu trois ans à la France pour décider d’une telle action. Au cours de cette période, le directeur du Dépôt de la guerre a pris, on l’a vu, la décision d’organiser des missions topographiques à visée cartographique en rapport notamment avec la région de la capitale de la régence de Tunis et celle de la frontière avec l’Algérie. En 1879, le commandant Perrier a rédigé un Rapport résumant le tableau d’itinéraires annexés au levé de la route stratégique entre Tunis et la frontière algérienne : « Cet itinéraire de 212 km a été effectué en 7 étapes en suivant l’ancienne voie romaine de Constantine(25) ». On observe ici la grande attention accordée alors aux possibilités de franchissement de la frontière par l’armée française entre l’Algérie et la Tunisie. Le 24 avril 1881, les troupes françaises ont pénétré en Tunisie par le nord (Tabarka), le centre de la Kroumirie et la ville de Sakiet Sidi Youssef, située à environ 200 km de Constantine ; le surlendemain, les villes de Tabarka et du Kef ont été prises. Dès lors, les trois armées ont pu se rejoindre et engager l’occupation de l’ensemble de la régence de Tunis.
Grâce à l’emplacement des camps et des brigades militaires indiqué par des couleurs différentes et mentionné par une légende manuscrite sur la carte de 1857 (fig. 3), il est possible de suivre la progression de l’occupation du territoire tunisien par l’armée française. Pour le nord, deux niveaux de vert sont utilisés, le vert foncé pour indiquer la Division du général Delebecque et le vert clair pour la Division du général Logerot et la Brigade du général Bréart. Le bleu indique l’itinéraire suivi par le colonel Perrier. Au sud, la couleur carmin indique la Division du général Logerot et le vert le territoire de la Division du général Forgemol de Bostquénard, qui commande l’ensemble du corps expéditionnaire, ainsi que les marches de la garnison de la ville de Gafsa(26). La carte de 1857 s’est avérée très importante pour la maîtrise du pays lors des premières mois de l’intervention. Cela confirme le lien intrinsèque qui s’établit entre la cartographie et la colonisation. Ce lien trouvera de nouvelles traductions en Tunisie après l’instauration du protectorat.
1.2- La carte de 1891 : au service de la colonisation officielle
Dans la décision d’instaurer le protectorat en Tunisie, les intérêts privés capitalistes, notamment dans le domaine de la propriété foncière, ont d’abord été déterminants(27) : « Durant les 10 premières années du protectorat, la spéculation immobilière, l’exploitation indirecte et les cultures spéculatives constituaient la base économique de la colonisation(28) ». Les raisons qui ont conduit à l’élaboration d’une nouvelle stratégie coloniale de la France en Tunisie méritent réflexion. Bien que l’on puisse estimer qu’il n’y a pas de véritable rupture dans le processus de colonisation, on peut percevoir, à compter du début des années 1890, l’instauration d’une « nouvelle politique coloniale » et donc l’ouverture d’une « deuxième étape(29) », désormais caractérisée par la mise en œuvre d’une colonisation officielle et l’interventionnisme direct de l’État. C’est aussi cette interprétation qu’avance Jean Poncet : au vu du ralentissement de la colonisation par des capitaux privés et de la faiblesse de ses résultats économiques, il fait le constat que « les autorités du Protectorat allaient inaugurer une politique de colonisation officielle dont elles ne voulaient pas à l’origine. […] On assiste alors à l’élaboration d’une doctrine agraire coloniale qui, à son tour, engendrera par la suite un état de choses économique, social et politique tout à fait nouveau en Tunisie(30) ». L’interprétation avancée par Béchir Yazidi est plus nuancée : elle considère que « le défrichement du terrain par les grands capitalistes était nécessaire dans un premier temps(31) ». Toutefois, « malgré l’importance de ces résultats, l’initiative privée des Français laissait apparaître une ‘‘grande lacune’’ : elle mettait en valeur le sol tunisien grâce à un afflux de capitaux, mais en revanche elle n’implantait pas sur le sol tunisien des colons français en nombre suffisant. C’est ce qui avait fait dire à Leroy-Beaulieu que la Tunisie apparaissait comme une terre peuplée d’étrangers et administrée par des Français(32) ». On pouvait en effet voir dans la grande colonisation, par le biais de l’embauche de la main-d’œuvre agricole, un appel à l’immigration des Italiens, dont la colonie a effectivement beaucoup augmenté pour atteindre environ 100 000 personnes en 1904, alors que la colonie française était alors de l’ordre de 30 000 membres.
La réussite de ce changement d’orientation imposait le lancement d’une campagne publicitaire auprès de potentiels immigrants, notamment parmi les agriculteurs, dont la situation était d’ailleurs devenue plus difficile au cours de la période récente et qui pouvaient ainsi se montrer intéressés par la perspective du départ dans un nouveau pays. La carte de 1891 devait avant tout remplir un tel objectif. L’analyse successive et donc l’apparent rapprochement de la carte de 1857 et de celle de 1891 ne doivent prêter à aucune confusion. Chacune d’elles s’inscrit dans un moment différent du processus de colonisation : élaborée en contexte précolonial, celle de 1857 représente le terme provisoire du processus d’appropriation cartographique du territoire tunisien, tandis que celle de 1891 constitue un instrument de communication politique en vue de la mise en œuvre d’une colonisation de peuplement. Elles correspondent donc l’une et l’autre à une intention singulière et à un objectif particulier. Toutefois, on peut considérer que la carte de 1891 et l’appel à l’immigration qu’elle a lancé sont une résultante et un aboutissement, certes lointains mais néanmoins logiques et réels, de celle de 1857.
Dans un contexte marqué par un bilan de la colonisation privée que les pouvoirs publics jugent négatif, la politique de communication du gouvernement français a dû chercher à inverser en sa faveur l’image peu attractive que pouvait avoir l’opinion française de la nouvelle colonie. Il est donc apparu non seulement bénéfique mais indispensable de favoriser la « petite colonisation », singulièrement dans le secteur agricole, en favorisant l’occupation par des Français d’une large fraction des terres tunisiennes. C’est à cette « petite colonisation » que Charles Ribab, membre de la première Chambre d’agriculture de Tunisie, consacre les premières pages de son ouvrage La Tunisie agricole, publié en 1894. Il s’y montre favorable à la cession des terres à des colons à un prix avantageux par la Direction de l’agriculture, ainsi qu’à la création de villages avec l’aide financière de l’État. C’est précisément cette colonisation « officielle » qui avait été mise en œuvre quelques années plus tôt, au tout début de la décennie. Dans le cadre de la campagne de promotion qui a ainsi visé à attirer un grand nombre d’agriculteurs en Tunisie, l’affiche qui figure en introduction de cette contribution a été organisée autour de la carte de la Tunisie et largement diffusée sur le territoire français, notamment en direction du monde agricole. On peut trouver dans l’existence même de cette affiche la preuve que l’émigration agricole ne pouvait être spontanée et qu’il convenait donc à la fois de développer une campagne publicitaire et d’offrir des aides au départ. Notons que le recours à la carte a bénéficié du développement, au cours du XIXe siècle, de l’outil cartographique et de son impact sur la diffusion de l’information.
On peut supposer que la publicité relative aux ressources et aux atouts que présentait la Tunisie avait plus de chances de réussir si elle était conduite à la fois par les pouvoirs publics(33) et par des intermédiaires privés dont la mission et le métier consistaient à exercer aussi une forme de « propagande ». Une telle action de communication a porté notamment sur le secteur agricole en raison des ressources qu’offraient le sol et le climat tunisiens, mais aussi comme vecteur essentiel d’occupation du territoire. On peut voir dans l’affiche de 1891, où figuraient en gros caractères les mots « TERRES À VENDRE », le symbole emblématique du tournant qui a été pris dans la politique française en Tunisie, c’est-à-dire du passage du protectorat à la colonisation : d’une certaine façon, c’est la Tunisie qui est alors « à vendre ». Il est d’autant plus étonnant d’observer que cette affiche n’est reproduite ni analysée dans aucun des travaux de recherche consacrés à l’agriculture française sous le protectorat que nous avons pu consulter ; en revanche, et de façon non moins étonnante, elle a circulé en 2020 sur les réseaux sociaux…
Cette affiche date probablement de 1891, soit dix ans après le début du Protectorat. En effet, on peut estimer que l’indication pour l’année 1890 du niveau des exportations par la Tunisie de céréales et d’huile d’olive ainsi que du nombre de bovins et d’ovins dans les élevages tunisiens représente les toutes dernières statistiques agricoles disponibles. C’est au cours de cette même année 1891 qu’on assiste d’ailleurs à la création de la Conférence consultative tunisienne, composée des représentants des Chambres de commerce et d’agriculture ainsi que des représentants des municipalités. La carte qui figure sur l’affiche est d’un grand intérêt parce qu’elle fournit de nombreuses informations, que l’on peut lire et interpréter sous plusieurs angles. Elle constitue à cet égard ce que les anthropologues et les sociologues appellent un « fait social total ». Cette notion a été définie au cours des années 1920 par l’anthropologue Marcel Mauss dans le cadre de son étude sur le « don » et le « contre don », notamment dans des îles de l’océan Pacifique(34). Elle signifie qu’un même phénomène recouvre plusieurs dimensions liées entre elles dans les domaines à la fois de l’économie, de l’organisation sociale, de l’histoire, de la géographie…
Sur cette affiche, réalisée sous l’autorité de la Direction des renseignements et de l’agriculture, dont le siège est à Tunis, la première ligne, « Colonisation de la Tunisie », ne prête à aucune confusion. Comme l’Algérie voisine, la Tunisie, dans l’esprit des créateurs de l’affiche, est ainsi devenue colonie française. Nulle part, en effet, n’apparaît le mot « protectorat ». L’« ailleurs tunisien » est donc appelé à devenir un nouveau « chez-soi français ». Sur le plan financier, plusieurs informations sont de nature à retenir l’attention de ceux qui envisagent d’émigrer. La première est liée au coût avantageux et à la facilité du voyage grâce à la réduction du prix des billets de trains et du transport maritime pour les « émigrants français » ainsi qu’à la fréquence des départs de navires de Marseille pour Tunis ; la traversée est d’une trentaine d’heures. La deuxième information concerne le prix des terres, « à partir de cinquante francs l’hectare », ce qui est notablement plus bas que le prix en vigueur en France métropolitaine, où il s’établit alors en moyenne à 1 500 francs. Un alinéa en petits caractères mentionne en outre la rapidité et la facilité des procédures administratives liées aux transactions foncières : « On traite au comptant et on livre immédiatement à l’acquéreur ».
En ce qui concerne les activités agricoles, on notera la diversité des productions, à la fois en matière de culture (vigne, olivier, céréales, maraîchage, agrumes, tabac), d’élevage (bovins et ovins) et d’exploitation forestière (chênes liège, chênes zens, culture d’alfa…). L’affiche indique les récompenses qui ont été obtenues par les vins tunisiens lors de l’exposition universelle de 1889 ; elle souligne également l’intensité de l’activité productive en termes de commerce international. Outre les activités agricoles, une mention particulière est accordée à la pêche et à l’exploitation des mines (fer, plomb, cuivre, zinc et phosphates).
La carte vise à « faire image » et à offrir un cadre spatial à de futurs projets professionnels. Sans toutefois en indiquer le relief, elle montre la configuration générale de la Tunisie : les villes, le littoral méditerranéen, l’implantation des principales activités liées à l’agriculture, à la pêche ou du ressources du sous-sol… On note qu’une partie seulement du territoire tunisien est représentée, en l’occurrence celle qui est déterminée, du nord au sud, par une ligne allant de Tabarka à Tozeur et, de l’est à l’ouest, par une ligne qui va de Tozeur à Zarzis. La carte, qui ressemble à cet égard à celle de 1857 de Falbe et de Pricot de Sainte-Marie, ignore donc délibérément la large partie de la Tunisie qui se trouve au sud de cette dernière ligne(35). Les terres qui sont proposées aux « émigrants » comptent ainsi parmi les plus riches du pays. Cette proposition spatialement sélective a évidemment été de nature à engager ou à accentuer au cours des décennies suivantes un processus de développement inégal du territoire tunisien et donc un accroissement des disparités interrégionales.
L’affiche vise à attirer l’attention des candidats potentiels à l’émigration agricole à un moment où, à la fin du XIXe siècle, l’agriculture française connaît précisément une grave crise, qui présente deux dimensions principales. La première concerne la viticulture. En effet, le phylloxéra, un insecte venu des États-Unis et qui est découvert pour la première fois en France au début des années 1860 au sud du pays, a entraîné la destruction de deux millions et demi d’hectares de vignes. L’infection d’un pied de vigne par le phylloxéra entraîne sa mort en trois ans. La baisse de la production métropolitaine de vin a eu pour conséquence de stimuler la viticulture en Afrique du Nord. La seconde dimension de la crise a trait à la création d’un marché mondial des produits agricoles qui a pour effet direct une baisse des prix. En raison à la fois du retard technique de l’agriculture française, de la production céréalière des États-Unis et des progrès des transports internationaux(36), les importations nettes de céréales par la France passent ainsi de moins d’un million de quintaux pour les années 1800-1865 à seize millions pour la période 1885-1895, ce qui correspond à près de 20 % de la production nationale. Au total, la France connaît ainsi à la fin du XIXe siècle « une crise importante pour la céréaliculture et la viticulture, qui constituaient l’essentiel du secteur marchand de l’agriculture »(37). Jean Lhomme souligne deux caractéristiques cruciales pour mesurer l’enjeu de cette situation pour le monde rural. La première tient à l’importance de la population active agricole qui, en 1896, représente 45 % de la population active totale : 8,5 millions sur 19 millions. La seconde caractéristique tient à la physionomie sociale de la population rurale. On note en effet un fort isolement des ruraux, sur le plan tant matériel que moral et culturel : l’obligation de fréquenter l’école primaire n’a été instaurée qu’en 1881. Lorsqu’il est métayer (il remet alors la moitié de la production au propriétaire) ou fermier (il paye alors un loyer), l’agriculteur français dépend également du propriétaire des terres qu’il cultive. On peut en conclure qu’une large partie de la population rurale vit dans une situation de relative dépendance.
Au travers de ce « jeu de cartes », on voit s’élaborer, dans la Tunisie du XIXe siècle, le tissage progressif de liens de plus en plus étroits entre la cartographie, la colonisation et l’immigration. Les difficultés que connaît la France au tout début des années 1880, dix ans seulement après la défaite militaire contre l’Allemagne de Bismarck, expliquent en partie les fortes hésitations que le gouvernement français a éprouvées au moment de décider d’étendre son empire colonial en Afrique du Nord. On peut supposer que la carte de la Tunisie de 1857, qui a été complétée par de nouveaux travaux cartographiques à la fin des années 1870, a constitué un élément déterminant dans le choix de ces dirigeants de mettre sous protectorat un pays frontalier de l’Algérie. La volonté politique d’y promouvoir une colonisation de peuplement, dont témoignent l’affiche et la carte de 1891, a dès lors entraîné un mouvement migratoire de la France vers la Tunisie. Ce mouvement s’est nécessairement accompagné d’un processus interculturel d’évolution des identités à la fois individuelles, collectives et nationales. Ainsi que l’indique Riadh Ben Khalifa, « le contact avec l’Autre en contexte migratoire favorise les échanges culturels et incite les individus à s’interroger sur leur identité et à la recomposer(38) ». Ce processus, qui concerne à la fois les indigènes et les allogènes, franchira une nouvelle étape et présentera une nouvelle configuration avec l’immigration de travailleurs tunisiens en France.
2. D’une immigration de peuplement à l’autre : construction d’un espace migratoire franco-tunisien
De l’Antiquité à nos jours, la Tunisie n’a pas été seulement ni d’abord un point de départ : elle a aussi donné refuge à des migrants et à des réfugiés. Sa position géostratégique lui a offert l’opportunité de recevoir des influences diverses. Elle a connu au fil du temps plusieurs vagues de peuplement : certaines ont été pacifiques tandis que d’autres furent consécutives à des opérations de conquête(39). En tout état de cause, l’identité tunisienne résulte ainsi d’apports pluriels. Parmi ces apports, retenons notamment celui des morisques chassés d’Espagne au début du XVIIe siècle et qui ont donné à une partie du nord-ouest tunisien, autour de la ville de Testour, la forme d’un paysage andalou grâce, en particulier, à la pratique de l’irrigation(40). Comme l’a montré Habib Kazdaghli, la communauté grecque, qui a parfois bénéficié des faveurs du pouvoir beylical, a occupé une place évolutive en fonction de la conjoncture politique, notamment après l’instauration du protectorat. Son influence continue de s’exercer notamment en matière culinaire(41).
Parmi les apports pluriels, la colonisation française représente à l’évidence un fait majeur puisqu’elle a fortement pesé pendant trois quarts de siècle. L’observation des mouvements migratoires transméditerranéens entre la France et la Tunisie à compter du protectorat fait apparaître deux grands moments successifs qui procèdent, de façon quasi « dialectique »(42), d’une totale inversion : l’immigration française en Tunisie et, dès le lendemain de l’indépendance, l’immigration de travailleurs tunisiens en France. On peut considérer à juste titre que ces deux moments sont intimement liés l’un à l’autre, et que l’immigration de Tunisiens en France est une conséquence de la politique de colonisation de leur pays pendant de longues décennies. Cette politique de colonisation, dont témoigne la carte de 1891, a donné lieu à l’émergence et à la constitution de rapports interculturels. L’analyse de ce phénomène social à double face et à caractère bicontinental, qui a contribué à construire un même espace migratoire, prend appui sur ses traductions territoriales à la fois en Tunisie et en France.
2.1- L’immigration française en Tunisie : occupation des terres et colonisation de peuplement
En raison notamment de l’extension du quartier israélite par les Livournais, le nombre des Européens s’était accru dans la ville de Tunis aux XVIIe et XVIIIe siècles(43). Dans son analyse historique de la communauté française de Tunisie au siècle suivant, Anne-Marie Planel cite une étude parue dans la Revue tunisienne en 1895 et dont l’auteur – anonyme – établit, à la date du 31 décembre 1880, la liste nominative des Français(44). Cette liste compte 708 résidents, dont les trois quarts sont domiciliés à Tunis et à La Goulette, le reste étant établi dans d’autres villes littorales. Elle comprend 216 personnes qui représentent les personnels du Télégraphe et de la Compagnie ferroviaire Bône-Guelma ainsi que leur famille. On peut ainsi parler d’une « institutionnalisation de migrations temporaires sur projet(45) », en particulier en ce qui concerne le groupe des télégraphistes, arrivés d’Algérie sur la base d’une convention signée en août 1859 entre l’administration algérienne des Postes et Télégraphe et le gouvernement tunisien. L’auteure voit dans ces personnels ainsi que dans les opérateurs du grand chantier d’hydraulique urbaine visant à assurer l’alimentation en eau de Tunis, grâce à la restauration de l’aqueduc de Zaghouan, « la naissance d’une colonie de peuplement », qui fait suite à la restauration d’un comptoir marchand. Elle estime qu’avec 111 nouveaux migrants par an en 1880-1883, soit un peu plus du double par rapport aux années précédentes, « s’engage un cycle de peuplement de type colonial(46) ». Selon l’auteur de l’article 1895, « nous sommes actuellement en mesure de comparer deux chiffres, qui nous permettent de mesurer quelle a été, pendant un intervalle de dix ans, l’importance de l’immigration française en Tunisie, unie à l’excédent des naissances sur les décès : au 31 décembre 1880, 708 ; au 12 avril 1891 (recensement officiel), 10 030(47) ».
La mise sous protectorat de la Tunisie suivie du lancement d’une colonisation de peuplement changea la donne. Diverses activités furent ainsi appelées à se développer, notamment la pêche et les mines, celles liées en particulier à l’exploitation des phosphates, mais la colonisation agricole répondait plus spécifiquement au choix gouvernemental, ce qui a d’ailleurs contribué à faire du statut de la terre un enjeu fondamental et durable(48).
La situation de l’agriculture française à la fin du XIXe, en raison même de ses difficultés, pouvait paraître favorable à la migration d’un nombre assez important d’agriculteurs vers la Tunisie, mais d’autres facteurs ont freiné une telle mobilité. Plusieurs de ces facteurs sont indiqués dans une note qui a sans doute été établie par la Direction de l’Agriculture et du Commerce de Tunis en novembre 1899 à la suite d’une enquête réalisée auprès des instituteurs français en poste en Tunisie et dont les réponses éclairent certaines des conditions de réception de l’affiche de 1891. Après avoir indiqué que « la Tunisie n’est pas suffisamment connue en France », les instituteurs font observer que les agriculteurs « vivent parfois péniblement, mais s’ils n’ont pas assez de travail chez eux ils en trouvent facilement dans le voisinage » ; en outre, « ils seraient obligés de vendre leurs terres », dont ils tireraient, en fait, un prix insuffisant ; enfin et surtout, « le paysan français tient à sa terre et consent difficilement à s’en défaire » (49). C’est pour tenir compte de ces freins et répondre à ces difficultés que le Bulletin du syndicat agricole des colons français en Tunisie avait publié quelques années plus tôt, en 1894, un guide destiné aux candidats à l’émigration agricole et rédigé par Jules Saurin, enseignant en poste à Tunis, devenu animateur de l’action de communication en faveur de l’émigration française en Tunisie.
Le premier rapport préparé par le Directeur de l’Agriculture en poste à Tunis, Jean Dybowski, et consacré à la situation des propriétés possédées par les Européens en Tunisie, présente un tableau de la situation des migrants français au 31 décembre 1897(50). D’emblée, il est souligné que « la colonisation agricole est de tous les phénomènes économiques un de ceux qui jouent en Tunisie le rôle le plus important ; il est du plus haut intérêt de noter le mouvement progressif des acquisitions de propriétés rurales par des Européens(51) ». Une enquête permanente devait suivre l’évolution de ce mouvement dans la durée. De fait, un rapport annuel sera désormais établi en vue d’informer le Résident général de la situation de la colonisation agricole française, qui continuera de se développer jusqu’à la Première Guerre mondiale. On peut voir dans le rôle que joue alors la colonisation agricole au sein du protectorat un effet majeur de la politique que le gouvernement français a mise en œuvre à compter du début des années 1890 et qui est symbolisée par l’affiche – et la carte – de 1891. C’est la raison pour laquelle notre attention s’est portée principalement sur l’immigration agricole française en Tunisie.
Dans l’ensemble du dispositif à caractère à la fois technique, pédagogique et institutionnel développé au profit de la colonisation agricole, le règlement de la question foncière a constitué une condition préalable et a présenté un caractère crucial. La loi immobilière tunisienne du 1er juillet 1885 représente de ce point de vue un outil de toute première importance puisqu’elle instaure le principe de l’immatriculation foncière. Son objectif est en effet de clarifier l’état des possessions et, par-là, de favoriser le développement ultérieur de la colonisation foncière européenne en Tunisie ; son caractère facultatif vise à respecter les usages locaux. Cette loi, que Jean Poncet considère comme « une pièce fondamentale […] de toute l’œuvre de colonisation européenne en Tunisie(52) », vise à substituer à la législation musulmane un système de règles permettant d’assurer la facilité et la sécurité des transactions(53). Parallèlement, l’État se dote d’un vaste domaine patrimonial, au sein duquel l’acquisition des terres « sialines »(54) a représenté une base stratégique et une forme d’expérimentation. Béchir Yazidi propose la date de 1892 comme début de la colonisation officielle(55). Il précise que « les terres mises par le Domaine depuis cette date jusqu’à la fin de 1906 à la disposition de la colonisation française s’élevaient à 178 298 ha, dont 78 894 ha de terres à culture dans le Nord, 80 466 ha de terres à oliviers dans le sud et 18 938 de biens habous(56) ». Il observe une parfaite concordance entre la colonisation officielle et l’utilisation des biens de l’État, dont la gestion fut progressivement centralisée par la Direction de l’Agriculture, créée par décret le 3 novembre 1890.
La colonisation officielle, appuyée par une campagne de promotion dont font partie l’affiche et la carte de 1891, a eu des effets notables et durables. Un article d’avril 1905 du Bulletin de la Direction de l’agriculture et du commerce (qui deviendra en 1907 le Bulletin de la Direction générale de l’agriculture, du commerce et de la colonisation) spécifie qu’au cours de l’année précédente, les documents (notices, plans et brochures) relatifs à la colonisation, et qui traduisent les efforts de « publicité » et de « propagande », ont continué d’être « très demandés et très répandus »(57). Si l’on considère les trois décennies qui couvrent les années 1884 à 1914, on observe que la surface des propriétés agricoles françaises a augmenté de 523 000 ha (soit de 260 %) et que le nombre des propriétaires français, qui était de 97 en 1884, a été multiplié par 30. Les figures 4 et 5 permettent de prendre la mesure de l’évolution à la fois de l’occupation du territoire tunisien et de la population active agricole.
Fig. 4 : Pourcentage de la propriété européenne(58) en Tunisie par rapport à la superficie totale en 1892, 1921 et 1940.
Source: J. Poncet, 1962a, p. 319.
Fig. 5 : Évolution du nombre des propriétaires agricoles français en Tunisie et de la superficie de leurs propriétés de 1884 à 1914.
Source: Graphique de l’auteure(59).
Parallèlement à l’adoption des dispositions juridiques liées à la propriété foncière, un soutien pédagogique et technique a été accordé à l’installation de nouveaux agriculteurs et au développement d’une politique d’innovation. En ce qui concerne l’enseignement agricole, l’École coloniale d’agriculture de Tunis (ECAT)(60) a été fondée en 1898 à l’initiative du directeur de l’Agriculture Jean Dybowski, qui en est devenu le premier directeur. Les enseignants de l’ECAT ont développé ce que l’on peut qualifier d’activités de recherche-action : ils engagèrent en effet des études destinées à la fois à l’approfondissement des connaissances techniques (en biologie végétale, biologie animale, matériel agricole…) et à la vulgarisation du savoir et du savoir-faire.
La profession agricole s’est attachée à développer sa propre organisation. Fondée en 1895, la Chambre d’agriculture française du Nord a pour mission de représenter les intérêts des agriculteurs français de cette partie de la Tunisie, où la colonisation agricole est la plus dense. Son rôle se limite théoriquement à donner des avis et à émettre des vœux sur toutes les questions agricoles, mais son influence sur les milieux gouvernementaux est bien plus large : « Ce sont les colons français, peu nombreux, mais influents, qui animent constamment [l’œuvre de colonisation officielle], poussant, l’épée dans les reins, Résidents Généraux et directeurs d’administration(61) ».
En toute logique, l’agriculture européenne s’est implantée en priorité dans les régions jugées les plus attractives et les plus adéquates par les concepteurs de la carte de 1891 ; elle a fortement contribué à en transformer les paysages ruraux(62). La colonisation a entraîné deux conséquences majeures, l’une en termes de progrès technique et de croissance économique, la seconde en termes de clivages sociaux en raison de la marginalisation des fellahs. En ce qui concerne le premier point, des spécialistes de la culture des céréales originaires d’Algérie ainsi que d’anciens élèves de l’École coloniale d’agriculture ont lancé de nouvelles méthodes de travail, notamment par le perfectionnement des méthodes de labour, l’introduction de matériel agricole (herses, rouleaux, semoirs…) et l’utilisation d’engrais(63). La culture des céréales ainsi que celle de la vigne ont connu une très large transformation : en 1912-1913, la production du vin en Tunisie atteint ainsi 300 000 hectolitres sur les 17 800 ha du vignoble créé par les Européens, surtout dans le Tell maritime(64). Au plan des rapports sociaux traditionnels, la colonisation officielle a opéré un profond bouleversement. Ainsi, les anciens laboureurs pauvres ont été nombreux à quitter les régions colonisées, les plus propices à la culture céréalière, pour ne pas avoir à payer des locations de plus en plus coûteuses ; sur leurs nouvelles terres, ils ont vu leur rendement diminuer très sensiblement. Plus profondément, la colonisation a largement détruit « les liens qui unissaient traditionnellement la paysannerie tunisienne a une grande partie de ses terres(65) ». La disparition de la tente, signe de la rupture des courants réguliers de transhumance, et, de ce fait, la « fixation au sol » dans des gourbis ont traduit, l’une et l’autre, un processus d’appauvrissement(66).
L’analyse des résultats de la colonisation officielle agricole doit aussi prendre en compte deux types de problèmes rencontrés par les agriculteurs. Le premier est lié à des conflits locaux, comme celui qui s’est produit le 26 avril 1906 avec l’assassinat de trois Européens à Thala, dans la région de Kasserine, par les membres d’un groupe conduit par un marabout venu d’Algérie. À la suite de cet événement, la Chambre d’agriculture de Tunis a organisé une enquête auprès de tous les colons du nord de la régence sur le thème de la sécurité dans les campagnes au cours de la période d’avril 1905 à mars 1906 ; 144 colons ont déclaré avoir été victimes de 218 délits : 176 vols, 36 agressions et 6 incendies(67). Toutefois, dans la conclusion du rapport qu’il a adressé au ministre des Affaires étrangères le 8 octobre 1906, le délégué à la Résidence générale a estimé que « les dispositions de l’immense majorité des indigènes continuent à être ce qu’elles ont toujours été : paisibles et soumises(68) ». Le second problème tient à l’irrégularité des récoltes, due principalement aux importantes variations climatiques. Ainsi, le journal Le temps souligne que « le fait saillant de l’année [1905] est que la Tunisie, comme l’Algérie, a traversé l’épreuve d’une très mauvaise récolte. L’épreuve a même été plus dure pour elle que pour sa voisine, car, afin de venir en aide aux populations, le gouvernement a dû faire distribuer pour 1 million de graines(69) ». La crise agricole de 1914 fut encore plus grave. Dans le rapport qu’il envoie en décembre 1915 à Aristide Briand, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, le Résident général rappelle que l’année 1914 s’annonçait favorable sur le plan agricole, mais que la sécheresse exceptionnelle du printemps entraîna la perte quasi-totale de la récolte : « La désillusion des agriculteurs était profonde au point qu’ils ont pu dire que depuis vingt-cinq ans la Tunisie n’avait jamais eu un tel déficit de céréales(70) ». À cette crise économique, s’est évidemment alors ajoutée celle provoquée par l’engagement, au début de l’été de 1914, du conflit militaire européen – puis mondial. En raison de la mobilisation d’une large partie des colons français, dont les agriculteurs, l’administration a pris en charge l’organisation des labours d’automne et des ensemencements(71). La conjonction des problèmes liés au climat et, plus encore, à la guerre provoqua un coup d’arrêt au développement de l’agriculture française en Tunisie. Il faudra attendre le début des années 1920 pour observer la reprise d’un mouvement de colonisation qui continuera à transformer le territoire et l’économie de la Tunisie, du moins jusqu’au moment de l’indépendance. Celle-ci entraînera un double départ vers la France : celui des Français mais également celui de travailleurs tunisiens.
2.2- L’inversion du mouvement : l’immigration tunisienne en France(72)
Moins d’un an après l’annonce, à Carthage, par le chef du gouvernement français Pierre Mendès France de l’autonomie interne accordée à la Tunisie, la Convention franco-tunisienne « sur la situation des personnes » du 3 juin 1955 institue un régime dérogatoire entre les deux pays. Selon l’article 15 de la Convention, « les nationaux de chacun des deux pays peuvent librement entrer sur le territoire de l’autre, y séjourner, y circuler, s’y établir et en sortir à tout moment ». Ainsi, « étrangers pas comme les autres, [les Tunisiens] bénéficient du traitement réservé aux nationaux pour ‘‘l’exercice de toutes les activités professionnelles ou économiques’’(73) ».
On peut donc considérer l’immigration des travailleurs tunisiens en France comme l’un des effets induits de la période de colonisation, à laquelle elle fait immédiatement suite, à la façon d’une inversion du processus. Alors que les mouvements migratoires des Tunisiens sont à la fois intenses et variés à l’intérieur de leur pays au cours de la première moitié du XXe siècle, la migration externe, pendant cette période coloniale, se maintient à un niveau étonnamment faible : en effet, « au total, en 1954, le nombre des Tunisiens établis dans les pays étrangers ne dépasse pas le chiffre de 20 000 »(74), dont 10 000 à 12 000 en Algérie, 2 000 dans les pays du Proche-Orient et 4 800 en France selon le recensement de 1954. Selon les statistiques du ministère français du Travail, la France ne comptait, à la fin de 1955, que 852 travailleurs tunisiens contre 171 094 travailleurs algériens et 6 388 travailleurs marocains(75), alors que le Maroc a été placé sous le protectorat français une trentaine d’années après la Tunisie. G. Simon souligne que l’enquête qu’il a conduite dans les principaux foyers de départ tunisiens prouve que le déclenchement du mouvement en Tunisie se situe en 1956-1957(76). Il estime que la colonisation a inscrit dans les mentalités et dans les pratiques individuelles et collectives des schémas mentaux ainsi que des normes sociales inspirés du modèle de vie occidentale et donc propices à l’émigration. Le déclenchement du mouvement migratoire découle également de l’augmentation du nombre de chômeurs, qui passe de 270 000 en 1953 à 500 000 en mai 1956(77).
L’objectif n’est pas ici d’étudier pour elle-même l’immigration des travailleurs tunisiens en France, mais plutôt d’en inscrire les toutes premières phases dans la mouvance à la fois de l’immigration française en Tunisie et de la décolonisation en privilégiant, dans le pays de départ comme dans le pays d’accueil, la dimension territoriale de ce mouvement. Lors du recensement général de février 1956, il y avait 180 440 Français en Tunisie ; dix ans plus tard, ils étaient moins de 20 000. Dans le même temps, dans un contexte où l’économie française fait appel à la main-d’œuvre étrangère, le nombre de Tunisiens en France passe de 5 570 à plus de 52 000 ; certains, d’ailleurs, ont alors suivi leurs employeurs, en particulier après la crise de Bizerte de 1961, qui a provoqué le départ de la moitié des Français encore présents en Tunisie (33 200 sur 66 400). La convention de main-d’œuvre signée entre la France et la Tunisie le 9 août 1963 manifeste, de la part des autorités tunisiennes, conscientes de la gravité du chômage, une attitude devenue plus favorable à l’égard de l’émigration des travailleurs. Créé en mars 1967 par le gouvernement tunisien, l’Office de la formation professionnelle et de l’emploi (OFPE), chargé d’organiser le fonctionnement du marché du travail à l’intérieur du territoire national, sélectionne également « les candidats au départ et les prépare par un stage de formation professionnelle de quelques semaines. [Il] prospecte les marchés extérieurs pour trouver de nouveaux débouchés à la main-d’œuvre tunisienne(78) ». Cet organisme est remplacé en 1973 par l’Office des travailleurs tunisiens à l’étranger, de l’emploi et de la formation professionnelle (OTTEEFP). On comptera 72 000 Tunisiens en France en 1968 et 161 000 en 1973, année qui marque une pause dans l’important courant d’immigration(79). Au cours de ces années, la France a été la principale destination des Tunisiens ; ainsi, « de 1969 à 1972, plus de la moitié des départs contrôlés des émigrants tunisiens étaient à destination de l’Hexagone(80) ». On peut donc parler d’une relative symétrie des deux mouvements de départ vers la France (fig. 6). Il est permis d’en déduire que les immigrés tunisiens en France sont les héritiers directs de la colonisation(81).
On ne peut sous-estimer les conséquences démographiques de l’émigration tunisienne sur la démographie du pays. Elle est en effet presque exclusivement masculine et la répartition par tranches d’âge fait apparaître un progressif et sensible rajeunissement : la part des moins de 25 ans passe en effet de 29 % en 1967 à 44 % en 1971(82). Les résultats d’une enquête réalisée en 1973 par les services du ministère français du Travail sur la main-d’œuvre étrangère montrent par ailleurs que la qualification professionnelle des Tunisiens est plus élevée que celle des Marocains et des Algériens(83).
Fig. 6 : Évolution du nombre de Français en Tunisie (1956-1965) et de Tunisiens en France (1956-1973)(84).
Source: Graphique de l’auteure(85).
G. Simon souligne les liens qui animent et organisent le mouvement migratoire des Tunisiens d’origine à la fois urbaine et rurale. La capitale tunisoise ainsi que les principales villes, notamment celles du littoral, avaient été des foyers d’accueil de migrants internes. Elles ont ainsi exercé une importante fonction de formation à la mobilité et de relais d’information jusque dans les villages les plus éloignés, en particulier ceux du Sud. Khemaïes Taamallah observe d’ailleurs que Tunis est le principal « gouvernorat de transit » : « Plus de la moitié (54 %) des émigrants originaires des autres gouvernorats ont transité par cette ville pour aller travailler dans l’ancienne métropole(86)». Les émigrés proviennent en grande majorité de la façade littorale et, dans une moindre mesure, du Tell occidental et du Sud (fig. 7). Jean-Paul Baduel s’est attaché, dans le cadre d’un long séjour d’enquête sur son site de recherche, dans le Sud de la Tunisie, à étudier les conséquences socio-économiques de l’émigration temporaire en Europe au sein des délégations de Kébili et de Souk El Ahad. Il a observé que l’émigration ne résulte pas d’un affaiblissement des liens sociaux mais qu’elle découle au contraire à la fois de leur force et de leur maintien(87).
Fig. 7 : Principales régions tunisiennes d’émigration vers la France : 1956-1973.
Source: G. Simon, 1979, p. 244.
Le mouvement migratoire tunisien fait apparaître une logique d’ensemble qui prend la forme d’une continuité entre les mêmes zones de départ et les mêmes points d’arrivée. On peut y voir la marque d’un fort attachement au pays et aux régions d’origine(88). Cet attachement est fondateur de réseaux de solidarité qui se retrouvent dans le choix des sites d’implantation territoriale sur le sol français ; les animateurs des filières migratoires des groupes régionaux organisent en effet les structures de répartition et de destination. Ainsi, les montagnards du Tell intérieur vont surtout sur les côtes méditerranéennes françaises, autour de Marseille, tandis que les habitants du Sud intérieur sont attirés par Lyon et que ceux qui viennent des villes (comme celle de Kairouan) ou des noyaux en cours d’urbanisation (Beja, Jendouba, Gafsa) se dirigent, comme les citadins du littoral et de Tunis, vers Paris (près de 90 % des Tunisiens installés à Paris et dans sa proche banlieue proviennent des gouvernorats de la côte orientale) (fig. 8).
L’influence exercée par l’origine régionale et par les réseaux de solidarité ont sans nul doute contribué à cette concentration territoriale des migrants tunisiens. En effet, ceux-ci sont beaucoup plus regroupés que l’ensemble de la population étrangère : « La quasi-totalité (87,5 %) des actifs résidant en France au recensement de 1968 est localisée dans trois régions […] : la région parisienne, Rhône-Alpes et Provence-Côte d’Azur)(89) ». Les villes de Paris (département de la Seine), Lyon (Rhône) et Marseille (Bouches-du-Rhône), ainsi que leur zone d’action respective, exercent ainsi une forte attraction, ainsi que le montre la figure 8, qui met aussi en évidence l’importante croissance numérique des Tunisiens en France entre 1958 et 1973.
Fig. 8 : Répartition départementale des Tunisiens en France en 1958, 1966 et 1973.
Source: G. Simon, 1979, p. 91.
L’espace migratoire des Tunisiens en France ne porterait-il pas la marque de l’espace migratoire interne en Tunisie ? Il y aurait ainsi une forme de concordance d’ensemble et de liaison entre les migrations internes et l’émigration transméditerranéenne(90). Cela n’est pas sans conséquence non seulement sur la portée socio-politique de l’immigration mais également sur la perception psychologique et le rapport au territoire d’origine de l’immigré. « Qu’est-ce donc un immigré ? ». À cette question, selon une approche plutôt critique, le sociologue algérien Abdelmalek Sayad répond que « c’est essentiellement une force de travail, et une force de travail provisoire, temporaire, en transit(91) ». Parlant de la communauté algérienne vivant en France, dont l’implantation est plus ancienne, l’auteur reconnaît toutefois que cette communauté s’est orientée assez tôt vers une immigration de peuplement. Il en tire l’enseignement selon lequel « toute immigration de travail contient en germe l’immigration de peuplement qui la prolongera(92) ». L’immigration tunisienne n’a pas fait exception à cette tendance, même si tout immigré continue de vivre une forme d’itinérance dans un monde de l’entre-deux, et s’il convient de repenser les rapports et la frontière entre « citoyens nationaux » et « étrangers de l’intérieur ».
Cette contribution vise avant tout à clarifier les liens qui se sont établis, dans l’histoire contemporaine de la Tunisie, entre des productions cartographiques, des processus politiques et des mouvements migratoires qui, autrement, pourraient apparaître à tort comme des phénomènes isolés ou indépendants les uns des autres. Elle permet ainsi de souligner l’étroite relation que le présent entretient avec le passé. La diffusion récente sur les réseaux sociaux d’une affiche dotée d’une carte et dont la réalisation date de plus d’un siècle ne peut que susciter la curiosité. Elle invite donc à rechercher la façon dont l’origine de ce document peut se raccorder avec le contexte de sa nouvelle diffusion, effectuée au moyen de techniques de communication modernes et à destination d’un public évidemment différent et sans doute beaucoup plus large que celui de 1891. Lors de sa réalisation, le but de ce document était d’attirer en Tunisie le plus grand nombre possible de Français, et notamment d’agriculteurs ; il s’agissait d’un véritable outil de communication politique. En 2020, le but de sa nouvelle diffusion a été bien plutôt, de la part de citoyens tunisiens, de dénoncer un tel mouvement colonisateur et migratoire qui a alors conduit une partie de leurs ancêtres à perdre la propriété de leurs biens fonciers et à devoir abandonner leurs terres. Sur la base d’un même document, utilisé aujourd’hui comme preuve authentique du fondement de la protestation(93), le présent renoue ainsi avec le passé.
L’analyse de ce document emblématique conduit l’historien à le considérer à la fois comme un point d’arrivée et comme un point de départ. Il est un point d’arrivée dans la mesure où il résulte d’un processus de colonisation engagé une dizaine d’années plus tôt et qui a été lui-même largement le fruit de l’activité de cartographes. Ceux-ci, au cours des décennies précédentes, ont en effet travaillé durablement et en lien étroit avec le Dépôt de la guerre, chargé, on l’a vu, de réaliser des cartes à finalité militaire pour le gouvernement français. On peut en déduire que l’instauration du protectorat a été ainsi en relation, sans doute lointaine mais néanmoins réelle, avec la cartographie du XIXe siècle, en particulier avec la première carte moderne de Tunis réalisée en 1832 par Falbe. Le document de 1891 constitue également un point de départ puisqu’il symbolise et appuie la mise en œuvre d’une politique de colonisation de peuplement conduite officiellement par les autorités françaises. L’immigration française qui se développe alors entraîne, à la fois dans le milieu rural et dans le milieu urbain, une transformation des rapports de force économiques et politiques et donc des relations entre groupes ethniques ainsi que l’instauration d’échanges interculturels fondés sur l’altérité. Au moment de l’indépendance de la Tunisie, ces relations ont constitué un facteur favorable à l’émigration ouvrière tunisienne, compte tenu à la fois du niveau de chômage en Tunisie et des demandes du marché du travail français. Au total, on peut légitimement considérer comme un ensemble cohérent une longue période qui va de l’activité cartographique en Tunisie dans le premier tiers du XIXe siècle jusqu’au mouvement migratoire qui s’est engagé au milieu des années 1950. Dans cette période de plus d’un siècle, le document de 1891 occupe une position chronologiquement centrale qui contribue à dégager et à mettre en valeur les « leçons » que l’on peut en tirer.
Ces leçons permettent de valider les trois hypothèses que nous avons posées en introduction et qui ont orienté l’ensemble de notre investigation : celle d’un lien entre l’activité cartographique française en Tunisie au cours du XIXe siècle et la colonisation ; celle de la politique symbolisée par la diffusion de la carte de 1891 comme facteur de l’immigration française en Tunisie ; celle, enfin, des raisons de la concomitance entre l’accession de la Tunisie à l’indépendance et l’immigration en France de travailleurs tunisiens.
Dans leurs diverses dimensions, à la fois scientifiques et politiques, les enjeux que représente la cartographie apparaissent ainsi plus clairement. Le cartographe, sans avoir nécessairement conscience de l’ensemble des incidences de son activité, produit une représentation du territoire qui contribue implicitement à la construction de l’identité nationale et du sentiment d’appartenance territoriale des habitants. Le processus d’hybridation des savoirs vernaculaires et du savoir scientifique a permis une telle appropriation des outils cartographiques par les populations autochtones, notamment pour défendre leur périmètre de vie(94) en zone frontalière. D’une certaine façon, le cartographe a ainsi exercé une fonction de médiateur et d’intermédiaire, plus encore parce que son activité s’est développée dans un pays qui lui était étranger. À cet égard, les cartographes de la Tunisie du XIXe siècle ont largement contribué à donner au pays sa « carte d’identité » nationale et territoriale. En effet, dresser la carte d’un pays c’est aussi donner à ses habitants le moyen de s’auto représenter et les doter d’un nouveau mode de représentation collective, à la façon d’un miroir. La Tunisie est ainsi l’héritière d’un passé qui s’est joué en bonne partie sur le terrain de la carte et de son usage.
En quoi cela concerne-t-il le présent ? La question mériterait d’être posée à ceux qui, en 2020, ont pris l’initiative de diffuser le document de 1891. À défaut d’une telle enquête, le chercheur peut imaginer des réponses dans trois registres complémentaires : celui de l’espace migratoire comme mémoire et comme projet ; celui des enjeux méditerranéens communs à la rive nord et à la rive sud ; celui, enfin, du post-colonialisme et de l’appartenance plurielle(95). À ces trois niveaux, la revue de l’OCDE Talents à l’étranger : une revue des immigrés tunisiens apporte d’intéressants éléments de réflexion. Sur la base de sondage, elle indique par exemple qu’entre 2007 et 2013 les Tunisiens vivant en Tunisie étaient 27 % à souhaiter s’installer à l’étranger de manière permanente s’ils en avaient eu la possibilité. Près de la moitié des jeunes faisaient part de telles intentions migratoires(96). Dans le même temps, la Tunisie est devenue un pays de transit et d’installation pour les migrants puisque, depuis le début des années 2010, elle accueille de nombreux Libyens, Syriens et subsahariens. Cette situation a donné lieu à la mise en œuvre du projet de coopération technique LEMMA-Ensemble pour la mobilité (2016-2019) entre les institutions tunisiennes et l’Union européenne. Ce projet a notamment pour objectif de renforcer la capacité des autorités tunisiennes compétentes à gérer la migration de travail et la mobilité professionnelle au travers d’une coopération avec leurs partenaires européens. Il vise également la réinsertion économique et sociale des migrants de retour. La diffusion en septembre 2020 du document de 1891, sur fond de protestations et de revendications, permet de prendre la mesure des enjeux et des défis actuels ainsi que la complexité que représente la mise en œuvre d’un tel projet.
Bibliographie ↑ |
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Notes ↑ |
(1) Lors de la présentation de ce document, dans les pages suivantes, nous expliquerons pourquoi nous situons la date de sa création et de sa diffusion plutôt en 1891.
(2) L’original de ce document a été restauré à notre intention par le service de conservation des archives du ministère en juillet 2016.
(3) Archives du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, bobine 250.
(4) En ce qui concerne ce document, nous parlerons tantôt de l’affiche et tantôt de la carte, mais il s’agit bien du même objet.
(5) Gildas Simon, 1979, p. 390.
(6) Voir Abdesslem Ben Hamida et Riadh Ben Khalifa (2012), Riadh Ben Khalifa et Mustapha Tlili (2019) et Delphine Pagès-El Karoui et Hassan Boubakri (2015). Pour une approche psychologique de la migration clandestine des jeunes Tunisiens en Italie, voir Mustapha Nasraoui (2017). Ce mouvement migratoire a également inspiré le sujet de thèse de doctorat en psychanalyse et psychopathologie préparée par Wael Garnaoui (2019) en cotutelle à l’Université Paris Diderot et à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de l’Université de Tunis. L’objectif de cette recherche est de découvrir et d’analyser, dans leur pluralité, les différents facteurs à la fois psychologiques, socio-économiques et politiques qui permettent de comprendre l’attrait croissant que représente le départ chez les jeunes Tunisiens du XXIe siècle. Ces jeunes peuvent chercher à prendre la direction de l’Europe en vue de meilleures conditions de vie matérielle et sociale, mais ils peuvent aussi être tentés par le djihad et la poursuite d’un projet plus radical.
(7) Lotfi Aïssa, 2021.
(8) Ali Mahjoubi signale deux raisons qui ont joué en faveur du protectorat comme système de colonisation de la Tunisie : le faible taux de croissance démographique de la France, qui empêchait le gouvernement français de faire de la régence une colonie de peuplement, et le fait que le gouvernement était en mesure de gérer le protectorat sans le contrôle du parlement (1977, p. 78-79).
(9) Lucette Valensi, 2001, p. 8.
(10) Houda Baïr, 2018a.
(11) Houda Baïr, 2009.
(12) Service Historique de la Défense, Département de l’Armée de Terre (Vincennes) : 1-M 1675. Asie et Afrique, Mémoires et reconnaissance /inventaire / Série 1M Tome II, C. T. Falbe, Description du plan de Tunis et de Carthage, Copenhague, 1832, f. 153.
(13) Cité par John Lund, 2000, p. 334.
(14) Pour des raisons liées notamment aux problèmes de santé de Pricot de Sainte-Marie, qui a dû mettre un terme à sa mission en 1849, la partie sud de la Tunisie n’est pas représentée sur la carte, qui s’arrête ainsi au niveau de Tataouine.
(15) Houda Baïr, 2016, pp. 82-88.
(16) IGN, Collection de la cartothèque, Série Tunisie, carte au 1/400 000.
(17) Service historique de la Défense (Paris), Département de l’Armée de Terre, série M : Armée de terre, M, 3M 388, D 443.
(18) Service Historique de la Défense, Département de l’Armée de Terre (Vincennes), Série M : Armée de terre, série Tunisie 2H2, dossier Ernest de Taverne Ernest, Les forces militaires de la régence de Tunis : l’armée régulière, l’armée de terre et la marine, 1853, f. 1.
(19) Ibid., f. 116.
(20) Jean-Luc Arnaud, 2019.
(21) Jean-Luc Arnaud, 2006.
(22) L’expérience de l’officier François Perrier l’avait conduit à participer à la fondation de l’Observatoire d’astronomie et de géodésie d’Alger ainsi qu’à celle de l’Observatoire d’astronomie et de géodésie du Dépôt de la guerre à Paris, avant de fonder et de diriger en 1887 le Service géographique de l’armée, qui deviendra en 1940 l’Institut géographique national.
(23) Zouhir Chelli, 1996, p. 249.
(24) Hélène Blais, 2008.
(25) Zouhir Chelli, 1996, p. 249-250.
(26) Houda Baïr, 2016, p. 88.
(27) Le roman de Hédi Kaddour Les Prépondérants (Paris, Gallimard, 2015) traite des rapports sociaux, dans le cadre d’une petite ville du Maghreb des années 1920 située dans un pays placé sous protectorat…, entre les notables européens et les élites arabes. L’arrivée d’une équipe cinématographique américaine constituera un puissant facteur de prise de conscience, chez les acteurs sociaux les plus cultivés, des enjeux politiques et ethniques de la situation. L’ouvrage a été couronné par le Grand prix du roman de l’Académie française 2015.
(28) Béchir Yazidi, 2005, p. 63. Ali Mahjoubi estime que « l’un des mobiles de l’occupation de la Régence était précisément d’assurer définitivement aux ressortissants français la possession de ces immenses propriétés (1977, p. 290). L’auteur ajoute : « Aussi, l’un des premiers actes des troupes françaises ayant occupé la Tunisie fut de tenir militairement l’Enfidha et d’assurer ainsi le triomphe du point de vue de la compagnie financière, touchant son droit de propriété » (p. 290-291). Une note de la Direction de l’agriculture de Tunis du 6 novembre 1899 observe que « les premiers colons français en Tunisie ont été de grands propriétaires fonciers qui ont songé à reconstituer les latifundia romains » (« Note sur l’immigration italienne et les mesures à prendre pour assurer et développer le peuplement français », archives du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, bobine n° 250, série Tunisie, vol. 323, f. 20).
(29) Ibid., p. 65.
(30) Jean Poncet, 1962a, p. 177.
(31) Béchir Yazidi, 2005, p. 62.
(32) Ibid.
(33) Lucien Bertholon, qui exerça la médecine et l’anthropologie à Tunis, souligne en 1900 l’importance du rôle de l’État : « La colonisation pas plus que le peuplement français ne se feront autrement qu’avec l’aide plus ou moins accentuée de l’État ; quant à l’initiative privée, sauf quelques rares et très honorables exceptions, elle n’a introduit et n’introduira qu’exceptionnellement nos compatriotes » (1900, p. 399). La Revue tunisienne dans laquelle parut cet article était publiée par le Comité de l’Institut de Carthage sous la direction d’Eusèbe Vassel, officier de marine marchande, journaliste et membre de la Chambre consultative d’agriculture de Tunis.
(34) Marcel Mauss, 1923-1924, pp. 30-186.
(35) Jean Poncet observe qu’en 1914, en dehors de la région sfaxienne, l’action des colons européens était pratiquement inexistante dans les vastes régions du sud de la dorsale. Sur l’Enfida même, les terres étaient presque uniquement exploitées de façon indirecte, puisqu’elles étaient louées aux laboureurs et aux bergers traditionnels (1962a, p. 243).
(36) Jean Lhomme, 1970, p. 521.
(37) Jean-Pierre Boinon et Jean Cavailhès, 1988, p. 219.
(38) Riadh Ben Khalifa, 2017, p. 22.
(39) Interview de l’historienne spécialiste du Maghreb, Sophie Bessis, par la journaliste Lilia Blaise : « La Tunisie comme terre d’accueil : quelles racines historiques ? ». Cet entretien a été réalisé le 27 juin 2021 dans le cadre du dossier thématique en ligne intitulé « Les mobilités en Tunisie, vers un changement de prismes », en collaboration avec l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC) et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) : https://www.youtube.com/watch?v=y4cLjpO2b7Q
(40) Nizar Sayari et Hichem Rejeb, 2009. Bechir Yazidi a par ailleurs analysé les effets socio-économiques de l’arrivée de réfugiés espagnols en 1939. Une cinquantaine de ces réfugiés ont créé à Kasserine la colonie « Chambi », devenue grande productrice de légumes (Yazidi. 2001).
(41) Habib Kazdaghli, 2002.
(42) Riadh Ben Khalifa, 2017, p. 13.
(43) Cf. Ahmed Saadaoui, 2003.
(44) Anne-Marie Planel, 2015, p. 12.
(45) Ibid., p. 201.
(46) Ibid., p. 18.
(47) Anonyme, 1895, p. 389..
(48) Cf. Abdelhamid Hénia, 1998.
(49) Archives du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, n° 250, série Tunisie, vol. 323, 1898-1905 « Enquête sur la petite colonisation française », f. 50
(50) Jean Dybowski, 1899.
(51) Ibid., p. 24.
(52) Jean Poncet, 1962a, p. 147.
(53) Ibid., p. 149. Lors d’un voyage d’études organisé à l’occasion du congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences qui s’est tenu à Tunis en 1896, l’historien de l’économie Émile Levasseur a estimé que l’immatriculation facilitait la colonisation et qu’elle pouvait être considérée « comme un des services les plus certains que le protectorat lui ait rendu. Les indigènes même y trouvent avantage » (Émile Levasseur, 1896, p. 459).
(54) Ces terres, situées dans la région de Sfax, étaient la propriété du bey de Tunis après avoir été celle de la famille Siala.
(55) Béchir Yazidi, 2005, p. 92.
(56) Ibid.
(57) Anonyme, 1905, p. 199.
(58) Propriété à très forte majorité française : en effet, en 1899, les Français étaient propriétaires de 90 % des 565 000 ha que représentait la propriété européenne ; les Italiens n’en possédaient que 29 089, soit 5 % (Maurice Zimmerman, 1900, p. 90).
(59) Graphique réalisé sur la base des données publiées par la Direction générale du commerce, de l’agriculture et de la colonisation (1915, p. 247).
(60) Au moment de l’indépendance de la Tunisie, l’ECAT est devenue l’École supérieure d’agriculture de Tunis (ESAT) puis l’École nationale supérieure d’agriculture de Tunis (ENSAT) et, à compter de 1970, l’Institut national agronomique de Tunisie (INAT).
(61) Jean Poncet, 1962a, p. 177.
(62) Jean Poncet, 1962b. L’ouvrage que Jean Poncet consacre à l’étude des transformations des paysages ruraux s’ouvre par l’étude du Tell septentrional, où les conditions de la vie agricole se « trouvent généralement les meilleures conditions qui soient en Tunisie, tant du fait [du] climat plus humide que du fait de l’abondance des sols alluviaux ou relativement riches en humus » (p. 13). L’auteur résume ainsi les grands traits qui définissent l’agriculture européenne de cette région : « Agriculture de format généralement élevé, traduisant le passage de l’exploitation à la grande culture moderne des céréales ; implantation à la fois limitée aux meilleurs sols et aux sols qui étaient jadis les plus difficilement et le plus irrégulièrement mis en valeur […] ; grande difficulté à développer des activités polyvalentes même là où sol et climat permettraient ces dernières » (p. 32).
(63) Jean Poncet, 1962a, p. 208. L’auteur estime que « c’est toute la structure juridique et sociale, toute la démographie rurale, toute la production des campagnes tunisiennes, toute leur vie enfin qui ont été profondément transformées, du fait de cette installation française et surtout de la mise en valeur directe pratiquée par de nouveau venus, avec des moyens supérieurs » (p. 637).
(64) Ibid., p. 219.
(65) Ibid., p. 224.
(66) Jean Poncet souligne qu’« avant 1881, le gourbi est considéré par tous les observateurs comme l’habitat de celui qui a perdu son troupeau de somme et ses moyens de déplacement, du petit fellah ruiné et du khammès asservi. La ‘‘fixation au sol’’ dans des gourbis et la disparition de la tente signifient un appauvrissement dans la mesure où elles ne s’accompagnent pas d’une intensification et d’une diversification des activités agricoles, de type sahélien (plantation, irrigation, jardinage…) » (1962a, p. 230).
(67) « Enquête de la Chambre d’agriculture », Archives du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Nouvelle série Tunisie, vol. 26, f. 14-16.
(68) Ibid., f. 8.
(69) « Le rapport sur la Tunisie », Le temps, 3 janvier 1906.
(70) Archives du ministère de l’Europe et des Affaires européennes et étrangères, Paris, Nouvelle série Tunisie, vol. 39, f. 93-94.
(71) Ibid., f. 103-104.
(72) Cette analyse des deux premières décennies de l’immigration tunisienne en France prend principalement appui sur les travaux de Gildas Simon (1973, 1976 et 1979) et de Khemaïes Taamallah (1980).
(73) Anne-Sophie Bruno, 2007, p. 115-116.
(74) Gildas Simon, 1979, p. 47.
(75) Ibid., p. 49-50.
(76) Ibid., p. 50. Jusqu’en 1963-1964, l’émigration ouvrière vers la France est très inférieure à celle des Israélites tunisiens, dont une partie transite par la France avant de s’installer en Israël (Gildas Simon, 1973, p. 96).
(77) Nahdem Yousfi, 2017, p. 42.
(78) Ibid., p. 44.
(79) Les dossiers de près de 17 000 Tunisiens, souvent arrivés comme « touristes » en France, ont été régularisés au cours de l’été 1973.
(80) Abderrazek Oueslati, 2009, p. 14.
(81) Khalifa Chater écrit qu’« après l’indépendance, les départs simultanés ou presque des grandes vagues des Français de Tunisie et d’immigrants tunisiens ont réuni, dans l’exil, des représentants de la tragédie coloniale »
(1997, p. 53).
(82) Gildas Simon, 1973, p. 100.
(83) Gildas Simon, 1979.
(84) Nous n’avons pas disposé des données relatives au nombre de Français en Tunisie au cours de la période 1966-1973.
(85) Graphique réalisé sur la base des données présentées par Gildas Simon (1979, p. 54, 57 et 82).
(86) Khemaïes Taamallah, 1980, p. 326.
(87) Jean-Paul Baduel, 1980.
(88) Gildas Simon, 1976.
(89) Khemaës Taamallah, 1980, p. 249.
(90) Gildas Simon, 1979, p. 91 ; voir aussi Abderrazek Oueslati, 2009, p. 14.
(91) Abdelmalek Sayad, 1991, p. 61.
(92) Ibid., p. 73.
(93) Selon Khalifa Chater, « l’institution du protectorat, la dépossession coloniale et la mise sur pied d’une politique d’immigration, de colonisation des terres et de prise en charge des secteurs lucratifs, créent le cadre propice à la définition des immigrants français, comme des envahisseurs, des étrangers et des privilégiés » (1997, p. 44).
(94) Houda Baïr, 2018b et 2021.
(95) On pourrait sans nul doute transposer à la Tunisie l’analyse par Ahmed Boubeker de la position d’Abdelmalek Sayad sur les migrations postcoloniales des Algériens. Il estime en effet qu’A. Sayad « pose très clairement la question du postcolonial en termes d’un ‘‘au-delà du colonialisme’’ – et pas simplement dans une perspective chronologique comme on la réduit trop souvent en France – lorsqu’il écrit que l’Algérie se doit d’inventer, par l’instauration d’un regard historique critique, un autre rapport à son avenir » (2010, p . 48).
(96) OCDE, 2018, p. 14.
Pour citer cet article ↑ |
Houda Baïr, « Les leçons d’une carte. Colonisation et construction de l’espace migratoire franco-tunisien (milieu du XIXe siècle-années 1970) », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°11, année 2021.
URL : http://www.al-sabil.tn/?p=8488
Auteur ↑ |
(*) Enseignante chercheuse à l’Université de Tunis, membre du DIRASET (Université de Tunis), membre associé du LAGAM (Université Paul-Valéry Montpellier 3).